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ОглавлениеPOTERIES GAULOISES
J’ai essayé, mais en vain, de déterminer le point d’intersection entre les poteries primitives et celles qui appartiennent aux temps historiques de la Gaule. Cette étude m’a démontré qu’il fallait se contenter, dans l’état actuel de la question, d’enregistrer simplement les faits, d’indiquer soigneusement les circonstances de chaque découverte, de fournir, en un mot, un recueil de notes à nos successeurs. Je ne ferai pas autre chose dans le premier paragraphe de ce chapitre.
I
Les lieux où se trouvent des débris de poteries gauloises proprement dites ne sont pas rares. Je dirai même qu’il est bien peu de points habités à l’époque romaine, qui n’en recèlent pas dans les couches inférieures de leur sol. Nous ne sommes plus à ces temps, éloignés déjà de milliers d’années, où l’homme s’isolait par familles, par clans. Des besoins nouveaux l’ont amené à vivre à l’état de tribu ou de peuplade, et, la division du travail étant établie, la fabrication de la vaisselle de terre, devenue métier, s’est concentrée entre les mains de quelques individus. Les vestiges, que recèlent les falaises sablonneuses de Belesbat, donnent la plut juste idée de cette progression. En bas, tout près du roc calcaire, sont les tessons, à peine cuits et façonnés à la main, de la première période. Au-dessus s’étagent par zônes, comme les feuillets d’un livre, d’autres fragments de vaisseaux de terre des âges postérieurs. A mesure que la couche de sable monte, ces fragments deviennent plus consistants, mieux travaillés, et se couvrent d’ornements rudimentaires, qui sont les bégaiements de l’art nouvellement éclos. Les moins anciens, fabriqués au tour, sont d’une terre plus fine et ont des parois quelque peu amincies. La cuisson, quoique toujours imparfaite, est déjà opérée avec plus de soin. Poitiers, Niort, Fontenay, Rezé et une foule de vieilles localités situées sur les bords de l’ancien golfe des Pictons, telles que Saint-Georges de Rexe, Arçay, Amuré, Coulon, Ambreuil, Banzay, l’îlot du Pré-Naud (commune de Benet), le Langon, Nalliers, Luçon, Saint-Denis du Pairé, Curzon, etc., en fournissent de tout pareils.
Il est deux autres sortes d’ustensiles en terre cuite qu’on recueille sur plusieurs points de la circonférence de ce golfe. Ce sont d’abord des tiges rondes, ayant d’ordinaire 0m,05 diamètre et une longueur de 0m,30. L’une des extrémités s’épate fortement, tandis que l’autre, plus mince, se divise en trois petits pieds posés en triangle (N° 1 de la planche des Poteries poitevines). Le n° 2 de la même planche représente l’un des autres instruments qu’on rencontre avec ceux-ci. Leur hauteur est, en moyenne, de 0m,25, leur longueur de 0m,35, et l’épaisseur de leurs deux piliers de 0m,12 à la base; tandis qu’elle n’est guère que de 0m,06 à la partie supérieure. Ces ustensiles ont tous été pétris et façonnés à la main, avec de l’argile prise sur place; plusieurs portent encore des empreintes de doigts calleux. Ils ont été fortement cuits, ce qui leur a donné une couleur rouge et parfois brun foncé. Cela ne les a cependant pas empêché de s’exfolier au contact de l’humidité, toutes les fois que des fissures ont existé dans les surfaces, qui seules présentent une assez grande résistance. Une fois brisées, ces surfaces se sont séparées du reste par plaques très minces, qui ont pris les aspects les plus variés, et ont fait croire à l’existence d’une multitude d’instruments divers; tandis qu’il n’y en a jamais eu, en réalité, que de deux espèces. On les rencontre en très grand nombre dans de vastes dépôts de cendres, mêlés de charbon, dont quelques-uns couvrent parfois plusieurs hectares. Ces dépôts, toujours placés au point de jonction de la plaine et du marais, ou dans d’anciennes îles, reposent directement sur le bris ou terre glaise, compacte et stérile, laissée par la mer, lorsqu’elle couvrait ces parages. Or, comme tout concourt à démontrer que, depuis au moins trente siècles, les eaux de l’Océan ne s’y montrent plus (), il faut en conclure que les ustensiles, que je viens de décrire, remontent aussi haut. En plusieurs endroits, des habitations gauloises et des constructions de la période romaine se sont superposées à ces immenses vestiges d’une date beaucoup plus ancienne. Leurs débris, parfaitement distincts du reste, n’existent que dans la partie supérieure des couches de cendres, ou dans des tranchées ouvertes après coup. On en a retiré des haches et des couteaux de pierre, des monnaies autonomes voisines de la conquête de César, aussi bien que des deniers d’argent ou des bronzes de la série impériale, et que des tuiles à rebords. Les dépôts les plus considérables sont à la pointe du Linaud, commune de Mouzeuil, à Nalliers, à Saint-Michel en l’Herm et à Luçon; mais il en existe en plusieurs autres endroits.
