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PRÉLUDES DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE I
ОглавлениеDu sentiment religieux.—Principaux événements de notre histoire.—Comment les faits s'enchaînaient les uns aux autres pour amener un changement dans l'ordre politique et social.—Affranchissement des communes.—Luther et Calvin.—La Saint-Barthélémy.—Richelieu.—Louis XIV.—Louis XV.
L'histoire de la Montagne se lie étroitement à l'histoire de la
Révolution, laquelle se rattache à toute notre histoire de France.
Il nous faut donc renouer le fil des événements.
Le point de vue religieux, presque absent au XVIIIe siècle des spéculations de l'esprit, a exercé, dans ces derniers temps, une grande influence sur la direction des études historiques et sociales. Doit-on s'en applaudir? doit-on s'en plaindre? Il faut du moins se tenir sur ses gardes et se défendre contre les utopies. De nombreuses erreurs se sont glissées dans les ouvrages qui ont trait à l'origine de la démocratie en France, et comme ces erreurs tendent à obscurcir une des questions dominantes de la philosophie politique, il est utile de signaler le mal. Quelques historiens envisagent la démocratie moderne comme le développement nécessaire des idées chrétiennes; pour eux, la Révolution Française est sortie tout armée de l'Évangile. [Note: Nous avions en vue l'école de Buchez, dont l'importance était alors considerable.]
Les sociétés antiques rapportaient presque toutes leur fondation à un dieu ou au fils d'un dieu. Peu s'en faut que les théodémocrates n'arrivent, par un effort d'imagination, à la même conséquence. S'il faut les en croire, c'est un dogme, une vérité de foi qui a présidé au berceau des nations modernes. Jésus-Christ a été le premier citoyen français, le précurseur de la Déclaration des droits.
D'où vient cette manière de voir? Il existe assurément une certaine conformité entre les doctrines de l'Évangile et celles de la Révolution Française.
Dix-sept cents ans avant Voltaire, le fils d'un charpentier, dans un temps où plus de la moitié du genre humain était esclave, où la société s'appuyait sur une hiérarchie de naissance, avait prononcé ces paroles mémorables: «Vous êtes tous frères, et vous n'avez qu'un père qui est là-haut.» Cette relation entre les principes du christianisme et ceux de la démocratie n'avait point échappé aux hommes de 93. L'abbé Maury et l'abbé Fouchet en firent le texte de touchantes homélies. On connaît le mot de Camille Desmoulins devant le tribunal révolutionnaire: «J'ai l'âge du sans-culotte Jésus, trente-deux ans.» L'un des hommes qu'on s'attend le moins à rencontrer sur ce terrain, Marat, qui n'était point dévot, rend lui-même justice sur ce point aux croyances chrétiennes. «Si la religion, dit-il, influait sur le prince comme sur ses sujets, cet esprit de charité que prêche le christianisme adoucirait sans doute l'exercice de la puissance. Elle embrasse également tous les hommes dans l'amour du prochain; elle lève la barrière qui sépare les nations et réunit tous les chrétiens en un peuple de frères. Tel est le véritable esprit de l'Évangile.» Oui, mais cet esprit a-t-il été souvent appliqué au gouvernement des affaires humaines?
L'alliance du sentiment religieux et des aspirations révolutionraires peut être séduisante; elle flatte les entraînements de l'esprit et du coeur, elle convient à la jeunesse; mais nous trouvons cette théorie à la fois excessive et incomplète. Le christianisme a été une grande chose; la démocratie en est une autre; gardons-nous bien de mêler ces deux courants, si nous tenons à ne point tomber dans une confusion d'idées.
Toute la question est de savoir si le christianisme seul, abandonné à ses propres forces, eût pu faire la Révolution Française; nous ne le croyons pas. Il fallait la protestation de la dignité humaine, violée depuis des siècles par l'insolente domination des classes privilégiées. Il fallait le travail lent et souterrain de la raison humaine. Il fallait la liberté d'examen. N'ayant à son service que des armes spirituelles, le christianisme n'aurait jamais pu réaliser un mouvement national qui tenait à l'ordre philosophique par les principes, à l'ordre moral par le droit et à l'ordre matériel par la force.
