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II

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Table des matières

Durant cette journée laborieuse, on a pu voir souvent Gwen, la cuisinière, et Sarah, la brave servante, en robes lilas et en tabliers blancs, gravir péniblement la colline pour porter de la bière aux faneurs dans tous les pots de grès, de verre ou d’étain que Glan-yr-Afon a pu fournir. Peu à peu, ces enfants de la nature deviennent un peu vacillants sur leurs jambes, et lorsqu’ils amènent le chariot à la dernière meule sur laquelle trône leur jeune maîtresse, je ne répondrais pas qu’il ne s’offrît à leurs yeux deux meules et deux Esthers. Celle-ci, bien qu’accoutumée depuis longtemps à ce qui est la condition normale d’un bon Gallois, se lève précipitamment à leur vue et descend, en courant avec légèreté, le sentier de la colline, malgré ses gros souliers de campagne qui détient les pierres roulant sur ce sol calcaire.

Sarah l’arrête au passage et l’avertit que M. Brandon l’attend depuis longtemps dans le salon. Au bout d’une demi-heure de conversation, ils y sont encore en tête-à-tête. Il est sept heures, l’heure du dîner des Craven. Voulez-vous savoir ce que M. Brandon a de si long à dire, et si cela vaut la peine de retarder le dîner de miss Craven?

Nous sommes dans une petite pièce située au couchant, éclairée par les derniers rayons du soleil et embaumée par l’odeur des roses thé qui grimpent à l’extérieur. Sur le mur de la chambre s’étend un papier à fond clair, parsemé de petits bouquets de fleurs; aux fenêtres sont des rideaux de mousseline blanche; tout cet ensemble a un aspect propre et frais comme celui d’une maison où il n’y a pas d’enfants pour chiffonner les housses et déranger les meubles.

Dans un coin de ce petit salon, nous voyons une jeune personne, la rougeur au visage. Elle paraît s’y être retranchée à cause d’un jeune homme, qui est là debout et encore plus rouge qu’elle. Au premier abord, vous donneriez à ce jeune homme au moins six pieds de taille, mais placez-le le dos au mur, la tête droite, les talons rapprochés, et vous trouverez que s’il n’a pas six pieds il a encore dix centimètres de trop pour un homme qui veut faire son chemin dans le monde et trouver des chevaux capables de le porter. Ses habits sont un peu usés et il ne paraît pas riche, mais, depuis la pointe des cheveux jusqu’à celle de ses gros souliers, c’est un gentleman, sans être un grand seigneur. Ses traits sont ceux d’Apollon ou d’Apollyon, autant que vous en pouvez juger au milieu de cette forêt de cheveux blonds; mais les larmes semblent bien près de ses yeux, purs comme ceux d’un enfant de trois ans et bleus comme le ciel entre des nuées d’orage.

–Est-ce que vous ne croyez pas que nous ferions mieux de rester comme nous sommes? lui demande timidement la jeune lille.

–Je n’en sais rien quant à vous, répondit-il tristement; mais, pour moi, je sais que j’ai perdu quinze livres depuis l’année dernière.)

Esther se met à rire:

–Il vous en reste encore assez, dit-elle en regardant avec malice la large carrure du jeune amoureux.

Ceci vous explique pourquoi le rôti de mouton est à demi brûlé. Le jeune homme est venu lui offrir son cœur et sa main: il lui a proposé de mettre en commun les trois mille francs de sa paye (la solde exorbitante d’un lieutenant d’infanterie), sa vieille montre de chasse, son beau chien d’arrêt et elle a refusé toutes ces offres brillantes. Sur le cadran de la pendule dorée qui représente une Minerve, l’aiguille a marché de six heures trente minutes à sept heures cinq minutes, et, durant ces trente-cinq minutes, miss Craven a refusé trois fois le don de cette main. La première fois, très catégoriquement, assise dans le fauteuil de Jack où elle avait d’abord pris place; la seconde fois avec la même décision, mais un peu moins nettement, assise sur le tabouret du piano; et la troisième fois, émue et un peu hésitante, du coin où elle s’était réfugiée comme dans un retranchement derrière la table à écrire.

–Mais. mais..., dit-elle, essayant vainement de garder son sérieux, tandis que, sur ses lèvres rebelles, de légères contractions indiquent qu’une idée un peu risible lui traverse l’esprit; mais c’est une proposition si étrange! Je n’ai jamais été si surprise! Quand Sarah m’a dit que vous étiez ici, j’ai pensé que vous veniez à propos de cet engrais. Pourquoi donc, jusqu’à présent, n’aviez-vous rien dit de votre intention?

–N’en ai-je rien dit? répond le géant, l’air consterné. J’ai fait plusieurs tentatives, mais je crois que vous ne m’avez pas compris, car vous vous mettiez à rire aussitôt.

–Je ris toujours quand on me fait des compliments, répond naivement la jeune fille. Je ne sais pas comment les prendre. Je suppose que c’est parce que l’on m’en adresse si peu qu’ils me paraissent si niais.

