Читать книгу Autour du drapeau : 1789-1889 : campagnes de l'armée française depuis cent ans - Charles Antoine Thoumas - Страница 27

LES PYRAMIDES, LE MONT THABOR, HÉLIOPOLIS

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L’Angleterre restait le seul adversaire de la République française. Sa flotte, maîtresse des mers, faisait toute sa force; à l’abri dans son île, elle n’avait guère apporté que le concours de son or à la coalition étrangère; aux maux soufferts par les nations qu’elle soudoyait, elle n’avait retiré que des avantages d’une guerre si ruineuse pour les autres pays. L’opinion générale était qu’elle rie résisterait pas à une armée d’invasion qui parviendrait à mettre le pied sur son sol jusque-là privilégié. Une descente en Angleterre! Tel était le cri qui s’entendait de toute part.

Après un mûr examen, l’idée de cette descente fut cependant abandonnée par le Directoire; l’état de l’Europe ne présentait aucune sécurité ; les négociations continuaient au congrès de Rastadt pour le règlement des affaires de l’empire d’Allemagne, car la paix n’avait été conclue définitivement qu’avec l’Autriche, et il était fort à craindre de voir la guerre éclater sur le continent, pendant que les armées françaises seraient occupées dans l’île de la Grande-Bretagne. On ne garda donc que l’étiquette de l’expédition tout d’abord projetée: 150,000 hommes environ furent groupés dans le voisinage des côtes sous le nom d’armée d’Angleterre, mais tout prêts à revenir sur l’Europe si les circonstances l’exigeaient. Bonaparte était désigné pour commander en chef cette armée fictive, suspendue comme une menace sur la tête de nos éternels rivaux.

En même temps, deux expéditions, moins formidables en apparence, mais plus sérieuses au fond, se préparaient mystérieusement. L’une était destinée à appuyer le soulèvement de l’Irlande, l’autre avait pour but l’Orient, pour objectif la puissance des Anglais dans l’Inde.

Hoche n’était plus là pour commander l’expédition d’Irlande. Après sa victoire de Neuwied, il avait paru un instant sur la scène politique, à propos du - coup d’État du 18 fructidor, dirigé par les membres républicains du Directoire contre ceux de leurs collègues et les députés qui soutenaient la réaction royaliste. Peu de temps après, Hoche mourait à Wetzlar, âgé de vingt-neuf ans seulement et couvert de gloire, emportant dans la tombe où il était allé rejoindre Marceau, un autre héros de l’armée républicaine, le secret de l’avenir que, vivant, il aurait assuré à la France.

Un général moins connu, doué néanmoins de brillantes qualités, héros de drame et de roman, Humbert, devait commander l’expédition d’Irlande qui, comme celle de 1796, échoua, sinon par la faute, du moins par le fait de la marine. 12,000 hommes et 3 canons furent débarqués cependant le 22 août 1798 dans la baie de Kilalla, sous les ordres de Humbert, et remportèrent le 26, à Castlebon, la victoire la plus étonnante sur un corps anglais de 6,000 hommes dont 600 furent tués ou blessés et 1,200 faits prisonniers en perdant 14 canons et 5 drapeaux. 3,000 insurgés se joignirent à la petite armée d’Humbert; mais entouré, le 8 septembre, à Ballinamack, par 30,000 hommes et près de 100 pièces d’artillerie, ce général fut forcé de mettre bas les armes. Il lui restait 844 officiers et hommes de troupe, qui furent faits prisonniers avec lui. Les insurgés se dispersèrent. Cette action prodigieuse méritait de ne pas tomber dans l’oubli.

