Читать книгу Histoire des Montagnards - Alphonse Esquiros - Страница 22

VII

Оглавление

Table des matières

Orgie des gardes-du-corps.—La contre-révolution secondée par les déesses de la cour.—Le peuple meurt de faim.—Il va chercher le roi à Versailles.—Les femmes de Paris.—Le sang coule.—Le roi et la reine au balcon.—Lafayette.—Réconciliation.—Retour à Paris.

L'esprit public était arrivé à ce degré d'effervescence où il suffit de la moindre étincelle pour allumer l'incendie. La provocation ne se fit pas attendre. La cour méditait une seconde tentative de contre-révolution et l'appuyait encore sur l'armée. Depuis quelques jours se montraient, au Palais-Royal, des cocardes noires, des uniformes inconnus. L'aristocratie, invisible après le 14 juillet, relevait insolemment la tête. Que se passait-il à Versailles? Le régiment de Flandre, reçu avec inquiétude par les habitants, est fêté au château, caressé. On admet les soldats au jeu de la reine. Le 1er octobre, un grand repas se prépare dans la magnifique salle de l'Opéra, qui ne s'était point ouverte depuis la visite de l'empereur Joseph II. Au nom des gardes-du-corps, on invite les officiers du régiment de Flandre, ceux des dragons de Montmorency, des gardes-Suisses, des cent-Suisses, de la Prévôté, de la Maréchaussée, l'état-major et quelques officiers de la garde nationale de Versailles. Dans cette belle salle tout étincelante de lumières, d'uniformes, de joie militaire, les visages s'animent, les vins pétillent, la musique joue des airs entraînants. Le moment vient où les pensées qui dormaient au fond des coeurs doivent s'éveiller sous la clarté d'une pareille fête.

Dès le second service, on porte avec enthousiasme les santés de toute la famille royale. Et la santé de la nation? omise, rejetée. Des grenadiers de Flandre, des gardes-Suisses, des dragons entrent successivement dans la salle: ils sont éblouis, charmés. Une familiarité insidieuse règne entre les chefs et leurs subalternes. Tout à coup les portes s'ouvrent: le roi, la reine! Il se fait un silence de quelques instants.

Louis XVI entre avec ses habits de chasse; Marie-Antoinette, vêtue d'une robe bleu et or. Elle s'était ennuyée, tout le jour, au château: on voit encore errer dans ses yeux un léger nuage de mélancolie attendrissante. Le moyen de ne pas s'intéresser à cette femme: reine, elle retient sa couronne qui tombe; mère, elle porte son enfant dans ses bras! A cette vue, les convives perdent la tête. Une fureur d'acclamations, de trépignements, à demi contenue par la présence de la famille royale, ébranle toute la salle. L'épée nue d'une main, le verre de l'autre, les officiers boivent à la santé du roi, de la reine. Au milieu de tous ces transports, Marie-Antoinette sourit en faisant le tour des tables. Au moment où la famille royale se retire, la musique exécute l'air: O Richard, ô mon roi, l'univers t'abandonne…

Cet appel à la vieille fidélité des soldats français ne retentit pas en vain: on y répond par des cris insensés. Les vins coulent; l'ivresse du fanatisme éclate en des actes ridicules, coupables. Les uns prennent la cocarde blanche, d'autres la cocarde noire, par amour de la reine. Les voilà donc passés à l'Autriche.

La cocarde tricolore, c'est-à-dire le serment, la nation, est foulée aux pieds.

Au même instant, l'orchestre se met à jouer la marche des Uhlans. Nouveaux transports. On sonne la charge: ici les convives ne se connaissent plus. Ils s'élancent tout chancelants, escaladent les loges. Ces hommes, dans les fumées du vin, rêvent qu'ils font le siége de quelque chose, de Paris, sans doute, et de la Révolution. Bientôt l'orgie ne peut se contenir dans la salle, elle déborde, elle se répand au grand air, dans la cour de Marbre. Tout le château s'agite.