C'est donc dans un autre ordre de faits et d'idées qu'il nous faut chercher les racines de la Révolution Française.
Tout le monde sait que, issu de la conquète, le gouvernement de la France fut à la fois militaire et théocratique. Le pouvoir était divisé entre une foule de petits tyrans locaux. C'est ce qu'on appelle la féodalité. La guerre était l'occupation des hommes libres: guerre entre les États, guerre entre les provinces, guerre de château à château, de seigneur à seigneur. Au milieu de ces troubles et de ces chocs perpétuels, que devenait le pauvre vassal? Son champ était ravagé, sa famille sans cesse sur le qui-vive, le fruit de son dur travail pillé par des bandes armées. Je glisse très-rapidement sur ces origines bien connues.
Le grand événement du moyen âge, c'est l'affranchissement des communes. A l'ombre des châteaux forts s'étaient formés dans les villes et les bourgs populeux des groupes d'artisans qui avaient besoin d'une certaine sécurité pour exercer leur industrie. Avec le temps, et par suite du mouvement naturel qui pousse les races asservies vers la lumière et la liberté, ces confédérations réclamèrent quelques garanties. Elles offrirent même d'acheter leurs franchises, soit du roi, soit du haut et puissant seigneur dont elles dépendaient. Aimant mieux se priver d'un morceau de pain que de vivre sans droits, les ouvriers, les petits débitants des villes s'imposèrent les plus durs sacrifices, et même, dans quelques localités, se soulevèrent pour conquérir la dignité d'hommes. D'un autre côté, les nobles tenaient à remplir leurs coffres-forts, et Louis le Gros avait intérêt à favoriser le développement des communes pour s'en faire un rempart contre les entreprises de certains seigneurs féodaux. Il importe surtout de constater que le sentiment religieux fut tout à fait étranger à ces transactions; la politique seule y joua un rôle. A partir de ce jour, les communes, ces associations libres et régulières, jouirent d'une juridiction à elles et tinrent de la sanction royale le droit d'avoir un échevin, un tribunal, un sceau, un beffroi, une cloche, une garde mobile. En temps de guerre, elles ne devaient prêter qu'au roi de France leurs soldats, qui, bannière en tête, rejoignaient les corps d'armée.
Qui ne voit d'ici l'importance de cette révolution accomplie sans bruit, sans éclat, sans une goutte de sang versé, par une sorte d'élan spontané, mais dont les conséquences devaient s'étendre de siècle en siècle! Avec le temps, en effet, l'industrie et le commerce, délivrés de leurs entraves, purent se redresser; le pauvre s'enrichissait par son ardeur à l'ouvrage, son adresse, son économie; les familles que le hasard de la naissance avait d'abord placées au bas de l'échelle sociale s'élevaient peu à peu et contractaient quelquefois des alliances avantageuses; c'est alors qu'entre la noblesse et la masse obscure des plébéiens se forma une classe intermédiaire qui prit plus tard le nom de tiers état ou de bourgeoisie.
L'affranchissement des communes peut se définir d'un mot: ce fut la victoire du travail sur la guerre.
