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IVE QUARTIER. — DU LOUVRE OU DE SAINT-GERMAIN-L’AUXERROIS

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Table des matières

IL n’est pas impossible, mais il n’est pas prouvé qu’il y ait eu un château portant le nom du Louvre avant le règne de Philippe-Auguste. Ce roi, au contraire, est reconnu, par la plus grande partie des historiens, comme fondateur du Louvre. Pourquoi ce nom: Louvre? La science archéologique s’est donné carrière sur l’étymologie; on a dit: Lupara, à cause des loups qu’on chassait dans les bois voisins; on a dit: œuvre, en vieux français, ouvre: par excellence: l’Ouvre; on a dit tout, sans conclure à rien.

La situation du Louvre, hors la Cité, au bord de la Seine, dans le voisinage des champs et des bois, indiquerait que le fondateur voulut créer une maison de plaisance, qui fût pourtant aussi une forteresse; respirer le bon air, et en même temps tenir en respect l’ennemi de la ville, et au besoin la ville elle-même. L’édifice, tel qu’on l’attribue à Philippe-Auguste, répond à cette double destination. C’était un vaste parallélogramme s’appuyant à la Seine et s’avançant jusqu’à la rue de Beauvais, sur une longueur de soixante et une toises, sur une largeur de cinquante-huit et demie; il allait de la rue Fromenteau à celle d’Autriche, depuis rue du Coq. Le bâtiment formait ainsi quatre corps-de-logis, dont les façades, sans aucun ornement, étaient de simples murailles percées de petites et rares fenêtres. La quadruple enceinte était fortifiée, flanquée d’un grand nombre de tours, que défendaient les fossés alimentés par la Seine; et l’entrée principale du grand portail du Louvre était du côté de la rivière.

C’est au centre de ce quadrilatère, vaste cour de 34 toises sur 32, que Philippe-Auguste fit élever la tour connue longtemps sous le nom de grosse tour du Louvre. Ce palais, ou cette forteresse, était donc un véritable rendez-vous de tours; on en comptait 26, dont chacune avait son nom et son capitaine. Les principales étaient celles: de la Librairie, de l’Horloge, du Bois, de l’Artillerie, du Fer-à-Cheval, de l’Étang, de l’Orgueil, la tour où se met le roi quand on joûte, etc., etc. Charles V en ajouta encore à celles de Philippe-Auguste.

LE LOUVRE DE PHILIPPE-AUGUSTE


La grosse tour fut logis royal, et aussi prison. Elle était ronde, épaisse, à la base, de 13 pieds, haute de 16 toises, avec une circonférence de 24. Un fossé très profond et très large l’entourait. Elle tenait à la cour par un pont d’une arche avec pont-levis, et au château par une galerie de pierre.

Elle fut terminée en 1214, et, cette même année, la glorieuse année de Bouvines, Philippe-Auguste y enferma son premier prisonnier, Ferrand ou Ferdinand, comte de Flandres, rebelle pris les armes à la main dans la bataille, et qu’on attacha dans la tour des mêmes chaînes qu’il avait préparées pour son souverain Philippe-Auguste: il y resta treize ans. Deux autres comtes de Flandres, rebelles aussi, furent plus tard emprisonnés dans la grosse tour: Guy et ses enfants, sous Philippe le Bel, en 1299, et Louis, en 1322, sous Philippe de Valois.

Louis VIII, le Lion, fils de Philippe-Auguste, ordonna, par testament, que ses trésors fussent mis en sûreté dans la tour.

Ce Louvre devint la résidence habituelle des rois; on y recevait solennellement les souverains étrangers. Il en fut ainsi pendant deux siècles, et Charles V l’agrandit et l’embellit à grands frais.

Le Louvre était encore, à cette époque, hors de la ville. Charles V l’y enferma. Charles VI y logea d’abord avec Isabeau de Bavière; mais ensuite il habita de préférence l’hôtel Saint-Paul; Charles VII, Charles VIII et Louis XI firent de même. Louis XII revint au Louvre; mais l’entretien qu’il en fit laissa beaucoup à désirer, et d’ailleurs ce palais avait souffert. Sa véritable restauration eut lieu sous François Ier qui, voulant y loger l’empereur Charles-Quint quand ce prince, en 1539, traversa Paris pour aller en Flandres, accommoda le logement à la qualité de l’hôte. «La plupart des croisées furent agrandies et les vitres peintes, dit Sauvai; on dora les girouettes des tours (la grosse tour avait disparu dès 1527), on peignit, on arbora partout les armes de France, on multiplia le nombre des appartements, à ce point que Charles-Quint, le roi, la reine, le dauphin et la dauphine, le roi et la reine de Navarre, les enfants de France, le connétable, le cardinal de Tournon et jusqu’à la duchesse d’Etampes, maîtresse du roi, y eurent chacun des logements proportionnés à leur qualité. Aussi, tant de dépense y fut faite, qu’un registre entier des œuvres ou édifices royaux en est tout plein.»