Quant à l’expédition d’Orient, Bonaparte l’avait prise à cœur; il en était le chef tout indiqué, et fut investi de tous les pouvoirs nécessaires pour en organiser les forces de terre et de mer. Le corps expéditionnaire comprit un effectif total de 32,000 hommes, dont 24,000 d’infanterie, 4,000 de cavalerie, 3,000 d’artillerie, 1,000 non combattants; l’infanterie se composait de quinze demi-brigades, la cavalerie de sept régiments. La cavalerie n’emmenait que 300 chevaux, elle emportait des selles et des brides pour se remonter après .le débarquement. Les troupes étaient presque toutes empruntées à l’armée d’Italie, mais non les généraux; on n’y voyait figurer aucun des divisionnaires les plus illustres de cette armée, tels que Masséna, Augereau, Serrurier, Joubert, Bernadotte; en revanche, Bonaparte y avait admis un des meilleurs généraux de l’armée de Rhin-et-Moselle, Desaix, qui s’était pris pour lui d’une profonde admiration et d’une vive amitié ; Reynier, l’ancien chef d’état-major de Moreau, présenté par Desaix; Kléber, le héros de l’armée de Sambre-et-Meuse, qui, tombé en disgrâce, languissait dans l’oisiveté ; Menou, que Bonaparte avait connu à l’armée de l’intérieur... Parmi les généraux de brigade, plusieurs, tels que Murat, Lannes, Davoust, Marmont, Belliard, étaient appelés à devenir célèbres. La flotte, commandée par l’amiral Brueys, comprenait 13 vaisseaux de ligne, 9 frégates, 11 corvettes et avisos et 230 bâtiments de transport. Les préparatifs, dirigés à Toulon par Caffarelli, à Marseille par Reynier, à Civita-Vecchia par Desaix, à Gênes par Baraguay-d’Hilliers, en Corse par Vaubois, furent entourés d’un tel mystère, que nul ne soupçonna le but de l’entreprise. Jamais expédition lointaine ne fut mieux organisée, et jamais armée de débarquement ne fut mieux pourvue du nécessaire.

Retardée pour plusieurs motifs, la flotte de Toulon, dont faisait partie le vaisseau amiral l’Orient, monté par Bonaparte et Brueys, grossie du convoi de Marseille, appareilla le 19 mai, rallia bientôt les convois de Gênes et de Corse, et trouva le 9 juin, dans les eaux de Malte, la division de Civita-Vecchia. Le grand-maître de l’ordre de Malte ayant refusé de rendre la Cité-Valette, capitale de l’île, 3,000 hommes débarquèrent le 10 sous les murs de la ville avec des canons et des mortiers. Une sortie fut repoussée par Marmont, aide de camp du général en chef. Le conseil de l’ordre se décida à une capitulation, qui fut signée le 12 juin, et aux termes de laquelle la Cité-Valette et les forts furent livrés à l’armée française.

Laissant le général Vaubois avec une garnison de 4,000 hommes à la garde de sa nouvelle conquête, Bonaparte reprit la mer le 10 juin et arriva le 30 en - vue d’Alexandrie. L’escadre anglaise y avait paru le 28, et, après avoir annoncé l’approche d’une armée française, elle avait continué sa navigation.

Le débarquement commença le soir du 1er juillet. Bonaparte, qui avait débarqué à une heure du matin, fit battre au ralliement à trois heures et passa la revue des troupes qui étaient déjà à terre; elles comprenaient 4,500 hommes de tous les régiments. Aussitôt après la revue, elles se portèrent en avant, formées sur trois colonnes. Arrivé à demi-portée de canon, Bonaparte donna le signal de l’attaque: Menou à gauche, Kléber à droite, Bon au centre, emportèrent la ville d’assaut. Bonaparte y fit son entrée et s’occupa d’organiser l’armée: des chevaux et des chameaux furent achetés aux Arabes de Bahireh. Kléber fut laissé à Alexandrie pour soigner sa blessure, tout en commandant la ville et la province, et l’armée se mit en marche pour le Caire, la capitale de l’Égypte. De leur côté, les mameluks, alors maîtres du pays, s’étaient réunis à la nouvelle de la prise d’Alexandrie et se portèrent au devant des Français.

