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ÉGLISE ET TOUR SAINT-JACQUES-LA-BOUCHERIE

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Cette église paroissiale date peut-être du dixième siècle. Située dans un centre populeux, elle s’agrandit et prospéra au point d’envahir et d’accaparer le quartier tout entier. Elle était la paroisse des bouchers, des pelletiers, tanneurs, population bruyante et remuante qui fit beaucoup trop parler d’elle sous Charles VI. Saint-Jacques devait son surnom (la Boucherie) au grand nombre de ses paroissiens aux bras ensanglantés. Dans le quatorzième et le quinzième siècle, le territoire de cette paroisse occupait, ou à peu près, tout l’espace compris entre la Seine, les rues Aubry-le-Boucher, Saint-Denis et Saint-Martin. C’était le séjour de cette puissante agglomération de riches marchands qui tenaient en fief, comme des seigneurs, leurs étaux de bouchers. «C’étaient eux,» comme l’écrit un savant historien de Paris que nous avons toujours grand plaisir à citer, J. de Gaulle, «c’étaient eux qui avaient fait la révolte et la révolution de 1413, qui, d’un roi de France, avaient fait un petit roi de Bourges; eux qui avaient failli brouiller à jamais les destinées de la France entière en livrant Paris aux Anglais.» Auprès de ces potentats étaient venus se loger, sans tarder, tous les Lombards, banquiers de l’époque, attirés comme vautours dans ce quartier du sang et de l’argent.

L’église s’était donc agrandie, avec plus de souci des bénéfices que de la question d’art; ses paroissiens l’avaient dotée de grands biens; les révolutionnaires de ce temps-là ne pillaient pas les églises, ils les enrichissaient. Elle possédait le privilège fort envié du droit d’asile; on y construisit même, en 1405, une chambre à l’usage des réfugiés qui venaient s’y mettre en franchise. Ce n’étaient pas souvent d’honnêtes gens qui réclamaient ce droit d’asile. Un certain Perrin Macé venait d’assassiner le trésorier de France Jehan Baillet, en 1357; il accourut se cacher à Saint-Jacques-la-Boucherie où Charles V, le Sage, le fit prendre d’abord, et pendre ensuite. Mais l’évêque de Paris, dont on venait de violer ainsi les privilèges, fit détacher le cadavre du gibet, et inhumer dans l’église même qui lui donna ainsi un asile tardif mais perpétuel.

SAINT-JACQUES-LABOUCHERIE


Louis XII, un roi sage aussi, retira ce privilège à Saint-Jacques-la-Boucherie.

L’église s’agrandissait toujours. Elle n’était pas encore achevée en 1399, puisqu’à cette époque l’un des bienfaiteurs les plus zélés de la paroisse, Nicolas Flamel, fit construire le petit portail du côté de la rue Marivault. L’histoire légendaire de ce digne bourgeois de Paris, simple écrivain, et de sa femme Pernelle est trop connue pour que nous en donnions ici les détails, plus ou moins authentiques, d’ailleurs. Ce qu’il y a de certain dans la légende, c’est que Nicolas Flamel, homme instruit, de mœurs polies et douces, était un des plus habiles dans son art, qu’il s’enrichit par son travail dont il savait ménager les fruits, qu’il avait en outre fait un bon mariage, car dame Pernelle était riche, et que, fin spéculateur, il avait acheté bon marché des maisons qu’il revendit cher. Le public ne sut pas ou ne comprit pas ces causes naturelles de la fortune de Flamel, et préféra l’attribuer à des opérations de magie ou d’alchimie. Le bruit se répandit que l’écrivain avait trouvé la pierre philosophale et faisait de l’or pendant la nuit, car on voyait ses vitres éclairées très tard. On comprend mieux aujourd’hui que l’écrivain fasse de l’or lorsqu’il veille devant sa table de travail; mais alors on admettait de préférence le surnaturel. Ces bruits qui couraient, Nicolas Flamel ne les démentit pas d’abord. Il était au mieux avec son curé, et ne croyant avoir rien à craindre, il exploita la prétendue veine philosophale et vendit, libraire lui-même, et libraire juré, bon nombre de livres d’alchimie, de chimie simple et d’inoffensive magie blanche. Il devint prodigieusement riche et populaire.

Mais, à ce moment, le chancelier de l’Université, Jean Gerson, le docteur très chrétien, le courageux curé de Saint-Jean en Grève qui avait osé flétrir éloquemment, en chaire, l’assassinat du duc d’Orléans par le duc de Bourgogne, et poursuivait avec intrépidité dans ses écrits toute fausse doctrine et toute erreur préjudiciable à l’Église, Jean Gerson venait de faire paraître un livre foudroyant contre les mensonges et les superstitions magiques. Cette censure, qui visait peut-être Nicolas Flamel et sa pierre philosophale, épouvanta si fort l’écrivain qu’il se réfugia, non dans l’asile de sa paroisse, mais dans une dévotion capable de toutes les prodigalités. Il s’épuisa en dons, en offrandes, multiplia les manifestations de son zèle religieux, et mourut ruiné ou peu s’en faut, après avoir fait sculpter en marbre son image et celle de dame Pernelle agenouillées aux pieds de la Vierge et répétées partout dans leur église paroissiale.

Mais la légende le tenait et ne le quitta pas. On assura gravement que l’écrivain et sa femme n’étaient pas morts à Paris, qu’ils s’étaient enfuis pour n’être pas inquiétés, après avoir simulé une maladie dont ils furent censés mourir; qu’on n’avait enterré à leur place que deux bûches, et enfin, au dix-huitième siècle, le voyageur Paul Lucas a écrit, gravement aussi, qu’il avait connu en Égypte un derviche fort grand ami de Flamel et de Pernelle, son épouse, tous deux vivants et en parfaite santé, — après deux cents ans!


L’église fut achevée sous François Ier. La tour date de cette époque. C’est un rare et poétique monument de l’architecture gothique: s’il n’a pas la pureté de style ni la finesse de la Sainte-Chapelle, il commande l’admiration par la richesse de ses ornements, par leur variété bizarre, par la superbe audace de cette tour géante debout dans Paris qu’elle domine et qui semble ramper à ses pieds. Voisine de Notre-Dame qui, de ses tours jumelles, la regarde par-dessus la rivière, la tour Saint-Jacques est haute de 155 pieds depuis le sol de la rue jusqu’à la balustrade. Elle est carrée et mesure, hors d’œuvre, 30 pieds 9 pouces sur chacune de ses faces. Achevée en 1522, elle coûta 1 350 livres!

Ce deuxième quartier de Saint-Jacques la Boucherie contenait en 1702: 44 rues ou culs-de-sac, 1018 maisons, 3 marchés, 3 paroisses: Saint-Jacques, Saint-Josse, Saint-Leu; 5 communautés ou couvents, 2 cloîtres, 1 hôpital (de Sainte-Catherine), les 7 juridictions du Châtelet, énumérées plus haut, la cour du Châtelet, où était la Morgue «pour l’exposition des corps morts, noyés ou trouvés dans les rues» ; 1 prison: du Grand-Châtelet; 2 quais: de Gèvres ou des Oiseaux sur lequel on passe à couvert du pont Notre-Dame au Pont-au-Change; 2 places; 181 lanternes.


Paris sous Louis XIV : monuments et vues

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