–Je ne suis nullement surpris de ne pas vous plaire, reprend Brandon humblement. Je n’ai pas la prétention de plaire au premier moment. Je sais que je suis laid, gauche, que je n’ai pas l’esprit prompt...

–Vous ne me déplaisez pas,–dit Esther en l’interrompant généreusement, et comme touchée d’entendre son amoureux se déprécier lui-même. Pourquoi me déplairiez-vous? Vous n’êtes pas si mal; je suis sûre aussi que vous avez un très bon caractère, ajouta-t-elle à ce mince éloge, par pure politesse.

–Je sais, dit Brandon, que le marché serait très inégal.

Le pauvre garçon, bien que trop humble pour s’en offenser, se sent quelque peu mortifié de la quantité et de la qualité des louanges qu’elle lui accorde.

–Je sais trop bien que vous valez beaucoup mieux que moi!...

Elle ne saurait le contredire, car ces paroles trouvent de l’écho en elle-même.

–Assurément, se dit-elle, je vaux mieux que lui et je pourrais bien m’en apercevoir plus tard.

–Voilà pourquoi, continue-t-il vivement, j’étais si pressé de parler. Je craignais, si je ne me hâtais, que vous ne me fussiez enlevée par d’autres.

Ils restent quelques minutes en silence. Esther a pris un essuie-plumes qui a la forme d’un petit plumeau et semble l’étudier attentivement. Elle se demande: Dois-je sauter par-dessus la table pour me sauver? Non! l’encrier pourrait se renverser et tacher le tapis. D’ailleurs, il reviendrait demain et me poursuivrait dans un autre coin. Pauvre garçon! j’espère qu’il ne va pas pleurer et se jeter à mes pieds.

Brandon ne paraît pas devoir se porter–aux extrémités que redoute Esther. Il se tient tranquille en mordant seulement sa moustache blonde et reprend enfin:

–Allons! je comprends que je ne dois pas vous tourmenter plus longtemps. Un homme devrait se contenter d’un seul non. Je vous ai donné la peine d’en dire trois.

–C’est bien désobligeant de ma part, reprend Esther en fronçant le sourcil d’un air un peu embarrassé; je déteste dire non à qui que ce soit, quoiqu’il ne me soit pas encore arrivé de le dire en pareille occasion, puisque personne ne m’a encore demandée. mais je n’y peux rien.

–Eh bien! laissons la chose en suspens; que ce soit une épreuve, dit-il en lui tendant la main par-dessus la table, non sans renverser l’encrier en route. Je ne menace pas de me tuer si vous me rejetez parce que je n’en ferai rien; d’abord, je trouve que c’est une lâcheté et ensuite ce serait abandonner ma mère et la réduire au désespoir; mais vous savez ce que c’est pour un homme que de conserver l’espérance.

On entend dehors des sons qui se rapprochent. Quelqu’un, près de la maison, siffle: «Rendez-moi mon léger bateau.» Esther, tremblant de peur d’être surprise par Jack dans une position sentimentale, dont il la plaisanterait éternellement, répond en hâte: «C’est bien! c’est bien! j’y penserai. Auriez-vous la bonté de lâcher ma main?» Il obéit à regret, et elle, pour que la chose ne se renouvelle pas, cache discrètement sa main dans la poche de sa robe. Le gai refrain ne s’entend plus que de loin. Apparemment que le –chanteur est allé s’habiller pour diner. Esther pousse un soupir de soulagement:

–Je pensais, dit-elle, que c’était quelqu’un.

–Et quand cela serait?

–Je ne pourrais supporter que l’on me trouvât blottie dans un coin comme un enfant à l’école et vous, comme la maîtresse d’école, là, devant moi, répond-elle en se laissant aller au rire facile et irrésistible de ses dix-sept ans.

Entièrement incapable de partager sa gaieté, il s’appuie au mur l’air très malheureux. Tous les chagrins ont un caractère respectable; seuls, les chagrins d’amour ont parfois quelque chose de risible.

–C’est vraiment absurde, reprend Esther dont la compassion est mêlée d’un peu d’impatience. Tâchez donc de n’y plus penser.

–C’est plus aisé à dire qu’à faire, répond-il tristement. Je pourrais aussi bien vous demander de cesser d’aimer Jack.

–Ce n’est pas la même chose, réplique-t-elle un peu froissée comme d’une espèce de sacrilège. Mon affection pour Jack est toute naturelle. Elle est fondée sur les habitudes de toute ma vie, sur des services sans nombre, sur des bontés incalculables. Quels services, moi, vous ai-je jamais rendus? J’ai cousu une fois un bouton à votre gant, et, une autre fois, j’ai attaché une rose à votre boutonnière, et c’est tout.

–J’ai conservé la rose.

–Peuh! fait-elle avec dédain, en détournant la tête.

Le bruit des plats et des assiettes se fait entendre à travers la porte. Esther se décourage. Va-t-il donc recommencer? Toujours, toujours, comme un orage dans la montagne?