Les jours suivants, des dames de la cour, des jeunes filles, coupent les rubans qui ornent leurs robes, leurs chevelures, et les distribuent aux soldats: «Prenez celle cocarde, disent-elles, c'est la bonne.» Elles exigent de ces nouveaux chevaliers le serment de fidélité: à ce titre, ceux-ci obtiennent la faveur de leur baiser la main. Ces jolies têtes encadrées dans des fleurs et des édifices de plumes troublent tous les sentiments autour d'elles: on boit à longs traits, dans leurs yeux, le poison de la guerre civile. Comme ces nymphes du parc de Versailles qui passent gracieusement la main sur le dos des monstres de bronze, elles flattent et caressent les passions les plus meurtrières, les plus dangereuses, dans l'état actuel des esprits. Innocemment terribles, elles sèment par leurs charmes le germe de la discorde et du carnage. On tremble à les voir si belles, si douces, à côté de la reine: n'est-ce pas là cette étrangère, dont la bouche a des sourires de miel et des paroles séduisantes, mais dont les pieds, dit la Bible, conduisent aux souterrains de la mort?

La nouvelle de l'orgie des gardes-du-corps fit pâlir les citoyens. Il y avait donc réellement un complot ourdi contre la nation. Marat vole à Versailles, revient comme l'éclair, fait à lui seul autant de bruit que les quatre trompettes du jugement dernier, et crie: «O morts, levez-vous!» Danton, de son côté, sonne le tocsin aux Cordeliers; Camille agite la crécelle. La fermentation s'accroît d'heure en heure. Le bateau qui apportait les farines du moulin de Corbeil arrivait matin et soir, dans le commencement de la Révolution; il n'arriva dans la suite qu'une fois par jour, puis il n'arrive plus que toutes les trente-six heures. Ces retards présagent le moment où il ne viendra plus du tout. Ne serait-il pas temps de prévenir les projets sinistres de l'ennemi, et de commencer l'attaque? Dans ces conjonctures difficiles, les femmes, c'est-à-dire l'initiative, se chargèrent du salut de la patrie.

L'Assemblée discutait pesamment à Versailles sur le consentement incertain, ambigu, que le roi venait de donner à la déclaration des droits de l'homme. De moment en moment une inquiétude sourde se répandait dans la salle. L'air était chargé de pressentiments et de terreurs confuses. Le sol tremblait sous la tribune. Plusieurs députés sentaient distinctement le souffle de quelqu'un qui allait venir. Les pas assourdis d'une armée invisible agitaient devant elle le silence même.

—Paris marche, disait Mirabeau à l'oreille de Mounier.

Tout à coup les portes s'ouvrent; une bande de femmes se répand dans l'Assemblée comme une nuée de sauterelles.

—Femmes, que venez-vous demander?

—Du pain et voir le roi.

Voici ce qui était arrivé:

Une jeune fille entre, le 5 au matin, dans un corps de garde, s'empare d'un tambour, et parcourt les rues en battant la générale. Quelques femmes des halles s'assemblent. Après de courtes explications, le cortége se dirige vers l'Hôtel de Ville, et grossit en marchant. On ramasse dans les rues toutes les femmes qu'on rencontre, on pénètre même dans les maisons.

«Accourez avec nous: les hommes ne vont pas assez vite; il faut que nous nous en mêlions.»

Il n'était encore que sept heures du matin: la Grève présente un spectacle extraordinaire. Des marchandes, des filles de boutique, des ouvrières, des actrices, couvrent le pavé. Quatre à cinq cents femmes chargent la garde à cheval qui était aux barrières de l'Hôtel de Ville, la poussent jusqu'à la rue du Mouton et reviennent attaquer les portes. Elles entrent. Les plus furieuses allaient commettre quelques dégâts, brûler les papiers, quand un homme saisit le bras d'une d'entre elles et renverse la torche. On veut le mettre à mort.

—Qui es-tu?

—Je suis Stanislas Maillard, un des vainqueurs de la Bastille.

—Il suffit!

Cependant les femmes ont enfoncé le magasin d'armes: elles sont maîtresses de deux pièces de canon et de sept à huits cents fusils.

—Maintenant, s'écrient-elles, marchons à Versailles! Allons demander du pain au roi! Mais qui nous conduira?

—Moi, dit Maillard.

On l'accepte pour guide.

