Читать книгу Autour du drapeau : 1789-1889 : campagnes de l'armée française depuis cent ans - Charles Antoine Thoumas - Страница 24
MONTENOTTE, RIVOLI, NEUWIED
ОглавлениеL’année 1796 occupe dans les annales de la guerre une place à part; elle la doit aux immortelles campagnes d’Italie, qui révélèrent le génie militaire de Bonaparte et inaugurèrent une méthode de guerre inconnue jusqu’alors. Après la bataille de Loano, l’armée d’Italie, toujours commandée par Schérer, était restée immobile dans ses positions, souffrant des privations de toute sorte. Le gouvernement du Directoire, qui avait succédé à la Convention, et qui comptait Carnot parmi ses membres, enjoignit à Schérer de se porter en avant. Ce général déclara qu’il pouvait tout au plus espérer de défendre la ligne du Var; et à l’envoi d’un plan d’opérations, il répondit assez brutalement que celui qui avait rédigé ce plan devrait bien venir l’exécuter. On le prit au mot, et le général Bonaparte, qui avait été l’inspirateur de Carnot et du Directoire, fut appelé au commandement en chef de l’armée d’Italie.
Cette armée comprenait quatre divisions actives d’infanterie, commandées par Masséna, Augereau, Serrurier et Laharpe, et deux divisions de cavalerie aux ordres de Stengel et de Kilmaine, formant un total de 30,000 hommes avec 30 pièces de canon.
Les forces ennemies se composaient de l’armée autrichienne, 45,000 hommes commandés par le général Beaulieu, et de l’armée piémontaise, général Colli; 25,000 hommes, soit en tout 60 à 70,000 hommes avec 200 pièces de canon. L’infériorité du nombre était compensée par l’excellent moral des soldats français, aguerris depuis trois années par des combats incessants, habitués à la misère et aux privations. La nature de la guerre était d’ailleurs essentiellement favorable à leur caractère. A part deux batailles rangées, celles de Castiglione et de Rivoli, cette campagne se composa d’attaques de postes ou de combats partiels, d’abord dans les montagnes, puis dans les défilés formés en Lombardie par les rivières, les canaux et les irrigations; la rapidité des marches et la vivacité des attaques y secondèrent à merveille les grandes conceptions stratégiques du plus grand homme de guerre des temps modernes.
Bonaparte arriva à Nice le 27 mars et transporta le quartier général à Albenga. Dans un ordre du jour demeuré célèbre, il fit entrevoir à ses soldats nus et mal nourris la conquête des plaines fertiles de la Lombardie, où ils devaient trouver honneur, gloire et richesses. Son plan consistait à tourner la chaîne des Alpes et à franchir le col de Cadibona entre cette chaîne et celle des Apennins. Il comptait surprendre les Autrichiens; ceux-ci prirent au contraire l’initiative des attaques.
Le général Beaulieu, craignant de voir Gênes menacée par les Français, se porte sur cette ville et repousse de Voltri l’avant-garde de la division Laharpe; en même temps, le général d’Argenteau, qui commandait le centre, marche sur Montenotte, afin de descendre sur Savone, de s’en emparer et de couper l’armée française en deux. Lé 11 avril, il se heurte aux redoutes de Montelegino, défendues par le colonel Rampon et la 32e demi-brigade. Rampon fait jurer à ses soldats de mourir dans les redoutes avant de les laisser tomber au pouvoir de l’ennemi. «Mourons tous dans ce poste,» s’écrient d’une voix unanime les soldats de la 32e, et quoique les munitions leur fassent bientôt défaut, ils résistent énergiquement à toutes les attaques de l’ennemi pendant la nuit du 11 au 12. Le 12 au matin, Laharpe, rappelé de Voltri par Bonaparte, arrive à Montelegino, et, mettant en tête de sa colonne les braves défenseurs de la redoute, il fond impétueusement sur les troupes de d’Argenteau, dont la division Augereau observe la droite, tandis que Masséna les prend en flanc et en queue. La déroute de l’armée ennemie est complète: 4 drapeaux, 5 pièces de canon, 2,000 prisonniers, sont les trophées de cette première victoire qui porte dans l’histoire le nom de bataille de Montenotte.
Beaulieu rassemble l’armée autrichienne à Dego, sur la route de Lombardie, tandis que Colli réunit les Piémontais à Millesimo pour couvrir la route de Turin. Le 13, Augereau culbute la droite ennemie, lui enlève les gorges de Millesimo et cerne le mamelon de Cosseria, où le général Provera, enfermé avec 2,000 hommes, se défend courageusement contre plusieurs attaques.
Le lendemain, 14, Augereau repousse Colli; Provera, ayant perdu tout espoir d’être secouru, se rend à discrétion. Le même jour, Masséna et Laharpe enlèvent Dego, après un combat opiniâtre. Cette journée porte le nom de bataille de Millesimo; 30 canons, 13 drapeaux et 6,000 prisonniers sont les fruits de. la victoire.
- Le 15, une division de grenadiers autrichiens tombe à l’improviste et sans se douter elle-même de la présence des Français, sur le village de Dego, où il n’y avait plus que quelques bataillons, et elle s’en empare facilement. Bonaparte: accourt, un violent combat s’engage; Dego est repris et la division autrichienne presque entièrement détruite. Là se distingue l’adjudant général Lanusse qui décide la victoire en s’élançant audacieusement à la tête des troupes, son chapeau levé au bout de son épée. Là est remarqué aussi par Bonaparte, le chef de bataillon Lannes, qui est nommé colonel et qui deviendra plus tard un des plus illustres maréchaux de l’Empire.
Les Autrichiens et les Piémontais étaient définitivement séparés. On conseillait à Bonaparte dé négliger ces derniers pour achever de détruire les premiers. Il préféra se débarrasser des Piémontais avant de s’avancer plus loin en Italie. Colli évacua le camp retranché de Ceva, où Bonaparte porta son quartier général. En même temps, Augereau arrivait sur les hauteurs de Montezemolo, d’où l’on découvrait les vastes et riches plaines du Piémont, entourées par les cimes neigeuses des Alpes. «Annibal a forcé les Alpes,» s’écria Bonaparte, à cette vue, «nous, nous les avons tournées.» Serrurier poussa devant lui la droite de l’armée piémontaise, Masséna manœuvra pour tourner la gauche.
La bataille de Mondovi, livrée le 22 avril, décida du sort du Piémont. Le général Stengel, commandant la cavalerie française, y fut tué en chargeant sur la cavalerie ennemie. C’était, au dire de Bonaparte, le type du général d’avant-garde. Murât, premier aide de camp de Bonaparte, poursuivit les Piémontais pendant quelques heures à la tête du 1er hussards et de deux régiments de dragons. Les trophées de la victoire de Mondovi furent 8 pièces de canon, 6 drapeaux, 15,000 prisonniers; les Piémontais perdirent en outre 3,000 hommes tués ou blessés.
Le même jour, le général en chef entrait dans Cherasco, place forte où rien n’était prévu pour la défense, parce que, du côté de la frontière, elle se trouvait en troisième ligne. L’ordre du jour adressé à l’armée, du quartier général de Cherasco, est un des plus célèbres parmi ceux de Napoléon. «Dénués de tout,» disait-il à ses soldats, «vous avez suppléé à tout. Vous avez gagné des batailles sans canons, passé des rivières sans ponts, fait des marches forcées sans souliers», etc., etc.
Cependant les Autrichiens, occupés à couvrir Milan, ne venaient pas au secours des Piémontais; ceux-ci se décidèrent à conclure un armistice dont la condition principale fut la remise immédiate aux Français des cinq places fortes de Coni, de Tortone, de Ceva, de Démonté et d’Alexandrie. Cet armistice fut bientôt suivi d’un traité de paix signé le 13 mai: le Piémont cessait à son tour de faire partie de la coalition.
L’enthousiasme fut grand à Paris lorsqu’on vit arriver Junot et Murat avec les 21 drapeaux conquis à Montenotte, à Millesimo, à Dego et à Mondovi.
