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IV

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Lorsque les deux courriers, partis de Paris le même jour, arrivèrent séparément à Rome, il s’était écoulé plus de huit semaines, pendant lesquelles Consalvi aurait pu s’occuper activement de la démission et de la circonscription. La promptitude, qui lui avait été recommandée à Paris et à laquelle il s’était prêté dès son retour, en faisant préparer la ratification pontificale ainsi que les brefs pour les évêques même schismatiques et pour les prêtres mariés, aurait dû lui servir désormais de leçon, et lui rappeler qu’avec Bonaparte rien ne devait languir; que la hâte, quand elle n’était pas positivement exigée, demeurait toujours sous-entendue. Pour retarder la large part dans l’expédition extérieure des brefs qu’il avait gardée à la charge du Saint-Siège, il avait pu se prévaloir pendant quelque temps de la nécessité de savoir si la convention serait ratifiée par Bonaparte; et cependant cette raison même, valable dans une certaine mesure, n’était pas décisive, puisqu’elle ne l’avait pas empêché de commencer l’exécution à peu près certaine du Concordat, en mettant en route pour la France Caprara et le personnel de sa légation. Cette excuse d’ailleurs avait disparu depuis le 21 septembre, jour où l’on avait su à Rome que les ratifications étaient échangées. Pourquoi Consalvi avait-il, dès lors, continué à suspendre les envois du bref Tam multa aux évêques dispersés en Allemagne, en Espagne, dans les pays autres que l’Angleterre?

Il est probable, d’abord, qu’il n’avait pas assez compris à quel point était invariable chez Bonaparte la volonté de ne révéler l’organisation religieuse que dans son ensemble. Il avait dû croire que le 18 brumaire n’avait pu être choisi qu’à la condition d’ajourner la création du nouvel épiscopat, qui lui paraissait, non sans raison, ne pouvoir être prête pour un jour aussi rapproché, et en vue de laquelle d’ailleurs un article du Concordat réservait au Premier Consul «les trois mois qui suivront la publication de la bulle» de ratification pontificale. Ce délai, qui restait tout entier à courir, se trouvait aussi servir un calcul vraisemblable de Consalvi. Depuis qu’on savait à Rome que le Premier Consul, touché de la bienveillance du Saint-Père envers les constitutionnels, avait déclaré devant Spina que, s’ils y résistaient, il les abandonnerait, on a dû espérer que cette parole allait s’accomplir; qu’en laissant à ces évêques le loisir de s’enfoncer dans leur obstination, on leur ferait peut-être perdre les sièges que, dans un entretien avec Consalvi à Paris, le Premier Consul avait annoncé vouloir leur accorder.

Quoi qu’il en soit de ces pensées avouées ou dissimulées, l’échange des ratifications connu à Rome y provoqua, non la prompte réparation des retards, mais simplement quelques réjouissances secondaires. Le Te Deum étant ajourné à la publication, qui semblait prochaine, de la convention elle-même, tout se borna pour le moment à la déclaration de trois des cardinaux désignés in petto dans le consistoire du mois de février, et à un dîner d’apparat où furent invités les cardinaux ayant joué un rôle dans la négociation religieuse. Tous furent présents; les plus vieux parurent au moins au dernier service, sans excepter le doyen Albani, qui pourtant ne s’était montré favorable, ni à la personne de Bonaparte, ni aux projets français de Concordat.

Quand enfin on se décida à sortir des lenteurs, à demander formellement la démission des évêques émigrés, surtout de ceux réfugiés dans l’Empire, un autre sujet urgent de diversion était survenu: car on avait pu apprendre la signature des préliminaires de Londres.

En recevant le 13 octobre cette grande nouvelle par les voies ordinaires, le Pape, de lui-même, s’était empressé d’écrire au Premier Consul pour le féliciter de ce succès et lui recommander les intérêts territoriaux du Saint-Siège, dont la pensée était revenue aussitôt à son esprit. Dix jours plus tard, le 23, un courrier, dont l’envoi a déjà été mentionné, apportait la lettre du Premier Consul du 10 octobre, qui, en annonçant officiellement la paix rendue à l’Europe. marquait la part que le Saint-Siège aurait à prendre dans ces arrangements généraux. Le langage de Bonaparte était concis et un peu sec; mais, comme une réponse était demandée par le retour du courrier, elle devait fixer aussitôt et fortement l’attention de la cour romaine.

