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III.

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— Chère Madame! Qu'y a-t-il? Votre lettre m'a bien fait peur.

La comtesse se laissa tomber dans le fauteuil qu'avançait vers elle Arnica.

— Ah! Madame Fleurissoire... tenez, laissez-moi vous appeler: chère amie... Cette peine, qui vous touche aussi, nous rapproche. Ah! si vous saviez!...

— Parlez! parlez! ne me laissez pas plus longtemps dans l'attente.

— Mais ce que je viens d'apprendre, et que je vais vous dire, doit rester un secret entre nous.

— Je n'ai jamais trahi la confiance de personne, dit dolemment Arnica, à qui personne encore n'avait jamais confié aucun secret.

— Vous n'allez pas y croire.

— Si! si, gémissait Arnica.

— Ah! gémissait la comtesse. Tenez, serez-vous assez bonne pour me préparer une tasse de n'importe quoi... Je sens que je m'en vais.

— Voulez-vous de la verveine? du tilleul? de la camomille?

— N'importe quoi... Du thé plutôt... Je refusais d'y croire d'abord.

— Il y a de l'eau bouillante à la cuisine. Ce sera l'affaire d'un instant.

Et tandis qu'Arnica s'affairait, l'oeil intéressé de la comtesse expertisait le salon. Il y régnait une modestie décourageante. Des chaises de reps vert, un fauteuil en velours grenat, un autre en vulgaire tapisserie, dans lequel elle était assise; une table, une console d'acajou; devant le foyer, un tapis en chenilles de laine; sur la cheminée, des deux côtés d'une pendule en albâtre, sous globe, deux grands vases d'albâtre ajourés, sous globes pareillement; sur la table, un album de photographies de famille; sur la console, une image de Notre-Dame de Lourdes dans sa grotte, en carton-romain, modèle réduit — tout déconseillait la comtesse, qui sentait le coeur lui manquer.

Après tout, c'étaient peut-être des faux pauvres, des avaricieux...

Arnica revenait avec la théière, le sucre et une tasse, sur un plateau.

— Je vous donne beaucoup de mal.

— Oh! je vous en prie!... Seulement je préfère que ce soit avant; parce qu'après je n'aurais plus la force.

— Eh bien! voilà, commença Valentine après qu'Arnica se fut assise: Le pape...

— Non! Ne me dites pas! ne me dites pas! fit aussitôt Mme Fleurissoire, étendant la main devant elle; puis poussant un faible cri elle retomba en arrière, les yeux clos.

— Ma pauvre amie! ma pauvre chère amie, disait la comtesse en lui tapotant le poignet. Je savais bien que ce secret serait au-dessus de vos forces

Enfin Arnica ouvrit un oeil et murmura tristement:

— Il est mort?

Alors Valentine, se penchant vers elle, lui glissa dans l'oreille:

— Emprisonné.

La stupeur fit revenir à elle Mme Fleurissoire; et Valentine commença son long récit, trébuchant sur les dates, s'embrouillant dans la chronologie; mais le fait était là, certain, indiscutable: notre Saint-Père était tombé entre les mains des infidèles; on organisait secrètement, pour le délivrer, une croisade; et il fallait d'abord, pour mener à bien celle-ci, beaucoup d'argent.

— Qu'est-ce que va dire Amédée? gémissait Arnica consternée.

Il ne devait rentrer que le soir, parti en promenade avec son ami Blafaphas...

— Surtout recommandez-lui bien le secret, répéta Valentine plusieurs fois, en prenant congé d'Arnica. — Embrassons-nous, ma chère amie; bon courage! — Arnica, confuse, tendait à la comtesse son front moite. — Demain je passerai savoir ce que vous pensez pouvoir faire. Consultez monsieur Fleurissoire; mais songez qu'il y va de l'église!... Et c'est bien entendu: à votre mari seulement! Vous me le promettez: pas un mot; n'est-ce pas? pas un mot.

La comtesse de Saint-Prix avait laissé Arnica dans un état de dépression très voisin de la défaillance. Lorsque Amédée rentra de promenade:

— Mon ami, lui dit-elle aussitôt, je viens d'apprendre quelque chose d'excessivement triste. Le pauvre Saint-Père est emprisonné.

— Pas possible! fit Amédée comme il aurait dit: Bah!

Alors Arnica, éclatant en sanglots:

— Je savais bien, je savais bien que tu ne me croirais pas.

— Mais voyons, voyons, ma chérie... reprenait Amédée en dépouillant le pardessus sans lequel il ne sortait pas volontiers, par crainte des changements brusques de température. Songes-tu? Tout le monde saurait cela, si on avait touché au Saint-Père. ça se lirait dans les journaux... Et qui est-ce qui aurait pu l'emprisonner?

— Valentine dit que c'est la Loge.

Amédée regarda Arnica avec l'idée qu'elle était devenue folle. Il dit pourtant:

— La Loge!... Quelle Loge?

— Mais comment veux-tu que je sache? Valentine a promis de ne pas en parler.

— Qui est-ce qui lui a raconté tout cela?

— Elle m'a défendu de le dire... Un chanoine, qui est venu de la part d'un cardinal, avec sa carte...