La division Desaix, forte de 4,600 combattants, ayant avec elle 160 chevaux, formait l’avant-garde: elle quitta Alexandrie le 4 juillet, se dirigeant sur Damanhour. Les autres divisions et le général en chef la suivirent de près, et le 10, les divisions Desaix, Bon, Reynier et Menou étaient réunies autour de la ville. Cette première marche fut extrêmement pénible: le pays était désert, le soleil ardent, la chaleur excessive; le sol sablonneux était brûlant; le peu de puits que l’on rencontrait avaient été vidés par les habitants et ne contenaient plus qu’une vase fétide. La colonne était harcelée de près par les Arabes bédouins, et tout soldat qui s’écartait du camp était à l’instant massacré. C’est ainsi que le général Mireur tomba dans une embuscade et fut tué en essayant un cheval qu’il venait d’acheter. La division Kléber, commandée provisoirement par le général Dugua, s’empara de Rosette, où le général Menou fut laissé pour commander la province.

L’armée se remit en marche le 10 juillet et joignit le Nil à Ramanieh. Une flottille, commandée par le contre-amiral Perrey, remontait le fleuve en se tenant à hauteur des colonnes. Le 26, on trouva les mameluks établis sur une seule ligne en avant du village de Chébreiss. Bonaparte fit former chaque division en un carré, à l’intérieur duquel furent enfermés les équipages et le peu de cavaliers qui accompagnaient l’armée. Ces carrés étaient disposés en échelons, l’artillerie et les compagnies de grenadiers aux angles.

L’artillerie commença son feu à demi-portée et couvrit la ligne ennemie de boulets et d’obus. Arrêtés par le feu, les mameluks tournèrent tout autour des carrés, étonnés de voir ces masses vivantes rester immobiles. En même temps, la flottille les canonnait sur leur flanc et débarquait des troupes qui occupaient le village de Chébreiss; mais la flottille ennemie attaquait courageusement celle des Français et s’emparait même pour un instant, à l’abordage, de trois chaloupes canonnières, reprises aussitôt par les soldats qui se trouvaient à bord des autres navires. Un bateau égyptien sauta en l’air. Les mameluks et leur flottille s’éloignèrent. Le combat n’avait été sérieux que sur le Nil.


Les deux principaux chefs des mameluks étaient Mourad-Bey et Ibrahim-Bey. Le premier surtout avait l’esprit guerrier et l’instinct militaire. Furieux de l’échec de Chébreiss, il réunit toutes les forces dont il pouvait disposer dans la plaine de Gizeh, là où s’élèvent les célèbres Pyramides, regardées jadis comme une des sept merveilles du monde. Prévenu de l’intention des mameluks, Bonaparte prit toutes ses dispositions. C’est le 23 juillet, qu’au lever du soleil les Pyramides s’offrirent, de la base au sommet, aux regards de l’armée, et que Bonaparte adressa à ceux qui l’entouraient ces paroles devenues historiques: «Du haut de ces Pyramides, quarante siècles vous contemplent! »

L’armée ennemie avait sa droite, composée de 20,000 janissaires, Arabes et milices du Caire, postée dans le camp retranché d’Embabeh, sur la rive du Nil, protégée par 40 pièces de canon; le centre et la gauche étaient formés de 12,000 mameluks à cheval, ayant chacun trois ou quatre auxiliaires à pied; l’extrême gauche, prolongée jusqu’aux Pyramides, comprenait 5,000 cavaliers arabes. La flottille ne comptait pas moins de 300 voiles. La population du Caire, accourue pour assister à la bataille, couvrait la rive droite du Nil.


Bonaparte disposa son armée à peu près comme à Chébreiss, mais parallèlement au Nil. A gauche, et s’appuyant au fleuve, était la division Bon; puis, de la gauche à la droite, les divisions Menou, Dugua, Reynier et Desaix; celle-ci était à une certaine distance du fleuve. Mourad, ne laissant pas le temps à l’armée française de se former, s’élança avec la rapidité de l’éclair à la tète de 7 à 8,000 cavaliers qui passèrent entre les divisions Desaix et Reynier et les enveloppèrent complètement. Desaix forma rapidement son carré, Reynier l’appuya de son feu; le général en chef, avec la division Dugua, changea de direction, se porta entre Desaix et le Nil, barrant ainsi aux cavaliers de Mourad leur communication avec le camp d’Embabeh et le fleuve. Pendant une demi-heure, les mameluks s’obstinèrent à caracoler dans la fumée, au milieu de la fusillade et de la mitraille. Quelques-uns d’entre eux pénétrèrent même dans les carrés, où ils furent pris. Enfin, ils s’éloignèrent dans la direction de Gizeh.

