Читать книгу Autour du drapeau : 1789-1889 : campagnes de l'armée française depuis cent ans - Charles Antoine Thoumas - Страница 18

FLEURUS ET LA MONTAGNE-NOIRE

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La campagne de 1793 avait été des plus laborieuses. L’hiver suspendit les opérations militaires, et la Vendée seule occupa les armées de la République: mais la lutte n’avait plus là le caractère grandiose des premiers temps de l’insurrection. Charette, qui n’avait pas pris part à l’expédition d’outre-Loire, continua dans la basse Vendée la guerre de partisans en déployant ce courage, cette habileté, cette activité infatigable qui ont rendu son nom si populaire. Turreau, nommé général en chef de l’armée républicaine, dirigea contre lui une partie de ses forces.

Charette fut battu à Machecoul, perdit l’île de Noirmoutiers, et prit sa revanche le 19 mars 1794, au combat de Venansault, combat resté célèbre par la mort du général républicain Haxo, estimé de tous, même des Vendéens, pour son courage et ses hautes qualités. Charette avait bien recommandé de ne pas le frapper et de le lui amener vivant. Poursuivi après la déroute de ses soldats par quelques cavaliers vendéens, Haxo a la cuisse percée par une balle et tombe de cheval; resté seul, il s’adosse à un arbre et vend chèrement sa vie. Il abat deux de ses adversaires à coups de sabre, est entouré par cinq autres cavaliers qui le somment de se rendre: il refuse; un officier l’ajuste à bout portant avec sa carabine, il tombe frappé de trois balles.

La Rochejaquelein tenait la campagne avec de nouvelles bandes levées dans le Bocage; attaqué à Trementine, il repousse les troupes républicaines, et apercevant, après le combat, deux bleus que ses soldats entouraient pour les mettre à mort, «Rendez-vous, leur crie-t-il; il ne vous sera fait aucun mal.» L’un de ces soldats, pour toute réplique, lui tire un coup de fusil et le tue raide. Stofflet s’érige de lui-même en chef suprême des forces vendéennes. Nous aurons peu de chose à dire désormais de cette guerre civile, qui n’est plus un danger, mais seulement un embarras pour la République; des événements bien autrement importants nous appellent à la frontière.

Le repos de l’hiver fut mis à profit par Carnot et par le Comité de salut public. Des mesures sévères rétablirent la discipline dans les bataillons de la levée en masse; l’activité la plus grande fut apportée à la fabrication du matériel, des armes et des munitions. Malgré leurs victoires, les troupes manquaient toujours des objets indispensables; on eut recours, pour les leur procurer, aux mesures les plus révolutionnaires. Dans les Pyrénées orientales, les habitants furent requis de porter des sabots pour donner leurs souliers aux soldats. On fit mieux encore dans une ville du Nord: l’autorité annonça une grande revue, la foule accourut pour jouir de ce spectacle, et soudain, par une évolution habile, on enferma les spectateurs dans un carré d’où ils ne sortirent que pieds nus, laissant leurs souliers aux soldats. La question des subsistances était une des grandes préoccupations du Comité. Un de ses membres, Robert Lindet, s’y consacra tout entier, et par les résultats qu’il obtint, comme par le zèle et l’habileté avec lesquels il remplit sa tâche, il a mérité de voir son nom inscrit à côté de ceux de Carnot et de Prieur de la Côte-d’Or.

Quant à Carnot, il procédait sans relâche à la réorganisation de l’armée. L’amalgame des volontaires et des troupes de ligne fondus dans des demi-brigades formées chacune d’un bataillon de ligne et de deux bataillons, voté en février 1793, avait été ajourné ; mais il y avait été procédé dans quelques armées, en sorte que l’infanterie était composée de demi-brigades de bataillons de ligne, de bataillons de volontaires, de bataillons de la levée en masse, de compagnies franches et de légions. Celles-ci furent licenciées; elles ne se recrutaient plus, et l’une d’elles, par exemple, la légion batave, comprenait treize soldats et vingt-six officiers. Les bataillons de la levée en masse furent versés dans les anciens bataillons; leurs cadres perdirent ainsi les grades qui leur avaient été conférés par l’élection.

