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QUELQUES SOUVENIRS DE M. AUDOT.

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Table des matières

Nous avons, avant de donner la relation de Jourgniac Saint-Méard, rapporté un des souvenirs de M. Audot. Le lecteur nous saura gré peut-être de reproduire ici la substance d’un long entretien que nous avons eu avec ce vieillard aimable, enfant de Paris, qui a assisté en observateur curieux à tous les grands événements, dont cette ville a été le théâtre depuis quatre-vingts ans, et qui a conservé particulièrement des scènes de la Révolution, contemporaines de sa jeunesse, des impressions d’une vivacité extraordinaire. Comme il arrive souvent aux personnes d’un grand âge, la mémoire de M. Audot; infidèle pour les faits de la veille, retrouve l’image du passé le plus éloigné, comme s’il revenait devant ses yeux. C’est mieux qu’un récit, c’est une vision à laquelle l’auditeur participe, tant l’expression est pittoresque, le détail précis! Nous n’avons pas la prétention de rendre ici le relief, la vie, le mouvement de cette parole qui sort des profondeurs du passé comme la parole de la pythonisse sortait des mystères de l’avenir, violentée par la puissance du Dieu; nous n’avons cherché à mettre dans les notes recueillies immédiatement après notre entretien, que les faits eux-mêmes qui peuvent éclairer l’historien. Ce sont donc des notes rapides et absolument incolores, mais elles empruntent de l’intérêt à la source où nous les avons puisées.

Nous avions demandé à M. Audot quelle avait été la part prise par la multitude au spectacle des principaux événements dont il avait été le témoin. On appelle ces événements populaires, lorsque le peuple semble accourir pour les saluer ou les marquer des témoignages bruyants de son approbation. Il nous répondit longuement, au fur et à mesure que les souvenirs se présentaient, sans que nous fussions tentés de le rappeler à plus de méthode. Il faut accepter les caprices de la mémoire d’un octogénaire, si on ne veut pas s’exposer à la rendre tout d’un coup rétive et muette. Nous donnons nos notes telles quelles.

«Le plus ancien souvenir que j’aie conservé de la Révolution se rapporte à une fête donnée à Saint-Cloud. C’était, je crois, le 7 septembre 1791. C’est là que j’ai vu pour la première fois le Roi et la Reine. J’ai même pris d’abord pour le Roi un de ses officiers, car on était peu galonné et doré à cette époque. — Je me souviens également de la fête de la Fédération. Oh! alors, autant qu’un enfant peut juger de ces choses, il y avait un véritable enthousiasme. C’était fort beau; il m’a semblé que les hommes de ce temps étaient superbes. — Un jour, il y avait grande foule sur le pont Neuf. Pourquoi? je ne sais. On parlait beaucoup de M. Necker; on acclamait son nom. Chacune des voitures qui passaient sur le pont était arrêtée par le peuple, et il fallait que ceux qui y avaient pris place en descendissent pour aller saluer la statue de Henri IV .

» J’habitais carrefour Bussy, chez mon père, qui était miroitier. Il faisait partie de la garde nationale à l’époque de la mort de Louis XVI. Il fut témoin de l’exécution. Le peuple n’en paraissait pas ému. Il l’était si peu qu’une famille de notre voisinage, la femme, deux petites filles de mon âge, avec lesquelles je jouais habituellement, allèrent voir l’exécution. Elles étaient accompagnées d’une femme de chambre qui revint en portant une feuille de papier tachée de sang. Elle avait recueilli ce sang royal le long d’un des madriers de l’échafaud.

» En général, les grands événements de la Révolution attiraient peu de monde, je ferai exception pour le 10 août 1792. Tout Paris était dans la rue. J’ai vu depuis bien autrement de foule et de tumulte, surtout en 1848, où la réapparition du bonnet rouge m’a fait un mal affreux. Lors du supplice des chemises rouges, j’étais au coin de la rue de la Juiverie. Il y avait peu de monde. Cependant on apercevait une file de charrettes et de victimes. Cette chemise rouge était tout bonnement un morceau de calicot qui enveloppait le haut du corps. Les figures des condamnés exprimaient l’indifférence, notamment celle d’une femme de soixante ans, aux cheveux crépus, que je vois encore. — Je me trouvais sur le trottoir du pont au Change au moment du passage, au milieu de la chaussée, de la charrette qui portait Madame Élisabeth. Il n’y avait presque personne, et cependant c’était un événement. Elle était seule sur la charrette, je n’ai pas vu de prêtre.

» Le jour du 2 septembre, les boutiques étaient fermées. Il y avait une raison à cela. C’était sans doute un dimanche; vous vérifierez dans les livres. Je vis quelques fiacres remplis de prêtres passer carrefour Bussy. Des hommes, armés de sabres, les escortaient et semblaient de temps en temps larder les prêtres avec la pointe de leurs armes. Je me souviens avoir vu le peuple porter en triomphe un grand homme sec, d’une belle figure, mais pâle comme celle d’un mort; il était vêtu d’un habit vert-pomme; on criait: Vive la République! Peu de temps après, cet homme fut ramené par d’autres bandes, et je le vis encore; on le conduisait à l’Abbaye, où on le massacra. C’était le père Lenfant, confesseur de Louis XVI, qu’on avait d’abord acquitté sans savoir ce qu’on faisait. J’allai à l’Abbaye dans le jour, j’arrivai dans une cour principale où il y avait des hommes rangés en cercle, mais pas de foule. Le cercle s’ouvrit devant moi, car une voix avait dit: Il faut laisser l’enfant voir. Je vis des cadavres qu’on avait jetés les uns sur les autres. Les prêtres qui avaient traversé le carrefour Bussy étaient là, entassés, les corps coupés en morceaux; on avait, dans une autre cour, formé d’autres tas avec des cadavres qui avaient été traînés par les pieds; de sorte que le pavé avait été couvert de sang et qu’il avait fallu le laver à grande eau. Les ruisseaux roulaient une eau rouge. J’ai vu cela comme je vous vois. Je pourrais vous montrer encore les endroits où étaient les tas. Ailleurs, en allant du côté de la Force, j’ai rencontré des charrettes pleines de cadavres sur lesquels on avait jeté quelques couvertures. Le peuple ne paraissait pas le moins du monde ému, et je ne l’étais guère. Peu de foule à ces grands spectacles; peu d’empressement et d’émotion. Paris y semblait presque étranger, ou du moins l’émotion s’y concentrait dans les quartiers qui en étaient le théâtre.

» Cependant, voici une circonstance où il me sembla que tout Paris était sur ma route. Peu de temps après ma confirmation, que j’avais préparée avec un prêtre de l’Abbaye de Saint-Germain des Prés, qui réunissait les fidèles dans une grande chapelle, les églises furent dépouillées, les vases sacrés, de grands anges d’argent au repoussé, des ostensoirs, ciboires, etc., furent portés processionnellement à la Convention. Ce jour-là, ah! il y avait foule. On m’avait donné un des vases sacrés à porter. Nous allâmes à la Convention et de là à la Monnaie. Mais je n’ai plus cette mauvaise action sur la conscience: le prêtre m’en a donné l’absolution. J’avais onze ans.

» Il n’y avait que les fêtes publiques qui attirassent toute la population: elles étaient fort belles. Mais je n’ai pas vu un seul événement de la Révolution qui fît sortir la foule dans la rue, comme, par exemple, la promenade du bœuf gras. Il n’y avait pas foule au 10 thermidor, où mon père me mena voir le supplice de Robespierre. J’étais placé près du ministère de la marine, trop loin pour distinguer l’expression de la physionomie des condamnés...»

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