Cependant la division Bon avait marché à l’attaque du camp d’Embabeh. Tandis que la brigade Rampon abordait les retranchements, Marmont avec 2 bataillons, Lasalle avec 150 hussards les tournaient et coupaient la retraite aux défenseurs. Ceux-ci, ne trouvant pas d’issue, se jetèrent dans le Nil, où ils périrent par milliers; toutes les richesses du camp tombèrent au pouvoir des Français. Mourad essaya plusieurs charges désespérées pour rouvrir ses communications; il fut toujours repoussé, et à la nuit, il donna le signal de la retraite en faisant incendier sa flottille. 7,000 mameluks avaient péri dans cette bataille, 3,000 se retirèrent avec Mourad dans la haute Égypte, 12,000 qui étaient restés au camp avec Ibrahim, prirent la route de la Syrie. L’armée française n’avait perdu que 300 hommes tués ou blessés. Le lendemain, le général Dupuy prit possession de la citadelle du Caire. Bonaparte fit son entrée dans la ville le 25 juillet.

Après avoir organisé le gouvernement du pays, Bonaparte se mit à la poursuite d’Ibrahim-Bey, qui avait cerné à El-Khangah l’avant-garde commandée par le général Leclerc, et avait été repoussé par Murat et Reynier, accourus au bruit du canon. Un violent combat de cavalerie s’engagea à Salahieh. C’était la première fois que nos cavaliers se trouvaient aux prises avec les mameluks, sans le secours de l’infanterie. Lasalle, colonel du 22e chasseurs, s’était jeté résolument sur l’ennemi, qui comptait 1,200 mameluks et 500 Arabes; tous les officiers montés de l’état-major se joignirent à lui; la mêlée fut sanglante, car, dans la lutte individuelle, les mameluks, admirablement montés et cavaliers accomplis, avaient tout l’avantage. C’est dans ce combat que Lasalle, ayant laissé tomber son sabre, sauta à terre pour le ramasser et remonta à cheval sans cesser de lutter contre les cavaliers qui l’entouraient. Plusieurs officiers de l’état-major, et le colonel Destrées, du 7e hussards bis, furent grièvement blessés. Enfin le général Leclerc accourut avec deux escadrons de dragons et détermina la fuite de l’ennemi.

Bonaparte reçut alors une nouvelle bien faite pour l’accabler. La flotte, qu’il avait laissée mouillée dans la rade d’Aboukir, venait d’y être attaquée par Nelson et complètement détruite. A peine deux ou trois vaisseaux de l’arrière-garde commandée par le contre-amiral Villeneuve, dont l’intervention aurait certainement sauvé la flotte, purent-ils, après être restés immobiles pendant le combat, s’éloigner ensuite et se réfugier dans le port de Malte. Le vaisseau amiral l’Orient sauta, et Brueys trouva dans sa défaite la mort la plus glorieuse. Des actes éclatants d’héroïsme illustrèrent notre marine; mais la flotte n’existait plus, et l’armée, privée de tout moyen de retraite, se trouvait rivée sans espoir de retour au sol de l’Égypte. Bonaparte eut bientôt pris son parti de cette catastrophe. «Nous voilà condamnés à faire de grandes choses», écrivit-il à Kléber. Les autres généraux sentirent au contraire s’augmenter le découragement qui s’était emparé d’eux depuis quelque temps.

