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Table des matières

Ce volume est simplement un recueil de notes destiné à ceux qui s’occupent des origines de nos industries nationales. Le désir de leur faire connaître plusieurs documents d’une certaine valeur pour l’histoire de la faïencerie française me le fait publier. C’est l’œuvre d’un numismatiste, étranger à la théorie et à la pratique de l’art de terre, qui, faute de mieux, a tenté d’appliquer les méthodes d’investigation de la numismatique à une matière toute nouvelle pour lui, où il a entrevu autre chose que la satisfaction d’une vaine curiosité. Les vases des tombeaux, qui sont plus spécialement du domaine de l’archéologie, avaient attiré depuis longtemps mon attention. Peu à peu, ils m’ont amené à élever mes regards jusqu’à l’ensemble des produits de la céramique. De là ces nombreuses notes saisies au passage, sans but déterminé, et qui, longtemps oubliées dans un carton, en sont sorties lorsqu’un sujet plus précis d’étude est venu me remettre en mémoire les renseignements que le hasard m’avait apportés. Une circonstance particulière m’a révélé aussi l’importance des poteries, quand il s’agit de noter les stations des courants humains qui ont successivement parcouru la surface de la terre.

Un vase de terre noire mêlée de charbon et modelé à la main, trouvé en 1849 à une grande profondeur, non loin de l’embouchure du Sénégal, me fut montré à Nantes par un capitaine de navire marchand (). Sa forme et son mode de fabrication me parurent rappeler tellement ceux de certaines poteries très anciennes qu’on rencontre parfois en Bas-Poitou, que je crus devoir soumettre au savant polonais Joachim Lelewel le dessin de ce singulier spécimen de l’industrie primitive des nègres. Je lui communiquai, en même temps, certaines idées suggérées par la comparaison des haches et autres instruments de pierre, colliers de coquillages, etc., recueillis dans les anciennes sépultures de nos contrées, avec les objets analogues dont se servent encore les sauvages. La réponse de l’illustre numismatiste ne se fit pas attendre. Elevant la question à la hauteur de son génie, et lui donnant des proportions que j’étais loin de lui attribuer, il s’en servit pour jeter les bases d’un système complet de nouvelles recherches historiques. Comme Palissy à la vue d’une coupe de terre émaillée, il entra en dispute avec sa propre pensée, et se mit en devoir de la formuler dans son style nerveux et imagé.

«Cher ami,

» Je me réservais, dans mon billet du 17, de revenir plus tard sur votre livre (), ma plume déliée.

» des chaînes que lui imposent la géographie, la cartographie () et l’ancienne législation polonaise;

» mais un passage de votre bonne lettre du 14, qui a reçu en partie réponse par le courrier d’hier,

» et un autre du volume (), n’ont cessé, depuis, de remuer l’esprit en moi, pour donner corps à la.

» pensée. Ces feuillets vous portent le condensé de ce travail intime. L’exposé sera bref; vous com

»pléterez ce trop peu, vous qui avez deviné les demi-mots de ma théorie novice, et trouvé le vrai

» et le bon de mes reconstructions hésitantes ().

» Oui, cher ami! oui, vous avez raison de dire que l’étude des armes, bijoux, ustensiles de la vie

» privée de chaque peuple; les lumières de l’art appliquées à la moindre poterie, à la plus petite

» agrafe, aideraient, comme les langues, à la connaissance de l’origine des peuples, de leurs expéditions

» militaires, victoires ou défaites, de leurs relations de commerce. Considérez les effets naturels de

» votre conquête de l’Algérie; elle n’a pas manqué de vous procurer quelque chose de bédouin. Les

» femmes, enfants toujours pris à la nouveauté, font toilette de couleurs arabes; les burnous vont par

» les rues de Paris, de Bruxelles, et votre lointain ne les écarte pas de votre porte. Vos soldats, enfants

» comme les femmes, attirés aux couleurs et bruits à grand fracas, se font algériens par l’habit, qui

» communique à l’emprunteur quelque côté de l’original. Il y a des faits de guerre nouveaux qui,

» par leur férocité, obligent de le croire.

» Les ustensiles, les armes, les bijoux, seront d’un grand secours pour qui s’engagera, Dieu le

» protége! sur le sentier que vous montrez aux hardis et lucides; mais je leur conseille, avec vous,

» de mener d’un pas parallèle l’étude de la poterie, mise au service de l’homme depuis des ans

» innombrables, sans avoir dédain de la plus grossière, qui, étant usitée du peuple, n’en est que plus

» persistante dans ses types. Beaucoup des formes de cette poterie sont de la descendance directe de

» celles des premiers récipients de terre qu’on a imaginé de façonner. Qu’on les classe, les aligne,

» avec l’œil d’un clairvoyant: de cette confrontation naîtront des découvertes que vous et moi,

» rêveurs à la piste, soupçonnons, sans deviner la force expansive de leurs conséquences incalculables

» pour l’histoire, et qui frapperont de mort les rêveries dont s’exerce la sagacité des compositeurs

» de système. La numismatique aura une sœur, qui ne s’était montrée avant ce temps présent, quoique,

» par l’âge de ses monuments, elle puisse compéter l’aînesse.