Beaulieu s’était retiré au delà du Pô pour couvrir Milan. Persuadé, par des indiscrétions habilement calculées, que l’armée française devait traverser le fleuve sur le pont de Valence, il se tenait en observation de ce côté ; mais Bonaparte se transporta rapidement à Plaisance, le 7 mai, avec 3,500 grenadiers organisés en bataillons, la cavalerie et 24 pièces d’artillerie. Lannes franchit le Pô avec 900 grenadiers sur les bateaux recueillis par l’artillerie, et chargea vigoureusement deux escadrons de hussards qui voulaient s’opposer au passage; bientôt toute l’avant-garde fut transportée sur la rive gauche; le village de Fombio, occupé par la division autrichienne Liptaï, fut enlevé par le général Laharpe.
Le lendemain, cet excellent officier est tué par ses propres troupes au milieu de la confusion d’une attaque de nuit. Un armistice est conclu avec le duc de Parme, et l’armée se porte rapidement sur Lodi, où Beaulieu occupait la rive gauche de l’Adda avec 12,000 hommes d’infanterie et 4,000 de cavalerie; 25 à 30 pièces de canon battaient les approches du pont. La ville de Lodi, située sur la rive droite, fut lestement enlevée le 10 mai, et l’artillerie française fut disposée le long de l’Adda pour contrebattre celle des Autrichiens.
Le soir même, Bonaparte détacha le général Beaumont avec sa cavalerie et une batterie d’artillerie légère, lui prescrivant de remonter la rive droite jusqu’à une lieue au-dessus de la ville, d’y franchir l’Adda en profitant d’un gué praticable pour le moment, de canonner le flanc droit des Autrichiens. En même temps, les grenadiers sont formes en colonnes serrées derrière le rempart de Lodi qui bordait la rive droite de l’Adda. Dès que les batteries françaises ont pris le dessus et que le feu de l’ennemi se ralentit, Bonaparte fait battre la charge, les grenadiers s’élancent sur le pont et enfoncent l’infanterie autrichienne, qui se retire en désordre sur Crémone, en perdant son artillerie, plusieurs drapeaux et 2,500 prisonniers. L’action avait été menée si vigoureusement, que la perte des Français ne dépassa pas 200 hommes.
C’est le soir de cette célèbre affaire de Lodi, qu’un vieil officier hongrois prisonnier, causant avec Bonaparte, qu’il ne connaissait pas, lui dit: «Nous avons affaire à un jeune général qui est tantôt devant nous, tantôt derrière, tantôt sur nos flancs. Cette manière de faire la guerre est insupportable et viole tous les usages.» Après avoir occupé Crémone, Bonaparte entre solennellement dans Milan, le 15 mai, au milieu d’un peuple immense, qui l’accueille avec enthousiasme. Dans son ordre du jour, daté de Milan, il dit à ses soldats: «Vous vous êtes précipités comme un torrent du haut de l’Apennin. Vous avez culbuté, dispersé tout ce qui s’opposait à votre marche... Vous aurez la gloire immortelle de changer la face de la plus belle partie de l’Europe. Vous rentrerez alors dans vos foyers, et vos concitoyens diront en vous montrant: Il était de l’armée d’Italie.»
Après s’être reposé plusieurs jours à Milan pour réorganiser ses divisions, Bonaparte porte son quartier général à Lodi. Il y apprend l’insurrection de la ville de Pavie et la honteuse capitulation de la garnison qu’il avait laissée dans la citadelle. Il revient sur ses pas avec un bataillon de grenadiers, 300 chevaux et 6 pièces d’artillerie légère. Lannes, qui commandait son avant-garde, disperse à Binasco un rassemblement de plusieurs milliers de paysans insurgés. Bonaparte, malgré la faiblesse numérique de sa colonne, brusque l’attaque de Pavie. Les grenadiers enfoncent les portes à coups de hache et pénètrent au pas de charge dans la ville: la garnison de la citadelle, prisonnière depuis la capitulation, est délivrée; le capitaine qui la commandait est traduit devant un conseil de guerre et passé par les armes.
Pendant ce temps, Berthier, chef de l’état-major, entrait dans Brescia, ville dépendant de la république de Venise. Les Autrichiens bordaient le Mincio; Bonaparte les attaque à Borghetto; sa cavalerie, entraînée par Murat, culbute celle des Autrichiens, son infanterie enlève Valeggio, défendue par 4,000 hommes. Le quartier général y est installé. Une division autrichienne, ignorant ce qui s’était passé, remontait la rive gauche du Mincio. Ses coureurs arrivent près de Valeggio sans avoir été signalés, entrent dans le bourg et parviennent jusqu’à la maison où se reposait Bonaparte. Ses officiers d’ordonnance ferment la porte en toute hâte pendant que le général, sortant à pied par une petite porte de derrière, prenait le cheval d’un dragon et rejoignait ses troupes, qui repoussaient les Autrichiens. C’est à cette occasion que fut créé le corps des guides, troupe d’élite destinée à servir d’escorte permanente au général en chef, et qui devint plus tard le régiment des chasseurs de la garde impériale.
Le 3 juin, Masséna s’empara de Vérone et de Legnago sur l’Adige. L’occupation de cette ligne avait pour objet de couvrir le siège de Mantoue, la place la plus importante du nord de l’Italie, située au milieu de trois lacs formés par les canaux du Mincio, et ne pouvant communiquer avec la terre ferme que par cinq chaussées, dont une était fermée par la citadelle de la Favorite. Cette disposition permettait de bloquer la place avec peu de monde. Serrurier fut chargé de commander les troupes du blocus. L’artillerie de siège, nécessaire pour l’attaque régulière de Mantoue, fut fournie par la prise des citadelles de Milan et de Ferrare et du fort Urbin, appartenant au pape, dont l’armée avait envahi les États; elle entra à Ferrare et à Bologne. Un armistice fut conclu avec le Gouvernement pontifical.
La tranchée fut ouverte devant Mantoue le 18 juillet, et le siège marcha régulièrement, malgré les efforts des assiégés pour contrarier les travaux. Mais un orage qui se préparait depuis quelque temps allait fondre sur l’armée d’Italie.
A la suite des premiers succès de Bonaparte, la cour de Vienne avait détaché de son armée du haut Rhin 30,000 hommes, pour les envoyer en Italie sous les ordres du vieux maréchal Wurmser, qui devait, en ralliant les débris de Beaulieu, se trouver à la tête de 80,000 hommes, y compris les garnisons. Wurmser porta son quartier général à Trente et divisa son armée en trois colonnes: celle de gauche, commandée par Davidovitch, devait marcher sur Vérone par la vallée de l’Adige; celle du centre, forte de 30,000 hommes, sous les ordres directs de Wurmser, s’avançait par le pays situé entre lé lac de Garde et l’Adige; enfin, la droite, sous Quasdanovitch, se portait sur Brescia, afin de couper les communications de l’armée française avec Milan.
La position était critique. Bonaparte lui-même en fut ému: il réunit pour la première fois ses généraux en conseil; tous opinèrent pour la retraite, sauf Augereau qui, doué d’un caractère ardent et peu capable d’ailleurs de juger la question stratégique, s’écria qu’avec ses grenadiers il saurait se frayer un passage à travers des flots d’ennemis.