Néanmoins il s’en fallait que le Louvre fut achevé. François Ier voulait un vrai palais. Homme de son siècle, un siècle de grand art et d’oeuvres gigantesques, il avait ramené d’Italie des peintres, des architectes, des sculpteurs qui, s’ils ne surpassaient pas les nôtres, pouvaient au moins leur donner de l’émulation et des idées neuves. Ce n’est pas sans motif que cette époque fut appelée la Renaissance, et François Ier le Père et restaurateur des lettres et des arts. François et, après lui, son fils Henri II favorisèrent le grand mouvement artistique du seizième siècle, avec autant de zèle et d’intelligence qu’en Italie avaient fait Jules II, Léon V et les Médicis.

On commença, en 1628, les nouveaux travaux du Louvre.

L’architecte Serlio, que François fit venir d’Italie, fournit de beaux dessins qui ne furent pourtant pas suivis. Un Français, Pierre Lescot, seigneur et abbé de Clagny, produisit ses plans et ses projets qu’on adopta, et l’on fit bien, car ces dessins étaient «les plus réguliers et magnifiques qu’on pût voir.»

Si l’illustre architecte français nous a donné un chef-d’œuvre, le sculpteur qu’on lui adjoignit, un autre Français, Jean Goujon, peupla de merveilles ce nouveau Louvre qui, après trois siècles et demi, debout et toujours splendide, n’a encore été ni dépassé, ni égalé dans aucun pays par aucun maître. François mourut en 1547, sans avoir terminé son œuvre. Henri II la continua respectueusement, acheva, en 1548, le vieux Louvre, et cette gloire suffirait à illustrer son règne. De fait, après Henri II, les arts, comme épuisés d’efforts, parurent sommeiller durant près d’un siècle. Les guerres de religion, civiles et étrangères, accaparaient tous les bras: dans ce conflit d’intérêts, d’ambitions, dans ce trouble général des consciences, plus de repos, plus d’asile pour la pensée, partout des horizons noyés dans la fumée, des villes noyées dans le sang; la controverse tuait l’imagination; l’épée, le canon posaient et résolvaient questions et problèmes. Est-ce bien là le progrès, et rend-il autant qu’il a fait perdre?

LE LOUVRE, COUR INTÉRIEURE


Henri II était mort au palais des Tournelles. Charles IX abandonna cette résidence et vint demeurer au Louvre. En 1572, le 18 août, furent célébrées en ce palais, dans la salle des Cariatides, les noces de Marguerite de Valois, fille de Catherine de Médicis et sœur du roi Charles IX, avec Henri de Navarre, six jours avant la Saint-Barthélemy.

Le Louvre va jouer son rôle dans la sanglante tragédie. Coligny en sortait lorsqu’il fut blessé derrière Saint-Germain-l’Auxerrois par le coup d’arquebuse de Maurevel. Le surlendemain 24 août, le roi Charles IX décida, au Louvre, l’exécution du massacre, et y prit part, non pas en tirant d’une fenêtre sur les protestants, le fait est reconnu aussi faux qu’invraisemblable, mais en assistant de ses fenêtres à l’égorgement des victimes qu’il avait désignées, en sorte que le château fut entouré de cadavres, et la cour du Louvre inondée de sang. Jean Goujon, qui travaillait paisiblement à quelque chef-d’œuvre sur son échafaudage, y fut tué d’une balle le jour de Saint-Barthélemy. Ce fut au Louvre, dans cette nuit du 24 août, que la jeune reine de Navarre, Marguerite, mariée depuis six jours, entendant courir, crier, frapper désespérément à la porte de sa chambre, ordonna qu’on ouvrit. Elle croyait voir entrer le roi son mari; celui qui entra, effaré, ensanglanté, était un gentilhomme de Navarre, nommé Téjan, poursuivi, et déjà blessé par les assassins, qui entrèrent pêle-mêle derrière lui. Le malheureux se réfugia dans l’alcôve de la reine qu’il saisit pour s’abriter derrière elle, et les furieux l’eussent achevé là, au risque de tuer Marguerite elle-même, sans l’arrivée de Nancey, capitaine des gardes, qui, accouru au bruit, ne put d’abord s’empêcher de rire en voyant la reine dans les bras de cet inconnu, auquel pourtant, vaincu par les supplications de Marguerite, il fit grâce de la vie. Mais il en fut tué là bien d’autres, qui croyaient le Louvre lieu d’asile puisque le roi de Navarre l’habitait. Cependant Henri de Navarre, lui-même, se vit à deux doigts de la mort, lorsque, dans le cabinet des armes, Charles IX l’ayant fait venir lui dit ainsi qu’au prince de Condé la fameuse phrase: Mort, Messe ou Bastille!

