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LA VISITE DOMICILIAIRE

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CHEZ CARON DE BEAUMARCHAIS.

Cet homme de lettres, cet habile négociant, aussi fameux chez Apollon qu’au palais de Plutus, va raconter lui-même ses terreurs, son incarcération. Mais avant de mettre sous les yeux de nos lecteurs son récit curieux et touchant, nous croyons devoir extraire une lettre non moins intéressante, antérieure de quelques jours à son emprisonnement, lettre qu’il écrivait à sa fille, et qui retrace des événements douloureux, qu’amenèrent la tyrannie de Marat, digne précurseur de Robespierre.

«Samedi 11 août 1792, dit Caron-Beaumarchais, vers huit heures du matin, un homme est venu m’avertir que les femmes du port Saint-Paul allaient amener tout le peuple, animé par un faux avis qu’il y avait des armes chez moi dans les prétendus souterrains..... Sur cet avis, j’ai tout ouvert chez moi, secrétaires, armoires, chambres et cabinets, enfin tout, résolu de livrer et ma personne et ma maison à l’inquisition sévère de tous les gens qu’on m’annonçait. Mais quand la foule est arrivée, le bruit, les cris étaient si forts, que mes amis troublés ne m’ont pas permis de descendre, et m’ont conseillé tous de sauver au moins ma personne.

» Pendant qu’on bataillait pour l’ouverture de mes grilles, ils m’ont forcé de m’éloigner par le haut bout de mon jardin; mais on y avait mis un homme en sentinelle qui a crié : «Le voilà qui se sauve!» et cependant je marchais lentement. Il a couru par le boulevard avertir le peuple assemblé à ma grille d’entrée. J’ai seulement doublé le pas; mais les femmes, cent fois plus cruelles que les hommes dans leurs horribles abandons, se sont toutes mises à ma poursuite.

» Il est certain, mon Eugénie, que ton malheureux père eût été déchiré par elles, s’il n’avait pas eu de l’avance; car la perquisition n’étant pas encore faite, rien n’aurait pu leur ôter de l’esprit que je m’étais échappé en coupable. Et voilà où m’avait conduit la faiblesse d’avoir suivi le conseil donné par la peur, au lieu de rester froidement comme je l’avais résolu.....

» J’étais entré chez un ami dont la porte était refermée; dans une rue qui, faisant angle avec celle où les cruelles femmes couraient, leur a fait perdre enfin ma trace, et d’où j’ai entendu leurs cris.....

» Pendant que j’étais enfermé dans un asile impénétrable, trente mille âmes au moins étaient dans ma maison, où, des greniers aux caves, des serruriers ouvraient toutes les armoires; où des maçons fouillaient les souterrains, sondaient partout, levaient les pierres jusque sur les fosses d’aisances, et faisaient des trous dans les murs, pendant que d’autres piochaient le jardin, jusqu’à trouver la terre vierge; repassant tous vingt fois dans les appartements; mais quelques-uns disant au grand regret des brigands qui se trouvaient là par centaines: «Si l’on ne trouve rien ici qui se rapporte à nos » recherches, le premier qui détournera le moindre des meu» bles, une paille, sera pendu sans rémission, puis haché en » morceaux par nous...»

» Enfin, après sept heures de la plus sévère recherche, la foule s’est écoulée, aux ordres de je ne sais quel chef. Mes gens ont balayé près d’un pouce et demi de poussière; mais pas un binet de perdu..... Une femme au jardin a cueilli une giroflée: elle l’a payée de vingt soufflets; on voulait la baigner dans le bassin des peupliers.

» Je suis rentré chez moi. Ils avaient porté l’attention jusqu’ à dresser un procès-verbal guirlandé de cent signatures qui attestaient qu’ils n’avaient rien trouvé de suspect dans ma possession...

» Me voilà parvenu à la terrible nuit dont je vous ai déjà parlé ; en voici les affreux détails:

» En nous promenant au jardin sur la brune, le soir de ce même jour déjà si effrayant, l’on me disait: «Ma foi, monsieur

», après ce qui est arrivé, il n’y a aucun inconvénient

» que vous passiez la nuit ici.

» Et moi je répondais: «Sans

» doute. Mais il n’y en a pas non plus que j’aille la passer

» ailleurs; et ce n’est pas le peuple que je crains; le voilà

» bien désabusé, mais cet avis que j’ai reçu d’une association

» de brigands pour me piller une de ces nuits, me fait

» craindre que dans la foule qui s’est introduite chez moi ils

» n’aient étudié les moyens d’entrer la nuit dans ma maison;

» car on a entendu de terribles menaces. Peut-être y en a-t-il

» quelques-uns de cachés ici. Enfin j’ai grande envie d’aller

» passer une bonne nuit chez notre bon ami de la rue des

» Trois-Pavillons. C’est bien la rue la plus tranquille qui soit

» au tranquille Marais. Pendant qu’il est à la campagne,

» va, François, va mettre une paire de draps pour moi.»

