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LES PRISONS DE PARIS AVANT LA RÉVOLUTION
Оглавление(Extrait d’un manuscrit inédit).
Ce manuscrit, qui fait partie des collections de la Bibliothèque impériale, a pour titre: Projet concernant l’établissement des nouvelles prisons dans la capitale, par un magistrat (1776). C’est un aperçu rapide d’une situation qui, quinze ans plus tard, avait peu changé. Le petit Châtelet, le Fort-l’Évêque avaient été détruits, il est vrai; on avait fait une nouvelle prison à l’hôtel de la Force pour les prisonniers civils, plus vaste que les anciennes, mais tout ce que l’auteur du manuscrit dit en 1776 de la Conciergerie était encore exact en 1793. Cette voix inconnue, qui s’adresse au Roi et à la Reine, et qui constate que les regards de la belle Marie-Antoinette, alors dans tout l’éclat de sa jeune royauté, ont déjà pénétré dans la Conciergerie, fait entendre des paroles si étranges et si prophétiques, que nous n’avons pu nous défendre de les recueillir dans les premières pages de ce livre, ne fût-ce que pour montrer la terrible solidarité qui existe entre les plus élevés et les derniers des hommes. A l’époque où un magistrat adressait au Roi et à la Reine de France ces supplications en faveur des pauvres prisonniers, il eût été bien insensé celui qui eût pu supposer que la Reine pourrait avoir quelque intérêt personnel à adoucir le régime auquel ils étaient soumis. Les temps marchent cependant, la royauté est ébranlée, les révolutionnaires triomphent. Roland devient ministre de l’intérieur, et une des réformes de l’administrateur économe porte sur la somme affectée à l’entretien des prisonniers qu’il réduit de moitié. C’est presque la veille du jour où sa femme entrera à Sainte-Pélagie pour éprouver la rigueur des mesures récentes! Ainsi les faits se touchent, les situations s’enchevètrent, conduites par une fatalité mystérieuse et irrésistible. — Un seul homme, s’il vivait alors, avait le droit de ne pas être étonné ; c’est le magistrat qui, plein de doute dans la justice des hommes, avait écrit en 1776:
QUEL HOMME PEUT, MALGRÉ LA PURETÉ DE SON AME, ASSURER QU’IL N’HABITERA POINT UN JOUR LA DEMEURE DESTINÉE POUR LES CRIMINELS, ET QUE SES MAINS INNOCENTES NE SERONT POINT CHARGÉES DES CHAÎNES PRÉPARÉES POUR LES SCÉLÉRATS?
«On ne peut s’empêcher en entrant dans nos prisons de se rappeler ces affreuses latomies dont parle Cicéron, où les tyrans de la Sicile, et Verrès après eux, faisaient périr les malheureuses victimes de leur avarice et de leur cruauté. Comme eux on dirait que confondant le soupçon avec la certitude, assimilant l’accusé au coupable, nous regardons la prison comme un supplice anticipé, et cherchons à nous délivrer de tous les citoyens que l’on dénonce à la justice; mais trop de monuments déposent en faveur de notre humanité pour ne pas repousser une pensée aussi odieuse. Si les prisons, peut-être trop vastes du temps de nos pères, sont insuffisantes aujourd’hui; si les prisonniers s’y infectent par leur nombre, s’ils contractent dans les cachots souterrains des maladies inconnues au reste des hommes, c’est à l’inexécution de nos ordonnances, c’est à l’accroissement successif de la capitale qu’il faut s’en prendre, et non à des principes que nos rois et la nation entière désavoueront toujours. Nous abhorrons le crime par vertu, nous le punissons par justice; et soit qu’on place la source des forfaits dans les passions, dans le fatalisme de nos institutions sociales, ou (ce que je suis éloigné de penser) qu’on les attribue à la dépravation naturelle du cœur de l’homme, rien ne peut autoriser à traiter inhumainement un citoyen dans les liens de l’accusation et des décrets. Il faut des prisons, je le sais, mais il faut que les prisons soient saines, que l’air y soit pur, il faut qu’elles soient fournies des secours nécessaires à la santé et à la vie de ceux qu’on y renferme. Il faut que la force veille au dehors et que l’humanité règne dans l’intérieur. Il faut enfin que l’innocent puisse dire en sortant de ces terribles lieux: «Mon respect pour les lois, ma vénération pour leurs ministres, se sont augmentés par ma captivité même: si elle fut injuste, le soupçon, l’erreur, l’accusation l’ont rendue nécessaire; si elle fut longue, au moins elle a été douce, et les lois que je n’avais point outragées n’ont jamais cessé de veiller sur moi.»