La tradition chrétienne, fort obscurcie au milieu de ces luttes, s'éloignait de plus en plus de la démocratie évangélique. Il se rencontra, de siècle en siècle, des hommes qui protestèrent contre la direction du clergé; mais comme ils étaient en petit nombre, on les déclara hérétiques. «L'an 1320, dit Belleforest, on a vu des novateurs qui sous le nom de Frérots estoient venus en telles resveries qu'ils disoient et prêchoient publiquement que les gens d'église ne devoient rien tenir qui leur fust propre; que l'Église estoit fondée en pauvreté telle que Jésus-Christ avoit et approuvé et institué, veu qu'il n'avoit jamais possédé…. Par là ils inféroiont que c'estoit abusivement procéder au pape, cardinaux, évesques et autres preslats, d'être riches et puissants.» Cette secte avait pour chef Jehan de La Rochetaillade, «lequel, ajoute Froissard, proposoit des choses si profondes … que par aventure il oust fait le monde errer…. A tant que moult, souvent les cardinaux en estoient esbahis et volontiers l'eussent à mort condamné.» A la lumière de cette tradition démocratique s'alluma le flambeau de Wiclef, de Jean Huss et de Jérôme de Prague, qui voulaient ramener l'Eglise à sa constitution primitive. La tentative était généreuse, mais elle était téméraire. L'Église et l'État avaient désormais si bien confondu leurs intérêts, qu'il devenait impossible de toucher à l'une sans ébranler l'autre; le pape était roi, le roi de France était «clerc et homme d'église». Aussi les nouveaux prédicateurs furent-ils traités comme séditieux et punis de mort. On les frappa au nom de l'Eglise avec un glaive aiguisé sur l'Évangile de celui qui avait dit: «Remettez le glaive dans le fourreau.»
L'affranchissement des communes fut suivi plus tard de l'affranchissement des serfs sur plusieurs points du royaume. Ce qu'il y a encore de très-remarquable, c'est que le clergé n'intervint nullement dans cet acte d'humanité. Les édits mêmes d'affranchissement ne font aucune allusion au sentiment religieux ni à l'esprit chrétien. Que conclure de leur silence, sinon que le développement du droit naturel et le respect de la dignité humaine amenèrent, en dehors de toute autre influence, l'abolition de la servitude corporelle? Elle existait pourtant encore, cette servitude, dans certaines localités, jusqu'à la veille de la Révolution. Un grand coup porté à l'édifice des anciennes croyances religieuses fut le mouvement de la Réformation. L'esprit de libre examen, foudroyé dans la personne de Jean Huss par la puissance de l'orthodoxie érigée en concile, trouva dans Martin Luther un vigoureux lutteur qui déchira l'unité de l'Église. La liberté de penser avait apparu dans le monde. Quoique Luther eut voulu limiter sa révolte à l'ordre de foi, bien autres devaient en être les conséquences. Tous les esprits sérieux savent quelle étroite affinité relie la pensée à l'action, l'hérésie à la guerre contre les pouvoirs absolus. Ces deux courants se côtoyaient l'un l'autre et partaient du même principe. L'hérésie en voulait à la tête de l'Église, de même que la Révolution au chef de l'État. Les peuples qui avaient vu un ancien moine jeter au feu la bulle du pape ne reculèrent plus devant la majesté d'un roi; la lutte contre Léon X amena la résistance du Parlement anglais contre Charles 1er. Luther appela Cromwell.
C'est une loi douloureuse, mais qu'y faire? Le progrès s'écrit d'un côté de la page avec la plume et de l'autre avec le glaive.
Le peuple anglais s'était rallié à la noblesse contre la monarchie pour conquérir certains droits octroyés dans ce qu'on appelle la grande charte, magna charta. Chez nous, au contraire, le populaire se rattacha fortement à la royauté en haine de l'aristocratie. C'est la différence des deux histoires. La France aspirait à l'imité. C'est à cet esprit d'unité qu'il faut rapporter l'érection des parlements en cours permanentes et sédentaires de justice. Cette institution rendit des services, «en nous sauvant, dit Loyscau, d'être cantonnés et démembrés comme en Italie et en Allemagne».
Les doctrines de Luther et de Calvin avaient mis le feu aux poudres. La France n'échappa pointe cet embrasement général. La guerre civile était imminente. Les Huguenots tenaient dans leurs mains une partie des services publics. On les trouvait partout, même à la cour. La noblesse était aussi bien atteinte que la classe moyenne par l'esprit de liberté en matière de religion. La France allait-elle devenir protestante? Il serait oiseux de rechercher quelle influence bonne ou mauvaise ce changement de croyances aurait pu exercer sur ses destinées.
