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II

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Ce qui frappe surtout, lorsqu’on examine les plus anciens vases trouvés sur la surface entière de la France, c’est bien moins leur caractère de simplicité native, propre aux œuvres des époques d’enfance intellectuelle, sous toutes les latitudes et dans tous les pays, que la singulière uniformité de lignes qu’ils présentent, sans exception, soit qu’ils viennent de la base des Alpes ou des bords du Rhin, soit du fond du Morbihan, des campagnes du Berry ou de celles de la Vendée. Plus tard, avec des procédés de fabrication moins grossiers, la variété se produit dans les formes. Chaque fraction du sol, tout en maintenant l’unité des types généraux, caractérise son individualité par certaines courbes, par certains détails qui lui deviennent propres. — Ce point une fois établi, un second problème vient se poser devant nous. Tel vase, trouvé à vingt pieds sous terre, comme nous l’avons vu il y a un instant, sur les rives du Sénégal, a ses analogues en bas Poitou. Tel autre, extrait des sépultures d’Availles-sur-Chizé (Deux-Sèvres) (). a non-seulement des formes identiques à celles que présentent les poteries des vieilles peuplades de l’Amérique du Nord, mais il porte encore leur décoration extérieure, qui ressemble au tatouage de la face du Kanak des îles Marquises. (V. plus loin, p. 8.)

J’ignore quelles conclusions définitives la science tirera tôt ou tard de ces faits, qui se reproduisent dans presque toutes les régions du globe; mais il me semble qu’il en ressort dès aujourd’hui la preuve que les hommes ont vécu d’abord par bandes nomades, à la façon de certaines espèces d’animaux unies entre elles par l’instinct de la sociabilité, et ont été parqués alors dans d’immenses étendues, circonscrites par des limites naturelles, mers, fleuves ou montagnes. Ce n’est que beaucoup plus tard qu’ils se sont fractionnés par clans, tribus ou peuplades, en s’attachant au sol. Puis sont survenus les révolutions intestines, nées surtout de ce second état social, les cataclysmes qui ont modifié les continents, les migrations, les éclosions, sous certaines conditions de température, de races plus intelligentes, qui ont refoulé leurs devancières vers les régions demeurées jusques-là désertes, où celles-ci se sont immobilisées dans la barbarie, tandis qu’elles mêmes marchaient vers la civilisation. La ressemblance si frappante des décors des vases d’Availles avec le tatouage des insulaires de l’Océan Pacifique n’indique-t-il pas, par exemple, que le peuple auquel on les doit se couvrait la peau de dessins tracés à la pointe? Mais, comme ces monuments appartiennent à un âge antérieur à celui où commencent les annales historiques de la Gaule, cela m’empêche d’en conclure, avec quelques archéologues, que les Celtes avaient conservé, presque jusqu’à la conquête romaine, cette parure barbare. Le peuple qui faisait, à cette époque, des copies si intelligentes des monnaies grecques, qui avait des dogmes religieux aussi épurés que ceux enseignés dans le sanctuaire du chêne, ce peuple ne se parait certainement pas, en même temps, des grossiers attributs de la sauvagerie. On donne, de la sorte, à une race très avancée en civilisation et originaire du centre de l’Asie, les usages d’une autre race plus ancienne, dont le berceau, qu’il faut aller chercher au delà de la tradition biblique, fut tout à fait différent du sien. Peut-être, en s’assimilant les débris de celle-ci, les Celtes avaient-ils momentanément adopté quelques-unes de ses coutumes; mais ils s’étaient, à coup sûr débarrassés bien vite de ce qui n’était pas dans l’esprit de leur nation. J’ajouterai de plus que l’alluvion humaine, qui nous a légué les poteries en question, a été précédée elle-même sur notre sol, par d’autres hommes encore plus imparfaits, de qui nous viennent les tessons contemporains de ces premiers instruments de pierre dont l’origine se perd dans la nuit des siècles. — L’énigme proposée par le sphinx aposté à l’entrée de Thèbes n’était pas un vain jeu d’esprit; c’était, au contraire, un résumé saisissant et profond des destinées du genre humain sur la terre. Elle le montrait adonné d’abord aux instincts grossiers de la bête, s’élevant ensuite par l’intelligence vers des notions plus hautes, et se faisant enfin un appui de la science pour dompter la matière rebelle et sans cesse en lutte contre lui.