–Peut-être craignez-vous de vous marier sans fortune? reprend Brandon après un instant de silence.

–Je crains de me marier n’importe comment, répond-elle. Pour moi le mariage est un dénouement, et je n’en suis encore qu’au commencement.

–Mais je ne vous presse pas, dit-il en balbutiant.

–Vraiment? Vous aviez l’air si pressé tout à l’heure!

–Pour l’amour de Dieu, Esther, ne riez pas. C’est peut-être un jeu pour vous, mais pour moi c’est la mort.

–Je ne ris pas.

–Peut-être souffrirez-vous quelque jour ce que je souffre aujourd’hui.

–Peut-être, dit-elle d’un air de doute.

–Vous trouverez alors que ce n’est pas matière à plaisanter.

–Peut-être.

Lé bruit qui se renouvelle des assiettes que l’on apporte sur un plateau avertit Brandon que le temps presse.

–Esther! s’écrie-l-il avec cet accent pathétique si proche parent du ridicule, Esther! donnez-moi un peu d’espoir!

–Que voulez-vous donc que je vous réponde? dit-elle, le visage animé par l’impatience, les yeux brillants et en tapant du pied.–Je vous ai dit la vérité toute simple, et vous n’êtes pas content. Voulez-vous qu’à présent je mente pour vous faire plaisir? Que je vous avoue un amour soudain? Que je vous dise que vous seul pourriez faire mon bonheur?

–Ne parlez pas ainsi, s’écrie-t-il un peu blessé de son ironie. Je connais mon peu de mérite et je vois avec douleur que je ne suis qu’un importun, mais d’autres avant moi ont souvent triomphé de plus grands obstacles. Pourquoi n’y parviendrais-je pas? Laissez-moi cette chance.

Elle reste silencieuse.

–Dites que vous essayerez de m’aimer. Ce n’est pas mentir, cela.

–Mais si je n’y réussis pas? dit Esther un peu ébranlée, de fatigue d’abord et aussi de pitié, car une femme ne peut s’empêcher d’éprouver quelque pitié pour les souffrances qu’elle cause.

–Si vous ne parvenez pas à m’aimer, ne m’en dites rien; je m’en apercevrai bien moi-même et... je saurai le supporter, je crois.

Il achève sa phrase avec un profond soupir.

–Et, sans doute, vous vous consolerez en disant à tous vos amis que je suis une coquette et que j’ai mal agi avec vous?

Apparemment qu’il ne croit pas ce propos digne de réfutation, car il se tait et elle ajoute:

–Si vous ne le dites pas, votre mère le dira.

–Non, certainement, réplique-t-il avec indignation.

–Vos sœurs, alors, le diront.

–Mes sœurs non plus, répond-il avec un peu moins d’assurance.

–Et si... si... après très longtemps... je parviens à vous aimer un peu... je ne veux pas dire que je le pourrai, au contraire, je crois que ce n’est pas probable... mais, enfin, si cela arrive, est-ce que vous vous attendez à ce que je vous épouse?

–Je m’y attends un peu, dit-il en souriant malgré lui.

–Je veux dire d’ici à bien longtemps, jusqu’à ce que Jack soit marié, quand je serai plus vieille, que j’aurai au moins... vingt-cinq ans?

–Ce sera quand vous le voudrez.

–Et si, selon toute apparence, je ne parviens pas à vous aimer et que je me voie forcée de vous l’avouer, penserez-vous mal de moi?

Non!

–Vous en êtes certain?

–Très certain. Quoi que vous fassiez, je vous aimerai aujourd’hui, demain et toujours, dit le jeune homme avec solennité, et son regard se porte au-dessus d’elle, du côté de la fenêtre, vers le ciel bleu, comme s’il voulait le prendre à témoin de son serment.

Quant à elle, son âme prosaïque aspire au diner, et c’est vers la pendule qu’elle porte ses regards, tandis qu’il a les yeux tournés. Il s’en aperçoit et lui dit avec un pénible sourire:

–Vous désirez que je m’en aille?

–N... on.

–Je n’aurais pas dû venir à cette heure-ci. J’aurais mieux fait d’attendre jusqu’à demain.

–Il est un peu tard.

–Mais demain me paraissait si loin, que je voulais connaître tout de suite mon sort, en mal ou en bien, sans attendre un jour de plus. Est-ce oui ou non, Esther?

–Ni l’un ni l’autre, mais plutôt oui, répond-elle dans l’espoir que son admirateur se décidera à partir, et ne songeant pas, avec la légèreté de la jeunesse, à quel prix elle achète ce départ:–Je vous suis très reconnaissante, je vous assure; mais, en même temps, je désire que vous deveniez plus raisonnable, et, de mon côté, je vais tâcher de m’accoutumer à l’idée de vous épouser... Ne me regardez pas comme si vous en doutiez.

Il s’en va donc avec ce faible espoir, traverse le petit porche dont sa tête semble toucher le faîte, passe devant les étables et retourne chez lui par le bois, le chemin le plus long.

Fraîche comme une rose

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