L’amalgame avait été définitivement décrété le 29 décembre, il se fit sans difficulté ; l’infanterie comprit 196 demi-brigades de bataille et 22 demi-brigades légères. Les troupes à cheval comprirent 29 régiments de grosse cavalerie, 20 de dragons, 23 de chasseurs et 11 de hussards. L’artillerie légère, dont il n’existait que 9 compagnies, fut portée à 9 régiments de 6 compagnies chacun; les 7 régiments d’artillerie à pied furent conservés; on créa des bataillons de sapeurs pour le service du génie. L’effectif total de l’armée s’éleva à 850,000 hommes environ, dont 632,000 présents sous les drapeaux devant l’ennemi, y compris 112,000 hommes employés en Vendée. Les coalisés avaient mis en ligne 400,000 hommes; la France leur en opposait 500,000.

Carnot était parvenu à écarter les généraux incapables nommés sous l’influence ultra-révolutionnaire, les Doppet, les Carteaux, les Léchelle, les Carleng, les Rossignol, et il les avait remplacés par des hommes tels que Hoche, Jourdan, Pichegru, Dugommier, etc. L’effet de toutes ces mesures, qui s’était déjà fait sentir à la fin de la campagne de 1793, se traduisit en 1794 par une nouvelle série de succès;

Dans les Pyrénées orientales, Dugommier, le vainqueur de Toulon, avait succédé à Doppet; le général espagnol Ricardos venait de mourir, et son successeur La Union, tout en étant aussi brave, ne possédait pas ses talents militaires. Dagobert, un vétéran de la guerre de Sept ans, commandant un corps d’armée isolé, pénétra en Catalogne et s’empara de Belver et d’Urgel après deux brillants combats; mais les forces de ce vieillard de soixante-quinze ans trahirent son courage. Une fièvre violente, occasionnée par les fatigues, l’enleva à sa petite armée, dont il était adoré, et dont les officiers durent se cotiser pour payer les frais de ses funérailles, tant il mourut pauvre. La Convention décréta que son nom serait inscrit au Panthéon avec ceux du général Haxo et du représentant du peuple Fabre de l’Hérault, tué l’année précédente à l’armée des Pyrénées orientales.

Dugommier débuta dans son commandement par l’attaque du camp de Boulou, où les Espagnols s’étaient installés au nombre de 30,000, pour couvrir les places conquises par eux. La bataille dura deux jours, 11 et 12 mars. La déroute de l’ennemi fut complète, et la victoire de Dugommier excita en France un vif enthousiasme. C’était la première remportée sur cette frontière. Elle eut pour conséquence la reprise de Collioure, de Port-Vendres et du fort Saint-Elme.

Ces opérations présentèrent d’assez grosses difficultés: il fallut pratiquer dans la montagne un chemin long de deux lieues et y traîner les grosses pièces à bras. Les troupes souffraient beaucoup du mauvais temps; Dugommier soutint leur constance en s’installant au milieu d’elles dans une méchante cabane, et en partageant toutes leurs misères. L’armée se porta ensuite en avant. Pérignon, avec le centre, chassa les troupes espagnoles qui observaient les abords de Bellegarde, et réoccupa Prats-de-Mollo. Augereau, qui commandait la droite, s’empara de Saint-Laurent-de-Mouga, où se trouvaient une superbe fonderie, dont les richesses furent utilisées pour l’armée, et des fabriques de draps qui pourvurent à l’habillement des troupes.

Dugommier fit ensuite bloquer la place de Bellegarde par un corps de 20,000 hommes. Son intention était d’épargner ainsi à une ville française les horreurs du bombardement. Deux corps d’observation, commandés par les généraux Pérignon et Augereau, couvraient le blocus.

Le général espagnol voulant délivrer Bellegarde, vint attaquer, le 13 août, avec 20,000 hommes, la division Augereau, qui occupait toujours Saint-Laurent-de-Mouga. L’ennemi fut repoussé après une action vigoureuse dans laquelle fut tué le général Mirabel. Toutes les autres tentatives dirigées contre divers points de la ligne occupée par les Français, échouèrent également. Cette série de combats acharnés valut à l’armée des Pyrénées orientales un décret portant qu’elle avait bien mérité de la patrie. La garnison de Bellegarde se rendit à discrétion, le 18 septembre. Il ne restait plus un soldat espagnol en deçà de la frontière.