» J’ai soupé, ma fillette; heureusement j’ai peu mangé ; puis je suis parti sans lumière pour la rue des Trois-Pavillons, m’assurant bien, de temps en temps, que personne ne me suivait.

» Mon François retourné chez moi, la porte de la rue barrée et bien fermée, un domestique de mon ami enfermé tout seul avec moi, je me suis livré au sommeil. A minuit, le valet en chemise, effrayé, entre dans la chambre où j’étais: «Monsieur, me dit-il, levez-vous: tout le peuple vient

» vous chercher; ils frappent à enfoncer la porte. On vous a

» trahi de chez vous; la maison va être pillée.» En effet, on frappait d’une façon terrible. A peine réveillé , la terreur de cet homme m’en donnait à moi-même. «Un moment, dis-je,

«mon ami; la frayeur nuit au jugement.» Je mets ma redingote, en oubliant la veste; et, mes pantoufles aux pieds, je lui dis: «Y a-t-il quelque issue par où l’on puisse sortir

» d’ici? — Aucune, monsieur; mais pressez-vous, car ils

» vont enfoncer la porte. Ah! qu’est-ce que va dire mon


» maître? — Il ne dira rien, mon ami; car je vais livrer ma

» personne, pour qu’on respecte sa maison. Va leur ouvrir,

» je descends avec toi.»

» Nous étions troublés tous les deux. Pendant qu’il descendait, j’ai ouvert une fenêtre qui donnait sur la rue du Parc-Royal; il y avait sur le balcon une terrine allumée, qui m’a fait voir, au travers de la jalousie, que la rue était pleine de monde: alors le désir insensé de sauter par la fenêtre s’est éteint à l’instant où j’allais m’y jeter. Je suis descendu, en tremblant, dans la cuisine au fond de la cour; et regardant par le vitrage, j’ai vu la porte enfin s’ouvrir. Des habits bleus, des piques, des gens en veste sont entrés: des femmes criaient dans la rue. Le domestique est revenu vers moi pour chercher beaucoup de chandelles, et m’a dit d’une voix éteinte: «Ah! c’est bien à vous qu’on en veut. — Eh » bien, ils me trouveront ici.»

» Il y a près de la cuisine une espèce d’office avec une grande armoire, où l’on met les porcelaines, dont les portes étaient ouvertes. Pour tout asile, et pour dernier refuge, ton pauvre père, mon enfant, s’est mis derrière un des vantaux debout, appuyé sur sa canne; la porte de ce bouge uniquement poussée, dans un état impossible à décrire; et la recherche a commencé.

» Par les jours de souffrance qui donnaient sur la cour, j’ai vu les chandelles trotter, monter, descendre, enfiler les appartements. On marchait, on allait au-dessus de ma tête. La cour était gardée, la porte de la rue ouverte; et moi, tendu sur mes orteils, retenant ma respiration, je me suis occupé d’obtenir de moi une résignation parfaite, et j’ai recouvré mon sang-froid. J’avais deux pistolets en poche; j’ai débattu longtemps si je devais ou ne devais pas m’en servir. Mon résultat a été que si je m’en servais je serais haché sur-le-champ, et avancerais ma mort d’une heure, en m’ôtant la dernière chance de crier au secours, d’en obtenir peut-être, en me nommant, dans ma route à l’hôtel de ville. Déterminé à tout souffrir, sans pouvoir deviner d’où provenait cet excès d’horreur, après la visite chez moi, je calculais les possibilités, quand la lumière faisant le tour en bas, j’ai entendu que l’on tirait ma porte, et j’ai jugé que c’était le bon domestique qui, peut-être en passant, avait imaginé d’éloigner pour un moment le danger qui me menaçait. Le plus grand silence régnait. Je voyais à travers les vitres du premier étage qu’on ouvrait toutes les armoires; alors je crus avoir trouvé le sens de toutes ces énigmes: les brigands, me disais-je, se sont portés chez moi; ils ont forcé mes gens, sous peine d’être égorgés, de leur déclarer où j’étais. La terreur les a fait parler: ils sont arrivés jusqu’ici, et trouvant la maison aussi bonne à piller que la mienne, ils me réservent pour le dernier, sûrs que je ne puis échapper.

