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LES GIRONDINS
ОглавлениеL'Histoire des Montagnards parut en même temps que le premier volume de l'Histoire de la Révolution Française par Louis Blanc, l'Histoire des Girondins par Lamartine et l'Histoire de la Révolution Française par Michelet.
Pourquoi ce titre: Histoire des Montagnards?
Est-ce à dire que les Girondins ne comptent point dans le mouvement révolutionnaire? Aurions-nous par hasard été insensible aux charmes de leur éloquence? N'aurions-nous rien compris au caractère et aux sublimes discours de Vergniaud, à l'esprit philosophique de Condorcet, le révélateur de la loi du progrès, à la fougue patriotique d'Isnard, à l'énergie de Barbaroux, à la science politique de Brissot, à l'honnêteté de Pétion, à la grande âme de madame Roland? Étions-nous tellement aveuglé que nous eussions le parti pris de dénigrer les hommes de la Gironde au profit des hommes de la Montagne? Non, rien de tout cela.
Les Girondins représentent un côté de la Révolution Française, les Montagnards en représentent un autre; c'est cet autre côté que nous avons voulu mettre en lumière. Voilà tout.
Autre considération: les Girondins n'ont joué, dans le grand drame révolutionnaire, qu'un rôle de courte durée. Non-seulement la Montagne leur a survécu, mais encore c'est de cette cime formidable, au milieu des éclairs et des tonnerres, que se sont révélés les oracles de l'esprit moderne. De ces hauteurs sont parties la force et la lumière. A peine si les Girondins ont résisté; ils ont pâli devant les événements; ils se sont effacés dans un rayon d'éloquence. Les Montagnards au contraire ont renouvelé entre eux, avec le pays et avec le monde entier, la lutte des Titans. Foudroyés, ils ont enseveli la Révolution dans les plis de leur drapeau, et après eux la République n'a plus été qu'un fantôme.
Lamartine lui-même comprit très-bien que les Girondins n'avaient point tranché le noeud gordien de la Révolution: aussi, en dépit du titre, continua-t-il son histoire jusqu'au 9 thermidor.
On est convenu de regarder les Girondins comme des modérés et les Montagnards comme des buveurs de sang. Fort bien; mais on oublie peut-être que ce sont les Girondins qui ont déclaré la guerre à toute l'Europe et voté la mort du roi. La vérité est qu'il faut être logique: si la Révolution Française était, comme le croient encore certains esprits faibles, une abominable levée de boucliers contre les dieux et les lois éternelles du genre humain, il faudrait condamner tous les hommes qui y ont participé, à quelque parti qu'ils appartiennent et sous quelque bannière qu'ils se soient ralliés à l'esprit du mal.
Le crime des Girondins fut d'avoir allumé la guerre civile dans les départements où ils s'étaient réfugiés après leur chute. Qu'on ait été injuste envers eux, je le veux bien; que les accusations portées contre leur système politique fussent ou fausses ou exagérées, je l'admets encore; que leur expulsion de l'Assemblée fût un acte illégal, je n'y contredis point; mais si persécuté que soit un parti, il n'a jamais le droit d'armer les citoyens les uns contre les autres, surtout quand les bataillons étrangers foulent sous leurs pieds le sol sacré de la patrie.
Quoi qu'il en soit, ce livre n'a point été dicté par un esprit d'exclusion. Ne bâtissons point de petites églises dans la grande unité de la Révolution Française. L'histoire de ces jours de luttes, d'antagonismes terribles et de haines violentes demande à être écrite avec amour. Ce n'est point ici un paradoxe. Oui, il y avait une sympathie immense, un élan passionné vers l'idéal, dans cette fureur du bien public qui immolait tout à un principe. Il faut donc embrasser d'un point de vue élevé cette époque sinistre et glorieuse qui réunit tous les contrastes. Le moment est venu d'amnistier les uns pour leur ardent amour de la patrie, les autres pour leur dévouement à l'humanité. Ayons enfin le courage d'admirer ce qui fut grand dans tous les partis et sous toutes les nuances. Parmi ceux que la Montagne éleva, dans un jour de tempête, jusqu'au gouvernement du pays, je dirais presque jusqu'à la dictature, il y en a qui ont sauvé le territoire de l'invasion étrangère, renouvelé les institutions sociales, ébauché une constitution, écrasé les factions abjectes dont le triomphe aurait amené la perte de la France, assuré le respect de la souveraineté nationale, rétabli sur de larges bases les services publics; après avoir tout détruit, ils essayèrent de tout reconstruire. La vie de pareils hommes mérite bien d'être racontée et, quelles que soient leurs fautes, la postérité les jugera en s'inclinant devant leur mémoire.
Nous ne promettons pas toutefois une réhabilitation systématique de la Terreur ni des Terroristes. Il y a tels de leurs actes que rien ne peut justifier. A chacun d'eux sa responsalbilité devant l'histoire. Loin de nous cette froide théorie de la souveraineté du but qui absout tous les crimes au nom de la raison d'État. Nous n'admettrons jamais non plus qu'on puisse rejeter sur les circonstances, sur la nécessité des temps, le fardeau des oeuvres sanglantes. Pas de fatalité: ce serait une injure à la conscience humaine.
Ce que nous aimons chez les Montagnards, ce que nous défendrons, la tête haute, ce sont les vrais principes de la Révolution Française. Ils ont secouru le pauvre, relevé le faible, protégé l'enfant, délivré l'opprimé en frappant l'oppresseur; ils ont voulu régénérer les moeurs.
Agités dans l'opinion publique, comme ils l'avaient été eux-mêmes dans la vie, les hommes de la Montagne n'ont pu jusqu'ici dégager leur mémoire de la tourmente qui les avait engloutis. Des voix retentissantes insultent, depuis plus d'un siècle, leurs ombres proscrites, tandis que d'autres les acclament avec enthousiasme. Il n'y a peut-être eu de mesure ni dans le blâme ni dans l'éloge. Pour moi, je me réjouis d'écrire ces pages dans un moment calme (1847), où l'opinion se recueille et où se prépare le jugement définitif de l'histoire. Libre envers le pouvoir, libre même envers les partis, sans autre passion qu'un ardent amour du peuple, je me crois à même de promettre une chose grave et difficile à tenir, la vérité.