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ОглавлениеL’ART DE TERRE
CHEZ LES POITEVINS
SUIVI D’UNE
ÉTUDE SUR L’ANCIENNETÉ DE LA FABRICATION DU VERBE EN POITOU
PAR BENJAMIN FILLON.
L’histoire de la céramique française n’est étudiée que depuis quelques années. Commencée dans l’ouvrage de M. Brongniart, elle a eu depuis, à son service, la Description méthodique du musée de Sèvres, et celui-ci, grâce au classement et à la bienveillante érudition de M. Riocreux, est devenu le centre de toutes les études sur la matière et le fonds commun de tous les travailleurs. D’un autre côté, les anciennes sépultures ont donné leurs trésors aux fouilles passionnées de M. l’abbé Cochet et de ses émules; des découvertes récentes de documents ont jeté un peu de jour sur l’origine des poteries de l’époque moderne, à commencer par celles de la Renaissance. De ce premier ensemble de faits et du. résultat des recherches de quelques hommes intelligents sont nées plusieurs publications intéressantes. La porcelaine en général, les produits des fabriques spéciales de Nevers et de Moustiers, viennent d’avoir leurs historiens, et l’on attend le livre de M. Pottier sur les faïences de Rouen. Le travail de M. Benjamin Fillon, que nous annonçons, est à la fois une monographie du même genre et quelque chose de plus.
C’est d’abord une étude d’histoire provinciale, et l’auteur s’est tenu strictement aux faits et aux monuments qui lui sont fournis par les provinces de l’Ouest, auxquelles il consacre depuis longtemps une moitié de ses travaux. Originairement même, ce ne devait être qu’un des articles de son livre de Poitou et Vendée. La nécessité d’appuyer de toutes ses preuves l’attribution inattendue et définitive de la fameuse faïence dite de Henri II, à la fabrique particulière du château d’Oiron, l’a entraîné au delà. L’importance de cette partie de son œuvre lui en a fait donner aux autres. L’esquisse s’est changée en tableau et le chapitre est devenu livre.
1863
Par cette extension naturelle et pour ainsi dire obligée, en face d’un sujet qu’agrandissaient à mesure des découvertes successives, ce livre est plus que de l’histoire provinciale: il entre dans celle de l’art. La faïence d’Oiron et les premiers travaux de Palissy lui donnent un intérêt général. De plus, comme au lieu de s’en tenir à une seule époque, il traite chronologiquement de toutes les poteries qui se sont successivement produites en Poitou, ou qui y ont été importées, tout le monde y peut apprendre, la même suite existant partout avec les mêmes grandes lignes. L’exécution d’un pareil plan a naturellement amené M. Fillon à sortir de ce chaos de banalités morcelées où se tiennent trop complaisamment les simples collectionneurs, et il a transporté dans l’étude de la céramique de la France ce qu’il a si bien appliqué à celle de sa numismatique; c’est-à-dire la recherche et les formules des lois de filiation, de dégénérescence et de transformation, d’action et de réaction qui, à travers les siècles, ont régi chez nous les ouvrages de terre.
Les faïences d’Oiron et celles de Bernard Palissy ont été surtout étudiées avec un soin scrupuleux. Les pages qui leur sont consacrées sont le complément indispensable des belles publications graphiques faites à Paris par M. Delange. Le reste du texte n’est ni moins important ni moins nouveau. S’il n’y a plus rien à dire désormais sur les faïences d’Oiron, les autres parties ouvrent la voie en des matières encore bien obscures, et, par leur variété et leur unité, sont destinées à servir de guide et de base aux travaux subséquents, soit de détail, soit surtout d’ensemble. On en jugera par l’indication sommaire des chapitres.
Après une courte introduction sur le passé de notre céramique, sur les conditions de sa nouvelle renaissance et sur l’importance des collections de poteries, françaises, M. Fillon commence par déterminer les caractères de la poterie primitive et de celle des temps gaulois, qu’on ne distinguait pas autrefois l’une de l’autre. Dans l’étude de la période romaine, il l’a très judicieusement divisée, et cette classification sera désormais suivie, en période gallo-romaine, où la forme de la vaisselle de terre est encore à demi celtique, et en période romano-gauloise, où le type est devenu tout latin. Les lieux de fabrication, indiqués avec soin, et les marques de potiers trouvées en Poitou, apportent ensuite la lumière de leur classement et de leur certitude géographique. L’examen des produits céramiques si peu nombreux du moyen-âge, dont la chronologie présente encore beaucoup d’incertitude, est par cela même forcément plus rapide; pourtant les indications de l’auteur sur les poteries des IVe et Ve siècles, sur les poteries mérovingiennes et carlovingiennes, sont importantes, parce qu’elles sont aussi judicieuses que nouvelles. A leur suite, les poteries romanes, celles fabriquées de saint Louis à Louis XI, celles qui font le passage du moyen-âge à la Renaissance, et les débuts de celles-ci, nous amènent aux faïences d’Oiron.