» Un excellent départ serait de déterminer, d’une soigneuse et exacte manière, les formes usitées

» des peuples sauvages qui ont le moins subi l’influence orientale et européenne. Leur examen com-

» paré fournirait les principes générateurs, et montrerait la marche de l’esprit praticien dans ses

» essais, ses tâtonnements primitifs, ses coups de génie industrieux; car le génie est en celui qui

» invente quelque chose de bon et de propice à la vie. — Toutes les nations ont commencé par la

» sauvagerie; toutes ont opéré sur elles le travail actif du perfectionnement, hâté, ici et ailleurs, par

» l’immixtion du sang et des idées de races plus aptes à ce perfectionnement, qui ont fait, dans la

» série des siècles, office et métier d’instructeurs. Les sauvages de l’âge présent sont les retardataires

» sur le chemin humain, qui, au lieu d’avancer, d’accrocher la main aux meilleurs marcheurs, se

» sont accroupis, lassés, au commencement du voyage, et ont oublié l’instruction acquise, avant

» d’isoler leur faiblesse et paresse. La paresse du sang, les conditions contrariantes du sol, de climat,

» les obscurcissements de cerveau venus de religions barbares, ont été autant d’embarras à leur

» marche, autant de clous pour les ficher immobiles à la place de leur chute. Leurs idées, par suite,

» ont subi la dégénérescence des types nationaux de vos Carlovingiens, immobilisés par le morcelle-

» ment de la féodalité. Ces peuplades isolées, par cela qu’elles ont eu peu de notions d’industrie, ont

» conservé, comme momifié, ce peu dans leur imagination et mémoire, et je vous affirme, mon ami,

» qu’il y a chez elles des profils de vases qui ont une antiquité qu’on ne peut limiter, et qu’il est

» utile de conférer avec les poteries exhumées des tombelles, où dorment pacifiquement les restes des

» anciens habitants de la terre, si remués de leur vivant, comme il est utile de conférer la hache de

» pierre du sauvage avec celle que nous rend de ses couches barbares le sol civilisé. Le pot du

» Sénégal, similaire de la fabrique sauvage pictone, ne conduit-il pas, de l’œil à l’imagination, l’idée

» de la communauté originelle, et du nègre squelette de plusieurs mille ans sous la plaine de la Vendée?

» Ce fait devra prédominer l’observation du squelette et de la poterie des tombeaux. Autant que je

» m’imagine, autant que je puis entrevoir le vrai dans ce qu’il allègue, il produira une belle récolte

» à l’observateur, qui ne bornera pas, à son entour de faits connus, l’âge de la création de l’homme ().

» Voilà, cher ami, par où est le début du déchiffrement du problème que vous posez à un vieil

» homme, lassé d’une route déjà longue pour la faiblesse de ses jambes, et qui voudrait s’asseoir sur

» la bordure du chemin. Vous vous moquez donc de le convier à cette grande course. Allez, allez

» aux jeunes; passez à leurs mains la lanterne allumée. Qu’ils se partagent le travail, le divisent à

» leurs aptitudes: ils arriveront à alligner sur un seul carton, comme un tableau de généalogue, les

» formes céramiques de toute la terre, qui, triées, se réduiront à un nombre très petit de généra-

» trices, s’il n’est pas fait d’abord attention à ce qui n’est que décoratif et mécanique. Les génératrices,

» il sera facile de le constater, ont dû naître de l’imitation du végétal, comme une quantité d’autres

» créations de l’homme, qui reçoit des modèles de la nature chaque fois qu’il veut créer. — Le

» procédé mécanique fera le second chapitre, et ouvrira la porte qui conduit au décoratif, le plus

» étendu des chapitres. Je m’effraie à sonder la grandeur et variété de ce dernier; mais ma vue trop

» faible et les yeux myopes seront fortifiés par la lunette qu’on saura fabriquer à l’usage de ce pays

» inconnu de nous. — Les procédés et types ornementatifs feront autant de sous-chapitres, de petites

» branches de l’arbre généalogique, où le gravé, le modelé en relief, l’estampé, iront peut-être devant

» le coloré, vernissé et émaillé.

» La terre est la bibliothèque de livres encore inconnus, qui attendent les clairvoyants.

» Imaginez le livre qui naîtra de cette étude et connaissance acquise! De vous écrire ce sommaire

» je vois ma chambre se dilater, se remplir de toutes espèces de poteries modelées par les hommes,

» depuis le jour où la main a commencé à façonner l’argile, et, dans ces poteries, je vois les rameaux

» de la race humaine, leurs mariages, déplacements, fusions de branches, notés clairs par une forme,

» un profil, un procédé de fabrique, une couleur, un vernis.