Arnica n'entendait rien aux affaires publiques et, de ce que lui avait raconté Mme de Saint-Prix, ne se faisait qu'une représentation confuse. Les mots captivité, emprisonnement levaient devant ses yeux des images ténébreuses et semi-romantiques; le mot croisade l'exaltait infiniment, et lorsque, enfin ébranlé, Amédée parla de partir, elle le vit soudain en cuirasse et en heaume, à cheval... Lui marchait à présent à grands pas à travers la pièce; il disait:

— D'abord, de l'argent, nous n'en avons pas... Et tu crois que cela me suffirait, d'en donner! Tu crois, parce que je me serais privé de quelques billets, que je pourrais reposer tranquille?... Mais, chère amie, si ce que tu me dis est vrai, c'est une chose épouvantable, et qui ne nous permet pas de nous reposer.

épouvantable, tu comprends.

— Oui, je sens bien, épouvantable... Mais tout de même explique-moi un peu... pourquoi?

— Oh! s'il faut à présent que je t'explique!... et Amédée, la sueur aux tempes, levait des bras découragés.

— Non! non, reprenait-il; ce n'est pas de l'argent qu'il faut donner ici; c'est soi-même. Je vais consulter Blafaphas; nous verrons ce qu'il me dira.

— Valentine de Saint-Prix m'a bien fait promettre de ne point parler de cela à personne, hasarda timidement Arnica.

— Blafaphas n'est pas quelqu'un; et nous lui recommanderons de garder cela pour lui seul, strictement.

— Comment veux-tu partir sans qu'on le sache?

— On saura que je pars, mais on ne saura pas où je vais.

Puis, se tournant vers elle, sur un ton pathétique, il implorait: Arnica, ma chérie... laisse-moi y aller.

Elle sanglotait. A présent c'était elle qui réclamait l'appui de Blafaphas. Amédée l'allait quérir, quand, de lui-même, l'autre s'amena, frappant à la vitre du salon d'abord, selon son habitude.

— Voilà bien la plus curieuse histoire que j'aie entendue de ma vie, s'écria-t-il dès qu'on l'eut mis au fait. Non! mais en vérité, qui se serait attendu à rien de pareil? — Et brusquement, avant que Fleurissoire eût rien dit de ses intentions: — Mon ami, nous n'avons qu'une chose à faire: partir.

— Tu vois, dit Amédée, c'est sa première pensée.

— Moi, malheureusement, je suis retenu par la santé de mon pauvre père, fut la seconde.

— Après tout, il vaut mieux que je sois seul, reprit Amédée. A deux, nous nous ferions remarquer.

— Vas-tu seulement savoir comment t'y prendre?

Alors Amédée levait le haut du corps et les sourcils avec l'air de dire: Je ferai de mon mieux, que veux-tu! Blafaphas continuait:

— Vas-tu savoir à qui t'adresser? Où aller?... Au juste qu'est-ce que tu vas faire là-bas?

— D'abord reconnaître ce qui en est.

— Car enfin, si rien de tout cela n'était vrai?

— Précisément, je ne peux pas rester dans le doute.

Et Gaston s'écriait aussitôt:

— Moi non plus.

— Mon ami, réfléchis encore, essayait Arnica.

— C'est tout réfléchi: Je pars secrètement, mais je pars.

— Quand? Tu n'as rien de prêt.

— Dès ce soir. Que me faut-il tant?

— Mais tu n'as jamais voyagé. Tu ne vas pas savoir.

— Tu verras cela, ma petite. Je vous raconterai mes aventures, disait-il avec un gentil petit ricanement qui lui secouait la pomme d'Adam.

— Tu vas t'enrhumer, c'est certain.

— Je mettrai ton foulard.

Il s'arrêtait dans sa marche, pour soulever du bout de l'index le menton d'Arnica, comme on fait aux poupons que l'on veut amener à sourire. Gaston gardait une attitude réservée. Amédée s'approcha de lui:

— Je compte sur toi pour consulter l'indicateur. Tu me diras quand j'ai un bon train pour Marseille; avec des troisièmes. Si, si, je tiens à prendre des troisièmes. Enfin prépare-moi un horaire détaillé, avec les endroits où il faut que je change; et les buffets; jusqu'à la frontière; après, je serai lancé, je me débrouillerai et Dieu me guidera jusqu'à Rome. Vous m'écrirez là-bas, poste restante.

L'importance de sa mission lui surchauffait périlleusement la cervelle. Après que Gaston fut reparti il arpentait toujours la pièce; il murmurait:

— Qu'à moi soit réservé cela! plein d'une admiration et d'une reconnaissance attendrie: il avait donc enfin sa raison d'être. Ah! par pitié, Madame, ne le retenez pas! Il est si peu d'êtres sur terre qui savent trouver leur emploi.

Tout ce qu'obtint Arnica c'est qu'il passât encore cette nuit auprès d'elle, Gaston ayant d'ailleurs marqué sur l'horaire, qu'il apporta dans la soirée, le train de 8 heures du matin comme le plus pratique.

Ce matin-là, il pleuvait dru. Amédée ne consentit point à ce qu'Arnica ni Gaston l'accompagnassent à la gare. Et personne n'eut un regard d'adieu pour le cocasse voyageur aux yeux d'alose, au col caché par un foulard grenat, qui tenait à la main droite une valise de toile grise où sa carte de visite était clouée, à la main gauche un vieux riflard, sur le bras un châle à carreaux verts et bruns — qu'emporta le train vers Marseille.

André Gide: Oeuvres majeures

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