Bonaparte congédia le conseil sans exprimer sa propre opinion; mais son parti était pris. Il fit lever immédiatement le siège de Mantoue; Serrurier brûla les affûts et les plates-formes, enterra les projectiles, jeta les poudres à l’eau et quitta ses positions dans la nuit du 31 juillet au 1er août. En même temps, Bonaparte se portait au devant de la colonne de droite et la battait à Salo et à Gavardo; Augereau chassait les Autrichiens de Brescia. Quasdanovitch, hésitant devant cette vive attaque, arrêtait son mouvement, et Bonaparte se rejetant sur le centre; attaquait le corps de Bayalitch à Lonato. Bayalitch étendit ses ailes pour envelopper les Français et affaiblit ainsi son centre. Bonaparte, se mettant lui-même à la tête des 18e et 32e demi-brigades, appuyées par un régiment de dragons, fond sur le centre affaibli, renverse tout et coupe en deux la ligne des Autrichiens, qui se replient en désordre; Junot, à la tête des guides, s’élance à la poursuite de l’ennemi et tombe sur la cavalerie. Frappé de plusieurs coups de sabre et dégagé à grand’peine de dessous son cheval renversé, il a du moins l’honneur d’avoir achevé la déroute de l’ennemi. Pendant ce temps, Augereau enlevait à Castiglione les hauteurs occupées par la division Liptaï.
Wurmser, qui avait devancé ses lieutenants pour entrer triomphalement à Mantoue, revient sur ses pas avec un renfort de 15,000 hommes, et rallie Bayalitch et Liptaï. Bonaparte, voulant concentrer ses troupes, remet au lendemain, 5 juillet, le choc décisif. Il était à Lonato, activant les mouvements qu’il avait ordonnés, lorsqu’une colonne ennemie se présente devant la ville et envoie un parlementaire sommer le commandant français de se rendre. Bonaparte n’avait pas 15,000 hommes avec lui; mais il devine immédiatement que cette colonne appartenait à une des divisions dispersées la veille, et qu’elle était égarée. On introduit devant lui le parlementaire, les yeux bandés; il fait ôter le bandeau à cet officier et l’apostrophe vivement; «Vous êtes, lui dit-il, devant le général en chef de l’armée française; votre corps est coupé, c’est lui qui doit se rendre. Je vous accorde dix minutes pour mettre bas les armes. Si vous résistez, je ne fais de quartier à personne.» Une heure après, l’armée avait 3,000 prisonniers de plus, dus à la présence d’esprit de Bonaparte.
La bataille de Castiglione termina glorieusement cette campagne de six jours. Masséna à gauche, Augereau au centre, culbutèrent l’ennemi, tandis que Serrurier le prenait à revers sur la droite; 19 pièces d’artillerie réunies sous les ordres de Marmont, aide de camp du général en chef, avaient préparé le succès du mouvement de Serrurier.
Wurmser avait perdu en tout 7 à 8,000 hommes tués ou blessés et 13,000 prisonniers; il se retira dans les Alpes avec 40,000 hommes, et d’après un nouveau plan, il partagea son armée en deux colonnes qui devaient descendre, l’une, la vallée de l’Adige, l’autre, celle de la Brenta. Bonaparte laissant Kilmaine à Vérone avec une réserve de 3,000 hommes, et Sahugquet devant Mantoue avec une division de 8,000 hommes, marche sur Trente par la vallée de l’Adige.
Dans cette vallée étroite et resserrée, il rencontre, le 4 septembre, au défilé de San Marco, la division Wukassowich. Aussitôt, par l’application la plus heureuse de la nouvelle tactique, il déploie en tirailleurs à droite et à gauche deux corps d’infanterie légère qui harcèlent l’ennemi, pendant que le général Victor, à la tête de la 18e de ligne, en colonnes serrées par bataillon, passe le défilé. La victoire est décidée par une charge du 1er hussards, qui rompt l’infanterie autrichienne; le général Dubois, commandant la cavalerie, tombe frappé de trois balles.
Les Autrichiens se retirent à Roveredo; Victor et la 18e demi-brigade les y suivent et les en chassent. Mais la journée n’est pas finie. Les deux divisions autrichiennes, ralliant la réserve, occupent le défilé redoutable de Caliano, où l’Adige, serrant la montagne, ne laisse que la place nécessaire pour la chaussée, dont l’entrée est enfilée par le château de Pietra. Bonaparte distribue son infanterie légère à droite et à gauche. Ses agiles soldats suivent d’un côté la pente de la montagne, en sautant de rocher en rocher, et de l’autre côté courent dans le lit de l’Adige. Une batterie légère bien placée les appuie en dirigeant son feu sur le château de Pietra, qui est enlevé. L’infanterie de ligne le traverse au pas de charge et fond en colonne serrée sur l’armée autrichienne qui, poursuivie par la cavalerie, laisse entre les mains des Français 4,000 prisonniers.
Entré dans Trente le 5 septembre, Bonaparte y laisse le général Vaubois et se lance dans les gorges de la Brenta, à la suite de Wurmser. Franchissant vingt lieues de chemins des plus difficiles en deux jours, son avant-garde rencontre celle des Autrichiens à Primotano. Ici encore la 5e légère se déploie en tirailleurs et la 4e de ligne aborde l’ennemi en colonnes serrées; le 5e dragons, commandé par le colonel Milhaud, tourne la colonne autrichienne, qui met bas les armes. Le fort de Covolo est enlevé. Le 8 septembre a lieu la bataille de Bassano; les troupes de Wurmser, enfoncées sur toute la ligne, sont rejetées vers Vicence. 6,000 prisonniers, 8 drapeaux, 2 équipages de pont, 30 pièces de canon, 300 voitures tombent au pouvoir de l’armée française.
Wurmser semblait perdu; il lui restait 16,000 hommes avec lesquels il cherche à forcer le passage de l’Adige. Kilmaine tint bon dans Vérone contre les attaques du corps de Metzaros; mais le commandant- du poste de Legnago, appelé à Vérone, quitte ce poste sans faire sauter le pont. Wurmser en profite, culbute à Cerea, à Vellimpinta, à Due Castelli, les corps trop faibles qu’il trouve sur son passage, et pénètre enfin dans Mantoue. Là, réunissant la garnison aux débris de son armée, il se crut assez fort pour tenir la campagne; mais battu à Saint-Georges, le 15 octobre, il fut définitivement rejeté dans la place de Mantoue après avoir laissé aux mains des Français 3,000 prisonniers, dont un régiment de cuirassiers tout monté, 3 drapeaux et 11 pièces de canon. Il prit immédiatement des mesures pour prolonger la résistance de la place, en faisant entrer des approvisionnements avant que le blocus fût complet et en faisant tuer et saler une partie des chevaux de la garnison.
Avant de pousser plus loin le récit de la campagne d’Italie, il nous paraît nécessaire d’exposer ce qui s’était passé en Allemagne aux armées de Sambre-et-Meuse et de Rhin-et-Moselle. La première était toujours commandée par Jourdan. Conformément à l’armistice du 23 décembre 1795, elle occupait la place de Dusseldorf, ayant ses avants-poste à trois lieues en avant, et toute la rive gauche du Rhin, dé Dusseldorf à Bingen. Moreau avait succédé à Pichegru dans le commandement de l’armée de Rhin-et-Moselle, qui occupait les pays situés sur la rive gauche, en arrière de la ligne de Bingen à Wissembourg et la rive même du fleuve de Lauterbourg à Bâle.
L’armée de Sambre-et-Meuse, forte de 71,000 combattants, était partagée en trois corps d’armée: la gauche sous Kléber, le centre commandé par Jourdan en personne, la droite sous les ordres de Marceau. L’armée de Rhin-et-Moselle, d’un effectif total de 75,000 hommes, comprenait de même trois corps, commandés par Gouvion-Saint-Cyr, Desaix et Férino. Le vice de cette organisation consistait dans l’absence d’un commandement unique. Il devait en résulter dans les opérations un décousu dont ne manquerait pas de profiter l’archiduc Charles, investi du commandement supérieur des deux armées autrichiennes du haut Rhin et du bas Rhin, passées depuis le départ de Wurmser pour l’Italie et le rappel de Clerfayt, sous les ordres des généraux Latour et Wartensleben.