La revue des opinions émises sur ces curieuses faïences, et l’histoire de la découverte du lieu de leur fabrication, servent d’entrée en matière au chapitre qui les concerne. Dans les paragraphes suivants, M. Fillon indique avec soin leurs origines et leur caractère composites, ce qui l’amène à en faire un classement tout nouveau et à les partager entre trois périodes bien distinctes: l’une, où le bibliothécaire et le potier d’Hélène de Hangest en créent les chefs-d’œuvre; la seconde, où domine l’imitation de l’architecture; la troisième, où les derniers faïenciers d’Oiron subissent l’influence des rustiques figulines de Palissy. Connaissance des alentours, recherche de la source des imitations, explication des procédés particuliers employés, analyse des matières, classement chronologique, attribution de tous les chiffres et de tous les signes énigmatiques, mise à néant de tous les doutes, rien ne manque à cette monographie, qui est complète et définitive.
Le cadre de l’ouvrage ne comportait pas une étude aussi étendue sur Palissy; mais ce que dit l’auteur des origines artistiques et industrielles de cet homme illustre, de ses premiers essais, de ses emprunts au Songe de Polyphile, de la valeur qu’il lui faut attribuer comme artiste, du caractère de ses œuvres, de leur ordre chronologique, de ses collaborateurs (parmi lesquels il se faut étonner que personne n’ait encore reconnu Barthélemy Prieur, cité par Palissy lui-même), de ses rivaux, de ses continuateurs, apporte bien des rectifications aux erreurs qui ont fait jusqu’ici le fond de sa biographie, et mettent la question sur le vrai terrain de la critique et de la vérité.
Les derniers faïenciers d’Oiron ne sont pas les seuls, dans les provinces de l’Ouest, qui se soient mis à la suite du potier de Saintes; les découvertes de M. Fillon sur ce point, sur les fabriques de la Chapelle-des-Pots, de Brinzambourg, de Fontenay-le-Comte, sur celle établie près d’Apremont par Julien Mauclerc, l’architecte, sur la fontaine et la grotte rustiques du Veillon, le prouvent surabondamment et de la façon la plus péremptoire.
A partir du commencement du XVIIe siècle, le livre s’éparpille davantage, et satisfera d’autant plus les amateurs, curieux surtout de la distinction des fabriques et de la connaissance de leurs marques respectives. Rigné, Thouars, Ardelais, l’Ile-d’Elle, ont donné la vaisselle de terre qui appartient en propre à la province; mais il y ajoute ce que les manufactures de Nantes, de la Rochelle, de Saintes, des Roches, de Bordeaux, de Nevers, de Saint-Vérain et de Rouen; ce que les fabriques des autres pays d’Europe, et même celles de la Chine et du Japon, ont apporté dans la contrée de produits et de modèles, indications d’autant plus précieuses qu’elles font tenir compte de tous les éléments de la question, et que plusieurs des poteries décrites ont été spécialement fabriquées pour des Poitevins.
Les divisions et les enseignements sont les mêmes pour le XVIIIe siècle. Rigné, Poitiers, Chef-Boutonne, Saint-Porchaire, l’Ile-d’Elle, le couvent des Robinières et les poteries révolutionnaires, fournissent le contingent de la faïence, pendant que Vendrennes et Saint-Denis-la-Chevace s’essaient à la porcelaine. Tout en parlant des poteries françaises étrangères à la contrée, M. Fillon profite de l’occasion pour rendre pleine justice à un homme tout à fait considérable, mort dans ce siècle, et trop oublié par lui. Jacques Fourmy, qui est originaire de Nevers, et qui, avant de venir à Paris, a travaillé longtemps à Nantes, est, en effet, par son dévouement à la science, par ses découvertes’ industrielles, dont nous profitons sans lui en savoir gré, le seul nom français digne d’être cité à part, et partant peut être, au point de vue de la chimie et des perfectionnements de la fabrication, le céramiste le plus distingué dont notre pays ait à s’honorer depuis un siècle.
Une étude tout à fait distincte sur l’histoire des verreries du Poitou forme un curieux appendice à l’ouvrage principal. L’auteur y démontre, pièces en main, que la fabrication, commencée au moins au deuxième siècle, sous Trajan ou sous les Antonins, n’y a jamais été depuis interrompue, et, rencontrant sur son chemin la question des gentilshommes verriers, il jette un nouveau jour sur les origines de leur noblesse.
Nous ajouterons, enfin, que le complément naturel d’un travail archéologique ne manque pas plus à ce livre de M. Fillon qu’à ses autres publications. Près de quatre-vingts gravures en bois, représentant des poteries, des verreries, des bas-reliefs, des fontaines rustiques, des marques de fabriques, des fac-simile de signatures, etc., et plusieurs grandes planches sur cuivre, dues à la pointe habile et savante de M. Octave de Rochebrune, complètent les explications du texte.
P. H. D.