Jamais on n'avait vu une pareille affluence; sept à huit mille femmes sont réunies sur la place. Ces farouches amazones attachent des cordes aux pièces d'artillerie: mais ce sont des pièces de marine, et elles roulent difficilement. Les voyez-vous arrêtant des charrettes, et y chargeant leurs canons qu'elles assujettissent avec des câbles? Elles portent de la poudre et des boulets, en tout peu de munitions. Les unes conduisent les chevaux, les autres, assises sur les affûts, tiennent à la main une mèche allumée. Au milieu de toute cette foule que personne ne dirige, mais qui paraît obéir au même mobile, on distingue ça et là de poétiques figures. Voici la jolie bouquetière, Louison Chabry, toute pimpante, toute fraîche de ses dix-sept ans. Là, c'est la fougueuse Rose Lacombe; actrice, elle a quitté le théâtre pour la Révolution, le drame des tréteaux et des papiers peints pour le grand drame de l'humanité. Mais où donc est Théroigne?—Son panache rouge au vent, le sein gonflé, la narine ouverte, elle prophétise sur un canon.

«Le peuple a le bras levé, s'écrie-t-elle; malheur à ceux sur qui tombera sa colère, malheur!»

A ces mots, nouvelle Velléda, elle agite dans ses mains des faisceaux d'armes qu'elle distribue à ses compagnes.

La colonne s'ébranle, précédée de huit à dix tambours, et suivie d'une compagnie de volontaires de la Bastille, qui forme l'arrière-garde. Cependant le tocsin sonne de toutes parts; les districts s'assemblent pour délibérer; les grenadiers et un grand nombre de compagnies de la garde soldée se rendent à la place de l'Hôtel de Ville. On les applaudit.

«Ce ne sont pas, crient-ils aux bourgeois, des claquements de mains que nous demandons: la nation est insultée; prenez les armes et venez avec nous recevoir les ordres des chefs.»

Au Palais-Royal, des hommes armés de piques formaient des groupes et tenaient conseil: tels les anciens Gaulois délibéraient à ciel ouvert, et les armes à la main, sur les affaires communes. En remuant la population de Paris, la Révolution avait fait remonter à la surface la vieille race celtique avec ses moeurs, et sa physionomie inaltérable.

Il était sept heures du soir lorsque Lafayette, entraîné par l'impulsion générale, se laissa conduire, lui en tête, à Versailles. Les murmures avaient fini par vaincre sa résistance. Au moment où il s'avança, monté sur son cheval blanc, des cris de: Bravo! Vive Lafayette! se firent entendre. Le bon général sourit à ces cris de satisfaction; il semblait dire:

«Ce n'est pas moi qui vais; c'est vous qui le voulez absolument, j'obéis.»

La joie nationale se soutint tant que l'on entendit battre les tambours et que l'on vit flotter les étendards; mais quand cette expédition se fut éloignée, l'inquiétude et le silence tombèrent lourdement sur la ville de Paris.

Les femmes qui étaient parties le matin pour Versailles avaient traversé sans obstacle le pont de Sèvres. Maillard était toujours à leur tête; il avait su préserver Chaillot du pillage et des désordres qu'entraîne d'ordinaire une marche précipitée. Au Cours, le cortége rencontre un homme en habits noirs qui se rendait à Versailles; les esprits étaient ouverts à tous les soupçons: on le prend pour un espion du faubourg Saint-Germain qui allait rendre compte de ce qui se passait à Paris. Tumulte: on veut le retenir, le faire descendre de voiture. L'inconnu protestait, se défendait.

—Mais enfin, qu'allez-vous faire à Versailles dans un pareil moment?

—Je suis député de Bretagne.

—Député! ah! c'est différent.

—Oui, je suis Chapelier.

—Oh! attendez.

Un orateur harangue les femmes:

—Ce voyageur est le digne M. Chapelier, qui présidait l'Assemblée nationale pendant la nuit du 4 août.

Alors toutes:

—Vive Chapelier!

Plusieurs hommes armés montent devant et derrière sa voiture pour l'escorter.

Versailles! voici Versailles!—Maillard arrête ses femmes, les dispose sur trois rangs.

—Vous allez, leur dit-il, entrer dans une ville où l'on n'est prévenu ni de votre arrivée ni de vos intentions: de la gaieté, du calme, du sang-froid. Toutes ces femmes lui obéissent. Les canons sont relégués à l'arrière-garde. Les Parisiennes continuent leur marche pacifique, entonnant l'air Vive Henri IV, et entremêlant leurs chants des cris de Vive le roi! Grand spectacle pour les habitants de Versailles, que cette armée de femmes et cet appareil extraordinaire! Ils accourent au-devant d'elles en criant: Vivent les Parisiennes!