Une femme, Catherine de Médicis, superstitieuse faute de religion, hautaine, vindicative, se chargea d'abattre l'hydre de l'hérésie. Ce fut une oeuvre de ténèbres. La nuit de la Saint-Barthélémy ne saurait être trop sévèrement reprochée à cette reine et à son fils Charles IX. Les entrailles frémissent d'horreur quand on songe à cet infâme massacre qui fut pourtant approuvé par la cour de Rome. Quelques historiens néocatholiques ont cherché à justifier cette oeuvre de sang par les avantages qu'en aurait retirés le pays. Ne jouons pas avec la conscience et n'admettons jamais de pareilles excuses! Que me parlez-vous de la raison d'État, du droit de légitime défense, de certains progrès couvés dans la boue du crime? L'historien juge les faits et ne saurait absoudre que ce qui est juste.
Cependant la royauté gagnait chaque jour du terrain. Richelieu reprit l'oeuvre et la politique de Louis XI, qui consistait à se débarrasser des grands seigneurs pour ramener toute l'autorité à la couronne. La féodalité s'était implantée sur le sol avec l'épée, le cardinal-duc la détruisit par la hache. Non content de supprimer les grands vassaux, les principaux de la noblesse de France, il effaça en quelque sorte le souverain lui-même. L'homme rouge se posa comme une goutte de sang sur la lignée bleue des rois de France. De Henri IV à Louis XIV, il y eut une sorte d'interrègne. Louis XIII avait disparu derrière son ministre. C'était l'ombre d'un roi; il ne mourut point, il s'évanouit.
La concentration de tous les pouvoirs entre les mains de la royauté était d'ailleurs une oeuvre nécessaire. Décomposant à l'infini l'autorité, l'émiettant, si l'on ose ainsi dire, le régime féodal aurait inévitablement conduit la France soit à l'anarchie, soit à la domination d'une foule de maîtres avides et d'autant plus ombrageux qu'ils étaient plus faibles. Comment eût-on pu extirper ces tyrannies locales? Or voilà que la royauté vint en aide au peuple; elle mit environ quatre siècles à fonder l'unité, à réprimer toutes les révoltes, à briser toutes les résistances, et au moment où elle croyait avoir atteint son but éclatèrent les troubles de la Fronde.
Louis XIV sortit victorieux de la Journée des Barricades. La fraction de l'aristocratie qui lui disputait les rênes du gouvernement était écrasée. Ceci fait, il profita de l'humiliation de la noblesse pour la fixer à la cour et lui enlever ainsi les moyens de nuire. Que pouvaient contre le roi les grands seigneurs éloignés de leur province? Il les chargea de rubans et de chaînes d'or, les fit asseoir autour de lui sur des fauteuils ou des banquettes de velours, en un mot les enguirlanda de servitude. Versailles devint un foyer de grandeur et de magnificence. Ce n'étaient que fêtes, carrousels, spectacles, chasses, galas.
Le roi-soleil attirait à lui tous les jeunes moucherons de l'aristocratie, trop heureux de venir se brûler les ailes à sa lumière. Le pouvoir absolu étant remonté tout entier à la couronne, on entoura le chef de l'Etat d'une sorte de culte bien fait pour dégrader les caractères. Louis XIV assista vivant à son apothéose: il avait ainsi trouvé un moyen qui valait mieux que d'exterminer les grands, c'était de les avilir. Autour de cette idole s'organisa tout un système de fétichisme, ayant le palais de Versailles pour temple, les courtisans pour sacrificateurs et le peuple pour victime.
S'aperçut-on alors du gouffre qui se creusait autour du trône? En tout cas, il était trop tard. La royauté avait abaissé toutes les barrières qui gênaient l'exercice du pouvoir arbitraire; elle avait domestiqué ces farouches barons qui étaient quelquefois les rivaux, mais le plus souvent les soutiens de l'édifice monarchique; elle s'isolait ainsi dans des hauteurs où la foudre devait tôt ou tard l'atteindre.