Informé des propos séditieux tenus par-plusieurs d’entre eux, Bonaparte pria le général Dugua de les inviter à un déjeuner, où il se rendit lui-même, et là, prenant la parole, il leur dit qu’il connaissait bien la disposition d’esprit de tels et tels, mais qu’il était décidé à sévir avec une rigueur extrême contre tout acte d’insubordination. Tous baissèrent la tête, et depuis lors ils changèrent de sentiments, ou du moins né montrèrent plus leur découragement. Les soldats eux-mêmes, étonnés de se trouver dans un pays si différent de l’Europe, inquiets de leur éloignement, ne se gênaient pas pour murmurer, et lorsque Bonaparte avait voulu les faire marcher contre Ibrahim, des symptômes de rébellion s’étaient ouvertement manifestés dans deux demi-brigades, notamment dans la 9e. Le général en chef les réprima par quelques paroles énergiques.

La nouvelle du désastre d’Aboukir, les intrigues des agents anglais, la déclaration de guerre notifiée par le Gouvernement ottoman à la France, les menées secrètes des associations religieuses, fomentèrent bientôt dans la population du Caire l’esprit le plus hostile aux Français. La révolte, proclamée dans la nuit du 22 au 23 octobre 1798, du haut des quatre cents minarets du Caire, par la voix aiguë des muezzins, éclata ouvertement le 23. Une lutte sanglante s’engagea dans les rues de la ville. Le général Dupuy, commandant de la place, fut tué, ainsi que l’aide de camp du général en chef, Sulkowski. Du haut de la citadelle et du fort Dupuy, qui avait été construit par le génie français, 30 mortiers et obusiers bombardèrent la ville. Les insurgés voulurent s’emparer du fort Dupuy; ils furent repoussés. Quatre colonnes pénétrèrent dans la ville et prirent possession de la mosquée d’El-Azhar, centre de l’insurrection, où se trouvaient les principaux chefs. Le combat avait été terrible, la répression fut modérée. Bonaparte agit dans cette circonstance en politique habile plutôt qu’en général jaloux de venger la mort de ses soldats. Des dispositions furent prises cependant pour éviter le retour de semblables événements.

Une expédition fut dirigée contre la haute Égypte, où s’était réfugié Mourad-Bey avec les débris de son armée, qu’il s’agissait d’anéantir. Desaix fut chargé de cette opération. Il partit avec-5,000 hommes, dont 900 de cavalerie et 8 pièces de canon; il était en outre accompagné d’une flottille de huit bâtiments. Sous lui servaient les généraux de brigade Friant et Belliard.

Desaix se mit en marche le 23 août. Son expédition dura cinq mois; il remonta d’abord le Nil jusqu’à Syout, et fut obligé de le redescendre pour venir combattre Mourad qui était resté sur son flanc, dans la province du Fayoum, et lui livra la bataille de Sediman, une des actions les plus disputées de toute la guerre d’Égypte. Desaix, qui avait avec lui 3,400 hommes d’infanterie, 600 de cavalerie et 8 pièces de canon, forma sa petite armée en un seul carré, éclairé en avant par deux petits carrés de trois compagnies de voltigeurs chacun. Un de ces petits carrés s’étant éloigné du grand, Mourad le chargea immédiatement; le capitaine qui le commandait ordonna à ses voltigeurs de ne faire feu qu’à bout portant. Quarante mameluks tombèrent morts au bout des baïonnettes; mais les chevaux étaient lancés, le carré fut rompu et les voltigeurs sabrés; le grand carré les dégagea en avançant. L’artillerie ennemie prit alors une position de flanc, d’où elle fit beaucoup de mal aux Français. Desaix pensa un. instant à regagner sa flottille pour emporter ses nombreux blessés; mais bientôt, lui et Friant, se mirent à la tète des troupes et ordonnèrent une charge à la baïonnette. Les retranchements et l’artillerie de l’ennemi furent emportés. Mourad battit en retraite.