Elles se présentent sans armes, sans bâtons, à la porte de l'Assemblée nationale; toutes veulent s'introduire: Maillard n'en laisse entrer qu'un certain nombre. Ici s'engage un grand dialogue entre cet intrépide huissier et l'Assemblée. Respectueux, calme, sévère, il somme les députés de pourvoir aux besoins urgents de la ville de Paris. Dans la salle, une seule voix appuya brièvement celle de Maillard, la voix de Robespierre. Ces deux hommes se touchent, se répondent: l'un est le représentant du peuple; l'autre, c'est le peuple lui-même.

L'Assemblée décide qu'une députatîon sera envoyée au roi pour lui mettre sous les yeux la position malheureuse de la ville de Paris.

Mais où est le roi?

Ah! qui le sait? A la chasse, sans doute.

Cependant les députés, Mounier en tête, sortent de la salle des séances.

«Aussitôt, raconte-t-il lui-même, les femmes m'environnent en me déclarant qu'elles veulent m'accompagner chez le roi. J'ai beaucoup de peine à obtenir, à force d'instances, qu'elles n'entreront chez le roi qu'au nombre de six, ce qui n'empêcha point un grand nombre d'entre elles de former notre cortége.

«Nous étions à pied dans la boue, avec une forte pluie. Une foule considérable d'habitants de Versailles bordait de chaque côté l'avenue qui conduit au château. Les femmes de Paris formaient divers attroupements entremêlés d'un certain nombre d'hommes, couverts de haillons pour la plupart, le regard féroce, le geste menaçant, poussant des cris sinistres; ils étaient armés de quelques fusils, de vieilles piques, de haches, de bâtons ferrés, ou de grandes gaules ayant à leur extrémité des lames d'épées ou de couteaux.

«De petits détachements des gardes-du-corps faisaient des patrouilles, et passaient au grand galop, à travers les cris et les huées. Une partie des hommes armés de piques, de haches et de bâtons, s'approchent de nous pour escorter la députation. L'étrange et nombreux cortége dont les députés étaient assaillis est pris pour un attroupement. Des gardes-du-corps courent au travers: nous nous dispersons dans la boue; et l'on sent bien quel excès de rage durent éprouver nos compagnons, qui pensaient qu'avec nous ils avaient plus de droit de se présenter. Nous nous rallions et nous avançons ainsi vers le château. Nous trouvons, rangés sur la place, les gardes-du-corps, le détachement de dragons, le régiment de Flandre, les gardes-Suisses, les invalides et la milice bourgeoise de Versailles. Nous sommes reconnus, reçus avec honneur; nous traversons les lignes, et l'on a beaucoup de peine à empêcher la foule qui nous suivait de s'introduire avec nous. Au lieu de six femmes auxquelles j'avais promis l'entrée du château, il fallut en introduire douze.»

Une narration royaliste appelle ces femmes des créatures sans nom; elles en avaient un: la Faim.

Quelques aristocrates, mêlés au tumulte, profitent de la circonstance pour tenter le peuple.

—Si le roi, lui dit-on, recouvrait toute son autorité, la France ne manquerait jamais de pain.

Les femmes répondent à ces insinuations perfides par des injures.

—Nous voulons du pain, ajoutent-elles, mais non pas au prix de la liberté.

Dégageons, à ce propos, un fait général: ce n'est pas le besoin qui a été le nerf le plus énergique des actes révolutionnaires; c'est le devoir. La disette ne figure qu'en seconde ligne dans les causes qui déterminèrent l'expédition du 5 octobre. Sans doute le pain manquait; parmi les femmes qui étaient là, un grand nombre n'avaient pas mangé depuis trente heures: mais si l'instinct seul de la conservation avait parlé, se seraient-elles exposées, sur la place d'Armes, à être étouffées entre les chevaux? Dans cette cohue, sous la pluie, il y en avait qui étaient grosses ou incommodées, elles n'en suivaient pas moins le courant; d'autres étaient jeunes, jolies, et ne souffraient pas beaucoup de la disette; des musiciennes avec des tambours de basque, des chanteuses, des artistes, des modèles, quelques-unes un peu follement vêtues, allaient et venaient dans les groupes. C'étaient les plus animées contre la cour et les gardes-du-corps. Qui les lançait ainsi sur le pavé de Versailles, entre les sabres et les mousquetons? L'instinct du bien public, le dévouement à un ordre d'idées qu'elles ne comprenaient pas très-nettement, mais qu'elles devinaient par le coeur.

Au peuple de Paris, il fallait du pain sans doute; mais il lui fallait aussi la Constitution, la parole vivante.