L’affaire indiquée comme la principale pour le Saint-Siège était l’organisation religieuse de l’ordre de Malte, dont les chevaliers, d’après les préliminaires de Londres, devaient être remis en possession de l’île. Le témoignage de considération que le Premier Consul semblait accorder à la Papauté, en la conviant ainsi à pourvoir à cette organisation, était plus apparent que réel; car, depuis Venise, Pie VII n’avait cessé de maintenir les droits de l’Église contre les prétentions de la Russie et, un peu plus tard, de l’Espagne. Celles de la Russie, dans toute leur force du temps de Paul Ier, s’étaient simplement atténuées, sans changer de nature. Le nouvel empereur Alexandre ne revendiquait plus la grande maîtrise de l’ordre; toutefois, par déférence pour les idées de son père, il continuait à la regarder comme vacante. Afin de remplacer Hompesch, qui en capitulant entre les mains des Français lui avait paru encourir la déchéance, il se servait du grand prieuré de Russie pour inviter tous les grands prieurés étrangers, y compris celui de Rome, à désigner un candidat à la grande maîtrise. Le Pape devait faire l’élection. Or le caractère schismatique des chevaliers russes l’empêchait d’admettre leur initiative. A cet embarras s’ajoutait l’opposition contre toute élection, qui avait déjà été signifiée au nom de la cour de Madrid, avide de séparer la langue espagnole pour s’approprier ses biens. A cette occasion, cette cour, allant plus loin, déclarait que les ordres religieux de l’Espagne ne devaient plus obéir qu’à des chefs nationaux, non à des chefs généraux résidant hors du royaume. Dans cet état de choses, la réponse du Pape ne pouvait être qu’un exposé des difficultés présentes de l’affaire, et de ses suites.

Puis, spontanément le Premier Consul parlait des principautés de Bénévent et de Pontecorvo, dont la suzeraineté était débattue alors avec un redoublement d’acrimonie entre les cours de Home et de Naples, et il proposait sa médiation. Cette offre ne semblait pas pouvoir être acceptée ouvertement par le Pape, qui ne voulait pas se mettre si visiblement sous la main de la France et affectait de se fier à une note péremptoire qu’il adressait en ce moment à Palerme, au ministre Acton. Néanmoins, pour ne pas perdre les effets d’une protection aussi puissante, il priait le Premier Consul d’agir sur les Napolitains comme de lui-même et avec indépendance, sans paraître s’être concerté avec le Saint-Siège.

La dernière proposition de Bonaparte était celle de substituer à la garnison française d’Ancône un corps suffisant de troupes pontificales, dont le nombre, par cette raison, devait être augmenté. Cette annonce, qui impliquait celle de l’évacuation prochaine de la place, ne pouvait trouver le Pape insensible; au fond elle ne lui donnait des espérances, ni aussi grandes, ni aussi promptes qu’on aurait pu le supposer. Il était devenu défiant par une fâcheuse expérience qu’il venait de faire, lorsqu’il avait recueilli la promesse qu’à partir du 1er fructidor la solde des Français à Ancône cesserait de peser sur le trésor romain. C’est en vain qu’au lendemain de la signature du Concordat, Bonaparte avait cru faire ainsi un présent immédiat à Pie VII. La somme destinée à la solde avait en effet été expédiée à temps de Paris; elle n’avait pas dépassé Milan, où Murat avait établi son quartier général, comme commandant toutes les forces françaises en Italie. Depuis, son confident s’était rendu à Rome, et là, en secret, et à mots couverts, avait fait entendre que Consalvi n’avait rien à réclamer et ne devait pas interrompre ses avances, qui sans doute finiraient par lui être remboursées quelque jour. Les finances pontificales devaient donc continuer à pourvoir non seulement à l’entretien d’une garnison qui sans doute ne se hâterait pas de se retirer, mais au passage de 18000 Français qui allaient revenir, lentement et par détachements, de la baie de Tarente, où ils étaient restés cantonnés à portée de l’Égypte.