On s’est souvent demandé à quel usage avaient pu servir ces objets de terre cuite. Quelques-uns en ont fait des supports de planchers de cabanes; hypothèse inadmissible à tous les points de vue. D’autres y ont vu des ustensiles soit de fours ordinaires à potiers, soit de cuisson en échappade ou à planchers (). Pour que cette dernière opinion pût être acceptée, il faudrait d’abord qu’on trouvât sur les mêmes lieux, comme dans les fabriques romano-gauloises, des débris de vases contemporains mal réussis; tandis qu’il n’y en a pas trace. Les amphores provenant de sépultures, et les nombreux tessons, mêlés aux vestiges de constructions de l’âge romain, ne peuvent entrer en ligne de compte. Ce qui appartient à la période celtique, en fait de poteries, se rencontre plus loin dans la plaine, et dans les conditions ordinaires de la vaisselle brisée que laisse après lui le séjour de toute aglomération d’hommes. Pour ce qui est des dépôts de cendres, leur présence par masse aussi considérable reste toujours inexpliquée.
II
Lorsqu’on arrive aux temps moins éloignés de nous, on se trouve en présence de vases ayant date à peu près certaine. Ce sont d’abord des urnes en forme de pots à fleurs, mais sans anses, des pots au feu également dépourvus d’anses, (planche des Poteries poitevines, n° 3), et des jattes d’une terre noirâtre, fabriqués au tour et déposés dans des sépultures par incinération. Les urnes ont parfois, à la partie supérieure de la panse, des rangées de stries ou de pointillés. On en a exhumé de semblables, en 1841, d’un terrain situé à côté du prieuré de Fontaines, commune du Bernard (), et d’un autre voisin de Thorigné en Mouzeuil. Dans ce dernier lieu, on a recueilli avec ces vases un instrument de bronze ressemblant à une raclette, dont le dos était percé d’un petit trou pour y passer un lien. Les armes et ustensiles de bronze, découverts à Notre-Dame d’Or (Vienne) en janvier 1843, que j’ai décrits dans les Mémoires de la Société des antiquaires de l’ouest, volume de 1845, étaient accompagnés de débris de poteries présentant les mêmes caractères de fabrication. Quelques-uns, mal cuits, semblaient d’une date beaucoup plus ancienne; mais il est cependant possible qu’ils fussent du même temps, les vieux procédés de fabrication ayant dû continuer à être employés fort tard dans certaines régions: sans parler de la mauvaise qualité de l’argile, qui a très bien pu tromper un œil aussi peu exercé que l’était celui d’un débutant dans la carrière archéologique. Je n’y fis alors nulle attention, tandis que je comprends aujourd’hui toute leur importance comme point de repère.
