Читать книгу Paris sous Louis XIV : monuments et vues - Auguste Maquet - Страница 4

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L’HISTOIRE de Louis XIV et celle de Paris sont faites depuis longtemps et bien faites soit par d’innombrables contemporains, témoins véridiques des choses qu’ils racontent et qui ont tout raconté, soit par d’illustres écrivains qui ont ajouté à leur gloire en rédigeant les annales de la grande ville ou celles du grand siècle.

On ferait un dictionnaire rien qu’avec les noms de tous ceux qui ont écrit sur Paris ou sur Louis XIV: diplomates, hommes de guerre, de cour et de finances, gens du monde, savants, philosophes, artistes, poètes, archéologues, chroniqueurs. De leurs livres, mémoires, registres, notes, souvenirs, correspondances et pamphlets, on ferait une bibliothèque.

Aussi la matière est-elle épuisée. Sur le champ récolté, plus un épi pour le glaneur. On pourrait, par amour de l’esthétique, ou au profit de certaines doctrines, dites avancées, on pourrait paraphraser Saint-Simon, donner des entorses à Voltaire, conspuer Dangeau, et redire autrement ce que tant d’autres ont dit; mais, quant à produire un fait nouveau qui révèle quelque chose, quant à rajeunir le connu par l’inconnu, cela n’est au pouvoir de personne. En histoire on n’invente pas.

Il faudrait qu’un écrivain, pour se décider à traiter de pareils sujets et en extraire un livre curieux et utile, découvrît quelque manuscrit égaré , comme les moines de Saint-Gall retrouvèrent celui de Tite-Live; mais, de nos jours, les manuscrits sont imprimés avant d’être recopiés, et l’on ne sait plus ce que c’est que palimpsestes; il faudrait donc que cet écrivain rencontrât (après 200 ans!) un survivant, un témoin nouveau, tout bourré de secrets et de révélations inédites dont il enrichirait le monde.

Mais les centenaires les plus obstinés n’ont jamais atteint deux siècles; ils sont morts sans avoir rien dit, et Virgile et Dante ne sont plus là pour faire parler les ombres. Ce serait donc une œuvre téméraire et sans gloire que recopier l’histoire déjà faite, sous prétexte de galvaniser une époque bien finie et endormie à jamais dans son glorieux linceul.

Ainsi pensait, et bien convaincu, celui qui écrit ces lignes, lorsqu’un éditeur de Paris, homme d’un goût sérieux, vint lui demander d’écrire une étude sur Paris au temps de Louis XIV. L’écrivain, conformément à ses principes, répondit qu’il ne voyait ni prétexte pour entreprendre cet ouvrage, ni moyen de le réussir; que la foi manquerait à l’auteur, l’attrait au livre, et le public à la publication; trois éléments indispensables qu’on ne pouvait réunir sans un miracle.

L’éditeur ouvrit alors son carton qui renfermait toute une collection des monuments, édifices et vues de Paris, dessinées et gravées de 1650 à 1700, c’est-à-dire en plein règne de Louis XIV. Gravures fines et fermes, vraies comme des photographies, sûres et correctes comme un tracé de Mansart ou de Perrault, tout empreintes de l’élégance sereine et du caractère majestueux de l’époque. Elles représentaient Paris, naïvement, tel qu’il était alors, avec ses ruines et ses nouveautés, ses palais naissants, échafaudés encore, ses églises décrépites, ses quais ébauchés, ses rivages indécis, son fleuve vagabond, certains morceaux, du Louvre sortant des mains d’Henri IV, la Tour de Nesle à demi éventrée sur les brèches du mur de Philippe-Auguste; rien de convenu, rien de fardé : un Palais-Cardinal totalement inconnu des Parisiens; tout le quartier Saint-Germain sorti fraîchement de terre, et les nobles promenades de Marie de Médicis, et la Conférence et les Portes triomphales qui n’existent plus, et les ruines romaines qui existaient encore.

Tous ces tableaux animés par la population du temps, les chevaux, les chiens, les costumes, les carrosses, les soldats de l’époque, et les bateaux, et les coches sur la Seine, et les oiseaux dans l’air...

Le tout, authentique, signé, daté, incontestable toujours, unique souvent; une noble curiosité, une trouvaille d’antiquaire.

L’écrivain regardait-silencieux, surpris. Il croyait entrevoir, ressuscitée un moment par magie, cette vieille ville, en train, comme celle d’Auguste, de redevenir neuve, et il se la montrait à lui-même, à lui Parisien, comme un guide explique Pompeï au voyageur.

— Oui, dit-il enfin, cela ferait une curieuse illustration, mais incomplète, car auprès de ces gravures du XVIIe siècle, toute ornementation moderne sera un contresens ou une faiblesse. Il eut fallu pouvoir tout demander à cette époque, les fleurons, les lettres, des portraits.....

L’éditeur vida le carton qui contenait: frontispices, vignettes, culs-de-lampe, chiffres, attributs, lettres ornées de l’époque; et signés Sébastien. Leclerc, Bailly, Lepautre, Simonneau, Audran, Puget le fils; toutes les richesses de la glyptique ornementale, mise au service, cherchée à grands frais, et trouvée miraculeusement à profusion, pour satisfaire à toutes les exigences du texte.

Une série de magnifiques portraits d’artistes et de maîtres du XVIIe siècle couronnait l’œuvre; exhibition de gravures introuvables; Puget, Sarrazin, Mansart, Guillain, Coysevox, Coustou, Anguier, Perrault — créés, comme exprès, pour illustrer la mémoire de leur œuvre; maîtres puissants, enchanteurs tant de fois nommés dans l’ouvrage, et qui apparaîtraient sur la scène pour recueillir l’applaudissement public.

C’était en un mot une trouvaille, inespérée, irréalisable, un ensemble harmonieux, homogène. Le livre a désormais sa raison d’être, il vit, et, dans de telles conditions, devient une œuvre utile, originale. On appellera le volume: Paris sous Louis XIV. — Monuments. — Vues.

Cela plaira beaucoup à ceux qui estiment, qu’avant nous, il y avait quelque chose, et qu’il y aura quelque chose encore après nous. Paris sous Louis XII sera un recueil choisi de légendes historiques, attachées modestement, pieusement, par l’auteur, comme des inscriptions, à chacun des monuments ou édifices de Paris de 1638 à 1715, et ces fragments d’histoire locale, écrits avec conviction et indépendance, auront le double mérite de consoler les Parisiens qui aiment leur ville, et de gêner ceux qui la brûlent.

On a dit: Heureux les peuples qui n’ont pas d’histoire; mais ce mot, spirituel peut-être, n’est qu’un paradoxe menteur. Les peuples comme les individus ont tous une histoire quelconque. Faisons de cette phrase creuse une maxime française, et disons: Heureux les peuples qui n’ont pas à rougir de leur histoire, et bienheureux ceux qui en ont une glorieuse, la respectent, et savent la faire respecter.

Septembre 1882.


Paris sous Louis XIV : monuments et vues

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