Читать книгу Les prisons de Paris sous la Révolution - Charles-Aimé Dauban - Страница 14
LE BARON RIOUFFE
Оглавлениеd’après des documents inédits.
Le principal écrit du temps sur les prisons fat incontestablement le récit de Riouffe qui a paru sous ce titre: Mémoires d’un détenu pour servir à L’histoire de la tyrannie de Robespierre. Dans l’année même de sa publication (an III), trois éditions furent rapidement enlevées. Ce succès n’était pas dû seulement au style de l’ouvrage, spécimen parfait de la littérature de l’époque, què les contemporains osèrent comparer aux grandes pages de Tacite, où l’emphase affaiblit, en croyant l’élever, l’expression d’une sensibilité qui serait parfois éloquente si elle n’était forcée; il est dû surtout à la révélation de souffrances ignorées, de faits mal connus. Jamais la presse n’a été moins libre que pendant la période aiguë de la dictature de la Convention et du comité de salut public. Les journaux étaient peu nombreux, peu lus, peu répandus. La calomnie officielle transmise par les autorités révolutionnaires, les comités et les clubs affiliés aux Jacobins, parvenait seule à l’esprit public préoccupé avant tout des périls de la lutte extérieure et des embarras intérieurs toujours croissants. Quel est celui qui n’était atteint ou dans ses intérêts ou dans ses affections, par la grande crise dont l’issue se trouva si longtemps incertaine? Le souci de ses propres affaires rendait chacun presque insensible à des infortunes particulières que l’égoïsme est naturellement disposé à croire méritées, soit pour se dispenser d’y penser, soit pour attribuer à autrui les maux dont celui-ci souffre, et ceux dont on souffre soi-même. La France était donc sourde et muette, muette sur les actes d’un gouvernement dont elle ne connaissait bien que l’ombrageuse et terrible puissance, sourde à des protestations étouffées, à des cris perdus dans l’immense retentissement des batailles et d’une guerre de géants. Lorsqu’une révolution toute locale, une sédition de la Convention soutenue par quelques quartiers de Paris, eût renversé Robespierre, la situation changea peu à peu; l’horrible compression, les arrestations sans nombre, les supplices sans trêve, furent attribués au vaincu. A la haine, comme à l’admiration de la foule, il faut un nom, un homme. Cet homme fut Robespierre. Mille écrits le dénoncèrent à l’exécration publique qui s’est fixée sur sa mémoire. L’effet est produit depuis longtemps, et, à supposer qu’il soit regrettable, ce que nous ne croyons pas, il ne serait au pouvoir de personne de le détruire ou seulement de l’affaiblir. La haine de Robespierre est populaire comme la gloire de Napoléon.
L’ouvrage de Riouffe a contribué puissamment au premier élan de cette réaction générale contre le système de la Montagne personnifié dans un homme.
A ce titre, Riouffe mériterait de rencontrer un biographe. C’est d’ailleurs une destinée assez singulière que la sienne; elle a un côté instructif. Mêlé aux premiers mouvements de la Révolution, il est emporté dans l’agitation girondine, languit huit mois dans les cachots, en sort par une chance bien rare, reparaît à côté de Bailleul, de Louvet, s’unit à eux et aux restes des Montagnards contre les monarchistes ou soi-disant tels, se prosterne devant l’astre naissant de Bonaparte, applaudit avec frénésie au 18 brumaire, retrouve la verve de ses dithyrambes républicains pour célébrer le despotisme de Napoléon: aussi finit-il préfet, légionnaire et baron!
Ces étranges évolutions s’expliquent d’un mot: Riouffe était comédien. Non pas que nous l’accusions d’avoir manqué de sincérité. Il a passé à travers toutes ces métamorphoses peut-être sans se douter qu’elles faisaient perdre la trace de son identité morale, se croyant immuable au milieu du monde mobile. Il était théâtral; il avait des enthousiasmes factices, il se passionnait pour les hommes, et de même qu’il confondait la déclamation avec l’éloquence, il prenait l’appareil de la grandeur pour la grandeur même. Il lui a manqué, ce qui d’ailleurs est rare chez nous, des principes fermes, mûrement réfléchis, le seul fonds d’où puissent sortir, comme l’arbre sort de la terre, les actes véritablement virils et civiques. La Révolution française a donné un grand rôle aux comédiens; dans le club, dans la Convention, à la tête des armées, au fond des prisons, et jusque sur l’échafaud!
Voici quelques documents, tous inédits, qui pourront servir à la biographie de Riouffe. Ils ne seront pas inutiles non plus pour la connaissance de l’époque.
D’abord deux témoignages recueillis à Rouen fournissent des renseignements sur les antécédents de Riouffe: c’est parce qu’ils se rapportent à la conduite de ce personnage avant son arrestation, que nous leur donnons place ici. La seconde déposition, émanant d’un comédien de la troupe de Ribié, était une véritable dénonciation.
«Honoré Riouffe, dit Toussaint, natif de Rouen , homme de lettres, s’est montré un zélé partisan de la Révolution; il a fait plusieurs ouvrages patriotiques; c’est dans ce temps que Ribié, directeur du théâtre de la République, établi à Rouen, le chargea de traiter avec les auteurs dramatiques pour son entreprise. Jamais il n’a été associé de Ribié, et toutes affaires cessèrent entre eux à l’époque du fédéralisme, où Riouffe se montra l’ardent partisan des Brissot, Guadet, Buzot, Petion, Vergniaud, etc. Riouffe a cohabité avec la citoyenne Toussaint, pensionnaire de Ribié, l’espace de deux ans et demi, dans les communes du Havre, de Caen, Amiens et Rouen, où il a demeuré avec elle l’espace de quatre mois, rue de la Prison, pendant lequel temps il a fait plusieurs voyages à Paris. La dernière fois qu’il revint à Rouen, ce fut à l’époque des troubles du Calvados. Il y resta trois ou quatre jours, et ensuite il s’en fut à Caen rejoindre ses dignes protecteurs ou protégés. De Caen il fut à Bordeaux, d’où il écrivit une dernière lettre à la citoyenne Toussaint.
» Je certifie tout ce que dessus véritable et conforme aux différentes déclarations qui m’ont été faites; à Rouen, ce 17 prairial an II de la République française, une et indivisible (5 juin 1794).»
» JÉMON,
» officier municipal.»