L’introduction de l’élément décoratif accentua de plus en plus la variété dans les poteries. C’est ce qui fait que celles de la période celtique peuvent être soumises à une classification régulière, et qu’on en est déjà arrivé à ne plus confondre un vase sorti du fond des lacs de la Suisse avec un autre exhumé des sépultures de la Normandie. La conquête de César, en romanisant la Gaule, soumit au contraire la céramique à l’uniformité, qu’elle imposa simultanément à tous les arts, à toutes les industries; mais elle ne put toutefois lui enlever un certain cachet originel, très accentué surtout dans la vaisselle populaire. Devenu presque romain par l’habit, par les mœurs, par le langage, le Gaulois se ressouvenait de son origine celtique, en portant chaque jour à ses lèvres la coupe traditionnelle, dont il tenait le galbe de ses pères.

La dissolution de l’empire amena, avec les barbares, des imitations de leurs poteries, que l’invasion de la Gaule par les Germains fit bientôt passer à l’état de copies serviles, en même temps qu’elle produisit de nouveau la variété des types. Les différences notables qu’on remarque dans les produits de la céramique de cette époque, aussi bien que dans ceux de sa bijouterie, ne sont pas sans intérêt pour la géographie et l’histoire; car la comparaison de ces produits avec ceux que nous fournissent les tombeaux de la Germanie, de la Bretagne et de la Scandinavie, aide à constater l’origine des hordes d’aventuriers, qui sont venues s’abattre sur tel ou tel point de notre sol. Les types des vases et des bijoux recueillis en Poitou ont, par exemple, deux provenances. Les uns, répandus sur les côtes, semblent avoir été importés par eau des rivages de la mer du Nord; les autres, être arrivés des régions comprises entre le Weser, la Lippe et le Rhin. Les spécimens des VIIIe et IXe siècles fournissent des indications non moins précises, témoin le vase funéraire décrit plus loin, à la page 44, qui porte le nom du pirate Oca. C’est alors que disparaissent les derniers restes de la tradition romaine, pour faire place aux premiers essais d’un art nouveau, né au milieu des angoisses d’un enfer terrestre. Il lui fallut des centaines d’années pour prendre corps, comprimé qu’il fut sous la main de fer du régime féodal.

Organisée dans un but d’assurance mutuelle et réciproque contre l’invasion normande, la féodalité dégénéra bientôt en tyrannie infâme. «Le danger passé, la société se trouva vivante, mais garrottée, énervée, abrutie, coupée en morceaux.» Tout sombra à la fois: l’art, la littérature, les mœurs, les lois, l’industrie. Plus de voies directes de communication; celles léguées par l’administration romaine, et qu’avaient entretenues, tant bien que mal, les rois francs, furent systématiquement abandonnées, livrées à la charrue ou coupées de barres et d’embuscades pour rançonner les passants. Une législation féroce, basée sur le caprice du fort, fut adaptée à chaque lambeau du territoire. Non rassasiés d’avoir fait autant d’officines de faux monnayeurs des ateliers d’où étaient jusque-là sorties des espèces métalliques d’une valeur loyale, les barons laïques et ecclésiastiques fabriquèrent des poids et des mesures arbitraires pour voler leurs sujets. Les instincts brutaux des premiers âges du monde furent dépassés: Caïn se contenta d’assommer Abel; il ne le saigna pas aux quatre membres, au son de la lugubre psalmodie du chant grégorien.

