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III

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Nul ne peut présentement indiquer l’heure du réveil. En attendant qu’elle sonne, je ne saurais répéter, après tant d’autres, aux artistes: «Revenez au passé ; couvrez la dépouille de Delacroix du tombeau de Scipion.» Je leur dirai plutôt: «Allez au neuf; inspirez-vous des idées modernes; étudiez, admirez les maîtres; mais, en vivant dans une communion trop intime avec eux, n’abdiquez pas votre originalité devant les rayons de leur gloire.» Au sortir de la contemplation des œuvres du divin Marc-Antoine, Rembrandt, le cœur ému et non amoindri, allait faire éclater des traînées lumineuses à travers les ombres tragiques du réduit de Faust; Poussin, en quête des fortes expressions, ne conservait de ses études d’après les dessins de Jules Romain que ce rictus douloureux, qui imprime à ses personnages le cachet de la scène antique. Ces exemples ne peuvent-ils donc être suivis? S’imaginer d’ailleurs que les limites de l’art ont été atteintes par la Grèce païenne, par l’Italie à peine échappée au moyen-âge, est une faiblesse de l’âme (). La nature a les mains pleines de trésors encore vierges à dispenser à ceux qui se tourneront vers elle avec intelligence, avec amour, et qui auront en eux la dignité du citoyen. Elle est de glace pour les esprits serviles.

La céramique ne sortira pas non plus de l’ornière tant que le jour ne se sera pas fait. Elle n’en sortira qu’à la condition d’abandonner les chemins battus où se traîne sa denrée commerciale. Pour en arriver là , il faut qu’elle se préoccupe d’abord de son vrai but, l’UTILITÉ SOCIALE, et ensuite de la forme qui lui est inhérente. SIMPLICITÉ, FORCE, ÉLÉGANCE, sont les principes fondamentaux sur lesquels doivent reposer ses créations. Tout ce qui est en dehors, d’eux doit être impitoyablement écarté. Tant que les contours des vases ne seront pas nets et serrés, tant qu’ils seront entachés de mollesse et flotteront entre le genre néo-grec et cette putréfaction de l’art qu’on nomme style Louis XVI, ils ne s’élèveront pas au-dessus de la médiocrité. Le caprice peut enfanter parfois des combinaisons faites pour plaire aux yeux d’un public oisif et frivole; mais il est rare que la saine critique les accepte. Mieux vaudrait, à la rigueur, les sècheresses de l’archaïsme que les écarts d’une imagination stérile, qui glane dans les champs du mauvais goût ou de la banalité. Le céramiste se préoccuperait du moins de la ligne, et, le jour où il ne serait plus à la remorque du passé, il aurait un sentiment épuré de la forme.

Dans l’ordre décoratif, même réforme à introduire. «Deux choses, a dit Lelewel, sont à considérer pour les faïenciers et porcelainiers, la forme et la couleur, éléments constitutifs des ouvrages naturels. Leur art a cette mission de marier les deux; de couvrir les belles formes de belles couleurs, sobres ou éclatantes.» La céramique, sœur de l’architecture, a souvent besoin du concours de la sculpture et de la peinture pour compléter ses œuvres. De leur juste pondération naît la perfection dans l’art de terre. Il faut donc que le sculpteur et le peintre, appelés à décorer un vase, n’empiètent pas sur les attributions du potier et sachent se renfermer dans les limites d’une fraternité bien entendue. Les surfaces qu’on leur confie sont circonscrites de lignes qu’ils n’ont pas créées et que leurs décors ont pour but de faire valoir. Rien n’est, par conséquent, plus absurde que d’incruster entre ces lignes des bas-reliefs sans liaison avec elles, ou d’en faire la bordure de copies de tableaux. L’unité est la qualité essentielle des productions de la céramique, depuis le vase gigantesque qu’on destine aux splendeurs du Louvre jusqu’à l’humble assiette de faïence qui paraîtra sur la table du paysan.

C’est à la poterie usuelle qu’il faut surtout songer; car le but définitif de la céramique n’est pas tant de produire des pièces exceptionnelles, d’un prix énorme, que de livrer à tous les citoyens une poterie qui soit à la fois salubre, artistique, solide, d’un usage commode, à bon marché. Celui qui résoudra ce problème aura droit à la reconnaissance publique. La manufacture de Sèvres, placée dans des conditions si favorables pour faire des expériences utiles, devrait prendre l’initiative de cette rénovation de la vaisselle populaire. L’entreprise est digne de tenter les hommes éminents qui la dirigent. Elle porterait, si je ne me trompe, ses essais sur la faïence, moins dispendieuse que la porcelaine, et tout aussi propre à recevoir des formes simples et belles, relevées de couleurs aux tons plus mâles et plus francs. Les vases les plus modestes ne sont pas indignes de l’attention de l’art. Pourquoi la buie d’évier du laboureur de notre temps n’aurait-elle pas le même privilége que la coupe du pâtre de la Grèce antique? Il suffirait au besoin, pour cet ordre de vases, qu’il fù̀t enduit d’un émail jaspé ou monochrome. Le vert, par exemple, lui sied à ravir. Ce fut jadis la couleur que la France étendit avec prédilection sur ses poteries, couleur inspirée des verdures éclatantes de ses prairies et de ses forêts. Sans rivale aux XIVe et XVe siècles, elle arriva au XVIe à une intensité qui n’a pas été dépassée. Qu’on essaie de l’employer par couches épaisses, en la mariant parfois soit à des arabesques noires, largement comprises, soit à d’autres décors chaudement nuancés, qui marqueront, dans ce cas, la note la plus haute: on obtiendra de la sorte, et au moyen d’une foule d’autres combinaisons, des effets d’une originalité imprévue, sans que l’œuvre du potier s’écarte de la tradition et du sentiment français. La vaisselle de terre est, du reste, le reflet des couleurs dominantes de chaque contrée. L’Orient a versé à pleines mains sur la sienne les richesses violentes, mais harmonieuses, de sa flore et de sa faune; l’Espagne moresque, l’azur de son ciel, marié à l’or des sables africains ou bien aux teintes métalliques de ses roches calcinées; la France, plus placide sous sa robe de verdure, qui elle aussi possède sa pénétrante beauté, la France a revêtu de vert ses poteries. Quant à l’Angleterre, la patrie du mauvais goût, elle y a mis le froid coloris de son sol, entrevu à travers les brouillards qui le pâlissent encore.

L'art de terre chez les Poitevins

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