Cependant Louis XVI est de retour au château. Suivons les femmes chez le roi: elles entrent. Louison Chabry, piquant orateur en bonnet fin et en fichu de soie, est chargée de présenter au roi les doléances des Parisiens. Pour tout exorde, la voilà qui s'évanouit. Louis XVI se montre fort touché. Il fait secourir la pauvre enfant, promet de veiller à l'état des subsistances. En se retirant, Louison veut baiser la main du roi; mais celui-ci avec bonté:

—Venez, mon enfant, vous êtes assez jolie pour qu'on vous embrasse.

Les femmes ont la tête perdue; elles sortent en criant: Vive le roi et sa maison! La foule qui attend sur la place, et qui n'a pas vu le roi, se montre très-éloignée de partager leur enthousiasme. On les accuse de s'être laissé gagner pour de l'argent. Quelques-unes passent déjà leur jarretière au cou de Louison pour l'étrangler. Babet Lairot, une autre jeune fille, ainsi que deux gardes-du-corps, interviennent et la délivrent.

La garnison de Versailles était toujours sous les armes. Les soldats du régiment de Flandre et les dragons inspiraient des inquiétudes. Les femmes se jettent sans frayeur parmi eux, les enlacent.

—Ton nom?

—Citoyenne.

—Le tien?

—Français.

On s'entend. Les jolies mains des Parisiennes jouent avec les armes, caressent les chevaux des cavaliers. Le soldat est pris; il s'excuse d'avoir assisté au fameux banquet.

—Nous avons bu, dit-il, le vin des gardes-du-corps; mais cela ne nous engage en rien; nous sommes à la nation pour la vie; nous avons crié Vive le roi! comme vous le criez vous-mêmes tous les jours: rien de plus.

Les femmes approuvent:

—Mais enfin, tirerez-vous sur le peuple, sur vos frères?

Pour toute réponse, les soldats lancent leurs baguettes dans les fusils, et les font sonner, montrant ainsi que leurs armes ne sont point chargées. Quelques-uns offrent même de leurs cartouches aux plus jolies.

La soirée était noire et pluvieuse. Lafayette arrive avec la milice bourgeoise; d'Estaing, commandant de la place, donne l'ordre aux troupes de se retirer. Les gardes-du-corps exécutent leur retraite; mais les ténèbres, la foule compacte, et une vieille rancune aussi les poussant, ils tirent ça et là quelques coups de feu. Sans cette malheureuse provocation, le sang n'eût pas coulé dans Versailles. Les gardes devaient prêter, le lendemain, serment à la nation et prendre la cocarde tricolore. Leur horrible imprudence perdit tout. L'irritation gagna aussitôt de proche en proche; la nuit était chargée de ténèbres et de mauvais conseils. Au château, la reine voulait entraîner le roi dans une fuite qu'elle lui montrait comme le chemin du triomphe. Dans la ville, la multitude fatiguée, mouillée, campée au hasard, rêvait à l'attaque nocturne des gardes-du-corps. Ce demi-sommeil couvait des colères.

C'est cette nuit-là qu'au dire des royalistes Lafayette dormit contre son roi.—Le fait est qu'il dormit.

Les idées se matérialisent dans les institutions, les institutions dans les édifices. Le palais de Versailles, c'était l'image grandiose d'une monarchie absolue; c'était Louis XIV n'ayant plus d'ennemis à craindre; mais ce château ouvert de tous côtés ne pouvait pas tenir devant la Révolution.

Dès la pointe du jour, le peuple se répand dans les rues. Il aperçoit un garde-du-corps à une des fenêtres de l'aile droite du château; huées, provocations, défis; un coup de fusil part; un jeune volontaire tombe dans la cour.

Qui a tiré? c'est le garde-du-corps. Le peuple, bouillant de colère, se précipite: la grille est escaladée, le château envahi. On cherche partout le coupable. Des forcenés—d'autres disent des voleurs— profitent de la circonstance pour s'introduire plus avant dans les riches appartements. La reine avertie fuit toute tremblante et à demi vêtue chez le roi. Les gardes-françaises arrivent, et poussent devant leurs baïonnettes toute cette foule, qui se retire en tumulte: le château est évacué; deux gardes-du-corps ont été massacrés pendant l'attaque. Tout à coup le cri de Grâce! Grâce! succède à cet accès de fureur. Silence! voici le roi au balcon.

Histoire des Montagnards

Подняться наверх