C’est l’armée de Sambre-et-Meuse qui entama les hostilités. L’archiduc Charles avait dénoncé l’armistice le 21 mars; Kléber partit de Dusseldorf le 10 avril, franchit la Sieg à la suite d’un combat dans lequel Richepanse se distingua particulièrement en chargeant à la tête du 1er chasseurs, qu’il commandait comme chef d’escadron. L’ennemi, affaibli par la perte de 2,400 hommes, se retira sur Uckeradt, puis sur Altenkirchen, où il fut culbuté de nouveau le 4 juin. Dans ce combat, la cavalerie, composée des 1er, 6e et 9e chasseurs, sous les ordres du général d’Hautpoul, chargea avec vigueur l’infanterie autrichienne et lui fit mettre bas les armes. Richepanse, blessé au bras, ayant eu deux chevaux tués sous lui, s’élança sur un troisième cheval et continua de se battre. Kléber le nomma général sur le champ de bataille.
Jourdan fait alors passer le Rhin à Neuwied par son centre et par sa droite; mais au lieu de profiter de sa supériorité numérique pour écraser les Autrichiens, il temporise et permet à l’archiduc Charles d’accourir au secours de son aile droite. Lefebvre, attaqué à Wetzlar le 15 juin, repousse d’abord victorieusement l’ennemi, mais celui-ci revient à la charge, conduit par l’archiduc en personne. Assailli de front par les grenadiers, pris en flanc par cinq escadrons de cuirassiers, Lefebvre est forcé d’abandonner sa position, et, couvert par la cavalerie de Richepanse, opère sa retraite sur Altenbourg, où il ne peut tenir. Jourdan jugeant sa position inférieure à celle de l’archiduc, ordonne la retraite de toute son armée. Le centre et la droite repassèrent heureusement sur la rive gauche du Rhin. Kléber, avec la gauche, eut à soutenir à Uckeradt. un combat sanglant où il perdit beaucoup de monde, et parvint enfin à se réfugier dans le camp retranché de Dusseldorf.
Moreau n’avait rien tenté, avec l’armée de Rhin-et-Moselle, pour appuyer Jourdan. Obéissant aux ordres formels du Directoire, il préparait tout pour franchir le Rhin à Kehl, et dissimulait ses préparatifs par une démonstration contre la tête du pont de Mannheim. Le passage du Rhin, exécuté dans cette circonstance, peut être cité comme une des plus belles opérations de ce genre. Le général Desaix avait été chargé d’en diriger les détails. Les troupes destinées à forcer le passage présentaient un effectif de 15,000 hommes; elles furent réunies au polygone de Strasbourg dans la nuit du 23 au 24 juin; les bateaux avaient été amenés dans le grand bras du Rhin; 2,600 hommes, transportés en bateau dans l’île d’Ehrler-Rhein, se jetèrent à la baïonnette sur les Autrichiens répandus dans cette île et franchirent à leur suite les ponts qui la joignaient à la rive droite. Sans artillerie et sans cavalerie, ils marchèrent sur Kehl; les bateaux furent renvoyés à la rive gauche pour être chargés de nouveau; un pont volant fut construit pour amener des renforts; Kehl fut attaqué et enlevé à la baïonnette. Alors Moreau fit commencer la construction du pont de bateaux avec l’équipage qui avait été amené à Strasbourg, et toute l’armée passa sur la rive droite.
L’armée ennemie était tellement dispersée, que Moreau aurait pu la détruire en agissant avec promptitude; mais Moreau, malgré son grand mérite, était incapable de montrer une telle activité. Il ne voulut pas se mettre en marche avant d’avoir été rejoint par le corps de Saint-Cyr, qu’il avait laissé devant Mannheim. Le 28 juin cependant il fit attaquer 10,000 Autrichiens qui occupaient Renchen, et qui se replièrent sur l’armée de Latour. Le combat fut très vif, et le succès fut décidé par une belle charge de quatre régiments de cavalerie commandés par le colonel Fauconnet. On prit à l’ennemi 600 chevaux et 10 pièces d’artillerie légère; on lui fit 1,200 prisonniers, et il laissa le terrain couvert de ses morts.
L’archiduc se hâta d’accourir au secours de Latour, en lui amenant un puissant renfort; Moreau, dont toute l’armée était enfin réunie, marcha à sa rencontre. Le général Latour, croyant pouvoir lui résister dans la position de Rastadt, n’attendit pas les renforts amenés par l’archiduc pour livrer bataille. Il fut battu, sans subir toutefois des pertes considérables, et se retira sur Ettlingen. Moreau pouvait encore détruire l’armée de Latour; il persista dans son système de lenteur. Cependant l’archiduc ayant réuni toutes ses forces à Ettlingen, le commandant de l’armée française se décida à frapper un grand coup, et le 9 juillet une bataille générale s’engagea. Saint-Cyr obtint un succès complet dans la montagne; mais Desaix, sur le revers des montagnes, et Ferino dans la plaine, se virent forcés de reculer. La réserve de cavalerie de Bourcier arrêta les progrès de l’archiduc Charles qui, voyant sa droite débusquée par Saint-Cyr, de toutes ses positions, se décida à battre en retraite. Moreau aurait dû le poursuivre franchement par le haut Neckar sur le Danube; il continua à n’avancer qu’avec circonspection, et l’archiduc put se retirer librement dans la vallée du Danube.
Pendant ce temps, l’armée de Sambre-et-Meuse s’était de nouveau portée en avant. Le 18 juillet, Kléber sortait du camp de Dusseldorf et marchait sur Uckeradt; Jourdan passait le Rhin de vive force sur deux ponts de bateaux à Neuwied, le 2 juillet, laissant 15,000 hommes sous les ordres de Marceau pour observer la garnison de Mayence, et débouchait dans les plaines du Mayn, pendant que Kléber se dirigeait sur Francfort.
Chaque jour de cette marche en avant fut marqué par un combat glorieux. Richepanse et Ney, qui commandaient la cavalerie, s’y distinguèrent particulièrement. Après avoir battu Wartensleben à Friedberg, Kléber conclut avec lui une suspension d’armes de quarante-huit heures, aux termes de laquelle il prend possession de Francfort. L’avant-garde de Jourdan entre dans Schweinfurth; Wurtzbourg et sa citadelle capitulent. Lefebvre, qui commande l’aile gauche en remplacement de Kléber, obligé lui-même de suppléer dans le commandement en chef Jourdan tombé malade, rencontre, le 6 août à Hirscheid, la cavalerie autrichienne: il n’avait avec lui que six escadrons de chasseurs, commandés par Richepanse, et le 8e régiment de cavalerie (cuirassiers). Les chasseurs chargeant à outrance et à plusieurs reprises, sont ramenés par des forces supérieures. Richepanse, grièvement blessé, continue à combattre; il est dégagé par les cuirassiers, dont le colonel Doyré tombe frappé à mort. Le même jour le centre bat les Autrichiens à Forchheim; Ney s’empare de cette place, où l’on trouve des approvisionnements considérables; il est nommé général de brigade sur le champ de bataille, pour avoir contenu l’ennemi avec l’avant-garde jusqu’à l’arrivée de la division Colaud. Le 17 août un combat plus acharné encore est livré par Ney et Colaud à Sulzbach, tandis que Championnet repousse l’ennemi à Amberg. Le 19 la lutte recommence à Wolfring; enfin les Autrichiens se retirent derrière le Nab, que borde l’armée de Sambre-et-Meuse. Bernadotte est détaché, avec sa division, à dix lieues sur la droite pour observer Ratisbonne.
L’armée du Rhin avait continué sa marche en avant, marche conforme au caractère de son chef prudent, circonspect et quelque peu hésitant. L’archiduc Charles, comme s’il eût voulu éloigner de plus en plus les armées françaises de leur base d’opération, cédait sans combattre les positions les plus avantageuses; non seulement Moreau communiquait difficilement avec Jourdan, mais il était séparé par une grande distance de sa propre droite commandée par Férino. L’archiduc résolut de profiter de cette circonstance pour attaquer Moreau. Une reconnaissance dirigée par l’adjudant général Heudelet s’étant portée sur Bopfingen, le 5 août, se trouva tout à coup en présence de forces considérables en cavalerie et en artillerie; l’infanterie, surprise, perdit 2 ou 300 prisonniers et fut dégagée par le 7e hussards, dans une charge des plus brillantes. Le colonel de ce régiment, Marizy, fait prisonnier un moment, après avoir été blessé de plusieurs coups de sabre, et voyant son régiment battre en retraite, s’écria: «7e de-hussards, demi-tour en avant!» mouvement que le régiment exécuta aussitôt au cri général de: «Sauvons notre colonel!» L’ennemi fut repoussé, et Marizy, délivré, monta sur le cheval d’un hussard que celui-ci lui abandonna.