Louis XIV mort, la France, un instant courbée sous son fouet et ses bottes à éperons, redressa superbement la tête. Les parlements moins soumis, et fortifiés des armes de l'opinion, essayèrent çà et là quelque résistance. Vint la Régence, qui engourdit dans la débauche ce qui restait de vigueur à l'aristocratie. Sous Louis XV, le pays s'accoutuma à ne plus avoir de maîtres; il était gouverné par des maîtresses qu'il méprisait. Quand Louis XVI monta sur le trône, les esprits, éclairés désormais sur les abus, étaient dans une horrible agitation, et il ne fit rien pour les calmer. Alors le peuple vint se présenter, la pique d'une main et la constitution de l'autre, sur les marches du Louvre.—Ce visiteur-là n'attend pas longtemps à la porte des rois.
Telle est la série des faits qui ont amené la Révolution Française. Un mot maintenant sur les doctrines.
Quoique le véritable esprit chrétien ne fut nullement en contradiction avec les principes de 89, il est très-difficile de lui attribuer une influence dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. La liberté dont on retrouve ténébreusement les traces dans les écrits des Pères de l'Église n'avait rien de commun avec la liberté civile et politique fondée par la Révolution Française. Nous voyons au contraire les doctrines de l'Église aboutir partout à l'obéissance passive. Lisez dans Bossuet le chapitre intitulé: Les sujets n'ont à opposer à la violence des princes que des remontrances, sans mutinerie et sans murmure, et des prières pour leur conversion. Voila quoi était en politique le sentiment du clergé orthodoxe; les armes de la prière étaient les seules que la liberté chrétienne put forger dans son arsenal. Nous doutons qu'avec ces armes-là on eût jamais pris la Bastille, et nous trouvons que le peuple de 89 fit sagement d'y ajouter un fer de lance.
Parmi les éléments qui préparèrent la Révolution Française, on n'a pas assez tenu compte du vieil esprit gaulois dont on retrouve la trace dans les fabliaux et dans quelques romans du moyen âge, esprit frondeur, satirique, riant sous cape de la noblesse et du clergé. A côté des écrivains orthodoxes se forma d'ailleurs, du XVe au XVIe siècle, une école de philosophes calmes, stoïques, dégagés des luttes religieuses, relevant plutôt de la tradition païenne que de l'Évangile, dénonçant avec une rare hardiesse tous les abus de leur temps: ce furent Michel Montaigne, Étienne de La Boëtie, Charron, Rabelais. Dans leurs ouvrages, si différents de verve et de style, s'épanouit la véritable liberté d'examen. Après eux vint Descartes, qui commença par faire table rase de toutes les connaissances acquises, et déplaçant dès le premier coup la base de la certitude, mit dans le moi le critérium de l'erreur ou de la vérité. Pascal démasqua les jésuites dans ses Lettres provinciales. Les voies étaient ouvertes: le XVIIIe siècle s'y précipita. Montesquieu, Voltaire, Jean-Jacques Rousseau, Buffon, Condorcet, d'Alembert, quelle pléiade de génies! La théologie chrétienne s'était placée elle-même en dehors du monde et de la nature, la philosophie intervient et fournit à l'humanité ce qui lui manquait, la notion de ses droits. Est-ce à dire que la Révolution Française soit l'oeuvre d'une école de philosophes? Non. Les grands esprits du XVIIIe siècle exercèrent sans doute une vaste influence sur le mouvement des idées; sans eux, le triomphe des libertés publiques eût été ajourné indéfiniment. Mais les penseurs excitent et dirigent les forces vives de leur époque, ils ne les créent jamais. La source de toutes les forces et de toutes les initiatives était dans le peuple.
Résumons-nous: La Révolution Française n'émane point du sentiment religieux; elle est fille du droit et de la justice.
Que répondre d'un autre côté à ceux qui lui reprochent de n'avoir point fait surgir de l'autel de la patrie un Dieu nouveau? Elle n'était point faite pour cela: essentiellement pratique et réaliste, elle s'est attachée aux faits, à la loi, à la réforme des institutions. Son oeuvre fut de déplacer l'axe des sociétés modernes en substituant au règne de la foi l'autorité de la raison.