Dugommier, poursuivant le cours de ses succès, traverse à son tour cette frontière. La Union avait disposé son armée, forte de 40,000 hommes, à moitié chemin entre Bellegarde et la place de Figuières, clef de la Catalogne. Elle occupait un front de cinq lieues, couvert par une ligne de retranchements, qui s’appuyait à droite à la mer, à gauche à un camp retranché, soutenu lui-même par la place de Figuières. 90 redoutes, construites avec soin, formaient sur les hauteurs plusieurs lignes de défense. Dugommier n’avait que 25,000 hommes, mais il lui fallait, ou se retirer en découvrant la frontière, ou mourir de faim sur place, car le pays épuisé ne fournissait plus de vivres, et les charrois faisaient défaut pour en apporter de loin, ou enfin risquer l’attaque.


Se fiant sur la bravoure de ses soldats, Dugommier n’hésite pas, et le 7 novembre au matin, il engage l’affaire sur toute la ligne. La droite, commandée par Augereau, enlève les positions qu’elle avait devant elle; Pérignon au centre tient les Espagnols en échec, mais Sauret, à gauche, échoue devant la supériorité du nombre. L’affaire est remise au lendemain; elle recommence à la pointe du jour. Dugommier, posté avec le conventionnel Delbrel, observait la bataille du sommet de la Montagne-Noire. Un obus éclate sur sa tète, il est renversé, la tète fracassée, et son sang rejaillit sur ceux qui l’entourent. «Cachez ma mort à mes soldats,» dit-il, et il expire.

Pérignon prend le commandement. Comme le premier jour, la droite est victorieuse, le centre et la gauche sont repoussés. Le 19, Français et Espagnols se tiennent sur la défensive et s’observent mutuellement. Enfin, le 20, Pérignon fait reprendre le combat en dirigeant, cette fois, les principaux efforts sur le centre. Le général La Union, cherchant à ranimer ses troupes découragées par l’élan irrésistible des Français, se porte au premier rang; il est atteint de deux balles et tombe mort. Les Espagnols s’enfuient en désordre, poursuivis par l’artillerie légère. Bientôt leur déroute est complète. Le marquis de las Amarillas, qui avait remplacé La Union dans le commandement en chef, ne peut même rallier son armée.

Environ 10,000 hommes restés sur le terrain, 8,000 prisonniers, 30 pièces de canon, deux drapeaux, tels furent les fruits de la victoire. Le soir même du 20 novembre, la place de Figuières était investie, et cette place, regardée comme une des plus fortes de l’Europe, bien armée, bien approvisionnée, capitulait le 27, tant était grande la démoralisation de l’armée espagnole. Le gouverneur et trois officiers furent traduits devant un conseil de guerre et condamnés à mort; mais leur peine fut commuée par le roi d’Espagne.

La victoire de la Montagne-Noire, qui provoqua un vif enthousiasme dans toute la France, fut payée cher par la mort de Dugommier, un des généraux sur lesquels la République pouvait le mieux se reposer de son salut. Excellent tacticien, il possédait en outre au plus haut degré les qualités morales du commandement. Adoré de ses soldats, il obtenait tout d’eux. Il mourut à cinquante-huit ans.


Dans les Pyrénées occidentales, l’armée, commandée par le général Muller, se maintint d’abord dans toutes ses positions sur le territoire français, malgré les tentatives des Espagnols pour les en déloger. Il y eut plusieurs combats brillants, entre autres celui du camp des Sans-Culottes, le 5 janvier 1794. L’ennemi avait cru pouvoir facilement enlever ce camp, occupé par de jeunes soldats de la levée en masse; mais ces jeunes gens lui infligèrent une défaite sanglante. Un futur maréchal de France, l’adjudant-général Harispe, se distingua ensuite dans une série de combats qui eurent lieu à la fin du mois d’avril sur la frontière.

Bientôt Muller franchit cette frontière et pénétra dans la vallée de Bastan. D’autre part, une division de son armée s’empara de la place de Fontarabie, qui jusque-là n’avait jamais été prise, et quelques jours après, l’importante place de Saint-Sébastien ouvrit ses portes aux Français, grâce aux négociations habilement conduites par La Tour-d’Auvergne. Moncey, appelé au commandement en chef, ayant reçu de l’armée de l’Ouest un renfort de 15 bataillons, envahit la vallée de Roncevaux et en resta maître à la suite de plusieurs engagements. Une pyramide élevée dans cette vallée, en mémoire de la défaite de l’arrière-garde de Charlemagne, fut à cette occasion solennellement abattue.

Moncey ne borna pas là ses exploits. Il entra en Navarre et battit les Espagnols en vue de Pampelune; mais jugeant cette place trop fortement défendue, il prit le parti d’évacuer la Navarre en assurant la retraite par le combat de Bergara.