La lettre de Bonaparte du 10 octobre ne disait rien de plus à l’endroit du Saint-Siège: on a vu qu’elle se taisait entièrement sur les Légations. A Paris, Consalvi s’était bien avisé que Bonaparte n’aimait pas être interrogé sur ce sujet; mais aujourd’hui, à la veille de la négociation qui allait reprendre et régler les détails de la paix de la France avec l’Angleterre, il lui paraissait que la question des provinces enlevées à la Papauté devait se réveiller d’elle-même. Ignorant que jusqu’ici, dans les discussions pour les préliminaires, le cabinet anglais ne s’était intéressé directement ni aux Légations ni même au Piémont, il s’était imaginé que le sort de la haute Italie allait être traité à Amiens, et que le moment était venu pour la cour de Rome d’y présenter sa demande avec une insistance qui n’avait pas encore été essayée. Cette intervention pouvant être décisive, le Pape se l’était réservée dans sa réponse à la lettre de Bonaparte. Le terrain choisi par lui était celui qui avait toujours été adopté : c’était un appel plus pressant que jamais, à la générosité du possesseur des Légations, autrefois l’Empereur, désormais le Premier Consul. Dans sa lettre, le Pape n’avait pas besoin d’assurer qu’il ne cherchait ni un accroissement de puissance ni un de ces arrondissements de territoire qui sont souvent commandés par la géographie: ces raisons si communes ne pouvaient être les siennes. Pour solliciter les Légations, il alléguait la seule nécessité de retrouver, dans les contrées riches et peuplées ayant appartenu à ses prédécesseurs, des ressources indispensables à la marche du gouvernement romain. N’en avait-il pas le besoin le plus urgent, par exemple pour augmenter ses troupes et les porter de 1200 à 4000 hommes, en vue de la défense d’Ancône? pour subvenir au passage des Français, qui, après s’être dirigés au midi de la péninsule, allaient maintenant revenir? Une autre dépense, également prévue en considération de la France, devait résulter de l’édit publié en ce moment pour allouer à tout Français, acquéreur de biens nationaux romains, une indemnité du quart de leur valeur réelle. L’insuffisance des recettes actuelles se faisait même sentir pour les dépenses journalières courantes, pour l’entretien des fonctionnaires pontificaux, pour celui des cardinaux du Sacré Collège, privés maintenant des bénéfices qu’ils possédaient hors de l’Italie et souvent à court de moyens pour soutenir leur dignité. La réclamation portait sur tout le territoire perdu: sur les trois Légations elle était complète et pressante. Elle aurait eu plus de poids si elle n’avait été suivie de l’espoir d’une indemnité pour Avignon, espoir qui semblait d’autant plus inopportun, qu’il n’avait aucune chance d’être écouté.

A l’appui de ces instances directes du Pape, Consalvi avait pensé un moment à diriger vers Amiens Spina, qui demandait à quitter Paris, où il se sentait en situation fausse et qu’en effet il paraissait à propos de ne plus laisser dans cette ville. Des instructions lui furent même préparées. Dans cette nouvelle mission, Spina se serait inspiré de la maxime constante de sa cour, qui était de ne consentir à aucune renonciation de territoire. S’il ne parvenait à obtenir que la Romagne, en tout ou en partie, il devrait l’accepter comme un simple don du Premier Consul, n’impliquant aucun abandon du surplus; précaution dont on venait de voir tout récemment un exemple, lors de la remise de Pesaro aux autorités pontificales. Le projet de déléguer Spina à Amiens n’ayant pas eu de suite, Caprara allait demeurer seul chargé de l’affaire si préoccupante des Légations: aux recommandations antérieures qu’il avait reçues de Consalvi, allait s’ajouter l’insistance écrite du Souverain Pontife.

Le courrier français, qui attendait, repartit le 24 octobre avec l’importante réponse du Pape au Premier Consul sur les affaires temporelles. Il n’emportait qu’une partie des soucis, qui allaient se succéder à Rome presque sans interruption pendant plusieurs semaines.

Histoire du rétablissement du culte en France (1802-1805)

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