La poterie née de ces temps est digne d’eux en tout point (950-1240). C’est en vain qu’on montre à nos yeux l’architecture des cloîtres, des cathédrales, des châteaux forts bâtis pendant leur cours; l’obole de cuivre blanchi et le grossier tesson qu’on trouve à leurs pieds les feront toujours reléguer parmi les plus horribles périodes qui aient pesé sur le monde. Mais ce qui donne la mesure de l’incroyable éparpillement produit par un pareil ordre social, c’est l’immense quantité de sous-variétés d’un nombre très restreint de types de poteries qui se produisit alors. Chaque petite région eut formes de vase, des guillochures qui lui appartinrent en propre, absolument comme elle eut son monnayage spécial, ses poids, ses mesures, sa coutume. Un seul point de contact unit entre eux ces produits de la misère: c’est leur incomparable laideur à tous, laideur que l’Orient put à grand’peine amoindrir en révélant ses beautés à la France.

Le règne de Louis IX, qui fut comme une éclaircie dans le sombre moyen-âge, semble n’avoir pas été non plus stérile pour la céramique. Il est peu probable, en effet, que la grande urne et le plat gravés aux numéros 18 et 19 de la planche des Poteries poitevines, exécutés pendant la seconde moitié du XIIIe siècle, soient les produits d’une fabrication isolée. Les pavés émaillés sont d’ailleurs là pour témoigner en faveur d’un premier et noble effort vers une renaissance de l’art de terre. Ce qu’il y a de certain, dans tous les cas, c’est qu’il y eut amélioration notoire dans les procédés de fabrication; c’est que nos poteries eurent, à partir de ce moment, plus d’homogénéité dans leur ensemble, tendance que la marche des événements ne fit que développer pendant les XIVe et XVe siècles. Aussi, lorsque, arrivé aux portes du XVIe, on regarde derrière soi, on se trouve en présence de nombreux éléments artistiques tout prêts à être mis en œuvre par une génération d’ouvriers habiles, dont l’imagination s’est éveillée à la vue des faïences italiennes.

La Renaissance donna à la céramique française la secousse électrique, qui la fit revenir complètement à la vie et lui permit de mêler sa voix au concert joyeux que toutes les branches de l’activité humaine entonnaient en chœur, concert sublime, dont les lointains échos rafraîchissent encore nos âmes attristées — Voyez s’avancer, l’enthousiasme au cœur et dans les yeux, la phalange de ses adeptes. Voici venir Jean Bernart et François Cherpentier, les faïenciers d’Oiron; les auteurs rouennais anonymes des pavés émaillés d’Ecouen; les potiers de Beauvais, si peu connus et pourtant si dignes de l’être; voici François Briot, présentant à la postérité les épreuves émaillées de ses admirables pièces d’orfévrerie; voici enfin Bernard Palissy, le Songe de Polyphile à la main, suivi du cortége de ses imitateurs et des nombreuses corporations de nos émailleurs et de nos verriers, qui réclament, aussi elles, leur place au soleil. Partout la terre cuite rivalise avec les métaux précieux et les gemmes dans la décoration des dressoirs et des autels; partout elle occupe la place d’honneur sur la table des élus de la richesse. Sur la façade des palais, elle détrône le marbre et la pierre. Déprimé par le régime féodal, -l’art n’avait longtemps pu produire que des œuvres rabougries ou lourdement trapues, remplacées plus tard par ces créations pulmoniques, où tout pousse étique et grêle, comme les plantes avides de soleil qui végètent entre quatre hauts murs. Libre maintenant de ses chaînes, il respire à pleine poitrine et s’en donne à cœur joie!

Après les maîtres du XVIe siècle arrivent, avec le XVIIe, les faïenciers de Nevers, ceux de Rouen, d’Avignon, de Moustiers, et d’autres encore, que l’étranger nous envie. Puis surgissent, à leur tour, nos porcelainiers, qui vont prendre bientôt le premier rang dans la fabrication européenne.