L’archiduc fixa au 11 août l’attaque générale qu’il méditait contre l’armée de Moreau, La dissémination de cette armée faillit lui donner la victoire à Neresheim: la résistance de Gouvion-Saint-Cyr avec la droite, alors que le centre était complètement en déroute, changea le sort des armes; repoussé sur tous les points, l’archiduc battit en retraite le 12 au matin. Il semblait que rien ne s’opposât plus à la réunion des deux armées de Sambre-et-Meuse et de Rhin-et-Moselle; mais, interprétant dans le sens le plus étroit les instructions du Gouvernement, les deux généraux en chef augmentèrent encore la distance qui les séparait, en appuyant l’un à gauche, l’autre à droite, pour déborder les ailes de l’ennemi.
La position de l’armée de Sambre-et-Meuse était d’autant plus périlleuse que cette armée, au lieu de se tenir à hauteur de celle de Rhin-et-Moselle, l’avait dépassée. L’archiduc résolut d’en profiter; laissant Latour et le prince de Condé observer Moreau, il se jeta sur la division Bernadotte, qui eut le temps de prendre ses dispositions, et dont les troupes pleines d’ardeur repoussèrent toutes les attaques de l’ennemi. Bernadotte s’empressa de prévenir Jourdan qui, exactement renseigné sur les forces réunies par l’archiduc, environ 66,000 hommes dont 20,000 de cavalerie, tandis qu’il n’en avait que 42,000, se décida à une prompte retraite. C’est le 23 août, à onze heures du soir, que l’armée de Sambre-et-Meuse quitta les bords du Nab, suivie par Wartensleben. La division Colaud fut serrée de près par l’ennemi; Ney, qui commandait son arrière-garde, réussit à contenir les Autrichiens, pour permettre à la division de passer la Vils; mais, entouré et cerné par une nombreuse cavalerie, il fut enfin obligé de se faire jour le sabre à la main avec ses escadrons, en abandonnant deux bataillons d’infanterie de la 23e demi-brigade, commandés par le colonel Deshayes. Celui-ci forma sa troupe en carré et fit prêter aux soldats le serment de mourir plutôt que de déposer les armes: ce serment fut noblement tenu. L’artillerie mitrailla le carré, la cavalerie l’assaillit par des charges réitérées; Deshayes fit amonceler les uns sur les autres les cadavres qui l’entouraient, pour s’en faire un rempart; il fallut battre en brèche cette forteresse humaine, et le général Werneck, dans une dernière charge, à la tête d’un régiment de cuirassiers, rompit enfin le carré. Tout ce que le canon avait épargné fut sabré et tué ; Deshayes succomba à ses blessures.
La ligne de retraite de Jourdan était coupée, il ne lui restait plus, pour se retirer, qu’un chemin de traverse. Le chef d’état-major Ernouf, chargé de reconnaître ce chemin, opéra si mal sa reconnaissance, que tous les équipages de l’armée se trouvèrent arrêtés, entassés devant un pont impraticable aux voitures. Il fallut faire un long détour et ordonner des allées et venues, qui fatiguèrent les troupes en les démoralisant et en détruisant la discipline. L’armée arriva cependant, le 31 août, à Schweinfurth, après trois jours de marche forcée, en se frayant un chemin à la baïonnette. Jourdan chercha alors à s’ouvrir la route de Wurtzbourg, où le général Bollemont était cerné dans la citadelle par les Autrichiens.-Il commit la faute grave de-laisser à Schweinfurth la division Lefebvre, et livra bataille avec 30,000 hommes au prince Charles, qui en avait 40,000, dont 12,000 de cavalerie; cette belle cavalerie décida de la victoire. En vain le général Bonnaud tenta une charge désespérée avec toute la réserve. Ses escadrons enfoncèrent la première ligne autrichienne, mais la seconde ligne, forte de trois brigades, marcha sur eux au trot, avant qu’ils eussent réparé le désordre de la charge. Culbutés et dispersés, ils cherchèrent refuge derrière l’infanterie, qui contint l’ennemi, mais sans pouvoir le faire reculer.
Renonçant à l’espoir de vaincre, Jourdan ordonna la retraite, qui devenait de plus en plus difficile. Enfin il arriva sur la Lahn, où il se joignit à Marceau et fut en outre renforcé de 10,000 hommes venus de l’armée du Nord. Supérieur alors en nombre à l’ennemi, mais manquant de chevaux pour remonter son artillerie et sa cavalerie, il fut rejeté sur le Rhin après une nouvelle série de combats, dans lesquels se distingua tout particulièrement Marceau. Le général Bonnaud, commandant la réserve de cavalerie, trouva une fin glorieuse, le 16 septembre, au combat de Giessen, où il tomba frappé d’une balle à la cuisse en sabrant une forte colonne d’infanterie autrichienne.
Marceau lui-même était déjà marqué par le doigt de la mort. Chargé de commander l’arrière-garde, qui était vivement pressée par le général Hotze dans la journée du 19 septembre, il recule pas à pas jusqu’au défilé qui précède Altenkirchen. Jourdan lui fait dire de s’arrêter à ce défilé ; il prend pour s’y maintenir les plus habiles dispositions, et, voulant reconnaître l’ennemi qui s’avançait, il se porte sur la première ligne des tirailleurs. Un chasseur tyrolien embusqué derrière une haie lui tire de très près un coup de carabine; il se sent blessé, demande qu’on le descende de cheval et tombe dans les bras de ceux qui l’entouraient. Jourdan, qui accourait pour appuyer son arrière-garde, en prend le commandement, et la retraite s’opère en bon ordre jusqu’à Altenkirchen. Les médecins déclarent qu’il est impossible de transporter plus loin l’illustre blessé. On le laisse donc dans Altenkirchen, en le recommandant aux soins des Autrichiens, recommandation inutile, car Marceau était estimé des ennemis comme de ses compagnons d’armes. Il mourut le 21 septembre, après avoir été honoré de la visite du général Kray et de l’archiduc lui-même. Ses funérailles furent célébrées au milieu des salves de l’artillerie des deux armées.
Jourdan rentra alors sans encombre dans ses anciennes positions. Beurnonville vint le remplacer dans le commandement de l’armée, qui avait successivement perdu, outre Bonnaud et Marceau, les généraux Colaud et Kléber rappelés pour leur insubordination envers Jourdan, dont ils avaient, assez justement d’ailleurs, critiqué toutes les opérations pendant la retraite.
Tandis que ces faits se passaient à l’armée de Sambre-et-Meuse, Moreau, après la bataille de Neresheim, perdait plusieurs jours dans l’inaction; puis, sans s’inquiéter du sort de Jourdan, il passa sur la rive droite du Danube et mit son armée en mouvement pour attaquer le général Latour, laissé en observation devant lui avec 30,000 hommes. Le Lech fut franchi de vive force et le général Latour chassé de la position de Friedberg, en perdant 17 canons et 1,500 prisonniers. Moreau se porta ensuite sur Dachau et Munich, après avoir dé nouveau battu Latour à Geisenfeld, et se décida alors à envoyer Desaix avec 12,000 hommes à la recherche de l’armée de Sambre-et-Meuse.