Le moyen, au contraire, que les malheureux jetés dans les prisons conservent quelque sentiment pour la vertu, lorsqu’ on viole à leur égard jusqu’aux droits les plus saints de la justice et de la miséricorde! Quel est le prisonnier qui, dans les horreurs d’un ténébreux et humide cachot, ne roule dans son esprit les plus noirs projets de la rage et du désespoir? Dévoré par les alarmes d’une procédure criminelle, enflé par tout le corps, en proie tout vivant aux animaux qui rongent les cadavres, quel accusé ne pousse en expirant, vers le ciel, des cris faits pour attirer sur nos têtes le poids de sa colère et ne demande vengeance de sa mort à Dieu, seul témoin de ses infortunes? Le meurtre d’un coupable dans la prison est perdu pour l’exemple; celui d’un innocent est le plus grand de tous les attentats.
Ne craignons point de tracer aux yeux des puissants le tableau succinct de nos prisons, il achèvera de leur démontrer la nécessité d’en construire de nouvelles.
Le Fort-l’Évêque peut avoir quarante à cinquante pieds de profondeur sur à peu près autant de largeur; encore cette largeur n’est-elle pas égale dans toutes les parties; celle qui donne sur le quai n’a guère que quinze à vingt pieds.
La cour ou préau n’a que trente pieds de long, sur huit de large, et c’est dans cet espace étroit que l’on renferme quelquefois jusqu’à quatre et cinq cents personnes. Cette prison se trouve d’ailleurs dominée de tous côtés par des bâtiments d’une hauteur considérable, qui ne permettent pas à l’air d’y circuler, ni de la purger des miasmes putrides qui s’exhalent nécessairement d’un aussi grand nombre d’hommes réunis.
Les cellules destinées aux malheureux qui n’ont aucune faculté sont plutôt des trous que des logements; celles qui sont sous les marches de l’escalier ont six pieds carrés; on y place cinq prisonniers. Ces antres, où l’on peut à peine se tenir debout, ne reçoivent de jour que celui de la cour; l’odeur en est infecte: ils font horreur.
Les chambres qu’on appelle communément la pistole sont aussi trop petites; mais ce qu’il n’est pas possible de voir sans un soulèvement général de tous les sens, ce sont les cachots souterrains! Ces cachots sont au niveau de la rivière; la seule épaisseur des murs les garantit de l’inondation, et toute l’année l’eau filtre à travers les voûtes. C’est là que sont pratiqués des réceptacles de cinq pieds de large sur six de long, dans lesquels on ne peut entrer qu’en rampant, et où l’on enferme jusqu’à cinq hommes même en été : l’air n’y pénètre que par une petite ouverture de trois pouces percée au-dessus de l’entrée, et lorsqu’on passe vis-à-vis, l’on est frappé comme d’un coup de feu. Ces cachots n’ayant de sortie que dans les étroites galeries qui les environnent, ne reçoivent pas plus de jour que ces souterrains où l’on n’aperçoit aucun soupirail. En général, tout le bâtiment est dans un état de délabrement et de vétusté qui menace d’une ruine prochaine. On y renferme les débiteurs et généralement tous ceux que la police fait arrêter pour fautes légères.
Le grand et le petit Châtelet, que leur solidité semble mettre à l’abri des outrages du temps, sont encore plus horribles et plus malsains. Ces bâtiments, n’ayant presque point d’ouverture extérieure, ne reçoivent de l’air que par en haut, ce qui n’établit pas un courant, mais seulement une colonne à peine suffisante pour ne pas étouffer. Ils ont, au reste, le même inconvénient que le Fort-l’Évèque, c’est-à-dire que l’enceinte en est trop petite, ainsi que le préau; les murs sont trop élevés et les cachots souterrains pour le moins aussi abominables. —
LES MADELONNETTES.