Hoche, tombé en disgrâce après les affaires de Wissembourg, pour s’être attiré la haine de Saint-Just, avait été nommé au commandement en chef de l’armée d’Italie, ancienne armée du Var. A peine arrivé à Nice, il fut arrêté par ordre du Comité de salut public, envoyé à Paris et incarcére. Sa captivité se prolongea, et la révolution du 9 thermidor vint l’arracher à une condamnation presque certaine. Dumerbion, qui prit après lui le commandement de l’armée d’Italie, était vieux et goutteux; mais Bonaparte dirigea par le fait les mouvements de l’armée, et Masséna, dont la réputation commençait à grandir, assura par sa vigueur-l’exécution de ses plans. Oneille, dont le port était le seul conservé par le roi de Sardaigne sur le continent, et servait de refuge à une foule de corsaires, fut pris par les troupes républicaines et le poste de Saorgio habilement tourné ; les alliés, rejetés d’abord sur le col de Tende, en furent chassés et relégués au delà des Alpes. Un corps autrichien qui cherchait à marcher sur Savone, fut battu à Cairo par Dumerbion.

De son côté, l’armée des Alpes, commandée par le général Alexandre Dumas, marchant et combattant sur la neige, s’empara le 24 avril du mont Velaisan et du petit Saint-Bernard. Dès que la saison le permit, elle occupa le mont Cenis et la vallée de Stura; elle se trouva ainsi en communication directe avec l’armée d’Italie.

L’armée de la Moselle, à la tête de laquelle fut appelé Jourdan, relevé de sa retraite, et l’armée du Rhin commandée parle général Michaud, ne remplirent dans cette campagne qu’un rôle secondaire. Surprise le 23 mai à Kayserslautern par le général Mollendorf, la droite de l’armée de la Moselle battit précipitamment en retraite. La division Desaix de l’armée du Rhin tint bon le même jour à Schiffenstadt contre les attaques des Autrichiens. Au commencement du combat, les troupes de Desaix pliaient. Un officier supérieur vient lui en rendre compte et lui demande: «Qu’ordonnez-vous? — La retraite de l’ennemi!» répond le général — et il est obéi.

Enfin, le 3 juillet, l’armée du Rhin prend l’offensive et s’empare des points dominants de Platzberg et de Trippstadt; de son côté, l’armée de la Moselle entre dans Trêves et reprend Kayserslautern. Desaix s’empare de Frankenthal. La rive gauche du Rhin, depuis Bâle jusqu’à Coblentz, est délivrée de la présence des coalisés, qui n’ont plus sur cette rive que le fort de Rheinfels, vis-à-vis Saint-Goar et la place de Mayence. Vigoureusement attaqué, le commandant de Rheinfels évacue le fort en passant sur la rive droite. Les divisions de l’armée du Rhin et de la Moselle s’approchent de Mayence, dont elles s’apprêtent à former le blocus.

L’honneur de porter les coups décisifs à la coalition était réservé à l’armée du Nord. Commandée par Pichegru, elle occupait un front très étendu, la droite au camp de Maubeuge, le centre de Bouchain et Cambrai à Guise, la gauche à Lille et Dunkerque. La partie principale de l’armée alliée, aux ordres du prince de Cobourg, marcha sur le centre pour s’emparer de Landrecies et se diriger ensuite sur Paris; la droite de l’armée du Nord se trouva ainsi coupée, mais elle opéra sa jonction à Beaumont avec l’armée des Ardennes, et l’ennemi se trouva placé entre deux masses, l’une de 50,000 hommes sur la Sambre, l’autre de 70,000 hommes vers Lille.

Landrecies tombe le 1er mars au pouvoir des coalisés. Après Valenciennes, Condé et le Quesnoy, c’est la quatrième place qu’ils occupent sur cette frontière. Clerfayt, qui commandait leur droite, voulut s’emparer de Courtray. Il fut repoussé par Souham, après un combat acharné qui se prolongea jusqu’à dix heures du soir. Les alliés imaginèrent alors ce qu’on a appelé le plan de destruction, consistant à écraser successivement les deux fractions de l’armée du Nord. Le prince de Cobourg marcha en conséquence avec 100,000 hommes pour couper de leurs communications avec Lille, les généraux Souham et Moreau, qui commandaient la gauche de l’armée française. En l’absence de Pichegru, qui était allé visiter sa droite, ces deux généraux prirent les dispositions les plus habiles pour résister à l’orage qui les menaçait. Ils furent si bien secondés par la valeur des troupes, que leurs efforts furent couronnés d’un succès complet. La victoire de Tourcoing, remportée le 18 avril 1794, produisit un effet moral qui contribua beaucoup aux heureux résultats de la campagne: on ne manqua pas de remarquer que 70,000 Français avaient battu 100,000 alliés.