Si la poterie des siècles antérieurs au XVIe est l’expression fidèle de l’état social qui l’a produite, il en est encore ainsi de celle qui a vu le jour depuis Louis XII jusqu’à la Révolution. Sous la Renaissance, elle témoigne de la même exubérance de sève, de la même tendance vers le neuf et l’imprévu que les autres œuvres de l’esprit humain. Quelques retardataires provinciaux, à la solde des grands seigneurs, ont encore, il est vrai, des ressouvenirs du gothique. Tandis que Jean Pelerin réagit, l’un des premiers, dans sa Perspective artificielle, contre les traditions du moyen-âge; à petite distance de son bourg natal, les faïenciers d’Oiron s’en font les timides prôneurs. C’est, comme toujours, la voix du passé qui jette à l’avenir sa protestation inécoutée:

Le XVIIe siècle a d’autres allures. L’imagination est moins vive, les couleurs sont plus ternes, les lignes plus compassées. Le relief a disparu pour faire place aux caprices de l’arabesque découpée en appareils gymnastiques par Boulle et par Bérain. Tout cela n’est pas d’un goût parfait et sent fort la mise en scène; mais il y a néanmoins quelque chose de net, de précis, de fièrement campé dans ces caprices, qui sont loin de déplaire, surtout lorsqu’ils nous apparaissent, au début du siècle suivant, sur l’élégante vaisselle de Moustier. Mes préférences sont néanmoins pour les décors du rouen, conçu dans une donnée plus large et mieux nourrie. Le nevers, sauf dans les pièces inspirées du persan, a des crudités qui déplaisent.

Au XVIII6 siècle, la faïence perd encore de la fermeté de son caractère originel. Les ornements qui ne se sont, le plus souvent, tenus entre eux, depuis le milieu du règne de Louis XIV, que par des artifices d’équilibre plus ou moins heureux, finissent par s’en aller en pièces, à l’instar de la société qui les inspire. Le niveau de l’art français baisse avec le niveau moral. De Watteau à Baudouin, en passant par Boucher, la distance est grande. Watteau s’était contenté d’introduire dans le Jardin d’amour de Rubens ses gracieuses poupées et d’y faire scintiller leur regard empourpré ; Boucher désosse ses donzelles pour qu’elles soient d’un «ragoût surperfin» ; Baudouin, Fragonard et leurs pareils, trouvant ce nud-là trop pudique, vont se plaire au retroussé. La décoration des poteries marche à l’unisson. Encore pourvue d’un reste de vigueur sous la régence, le règne des courtisanes la fait se délayer. Alors surgissent les bouquets jetés et toute l’ornementation petiote et pimpante «empruntée à la robe de madame de Pompadour». Ce n’est pas aux faïenciers, aux porcelainiers qu’il faut en faire le principal reproche. Les malheureux subissent le sort de tous les ouvriers qui travaillent pour le publie: ils sont à la merci de ses caprices. — Autre symptôme non moins caractéristique. Jusque-là chacune des manufactures avait conservé son caractère propre. Il était impossible de confondre ses productions avec celles de ses rivales; les contrefaçons même qui en avaient été faites n’avaient pas eu la prétention de donner le change aux acheteurs, tandis que, à dater des vingt dernières années du règne de Louis XV, les poteries du royaume entier commencent à revêtir une livrée commune. L’unité se fait dans les tendances: des types généraux courent tous les ateliers. Un esprit original sort-il des voies battues, vite on se met à copier sa manière. Ainsi fait-on des faïences émaillées de Joseph Hannong, qui sont contrefaites d’un bout du royaume à l’autre. Qu’on juge par là de la difficulté pour le collectionneur d’opérer un triage dans un pareil chaos. Il n’a pas autre chose à faire que de déterminer simplement le caractère propre, le style de chaque chef de file, sauf à porter ensuite son attention sur les satellites qui ont gravité autour de lui.