Desaix, en rejoignant l’armée, rapporta la nouvelle de la retraite de Jourdan. Moreau comprit qu’il ne lui restait plus qu’à se retirer lui-même le plus promptement possible, pour éviter d’être coupé. Il s’affermit encore dans cette disposition en apprenant une tentative des garnisons autrichiennes de Mayence et de Mannheim pour s’emparer des têtes de pont de Kehl et de Huningue, tentative déjouée par l’activité de la colonne mobile du général Schnerb et par le zèle patriotique de la garde nationale de Strasbourg. Le 20 septembre, Moreau repassa le Lech. Le 2 octobre, voulant se débarrasser de la poursuite de Latour, avant de s’engager dans les gorges de la Forêt-Noire, il l’attaqua vigoureusement à Biberach; les Autrichiens, inférieurs en nombre, furent complètement battus et mis en déroute, laissant aux mains de l’armée française 4,000 prisonniers, 18 pièces de canon, 2 drapeaux.
Cette victoire, due principalement aux excellentes dispositions prises par Desaix et Gouvion-Saint-Cyr, ne tira pas Moreau d’embarras, puisqu’il allait avoir sa ligne de communication coupée par l’archiduc; mais il continua sa retraite, après avoir envoyé les équipages de l’armée, sous escorte, à Huningue, par les villes forestières. Gouvion-Saint-Cyr força le passage du val d’Enfer. Le 12 octobre il était à Fribourg, dans la vallée du Rhin, où Moreau le rejoignait. Les Autrichiens étaient repoussés à Emmendingen par Desaix, et à Waldkirch par Gouvion-Saint-Cyr. Beaupuis, un des meilleurs généraux de l’armée, fut tué à Emmendingen. Desaix passa le Rhin à Neuf-Brisach et se porta sur Kehl pour y tenir l’ennemi en échec. Moreau, avec le reste de son armée, se voyant barrer la route de Kehl, se dirigea sur Huningue; il eut à livrer, le 24 octobre, le combat de Schliegen; l’archiduc ne parvint pas à le débusquer de ses positions, qu’il abandonna pendant la nuit pour se replier sur Huningue et y repasser le Rhin. L’armée était en sûreté.
Telle est la célèbre retraite qui a été exaltée par plusieurs historiens à l’égal des plus belles opérations de guerre. Ces éloges paraîtront exagérés, si l’on observe que l’armée ne fut jamais vivement poursuivie, et qu’elle ne trouva sur ses communications que des corps fort peu nombreux. La retraite de l’armée de Rhin-et-Moselle n’en fait pas moins honneur à cette armée et à son général. Un des principaux acteurs de ces scènes grandioses, Gouvion-Saint-Cyr, a dépeint ainsi l’état de l’armée: «Dix mois de bivouacs continuels avaient exténué les hommes et les chevaux et ruiné le matériel; un tiers des soldats marchaient pieds nus, et l’on n’apercevait sur eux d’autres vestiges d’uniformes que la buffleterie; sans les haillons de paysans dont ils étaient couverts, leurs têtes et leurs corps eussent été exposés à tous les outrages du temps. Cependant leur aspect était imposant; à aucune époque je n’ai rien vu de plus martial; leur démarche était fière; peut-être quelque chose de farouche se faisait voir dans leur regard.»
La France ne possédait plus, sur la rive droite du Rhin, que les têtes de pont de Kehl et de Huningue, de Neuwied et de Dusseldorf. Le Gouvernement autrichien décida le siège des deux premières. Huningue fut défendue par le général Abatucci, Kehl par Desaix et Gouvion-Saint-Cyr. Des lignes de circonvallation furent établies autour de Kehl par les Autrichiens. Les Français, de leur côté, firent des préparatifs formidables de défense. L’investissement eut lieu le 18 octobre. Une sortie de 20,000 hommes, commandés par Desaix, occasionna à l’ennemi des pertes considérables et ruina les travaux déjà faits; mais les ressources de la défense étaient trop faibles pour permettre de renouveler cette opération. Le feu des batteries commença le 8 novembre, et Kehl capitula le 31 janvier 1797; la garnison, restée libre, sortit avec armes et bagages, après avoir détruit tout le matériel qui ne put être évacué sur Strasbourg.
Quant à la tête de pont de Huningue, les batteries de siège y commencèrent leur tir le 25 novembre; le pont de bateaux fut promptement rompu par les projectiles et toute communication coupée avec la rive gauche. Le 30 novembre, 6,000 hommes donnèrent l’assaut pendant la nuit; la garnison, après un instant de surprise, courut aux armes; les grenadiers autrichiens parvinrent à se loger dans les fossés; on les en chassa en y faisant rouler à la main des obus dont la fusée était allumée. Après une lutte acharnée, les assaillants se retirèrent. Au jour, le général Abatucci était monté sur le rempart pour juger de la situation; un Autrichien blessé et couché à terre se releva, l’ajusta et l’étendit raide mort. Abatucci avait vingt-quatre ans, et au dire de tous ses contemporains, il promettait à la France un général de premier ordre. La tête de pont de Huningue fut rendue à l’ennemi, le 19 février, aux mêmes conditions que le fort de Kehl.
L’Autriche, victorieuse en Allemagne, multipliait ses efforts en Italie. Deux nouvelles armées furent organisées sous les ordres du maréchal Alvinzi. La plus considérable, avec laquelle marchait Alvinzi lui-même, se formait sur la ligne de l’Isonzo; l’autre, commandée par Davidovitch, se réunissait dans le Tyrol. Le but assigné à leurs efforts communs, par le Gouvernement autrichien, était la délivrance de Wurmser et de Mantoue. Le 1er novembre, Alvinzi passa la Piave avec plus de 40,000 hommes et marcha sur Vicence. Bonaparte se porta au devant de lui avec les divisions Augereau et Masséna, et le battit le 5 novembre; mais le succès de cette bataille, dite de la Brenta, fut contrebalancé par l’échec de Vaubois sur l’Adige. Ce général, d’après les ordres de Bonaparte, avait attaqué le 1er novembre la position de San Michele. Non seulement il fut repoussé par Davidovitch, mais, assailli à son tour, il fut obligé de se replier en désordre sur la Corona et sur Rivoli, où Joubert arriva promptement avec une demi-brigade tirée du corps de blocus de Mantoue. Les 10,000 hommes de Davidovitch furent dès lors contenus, mais l’échec de Vaubois obligea Bonaparte à se retirer sur Vérone. Il se porta à la division Vaubois, la fit réunir sur le plateau de Rivoli et adressa aux troupes, notamment aux 39e et 85e demi-brigades, qui avaient lâché pied, les plus vifs reproches. «Vous n’êtes pas des soldats français», leur dit-il. «Chef d’état-major, faites inscrire sur leurs drapeaux: Ils ne sont plus de l’armée d’Italie! — On nous a calomniés, s’écrièrent quelques soldats; mettez-nous à l’avant-garde, et vous verrez si nous sommes encore de l’armée d’Italie.» En effet, ces deux régiments se couvrirent de gloire quelques jours après.
Alvinzi, quoique battu sur la Brenta, avait suivi le mouvement de retraite de Bonaparte et marché sur Vérone. Bonaparte voulut occuper la forte position de Caldiero, qui couvre Vérone sur la rive gauche de l’Adige; la bataille fut sanglante et peu décisive, mais les Autrichiens purent avec raison s’attribuer la victoire, puisque l’armée française échoua dans ses efforts pour se rendre maîtresse de Caldiero. La situation de Bonaparte était critique, et son armée commençait à se démoraliser sous l’influence d’une série de revers auxquels elle n’était pas habituée. Il prit alors une grande résolution. Abandonnant le camp de Vérone, il traversa, pendant la nuit, l’Adige et la ville; on le crut en pleine retraite, mais au lieu de se diriger sur Peschiera, il fit tête de colonne à gauche et descendit sur la rive droite le cours de l’Adige.