(Se trouvaient sur le tracé de la rue de Turbigo, ont été démolies à l’époque où l’on a fait la rue.
UN CACHOT DE LA CONCIERGERIE
( Voir le cachot R sur le plan général de la Conciergerie.)
LE CHATELET.
PETITE FORCE
Rue Pavée.
Le petit Châtelet fut démoli en 1782. Sur son emplacement, on a agrandi les bâtiments de l’Hôtel-Dieu et établi la place du petit Pont. — Nous avons pensé que nos lecteurs nous sauraient gré d’avoir fait reproduire une vue du grand Châtelet, véritable type des vieilles prisons-forteresses . Le grand Châtelet, dont l’emplacement est occupé par la place du Châtelet, ne fut démoli qu’en 1802. On y égorgea en septembre 1792 deux cent seize prisonniers.
— La seule prison qui puisse raisonnablement subsister, et dont l’habitation ne soit pas mortelle, est la Conciergerie du palais. Je n’ai pu m’empêcher en y entrant de faire quelques réflexions sur les étranges changements que la révolution des temps apporte quelquefois à la destination des édifices.
Bicêtre a servi de maison de plaisance à François Ier. La Conciergerie faisait autrefois partie du palais de nos rois. Cette prison a l’avantage singulier de n’avoir pas de cachots souterrains, demeure toujours malsaine et inutile pour la sûreté des prisonniers. Le préau, qui forme un carré long, est vaste et aéré.
Les cachots clairs qui sont autour, quoique petits, reçoivent au moins un air plus épuré ; pour les cachots noirs ils sont aussi grands et aussi sains qu’il est possible de le désirer; la plupart sont placés dans les deux tours appelées de Montgommery et la Conciergerie. Cinquante hommes pourraient se promener facilement dans chacun de ces cachots; la hauteur en est prodigieuse. Ils sont d’ailleurs si secs que les pièces de bois qui ont servi à attacher l’infâme Ravaillac sont encore entières. Les cachots, pratiqués dans l’endroit qui servait de cuisines au roi saint Louis, auraient besoin d’un écoulement pour les immondices; les logements des femmes sont trop petits, et, au moment que j’écris, il y en a le double de ce qu’ils devraient contenir. L’infirmerie est très-malsaine, elle ne consiste que dans une salle fort basse; les malades, presque dépourvus de toute assistance, y sont quatre ou cinq dans chaque lit. C’est un prisonnier qui volontairement prend soin de la desservir et de l’approprier; il y est mort dans cette dernière année soixante à quatre-vingts personnes.
Tel est l’état actuel des prisons de la capitale; on peut assurer que celles de tout le royaume ne sont pas plus saines ni mieux construites.
La bonté du Roi, connue par des traits éclatants, fait espérer qu’enfin il abaissera ses regards sur ces mêmes prisons, où ses bienfaits et ceux de notre auguste Reine ont déjà pénétré. Avant et depuis leur avènement au trône, des actes répétés de bienfaisance et de justice ont rétabli la confiance et relevé les courages abattus. On se croit arrivé à ces temps si rares marqués pour la régénération des peuples et la consolation des âmes patriotiques.
La certitude où je suis qu’on déplaît à des hommes vertueux en les louant en face, m’impose silence et m’interdit tout éloge à l’égard des ministres qui les conseillent et partagent avec eux les hommages de la reconnaissance publique. En général, leurs contemporains les flattent, la postérité les juge; mais le magistrat, dans tous les temps, doit se contenter d’admirer ceux qu’il croit dignes de son estime et tâcher de les imiter.
L’humanité, la justice, l’honneur de la nation, exigent que l’on s’occupe enfin de cette partie si négligée de notre administration. Chaque particulier même y est intéressé. Quel homme, en effet, peut, malgré la pureté de son âme, assurer qu’il n’habitera point un jour la demeure destinée pour les criminels, et que ses mains innocentes ne seront point chargées des chaînes préparées pour les scélérats?...»