» Puis mes douloureuses pensées se sont tournées sur ta mère et sur toi, et sur mes pauvres sœurs. Je disais avec un soupir: mon enfant est en sûreté, mon âge est avancé ; c’est peu de chose que ma vie, et ceci n’accélère la mort de la nature que de bien peu d’années; mais ma fille, sa mère, elles sont en sûreté. Des larmes coulaient de mes yeux. Consolé par cet examen, je me suis occupé du dernier terme de la vie, le croyant aussi près de moi. Puis, sentant ma tête vidée par tant de contention d’esprit, j’ai essayé de m’abrutir et de ne plus penser à rien. Je regardais machinalement les lumières aller et venir; je disais: Le moment s’approche; mais je m’en occupais comme un homme épuisé , dont les idées commencent à divaguer: car il y avait quatre heures que j’étais debout dans cet état violent, changé depuis dans un état de mort. Alors, sentant de la faiblesse, je me suis assis sur un banc, et là j’ai attendu mon sort, sans m’en effrayer autrement.

» Dans ce sommeil d’horribles rêveries, j’ai entendu un plus grand bruit, il s’approchait; je me suis levé, et machinalement je me suis remis derrière le vantail de l’armoire; une sueur froide m’a tombé du visage, et m’a tout à fait épuisé.

» J’ai vu venir le domestique à moi, nu, en chemise, une chandelle à la main, qui m’a dit d’un ton assez ferme:

«Venez, monsieur, on vous demande. — Quoi! vous voulez

» donc me livrer? J’irai sans vous. Qui me demande? —

» Monsieur Gudin, votre caissier. — Que dites-vous de mon

» caissier? — Il est là avec ces messieurs.

» Alors je crus que je rêvais, ou que ma raison altérée me trompait sur tous les objets. Mes cheveux ruisselaient; mon visage était comme un fleuve. «Montez, m’a dit le domestique, montez; ce

» n’est pas vous qu’on cherche: monsieur Gudin va vous

» expliquer tout.»

«Ne pouvant attacher nul sens à ce qui frappait mon oreille égarée, j’ai suivi au premier étage le domestique qui m’éclairait. Là, j’ai trouvé monsieur Gudin en habit de garde national, armé de son fusil, avec d’autres personnes. Stupéfait de cette vision: «Par quel hasard, lui ai-je dit,

» vous rencontrez-vous donc ici? — Par un hasard aussi

» étrange que celui qui vous y a conduit vous-même, le propre

» jour que l’on a donné l’ordre de visiter cette maison,

» où l’on a dénoncé des armes.» N’ayant plus besoin de mes forces, je les ai senties fuir; elles m’ont manqué tout à fait; je me suis assis sur le lit où j’avais sommeillé deux heures avant que le bruit commençât; et il m’a dit ce qui suit:

«Inquiet, à onze heures du soir, de savoir si notre quartier

» était gardé par les patrouilles, j’ai pris mon habit de

» soldat, mon sabre et mon fusil, et suis descendu dans les

» rues, malgré les conseils de mon fils. J’ai rencontré une

» patrouille, qui, m’ayant reconnu, m’a dit: «Monsieur

» Gudin, voulez-vous venir avec nous? vous y serez mieux

» que tout seul. — Je l’ai d’autant mieux accepté, que monsieur

» que vous voyez là en habit de garde national, est le

» limonadier qui reste en face de vos fenêtres; en un mot,

» c’est monsieur Gibé.»

» D’honneur! ma pauvre enfant, je me tâtais le front pour m’assurer que je ne dormais pas: «Mais comment, ai-je dit

» à monsieur Gudin, si c’est bien vous qui me parlez, m’avez-vous

» laissé là quatre heures dans les angoisses de la

» mort, sans m’être venu consoler? — Je vais bien plus vous

» étonner, me dit Gudin, par mon récit, que ma présence

» ne l’a fait. J’ai vu doubler le pas, et j’ai dit à tous ces messieurs

» : Ce n’est pas ainsi qu’on patrouille. — Aussi ne

» patrouillons-nous pas; nous allons à une capture. — Je les

» vois arriver à la rue du Parc-Royal, et mon cœur commence

» à battre, nous sentant aussi près de vous. En détournant

» la rue des Trois-Pavillons à l’habitation où vous

» êtes, on nous crie: Halte ici; enveloppez la maison; — et

» je me dis: Grands dieux! par quelle fatalité me trouvé-je

» avec ceux qui viennent pour arrêter M. de Beaumarchais?

» Moi aussi je croyais rêver: je me suis contenu de mon

» mieux, pour voir où tout aboutirait. Le domestique ouvre

» la porte, et pense tomber à la renverse me trouvant parmi

» ces messieurs. Il a cru que la trahison qu’il avait soupçonnée

» dans vos gens s’était étendue jusqu’à moi: il balbutiait

». Alors on a lu à haute voix l’ordre donné par la section

» de venir visiter ici, soupçonnant qu’il y a des armes.