Au milieu de ces innombrables productions, où la fantaisie joue un si grand rôle, le critique le plus rigide se sent pourtant presque désarmé par l’exquise délicatesse apportée à l’exécution de beaucoup d’entre elles. Eût-il accordé ses sympathies aux honnêtes et saines peintures de Chardin; eût-il, par conséquent, des admirations fort attiédies pour le rococo transporté dans la céramique, lors même qu’il sort de l’officine des bons faiseurs, il ne peut du moins lui contester son fumet épicé. L’art aristocratique, sur le retour, s’est fait grivois; las des robes à paniers, il s’est mis à fripper le jupon de la jeune bouquetière. Il se permet, l’insensé, ces quarts d’heure de vingt ans, si préjudiciables aux vieillards, et qui les rendent idiots pour le reste de leurs jours. — Le rococo énervé subit le sort commun; il ne tarda pas à déchoir dans le style Louis XVI, dont le goût public eut beaucoup de mal à se débarrasser, parce que ses infiltrations avaient pénétré d’autant plus avant qu’il était le résultat d’une décomposition plus grande. Les ébullitions terrribles de la Révolution, qui ont rejeté, comme de l’écume, tant de loques et vieilleries, ne firent que le lessiver, et le rendirent tout au plus assez malléable pour permettre aux porcelainiers de l’Empire d’en faire leur profit, en le moulant à l’antique. Mais, avant que ce trait d’union factice se fût établi entre les deux monarchies, éclata une immense crise sociale, qui a creusé son sillon dans la céramique.

Il y aurait tout un livre à faire sur les poteries de la fin du XVIIIe siècle, si fortement marquées au coin de l’époque. M. Champfleury s’est chargé de ce soin. Mieux que personne, il saura tirer parti du sujet et compléter l’œuvre de Jules Renouvier, ce noble cœur qui a mis au service des idées modernes la saine érudition d’un archéologue de la bonne école, vivifiée par un sentiment de l’art très délicat (). L’intelligent écrivain n’aura pas de peine à démontrer qu’il serait absurde de demander à ces poteries les qualités de celles des temps de paix. La Révolution créa des sujets d’épopée, et laissa le soin de les écrire aux générations futures, qu’elle émancipa au prix du sang de ses premiers apôtres. L’utile le nécessaire, absorbèrent trop sa pensée pour qu’elle ait eu le loisir de songer à l’agréable; Fourmy reçut ses inspirations, tandis que les charmants décorateurs de Sèvres furent négligés d’elle. D’ailleurs, la rénovation artistique qu’elle fit surgir resta dans les hautes régions de la peinture et de la gravure, et ne put pénétrer dans l’industrie qu’après de longues années de crise. Elle ne s’y fit malheureusement sentir qu’au moment où la décadence de l’école républicaine arrivait à grands pas sous le despotisme impérial. L’énergie des sentiments patriotiques que reflète la vaisselle populaire la rend donc surtout digne de l’attention des chercheurs qu’anime une idée philosophique, et, par contre-coup, la fait peu propre à figurer sur les étagères vulgaires, spécialement réservées aux gentillesses du rocaille. Les seules pièces soi-disant républicaines, admises dans ces élégants laraires, sont les affreux brocs de tavernes, salis de sujets obscènes et de grossièretés du Père-Duchesne, qui ont eu de si nombreux analogues sous la monarchie, et qu’un certain monde s’obstine niaisement à croire sortis du mobilier des grands révolutionnaires, dont les fières images nous ont été léguées par Prudhon et par David.

Les faïences et les porcelaines du Directoire et du Consulat ne valent pas la peine qu’on s’y arrête. Les terres cuites et les biscuits de divers artistes, entre autres ceux de Clodion, qui fit avec les vignettes de Saint-Aubin de la sculpture à l’avenant, ont pourtant une valeur relative, qu’on ne saurait méconnaître. Après le concordat, la céramique, déjà gagnée à la réaction, lui prêta un secours très actif. Il parut alors un petit bas-relief rond, de terre rouge, de la grandeur des médaillons de Nini, où se voyait la religion catholique, une croix à la main, couvrant la France de son manteau, et foulant aux pieds le bonnet de la liberté et le niveau égalitaire (). C’était le temps où Greuze employait les derniers efforts de sa main octogénaire à esquisser le Retour du baron (), comme si le peintre de la bourgeoisie du XVIIIe siècle eût pressenti que le premier consul allait bientôt recruter la féodalité impériale parmi ses anciens modèles.