Desaix dépêcha alors Friant auprès du général en chef pour lui demander des troupes de renfort. Le général Davout fut envoyé dans la haute Egypte avec 1,200 cavaliers et une batterie d’artillerie légère. Aidé de ce renfort, Desaix battit de nouveau Mourad à Samanhoud. Les deux armées se rencontrèrent le 22 janvier 1799, à la pointe du jour. Mourad s’était placé à droite, du côté du Nil, avec 1,800 mameluks. Sa gauche, prolongée dans le désert, était formée par 7,000 Arabes à cheval; au centre se trouvaient 5,000 chérifs et Arabes à pied. Desaix disposa son armée en ordre inverse: sa cavalerie en un seul carré au centre; à droite la brigade Friant, à gauche la brigade Belliard formant chacune un carré d’infanterie. L’artillerie était placée en avant de la cavalerie. Mourad déborda avec les mameluks la gauche de l’armée française et enveloppa le carré de Belliard; mais l’infanterie de Friant entra dans Samanhoud au pas de charge et repoussa les Arabes jusque dans le désert. Davout chargea alors les mameluks de Mourad et les mit en déroute. Les mameluks battus se réfugièrent dans les oasis.

La haute Égypte était conquise: mais Mourad et ses alliés essayèrent un retour offensif pendant que Bonaparte était en Syrie; ils furent repoussés, quoiqu’il s fussent parvenus à détruire une partie de la flottille française. Le général Belliard marcha alors jusqu’à Syène, où eut lieu un combat que Napoléon cite dans ses Mémoires comme un des plus beaux qui aient été livrés en Égypte Envoyé avec 200 hommes d’infanterie, sans canons, pour occuper Syène, le capitaine Renaud y trouva Hassan et Osman-Bey, deux des chefs ennemis qui se montraient le plus opiniâtres dans la lutte contre les Français, avec 180 mameluks, 200 Arabes à cheval et 300 fantassins. Le capitaine Renaud, assailli avec sa petite troupe par des forces supérieures, fit former le carré. Cent mameluks furent jetés par terre à la première décharge, le reste se sauva. Renaud entra alors dans Syène, s’empara de tous les bagages et fit de nombreux prisonniers. Hassan et Osman-Bey moururent de leurs blessures; les Français eurent seulement 4 hommes tués et 15 blessés. La haute Égypte était pacifiée. Desaix déploya dans l’administration de cette vaste province autant de talent que dans sa conquête.


Des événements plus considérables s’étaient passés en Syrie pendant la même période. Dans une expédition faite par le général en chef à Suez, on avait surpris un messager, porteur des dépêches expédiées en Égypte par Ibrahim-Bey à Djezzar-Pacha, gouverneur de Saint-Jean-d’Acre. Bonaparte apprit ainsi que Djezzar cherchait à pénétrer en Égypte; il résolut dès lors d’aller lui-même en Syrie au devant des troupes turques, et s’appliqua sans retard aux préparatifs de cette expédition.

L’armée dut comprendre quatre divisions d’infanterie, commandées par les généraux Kléber, Reynier, Bon et Lannes; une brigade de cavalerie sous les ordres de Murat, composée de 1,000 chevaux prélevés sur tous les régiments de l’armée d’Égypte, 52 pièces de campagne (canons et obusiers). Deux petits équipages de siège étaient embarqués à Damiette et en rade d’Alexandrie. La traversée du désert exigea des moyens extraordinaires de transport: 3,000 chameaux et 3,000 ânes. Le général Reynier prit les devants avec sa division et bloqua le fort d’El-Arich, qui défendait l’entrée du désert de Syrie. Le général turc Abdallah vint de Gaza avec 8,000 hommes au secours de ce fort. Heureusement la division Kléber arriva à El-Arich et forma le blocus du fort, ce qui permit à Reynier de combattre Abdallah. Ce général exécuta à ce sujet, dit Napoléon, une des plus belles opérations de guerre qu’il soit possible de voir.