Mais, quelques années plus tard, Catherine de Médicis avait oublié la Saint-Barthélemy, Charles IX, mort d’une maladie si étrange; et le Louvre faisait l’admiration des cours de l’Europe par la magnificence de ses fêtes. Il en fut donné une, en 1581, qui coûta douze cent mille écus.

Dix ans plus tard, pendant la Ligue, le duc de Mayenne fit pendre, au Louvre, quatre des plus furieux ligueurs parmi les Seize qui avaient fait pendre les présidents Brisson et Tardif, et l’année suivante, en 1592, la Ligue y tint les États, parodie des grandes assemblées royales. En février 1610, Bassompierre fut grièvement blessé au Louvre par le duc de Guise, dans un tournoi à camp ouvert que le roi se reprocha d’avoir autorisé.

Et cette même année, deux mois plus tard, dans cette même salle des Cariatides où Henri IV avait épousé en premières noces une fille de Catherine de Médicis, ce grand prince fut apporté mourant, sinon mort, à sa deuxième femme, encore une fille des Médicis, laquelle, dit un historien, «ne fut ni assez surprise ni assez affligée de cette mort.»

Le 24 avril 1617, sur le pont-levis du Louvre, Concino Concini, maréchal d’Ancre, fut tué à coups de pistolet par Vitry, capitaine des gardes du roi.

Henri IV avait fait exécuter de grands travaux dans le Louvre depuis 1596. Déjà, sous Charles IX, on avait élevé le premier étage du pavillon de l’Infante et réuni ce pavillon par une galerie au château des Tuileries. Mais Henri IV fit monter le deuxième étage du pavillon de l’Infante où est la galerie d’Apollon, dont les peintures sont de Dubreuil, Bunel et Porbus, les sculptures de Barthélemy. Le salon carré fut construit également sous Henri IV, et la décoration des appartements royaux complétée magnifiquement par les riches boiseries qu’on y voit encore.

LE LOUVRE (COTÉ DU JARDIN DE L’INFANTE)


Sous Louis XIII, qui habita le Louvre avec Anne d’Autriche, on démolit les six dernières tours qui restaient du Louvre de Charles V, et l’on n’y fit rien de nouveau que l’élévation et la décoration des parties supérieures du pavillon de l’Horloge, et le changement de l’entrée principale qui ne fut plus du côté de la rivière, mais du côté des Tuileries.