La réaction grandissait d’années en années. Si éphémère qu’elle fut en réalité, elle inquiétait David, devenu baron et premier peintre de S. M. l’Empereur et Roi. N’ayant plus foi ni en lui ni dans l’avenir, il sentait son école menacée. On ne descend jamais impunément de l’idéal passé pour se faire le serviteur du fait contraire. L’art moderne, qui s’était affirmé sous la République, perdait toute virtualité en s’abaissant vers la servitude. Il s’efforçait en vain de poétiser le singulier tricorne et l’habit étriqué du personnage de la légende militaire, qui seront une révélation pour les hommes de goût des siècles à venir. Ils le verront tel qu’il était durant sa vie, enserré dans son égoïsme comme dans un étui.

Une impitoyable logique régla, du reste, la marche des phases successives de cette réaction tentée, depuis le 9 thermidor, contre l’esprit révolutionnaire. Toutes, elles eurent des résultats non moins médiocres dans les régions où nous sommes entrés que dans l’ordre politique. L’Empire, qui essaya de résouder, avec le fer et le plomb, les membres dispersés du monde romain, l’Empire ne put engendrer qu’un pastiche sec et dur de l’art officiel des Césars, appliqué en marqueterie sur celui de la vieille royauté. La restauration des superficies du catholicisme, par Bonald, Chateaubriand et leur école, ne fut pas plus féconde, puisqu’elle n’a abouti qu’à un pastiche tout aussi plat de l’art gothique. Qu’en est-il résulté pour la céramique, en dehors des produits de Sèvres, dont l’importance est considérable, mais qui ont eu bien peu d’influence sur ceux de l’industrie privée? D’abord, des copies défigurées des vases grecs; plus tard, des pièces de surtout, des pots à cornichons et des veilleuses imités, en style troubadour, des donjons de l’ère féodale et de ses chapelles; depuis 1849, cette averse de fétiches de la Salette et d’ignorantins de porcelaine, moulés en éteignoirs, qui tire heureusement vers sa fin. Quelques esprits distingués ont bien voulu réagir, à leur tour, contre ces courants morbides; mais, eux aussi, ils n’ont pu s’élever au-dessus des imitations plus ou moins réussies. L’un des associés de Fourmy remonta aux formes pures des poteries antiques, qu’il osa couvrir de couleurs moins sombres; Ziégler donna au grès des décorations indifféremment prises au roman des églises, aux arabesques de l’Alhambra, à la haie des vergers rustiques; d’autres ont demandé tour à tour des modèles à l’Italie, à l’Inde, au Japon, à la Chine. Sous Louis-Philippe, on créa ce style renaissance empâté et touffu, où s’évertuent les détails comme les mèches bouclées dans les papillotes féminines et dans le toupet royal.

Donc rien n’a été fait en dehors du pastiche. Comment pourrait-il en être autrement, d’ailleurs, quand on voit encore aujourd’hui M. Ingres, ce sculpteur d’un goût si pur, qui a saisi, par mégarde, les instruments du peintre, prêcher en tout lieu ce déplorable exemple; quand M. Viollet-Leduc dissipe son incontestable talent d’architecte et d’écrivain à faire rendre à la végétation gothique un si pauvre regain? Rude, David d’Angers, Delacroix, Scheffer, Henriquel-Dupont, ces individualités puissantes, qui ne relèvent que d’elles-mêmes, sont demeurées isolées et n’ont pu faire école.

De nos jours, ceux qui ont érigé la fabrication du pastiche en métier ne respectent pas plus les belles et grandes choses que les médiocres et les petites. On les voit distribuer à la foule des caricatures de l’Antique et de la Renaissance, des chinoiseries frelatées, des surmoulés du rocaille, sans parler des mièvreries du style néo-grec, qui consiste à revêtir les statuettes du vieux-saxe de la tunique et du peplum. L’art, dévoyé, sceptique, livré aux préoccupations mercantiles, cherche en vain sa voie dans les ténèbres, et se partage entre la boucherie humaine et les évolutions libertines de la lorette qui profite de l’absence du sergent de ville pour prendre un bain de mer.

Il est difficile de dire où s’arrêtera ce dévergondage si quelque talent vigoureux ne se met à la traverse. Mais, pour cela, il faut que la France, rendue à elle-même et revenue à ses tendances natives, puisse se recueillir dans la liberté. Alors le génie de l’invention s’agitera en elle et la rendra féconde.

L'art de terre chez les Poitevins

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