Parvenue à Ronco, l’armée traversa de nouveau le fleuve sur un pont que l’artillerie avait jeté pendant la nuit. Le plan de Bonaparte se dessinait; il consistait à tourner la position de Caldiero, qu’il n’avait pu enlever de vive force. Le champ de bataille qu’il avait choisi consistait en un vaste marais, au milieu duquel on ne pouvait marcher que sur quelques digues ou chaussées étroites et élevées. Après avoir franchi l’Adige, Masséna s’avança sur la digue qui remonte la rive gauche du fleuve et s’empara du village de Porcile; à sa droite, la division Augereau suivit la digue qui longe la rive droite de l’Alpone et aboutit à un pont de pierre établi en face du village d’Arcole. Prise en flanc. par les troupes qui occupaient la rive gauche, la colonne hésite et recule. Augereau s’élance à la tête de ses troupes avec un drapeau, mais il ne réussit pas à les entraîner. Bonaparte, à son tour, saisit un drapeau et se porte en avant sur la digue; les grenadiers l’avaient d’abord suivi: surpris par une attaque de flanc, ils reculent en entraînant leur général, qui est précipité dans le marais, où il entre jusqu’à la moitié du corps.
Il était, raconte-t-il lui-même, au milieu des ennemis. Les grenadiers le sauvèrent en repoussant les Autrichiens jusqu’au pont. Lannes, accouru de Milan, quoique souffrant encore de ses anciennes blessures, fut encore blessé trois fois en couvrant Bonaparte de-son corps; l’aide de camp Muiron fut tué en montrant le même dévouement. Le général Robert fut tué, Belliard et Vignellos blessés. Le général Guieu traverse l’Adige avec sa brigade dans le bac d’Albaredo, au-dessous du confluent de l’Alpone; Arcole, pris à revers, tombe au pouvoir des Français; mais Alvinzi, averti du danger qu’il courait, avait abandonné la position de Caldiero. Bonaparte, informé de la prise de Rivoli et de l’occupation de la Corona par Davidovitch, fit repasser ses troupes sur la rive droite de l’Adige, à l’exception d’une brigade et de quelques canons.
Le lendemain 16, la bataille recommença; les Français repassèrent le pont de Ronco, réoccupèrent Porcile et Arcole, et revinrent encore le soir sur la rive droite. Enfin, le 17, les Français franchissent le pont de Ronco au pas de charge, reprennent définitivement Arcole, et se déploient dans la plaine, la gauche au village, la droite vers Porto-Legnago; les Autrichiens appuyaient leur droite à l’Alpone, leur gauche au marais. Un millier d’hommes sortis de Porto-Legnago prennent à revers la ligne autrichienne; le lieutenant Hercale, emmenant avec lui 4 trompettes et 25 guides, se glisse à travers les roseaux vers l’extrême gauche de cette ligne, et sortant tout à coup du marais, fait sonner ses trompettes. L’ennemi étonné recule; sa ligne est rompue, et, poussé par toute l’armée française, il se met en retraite. Au jour on reconnut qu’il avait filé sur Vicence.
Alvinzi avait perdu, dans les trois journées de la bataille d’Arcole, 18,000 hommes, dont 6,000 prisonniers, 4 drapeaux et 18 pièces de canon. L’armée française, sortie mystérieusement de Vérone par la porte de Milan, dans la nuit du 14 au 15 novembre, y rentra triomphalement le 18 par la porte de Venise. Bonaparte se porta ensuite contre Davidovitch et s’empara de Rivoli et de Dolce, en faisant 1,500 prisonniers, prenant 9 canons et 2 équipages de pont. Alvinzi se retira à Bassano, Davidovitch à Trente, et l’armée française occupa le Montebaldo, la Corona et Vérone. Joubert remplaça Vaubois.
L’Autriche ne s’était pas tenue pour battue en Italie. Le succès de ses armées d’Allemagne lui permettait de renforcer celles d’Italie. Il fut décidé que deux armées, agissant indépendamment l’une de l’autre, attaqueraient à la fois les Français sur les positions du haut Adige et dans les plaines du bas Adige. La première armée était commandée par Alvinzi, la seconde par Provera. Les forces françaises étaient réparties ainsi qu’il suit: la division Joubert à Rivoli, la division Rey en réserve à Desenzano sur le lac de Garde, Masséna à Vérone, Augereau à Legnago, Serrurier bloquant Mantoue. Le 12 janvier, Provera commença l’attaque en repoussant l’avant-garde d’Augereau derrière l’Adige et en essayant de débusquer celle de Masséna de la position de San Michele. Cette dernière attaque échoua; mais Bonaparte, accourant à Vérone, prescrivit à Masséna de se replier en arrière de la ville pour être prêt à tout événement. Les rapports qui lui parvinrent le 13 au soir démontrèrent que l’attaque principale des Autrichiens s’opérait sur Rivoli, où Joubert battait en retraite devant des forces supérieures, et qu’en même temps une attaque de moindre importance avait lieu sur le bas Adige.
La division Augereau fut jugée nécessaire pour résister sur ce dernier point. Le reste des troupes se mit en marche pour arriver à la pointe du jour à Rivoli: Bonaparte s’y rendit lui-même et devança son armée. A deux heures du matin, il se trouvait auprès de Joubert et prenait ses dispositions. L’armée ennemie marchait en cinq colonnes convergeant vers le plateau de Rivoli. Celle de droite, sous Lusignan, paraissait devoir cerner le plateau de Rivoli par derrière; celle de gauche, comprenant l’artillerie, la cavalerie et les bagages, suivait le fond de la vallée de l’Adige pour s’élever sur Je plateau lorsque le progrès des trois autres colonnes qui suivaient des chemins de montagne aurait dégagé la chaussée d’Incanale. Bonaparte ordonna à Joubert de se porter immédiatement en avant (il était quatre heures) pour repousser la quatrième colonne dirigée sur la droite du plateau (droite des Français). Au jour, cette colonne était repliée sur la crête des montagnes; la division Masséna, qui avait marché toute la nuit et se reposait à Rivoli, se jeta sur la colonne suivante et la mit en déroute. La deuxième colonne fut battue de même. Mais la cinquième colonne, celle qui suivait le fond de la vallée, avait gravi la chaussée et débouchait sur le plateau. Une batterie.française de quinze pièces balaya tout ce qui se présentait. Trois bataillons amenés au pas de course par Joubert arrêtèrent l’infanterie, qui avait déjà pris pied. Le colonel Leclerc, du 10e chasseurs, le chef d’escadron Lasalle, chargèrent immédiatement à la tête de quelques centaines de chevaux, et culbutèrent tout dans la vallée. Lasalle fit, avec soixante dragons, mettre bas les armes à un bataillon d’infanterie. Cependant la première colonne autrichienne était arrivée sur les derrières de l’armée française. Lusignan, qui la commandait, crut cette armée cernée; c’est sa troupe, au contraire, qui fut prise en queue par la division Rey, canonnée par l’artillerie de réserve, abordée à la baïonnette et entièrement détruite. La victoire était décidée; 7,000 prisonniers, 12 canons, des drapeaux, étaient aux mains des Français.
Bonaparte, informé que Provera, dérobant sa marche à Augereau, avait passé l’Adige et menaçait le corps de blocus de Mantoue, laissa Joubert, Masséna et Murat poursuivre Alvinzi, et partit le soir même avec quatre demi-brigades pour Mantoue. Provera se présenta le 15 au point du jour devant Saint-Georges, pour en surprendre rentrée. Miollis, qui commandait sur ce point, se défendit énergiquement toute la journée.
Le 16, Wurmser sort avec la garnison de Mantoue pour se joindre à Provera. Serrurier le repousse dans la place; Victor, avec les quatre demi-brigades venues de Rivoli, se jette sur l’armée de secours. La 57e aborde la ligne autrichienne à la baïonnette et renverse tout ce qui voulait lui résister. Cette dernière brigade porta depuis le surnom de la Terrible. Provera capitule et pose bas les armes avec 6,000 hommes; le reste de son corps fut battu et pris par la division Augereau. Telle fut la bataille de la Favorite, livrée à deux jours de distance de celle de Rivoli. Les quatre demi-brigades amenées par Victor s’étaient battues toute la journée du 13 en avant de Vérone, étaient arrivés le 14 au matin au pied du Montebaldo, à 40 kilomètres de Vérone, avaient combattu toute la journée du 14 à la bataille de Rivoli, en étaient reparties le 14 au soir, pour arriver le 15 au soir sous les murs de Mantoue, à 70 kilomètres de Rivoli, et gagner le 16 la bataille de la Favorite.