LA COLONNADE DU LOUVRE



Ce vieux Louvre fameux, modèle de goût, de grandeur et de grâce, auquel tant de rois, tant de générations du plus pur sang français avaient travaillé avec amour, ce splendide monument du génie de la France et de sa richesse, n’était pas complet. Il ne représentait encore que deux des côtés du quadrilatère de Philippe-Auguste. Louis XIV voulut se donner la gloire d’achever l’œuvre. et, dès 1660, il décida l’ouverture des opérations. D’abord, pour vouloir trop bien faire, on alla, selon l’expression naïve d’un contemporain, chercher bien loin ce qu’on avait sous la main. Les premiers plans de Levau et de d’Orbay, déjà en voie d’exécution, ne parurent pas satisfaisants à Louis XIV, qui rêvait un idéal supérieur. On envoya consulter à Rome Poussin et les plus fameux architectes romains. A Rome, il n’était question que du Bernin, la merveille du moment; le roi fit venir Bernin. Argent, présents, honneurs quasi-royaux, Louis XIV donna tout, on en combla le célèbre artiste. Mais lorsqu’il présenta ses plans, qui consistaient d’abord à sacrifier tout l’ouvrage de Pierre Lescot, c’est-à-dire le vieux Louvre, on hésita, on réfléchit et l’on ne consentit qu’avec peine. Cependant les travaux de Bernin avançaient rapidement, et personne n’était content, lorsqu’on se souvint des projets qu’avait offerts Claude Perrault, un médecin modeste qui s’occupait d’architecture à ses moments perdus; on les examina plus à fond. Le roi, Colbert, le public, les trouvèrent si beaux qu’on regretta de ne pas les avoir adoptés. Ce fut le signal d’une réaction aussi prononcée que rapide: Bernin froissé allégua son âge, sa santé, ses fatigues, et demanda son congé au roi qui le lui accorda, lui fit remettre par Colbert 3 000 louis en or, 12 000 livres de pension pour lui et 1 200 pour son fils. Le Louvre fut alors livré entièrement à Perrault, qui débuta par faire disparaître tout le travail de Bernin, et entama l’exécution de ses plans à lui, le 17 octobre 1665. On commença la colonnade du Louvre en 1666.

Nous n’entrerons pas dans le détail technique de cette architecture célèbre; des volumes n’y suffiraient pas. Les faits, les dates, le sentiment des choses, voilà tout ce que nous permet, en abrégé, la mesure de notre cadre.

Tout a été dit sur cette colonnade que tout le monde admirait, excepté Boileau. Il avait fait une épigramme sur Perrault, et tenait à ce qu’elle fut justifiée. Il s’agissait d’établir universellement que Perrault, méchant médecin, était un pire architecte, et qui plus est un plagiaire; le puissant critique entreprit là une mauvaise campagne, s’y compromit, et par bonheur, étant un honnête homme, se rétracta loyalement et fit amende honorable, après la mort de Claude Perrault.

Les différents travaux du Louvre furent terminés vers 1670, y compris les façades sur le quai et sur la rue du Coq. L’immense quadrilatère était fermé. Le rôle de la décoration commençait; Lebrun, premier peintre du roi, fut mis à la tête d’une armée de sculpteurs, peintres, ornemanistes, chargés d’exécuter ses dessins. Puis, après le grand coup de feu de cette mise en train, l’action se ralentit; Louis XIV, satisfait d’avoir fini le Louvre, s’appliquait à terminer Versailles, et l’on remarque, vers 1679, que Mansard ne faisait plus mention du Louvre dans ses comptes et mémoires relatifs aux bâtiments.

Louis XIV habitait Versailles, sa création nouvelle. Il avait accordé, fidèle à la tradition de son aïeul Henri IV, des logements et d’honorables installations dans le Louvre, non plus aux ouvriers, mais aux compagnies savantes et scientifiques. L’Académie française, dont Louis XIV s’était déclaré protecteur après Séguier et après Richelieu, obtint, et la première de toutes les Académies, un appartement au Louvre où elle tint ses séances.

Après l’Académie française, jouirent de la même faveur celles des Inscriptions et Belles-Lettres, des Sciences, et l’Académie de peinture.

Mais s’il est vrai que les lettres et les arts ornent tout ce qu’ils touchent, il n’en est pas de même quand, après les artistes, les savants et les maîtres, toute une population d’artisans, de boutiquiers, d’entrepreneurs de maçonnerie et de mendiants fond sur un édifice abandonné, s’y installe et s’y cramponné. Le Louvre, malheureusement, devint la proie de cette engeance qui, peu à peu, l’envahit et l’étouffa. Colbert et Perrault étaient morts, Louis XIV n’habitait plus au Louvre, et tout autour de l’enceinte, dans ses cours intérieures même, s’élevaient maisons, magasins, échoppes, matériaux et décombres qui montaient en certains endroits jusqu’au premier étage.

La colonnade ne fut pas plus épargnée que le reste. Elle eût fini par être masquée, si les choses se fussent continuées en pareil état. Il fallut plus tard démolir encore et ragréer et nettoyer, jusqu’au jour où de sages mesures, sévèrement appliquées, assurèrent aux édifices parisiens leur part légitime d’air, de lumière et d’espace ambiant, conditions inflexibles de leur beauté, de leur existence.

Paris sous Louis XIV : monuments et vues

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