Aux Champs-Doulans (commune de Saint-Vincent sur Graon, Vendée), nom qui rappelle l’existence d’une bourgade celtique, on a trouvé aussi, en ouvrant un fossé, plusieurs vases gaulois remplis d’ossements calcinés. Selon leur habitude, les journaliers qui les découvrirent n’eurent rien de plus pressé que de les briser à coups de pioche, et, lorsque je me transportai sur le terrain, je ne trouvai plus que des fragments, qui me permirent pourtant de rétablir la forme de l’urne ci-contre. Ses parois, d’une terre noire, facile à s’exfolier, étaient assez minces. Elle avait été faite au tour, de même que tous les vases dont nous avons à parler désormais, et les ornements qui la décoraient avaient été tracés avec une pointe intentionnellement émoussée ou arrondie. Les ouvriers me remirent, en même temps, une aiguille en os et une monnaie d’or de petit module, concave d’un côté, sur laquelle on distinguait à peine l’a forme d’un cheval, pièce frappée environ cent cinquante ans avant l’ère chrétienne, et qui avait beaucoup circulé avant d’être confiée à la terre.
La numismatique m’a fourni encore deux autres indications précises. La première vient d’un dépôt de 63 statères pictons d’electrum à bas titre, et au différent de la main, déterrés en 1854-à Vouillé-les-Marais (Vendée), qui datent des cinquante dernières années de l’indépendance gauloise. Ces statères étaient contenus dans un vase tout uni, en forme d’urne, à parois encore plus minces que celles des poteries des Champs-. Doulans; mais toujours de terre noire. La seconde m’est arrivée d’un autre vase des mêmes forme, couleur et fabrication, décoré d’une zône pointillée (planche des Poteries poitevines, n° 4), trouvé en 1841 à Vouillé (Deux-Sèvres), et où l’on avait placé 390 pièces d’argent, également pictones, d’une fabrication tout-à-fait voisine de la conquête. Elles ont à l’obvers une tête d’Apollon et sur l’autre face un génie ailé monté sur un cheval au galop (). M. F. Bensergent a, dans sa collection, la partie inférieure de ce dernier vase.
Quoique je n’aie vu que fort peu de spécimens bien authentiques, il me paraît toutefois avéré désormais que, pour se faire une idée exacte de la vaisselle de terre pictone de la fin de la période gauloise, il suffit d’étudier celle, moins rare, fabriquée dans nos contrées avant le règne de Domitien. Ce sont les mêmes profils, le même mode d’ornementation, surtout dans la poterie commune, qui a longtemps conservé le cachet de ses traditions originelles. D’une autre part, ce que nous savons de la poterie gallo-romaine nous autorise à croire que les Gaulois des derniers temps ont fait des vases d’une certaine élégance. On en a, du reste, la preuve matérielle dans ceux gravés sur les monnaies des Arvernes et particulièrement sur le précieux statère du grand Vercingétorix (); mais ceux-là procèdent de l’art grec, qui eut une influence si marquée sur l’art de la Gaule, à partir de la seconde moitié du IVe siècle avant l’ère chrétienne. La numismatique de cette période renferme des œuvres trop intelligemment comprises, pour qu’on puisse admettre que les diverses branches de l’industrie nationale soient demeurées fort au-dessous de ce niveau parfois assez élevé. Je ne doute donc pas qu’une révision mieux conduite des produits de la céramique ne restitue à la Gaule libre des poteries que leur style a fait reléguer jusqu’à présent parmi celles postérieures à la conquête. Les classes riches, qui affichaient, depuis longtemps déjà, un certain luxe dans les armes et les vêtements, ne faisaient plus, à coup sûr, usage de terrailles aussi barbares que celles des tumulus. En y regardant de plus près, on s’apercevra indubitablement qu’alors, comme sous la domination romaine, il y eut deux vaisselles: l’une plus soignée, réservée à l’aristocratie; l’autre, presque aussi grossière que par le passé, abandonnée au menu peuple.