C’est alors que Carnot, par un vrai trait de génie, jugea que le nœud de la guerre se trouvait sur la Sambre et la Meuse. En frappant l’ennemi de ce côté, on le coupait de sa base d’opérations, et on le forçait à renoncer à tous ses projets. Mais pour obtenir un tel résultat, 56,000 hommes ne suffisaient pas. Le Comité de salut public prescrivit à Jourdan de ne laisser sur les Vosges que l’effectif strictement nécessaire pour tenir tête à l’ennemi, de partir avec le reste de l’armée de la Moselle, renforcée par 15,000 hommes de l’armée du Rhin, et de venir prendre le commandement des 100,000 hommes qui allaient se trouver réunis sur la Sambre. Pichegru restait à la tête des 70,000 hommes qui occupaient la Flandre maritime.

Saint-Just et Lebas vinrent, en qualité de commissaires de la Convention, imprimer aux mouvements des troupes sur la Sambre toute leur activité révolutionnaire. Rien ne saurait donner une idée de la dureté tranchante et impitoyable dont Saint-Just fit preuve en cette circonstance.

Ne tenant qu’à moitié compte du plan de Carnot, les deux conventionnels veulent que, sans attendre Jourdan, on passe immédiatement la Sambre, pour attaquer Charleroi; Charbonnier, qui commandait l’armée des Ardennes, brave soldat, mais général ignorant, incapable et grossier, adonné à l’ivrognerie, leur obéit aveuglement; à quatre reprises différentes, les 18, 20, 22 et 25 mai, l’armée tente le passage de la Sambre, et chaque fois elle est repoussée avec des pertes considérables. Une cinquième tentative a lieu le 29 mai. La Sambre est franchie, Charleroi est bombardé ; mais l’ennemi revient en force, et encore une fois les Français sont rejetés sur l’autre rive.

Enfin Jourdan rejoint l’armée avec les puissants renforts qu’il amène et prend le commandement. Il franchit la Sambre le 12 juin et fait investir Charleroi par la division Hatry, tandis qu’avec le gros de l’armée, il couvre le siège. Faisant face à l’ennemi et tournant le dos à Charleroi, l’armée forme ainsi un demi-cercle, appuyé à droite et à gauche à la Sambre: Kléber commande la gauche, Marceau la droite, Championnet et Lefebvre le centre. Le prince d’Orange, commandant l’armée ennemie, profitant de l’avantage de sa position, engage le combat dès le 16 juin; l’armée française est battue et se porte une sixième fois sur la rive droite de la Sambre, mais elle renouvelle sa tentative le 18. Charleroi est encore une fois investi et le siège est mené vigoureusement, sous l’habile direction de l’ingénieur Marescot.

Saint-Just s’impatiente de tant de lenteur, et veut une attaque de vive force. Marescot, le.général Bollemont commandant l’artillerie, et le général Hatry, chargé du siège, s’élèvent, avec raison, dans le conseil de guerre, contre une tentative qui n’avait aucune chance de succès. Saint-Just donne au général Jourdan l’ordre de les arrêter tous les trois; arrêter voulait dire fusiller. Jourdan eut le courage de résister. Le 25 juin, après deux sorties repoussées et un bombardement assez violent, le commandant de la place envoie proposer une capitulation dont il avait écrit les conditions. «Ce n’est pas du papier que je veux, s’écrie Saint-Just, c’est la place!» Après quelques pourparlers, le commandant se rend à discrétion; les honneurs de la guerre sont accordés à la garnison.