» O cher ami! quel sujet digne d’un bon esprit! Mais, pour oser y entrer, il faut être jeune, riche

» de santé et d’argent, beaucoup artiste, praticien, et, condition première, ne pas faire de ce travail

» le travail systématique d’une idée précréée en son cerveau, le travail d’un seul présomptueux et

» égoïste d’honneurs. — L’exilé, qui n’a rien que les peines et angoisses du cœur, n’est pas l’un des

» marcheurs qu’il convient d’appeler à cette longue pérégrination; il est lié à des œuvres plus courtes.

» Le pauvre n’a pas non plus le temps à lui; le fruit arrive vert et aigre à sa bouche; il ne peut

» attendre le mûrissement de sa pensée.

» A qui fera ce livre, je parle des forts et artistes, vos porcelaines de Sèvres, que votre France aime

» d’extravagance, donneront pitié. Fondée sous Louis XV, la fabrique a gardé le petit type de tous

» les produits de ce règne de la débauche; l’art et le goût des ouvriers ont le virus de cette prove-

» nance basse et malade. La porcelaine et la faïence n’ont pas été travaillées chez vous par le génie

» décoratif depuis deux siècles. La Révolution pouvait engendrer un nouvel art: le bourgeois, vic-

» torieux par elle, lui a retenu les façons médiocres de son jugement. — De taureau qu’il était en

» 1793, David, chef d’école républicaine, est tombé bœuf sous la main énervante de Napoléon, et l’art

» qu’il dirigeait, a perdu son nerf, qu’un autre David (), l’honneur de ce temps, a rendu à la statuaire.

» Deux choses sont à considérer pour les porcelainiers et faïenciers: la forme et la couleur, éléments

» constitutifs des ouvrages naturels. Leur art a cette mission de marier les deux, de couvrir les belles

» formes de belles couleurs, sobres ou éclatantes. Les vases grecs et chinois, japonais, persans, de toute

» l’Inde, sont les bons modèles de chacune de ces méthodes. Homme moderne, j’ai honte quand je vois

» vos ouvriers, et ceux de l’Europe derrière eux, se donner des indigestions de pensées, à imiter les

» bouquets de la robe de la Pompadour, ou à copier fadaisement, avec des couleurs fausses comme

» les cordes du violon de la rue, des tableaux incopiables avec les procédés du feu et le but décoratif.

» Le Grec et le vieux Chinois étaient, par le goût, des artistes nés au vrai; vos Sévriens, Parisiens,

» Limousins, et plus les Anglais et Saxons, sont des colorieurs que condamnera la postérité des bons

» juges, parce qu’ils ont l’habileté et pas le génie du métier.

» Ma lettre était écrite, mon ami; les biffures m’ont obligé de la copier, voulant être lu et compris

» de vous. Un de mes amis polonais a poli les infractions de ma langue française. Fatigué, je vous

» quitte et vous dis de penser à votre tout dévoué de cœur.

» LELEWEL.

» Bruxelles, 22 juillet 1850.

» P. S. — Le paquet emballé hier, et parti sous votre adresse, vous porte le salut de l’ami qui se

» sent poussé avec impétuosité d’affection vers vous. Voyez, lisez, méditez, pesez ma Géographie du

» moyen âge, produit des travaux de ma jeunesse et de l’âge avancé, et marquez ce qu’elle vous a

» appris.» (V. les Lettres écrites de la Vendée à M. A. de Montaiglon; 1861, p. 105.)

L’exécution du plan esquissé par Lelewel conduirait, sans nul doute, à des résultats de la plus haute portée; mais elle offre présentement des difficultés de plus d’un genre. Non-seulement on n’a pas encore de notions précises sur les formes successivement données aux vases de terre dans chaque pays, mais la langue elle-même manque souvent de termes pour exprimer toutes les manières d’être des produits si simples qu’il s’agit d’étudier. C’est aux fines vues et aux esprits classificateurs à s’exercer sur ce sujet. La connaissance des poteries est la pierre angulaire de l’archéologie; c’est sans doute pour cela qu’elle est si peu avancée. Le sort de toutes les sciences est de n’aborder qu’en dernier lieu le point auquel elles auraient dû s’attaquer avant tout.

En présence d’un pareil état de choses, il ne faut donc pas embrasser d’aussi vastes horizons, et se contenter, pour le moment, de consigner, dans de simples monographies, les faits révélés par les découvertes opérées sur des coins de terre plus ou moins circonscrits. Tel est le but que je me suis proposé dans les études suivantes. L’une est consacrée à l’art de terre en Poitou; l’autre à la fabrication du verre dans la même contrée, depuis l’époque romaine jusqu’à la Révolution de 89. Mais, avant de nous enfermer dans les limites d’une province, jetons d’abord un coup d’œil sur l’ensemble de notre céramique nationale.

L'art de terre chez les Poitevins

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