» — Eh bien, alors, lui dis-je, comment n’êtes-vous pas accouru

» ; comment n’avez-vous eu nulle pitié de moi? — Ma

» terreur n’a fait qu’augmenter, reprit Gudin, à cette lecture

» ; j’ai eu la bouche encore plus close, et n’étais que

» plus effrayé, ne sachant pas, monsieur, s’il y avait ou non

» des armes, mais présumant avec effroi que, s’il s’en trouvait

» par malheur, vous alliez devenir victime de vous être

» enfermé ici: j’ai vu tous les rapports affreux de cette nuit

» à la visite qu’on venait de faire chez vous. Pendant le cours

» de la recherche, j’ai trouvé enfin le moment de dire tout

» bas au domestique: «L’ami de votre maître est-il dans la

» maison? — Il y est, m’a-t-il dit. — Dans un autre moment je

» lui ai demandé.: «Mais où est-il? — Je n’en sais rien, m’a-t-il

» répondu.

» Il ne pouvait pas s’éloigner; il éclairait les

» rechercheurs; on ne le perdait point de vue, je me suis

» glissé sans lumière jusqu’à la chambre de votre lit; je vous

» ai cherché à tâtons, dessus, dessous, vous appelant tout

» bas. Mais vous étiez ailleurs, et je ne pouvais vous aller

» prendre. Enfin, la recherche achevée, assuré que la calomnie

» avait encore manqué son coup, j’ai confié à tous

» ces messieurs par quel hasard vous vous trouviez caché

» dans la chambre du maître; et leur étonnement a au moins

» égalé le nôtre. Dieu merci, le mal est passé ; recouchez-vous

», monsieur, et tâchez de dormir; vous devez en avoir

» besoin.»

» Alors toute la patrouille étant entrée dans cette chambre, j’ai dit au commissaire de section: «Monsieur, vous me

» voyez ici sous la sauvegarde de l’amitié : je ne puis mieux

» payer l’asile qu’elle me donnait qu’en vous priant, au nom

» de mon ami, qui est excellent citoyen, de rendre votre

» visite aussi sévère que le peuple l’a faite hier chez moi, et

» d’en dresser procès-verbal, pour que sa sûreté ne soit plus

» compromise par d’infâmes calomnies. — Monsieur, m’a dit le

» commissaire, notre procès-verbal est clos; votre ami est

» en sûreté.»

» Ces messieurs sont partis, ont dit au peuple, aux femmes dans la rue, que cette maison était pure. Les femmes, enragées que l’on n’eût rien trouvé, ont prétendu qu’on avait mal cherché , ont dit qu’en huit minutes elles allaient trouver la cachette. Elles voulaient que l’on rentrât; on s’y est opposé ; le commissaire a fait brusquement refermer la porte. Ainsi ont fini mes douleurs; mais la sueur, la lassitude et la faiblesse me brisaient....

» J’ai appris le lendemain matin que des hommes âgés, affectionnés à ce quartier, que jamais rien n’avait troublé, entendant ce tapage affreux, saisis d’une terreur nocturne, ont sauté par-dessus les murs, et que, de jardin en jardin, ils ont été troubler des dames de la rue de la Perle, eh leur demandant en chemise de les garantir de la mort: l’un d’eux s’était cassé la jambe.

» L’effroi s’était communiqué ; et de tout ce quartier, ton père, qui avait eu le plus sujet de craindre, a peut-être été le seul qui ait achevé dans son lit une nuit aussi tourmentée. »

Quel contraste pour l’imagination du lecteur entre ce vieillard tremblant, affolé de terreur, et le frétillant, l’insolent, le téméraire auteur du Mariage de Figaro! Quelques jours après, on l’incarcérait à l’Abbaye. On l’accusait de s’opposer à l’entrée en France de soixante mille fusils achetés en Hollande moyennant huit cent mille francs qu’il aurait reçus du gouvernement français. L’accusation était absurde, sans fondement. Beaumarchais s’était fait, parmi les spéculateurs dont il était devenu l’heureux concurrent, des ennemis qui profitaient des troubles publics pour ameuter la multitude contre sa fortune et satisfaire leur haine envieuse. Quatre jours avant les massacres de septembre, Manuel vint le chercher et le faire sortir. On a prétendu que Manuel avait reçu trente mille francs pour intervenir si opportunément. Si cela est vrai, il faut convenir que Beaumarchais n’avait jamais mieux placé son argent.

Les prisons de Paris sous la Révolution

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