Le lendemain 26, le prince de Cobourg ayant rallié les réserves anglaise et autrichienne pour venir appuyer-le prince d’Orange, attaquait l’armée républicaine rangée dans le même ordre qu’à la bataille du 16; à gauche, la division Montaigu fut d’abord sérieusement compromise, mais une manœuvre habile de Kléber fit tourner contre les alliés l’avantage qu’ils avaient obtenu, et leur droite se trouva rejetée hors du champ de bataille dès quatre heures du soir. Au centre, Morlot et Championnet résistèrent à toutes les attaques; mais à droite, les troupes de Marceau, vigoureusement poussées par le général autrichien Beaulieu, furent obligées de se réfugier dans les retranchements. Le village de Lambusart fut le théâtre de combats acharnés; Marceau parvint cependant à s’y maintenir, mais une retraite trop précipitée de sa cavalerie entraîna la fuite de l’infanterie. Lefebvre, qui jusque-là avait résisté, en arrière du village de Fleurus, aux efforts réitérés de l’archiduc Charles, se porte rapidement à droite pour soutenir Marceau, et Jourdan le fait appuyer lui-même par la division Hatry, qui était en réserve. Championnet se trouve seul alors au centre,et, croyant la division Lefebvre en déroute, il abandonne ses positions; Jourdan court à lui avec six bataillons de renfort et le reporte en avant.

Le combat d’artillerie devient terrible; le feu prend aux blés et se communique aux baraques du camp. Déjà quelques bataillons demandent l’ordre de la retraite. «Non!» dit Jourdan, «point de retraite aujourd’hui!» et les soldats électrisés se précipitent sur les Autrichiens en répétant: «Point de retraite!» En même temps, Lefebvre et Marceau re- prennent Lambusart. Cobourg, voyant qu’il ne peut forcer la position des Français, et apprenant d’ailleurs la reddition de Charleroi, ordonne la retraite.


Telle fut la bataille de Fleurus, ainsi nommée en souvenir de la victoire remportée sous Louis XIV par le maréchal de Luxembourg sur le même terrain. Les résultats matériels furént peu de chose; l’effet moral, immense. Les troupes rassemblées sur la Sambre prirent le nom désormais historique d’armée de Sambre-et-Meuse. Jourdan fut nommé général en chef de cette armée, qui fit sa jonction à Ath avec l’armée du Nord pour entrer dans Bruxelles. 150,000 hommes se-trouvèrent ainsi réunis dans la capitale de la Belgique.

Le général Schérer fut chargé, avec 15,000 hommes, de reprendre les quatre places du Nord qui se trouvaient au pouvoir de l’ennemi. La Convention, voulant frapper de terreur les garnisons de ces places, avait décrété, le 4 juillet, que celles qui ne se seraient pas rendues à discrétion vingt-quatre heures après en avoir été sommées, seraient passées au fil de l’épée. Ce singulier décret, aidé de la science d’ingénieur de Marescot, produisit son effet: Landrecies, Le Quesnoy, Valenciennes, Condé, se rendirent successivement à Schérer. La reddition de Condé ne laissant plus aucun soldat étranger sur la frontière du Nord, cette ville reçut le nom de Nord-Libre; de même, quelques mois plus tard et pour la même raison, Bellegarde fut appelée Sud-Libre.

La réunion des deux armées ne fut pas de longue durée. L’armée de Sambre-et-Meuse s’empare de Louvain et de Namur; celle du Nord occupe Malines et se, porte sur Anvers; Moreau, qui commande à gauche un corps d’armée de diversion, s’empare successivement d’Ostende, de Neuport et de l’île de Caxland. Il entreprend alors le siège du fort Lécluse, qui dure vingt-cinq jours et peut être cité comme un exemple remarquable de la constance des troupes à surmonter les obstacles de toute nature. Elles cheminaient gaiement dans la tranchée boueuse avec de l’eau jusqu’à la ceinture. Le chef d’état-major Dessolles seconda puissamment, dans cette campagne, le général Moreau, qui cantonna ensuite ses troupes aux environs de Bruges et de Gand. L’armée, commençant sa marche sur la Hollande, emporta les places de Crèvecœur, de Bois-le-Duc, battit les Anglais à Oude-Watering, et s’empara de Nimègue, de Breda et du fort de Grave.

De son côté, l’armée de Sambre-et-Meuse,-se portant sur Liège, s’emparait d’Aix-la-Chapelle et investissait Maëstricht. Les Autrichiens, retirés derrière la Roër, rendaient le siège de cette place difficile et dangereuse. Jourdan résolut de les débusquer de cette position. La bataille d’Aldenhoven, livrée le 2 octobre, sur la Roër, montra une fois de plus la supériorité des armes françaises et fit tomber au pouvoir de l’armée de Sambre-et-Meuse la place de Juliers. Kléber fut alors chargé du siège de Maëstricht, dont il s’empara après onze jours de tranchée ouverte, et qui capitula le 3 novembre. Marceau était entré dans Coblentz le 23 octobre. L’armée de Sambre-et-Meuse, depuis sa formation, avait marché de victoire en victoire.


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