A la suite de ces deux brillantes affaires, l’armée reprit toutes les positions qu’elle occupait avant la bataille d’Arcole. La place de Mantoue était réduite aux abois; Bonaparte accorda au vieux maréchal Wurmser la capitulation la plus honorable. 20,000 hommes, dont 12,000 bien portants, composaient encore la garnison qui, depuis le mois de juin, avait perdu 27,000 hommes tués dans les sorties ou morts dans les hôpitaux. Le nombre des prisonniers tombés au pouvoir de l’armée pendant le mois de janvier s’élevait, non compris la garnison de Mantoue, à 25,000 avec 24 drapeaux et 60 pièces de canon.
Le Gouvernement pontifical avait rompu l’armistice avec Bonaparte. Le général Bonaparte marcha sur les États du pape avec 9,000 hommes, dont 4,000 Italiens; l’armée pontificale fut complètement battue le 3 février 1797, sur le Senio. La citadelle d’Ancône fut prise sans résistance. L’avant-garde française s’avança jusqu’à trois journées de marche de Rome. Le pape céda et la paix fut signée à Tolentino.
L’archiduc Charles, illustré par sa campagne de 1796 en Allemagne, vint prendre le commandement des armées autrichiennes en Italie; il était suivi par dix divisions des meilleures troupes du Rhin. Bonaparte reçut de son côté deux divisions; l’une venant de l’armée de Sambre-et-Meuse et commandée par Bernadotte, l’autre fournie par l’armée du Rhin, sous les ordres du général Delmas; il résolut de marcher sans retard sur Vienne, avant que l’archiduc n’eût reçu ses renforts. Les divisions Masséna, Serrurier et Guieu franchirent la Piave à gué le 12 mars; un tambour de la division Guieu faillit être noyé ; il fut sauvé par une vivandière qui se jeta à la nage.
L’archiduc, jugeant les plaines du Tagliamento favorables à sa nombreuse cavalerie, résolut de disputer le passage de cette rivière. Deux batteries françaises, disposées par les généraux Dommartin et Lespinasse, balayèrent la rive gauche. Les divisions Guieu à droite et Bernadotte à gauche se rangèrent dans le plus bel ordre, chaque demi-brigade ayant son deuxième bataillon déployé et le premier et le troisième bataillon en colonnes par divisions, à distance de peloton; la 15e légère, commandée par Murat, formait l’avant-garde de la division Bernadotte; la 27e légère précédait la division Guieu. Lés deux divisions passèrent la rivière dans cet ordre et engagèrent le combat avec l’armée autrichienne, qui battit en retraite en se voyant tournée par la cavalerie du général Dugua, après une belle charge, dans laquelle se distingua particulièrement Kellermann fils.
En même temps, Masséna s’emparait d’Osoppo et se rendait maître des défilés de la Ponteba, clef de la Carinthie, puis il battait à Tarvis l’archiduc, qui s’était porté à sa rencontre. Le combat fut opiniâtre; Brune, le futur maréchal de France, s’y fit remarquer par sa valeur. Un corps autrichien, poursuivi par la division Guieu, se heurta à la Chiesa à la division Masséna. Ainsi cerné, il fut obligé de mettre bas les armes; 5,000 prisonniers, 32 pièces de canon, 400 voitures attelées tombèrent entre les mains des Français.
Bientôt l’armée se trouva dans la vallée de la Drave et occupa Klagenfurth. Pendant ce temps, le général Joubert, avec trois divisions, contenait les troupes autrichiennes du Tyrol; le 20 mars, il se mit en marche à son tour et battit le général Kerpen à San Michele, puis le général Loudon à Neumark. Il culbuta-ensuite une division venue du Rhin, à Klausen, où les tirailleurs tournèrent la droite de l’ennemi en gravissant à pic, de rocher en rocher, une montagne élevée, et attaqua le 28 mars le camp ennemi de Mittenwaldingen; une charge de cavalerie du général Alexandre Dumas y décida la victoire. Joubert rejoignit ensuite l’armée, dont le quartier général ètait à Klagenfurth.
Les troupes que commandait l’archiduc furent battues à Neumark et à Unzmarckt, et, à partir de là, les Français ne rencontrèrent plus de résistance. Leur avant-garde arriva à Leoben le 7 avril. Bonaparte y conclut une suspension d’armes de cinq jours, prolongée ensuite jusqu’au 20. Enfin les préliminaires de paix furent signés le 18. Le traité ne fut conclu que le 17 octobre suivant, à Campo-Formio. Il mettait fin à la première coalition. La république de Venise disparaissait, Bonaparte lui avait déclaré la guerre le 3 mai, à la suite de l’insurrection de Vérone pendant laquelle un grand nombre de Français isolés avaient été massacrés par les sujets de cette république. Le général Baraguay-d’Hilliers avait fait son entrée dans Venise le 16 mai. L’Adige étant, aux termes du traité de Campo-Formio, la nouvelle ligne de démarcation établie entré la Lombardie, devenue république Cisalpine, et les possessions autrichiennes, Venise tomba ainsi au pouvoir de l’Autriche.
Les armées de Rhin-et-Moselle et de Sambre-et-Meuse étaient entrées tardivement en campagne. Hoche, nommé au commandement de l’armée de Sambre-et-Meuse, mit d’abord tous ses soins à la réorganiser; elle était forte de 80,000 hommes: son nouveau chef, animé d’une ardeur patriotique et du désir de la gloire, sollicitait instamment l’ordre de se porter en avant. Le 18 avril, il franchit le Rhin au pont de Neuwied. Lefebvre à droite, Grenier au centre, précédés l’un par les hussards de Ney, l’autre par les chasseurs de Richepanse, s’emparèrent des redoutes établies par les Autrichiens en face de la tête de pont, tandis que Championnet débouchait de Dusseldorf sur Uckeradt. L’ennemi était complètement battu, vivement poursuivi et défait de nouveau sur la Lahn. Rien ne semblait s’opposer à la marche triomphante de Hoche, quand il reçut devant Francfort la nouvelle de l’armistice de Leoben et l’ordre de s’arrêter.
A l’armée de Rhin-et-Moselle, Desaix, qui commandait en l’absence de Moreau, alors à Paris, apprenant que Hoche était aux prises avec l’ennemi, franchit le Rhin le 21 avril, à Diersheim. Le passage présentait de grandes difficultés, et les troupes y déployèrent le plus brillant courage. Une partie seulement de l’armée se trouvait sur la rive gauche, lorsque le général autrichien Starray, ayant réuni 20,000 hommes d’infanterie et une nombreuse cavalerie, se jeta sur elle avec une extrême vigueur; il fut victorieusement repoussé. Moreau venait précisément d’arriver pour prendre le commandement de l’armée: lui aussi fut arrêté par la nouvelle de l’armistice.
L’année 1796 avait été marquée par la pacification complète de la Vendée, œuvre qui est restée le principal titre de gloire de Hoche. Après cette pacification, une expédition fut organisée pour soutenir les Irlandais soulevés contre l’Angleterre. L’armée de débarquement comprenait 16,000 hommes; la flotte se composait de 17 vaisseaux, 13 frégates, 13 bâtiments d’ordre inférieur, en tout 43 voiles; une tempête les dispersa à hauteur de l’île d’Ouessant. La frégate la Fraternité, que montaient Hoche et l’amiral Morard de Galles, fut jetée au loin par cette tempête; les autres bâtiments, privés de direction, ne débarquèrent pas les troupes, et l’entreprise échoua complètement.