Après avoir reconnu avec grand soin le terrain plusieurs jours d’avance, il lève pendant la nuit son camp, situé en face de celui de l’ennemi dont il était séparé par un ravin, et va se placer en potence sur le flanc gauche de l’armée turque; il range dans le plus profond-silence sa division en trois colonnes de chacune un régiment, à intervalle de déploiement, avec l’artillerie dans les intervalles. A deux cents pas en avant de chaque colonne, il place les grenadiers avec 50 hommes de cavalerie. Les trois détachements de grenadiers se jettent à la fois dans le camp ennemi, où la surprise excite une vive terreur. Les colonnes de régiment suivent les grenadiers. Reynier, avec la colonne du centre, pénètre jusqu’à la tente d’Abdallah, qui n’a que le temps de s’enfuir à pied en laissant sur le champ de bataille 4 ou 500 morts, 900 prisonniers, tous les chameaux, les tentes et les bagages, presque tous ses chevaux. Dès lors le blocus d’El-Arich cessa d’être troublé ; mais le fort continua à se défendre vigoureusement et ne se rendit qu’après avoir subi un violent bombardement.

Kléber prit alors l’avant-garde avec sa division et une partie de la cavalerie de Murat. Trompé par un guide, il s’égara dans le désert, et Bonaparte, qui en suivant le bon chemin, croyait y être précédé par son avant-garde, faillit tomber aux mains de l’ennemi. L’armée d’Abdallah opposa une faible résistance en avant de Gaza, que l’armée s’empressa d’occuper et où elle trouva de grands approvisionnements. De là, elle se dirigea sur Jaffa, où s’était jetée toute l’infanterie d’Abdallah avec une nombreuse artillerie. Le siège en fut immédiatement commencé, et après, quelques coups de canon, Bonaparte fit sommer le commandant turc de se rendre; l’officier et le trompette qu’il avait envoyés furent massacrés, leurs têtes étalées sur deux piques plantées sur les deux plus hautes tours de l’enceinte, et leurs cadavres jetés du haut des murailles au pied des batteries de brèche.

A cet acte de barbarie, les assiégeants répondent par un feu violent; la brèche est bientôt praticable. Lannes, avec la 22e légère, s’élance à l’assaut, tandis que sur un autre point, les troupes de la division Bon escaladent le rempart. Bientôt toute la ville est au pouvoir des soldats français qui, furieux du massacre de leurs camarades, ne font aucun quartier.

Les scènes de pillage et de violence qui suivirent l’assaut de Jaffa peuvent être citées au nombre des plus terribles parmi celles de ce genre. L’armée y gagna la peste, qui bientôt se déclara dans ses rangs. Parmi les prisonniers faits à Jaffa se trouvaient les soldats de la garnison d’El-Arich, qui avaient prêté serment de ne plus servir contre la France; ils furent passés par les armes. Les droits de la guerre justifiaient cette exécution; mais 3,000 hommes environ, à qui l’on avait promis la vie sauve quand ils s’étaient rendus, étaient une cause d’embarras pour l’armée, qui ne pouvait les nourrir et dans laquelle ils entretenaient la peste. Leur donner la liberté sur parole, c’était les rejeter dans les rangs ennemis, puisque l’expérience avait montré qu’on ne pouvait se fier à cette parole. Ils furent tous mis à mort, et cette exécution, malgré les raisons qui la motivèrent, pèse sur la mémoire de Bonaparte.

De Jaffa, l’armée se dirigea, sur Saint-Jean-d’Acre, dont le général en chef avait hâte de s’emparer. C’était le dernier boulevard de la puissance ottomane sur les côtes de la Syrie; une fois cette place prise, tout accès dans le pays était interdit aux Anglais, et Bonaparte devenait libre de marcher sur les Indes, objectif de ses rêves grandioses. La destinée en décida autrement. Quatre causes principales s’opposèrent à la prise de Saint-Jean-d’Acre, malgré la valeur des soldats français et le talent de leurs ingénieurs. La place était commandée par Djezzar-Pacha, dont la féroce énergie inspirait à la garnison un courage farouche. Le libre accès de la mer permettait un ravitaillement constant et facile, non seulement en matériel, en munitions et en vivres, mais encore en troupes fraîches et en renforts pour réparer les pertes. Un des équipages de siège expédiés par mer à l’armée française tomba aux mains de la croisière anglaise commandée par sir Sidney-Smith, et l’artillerie se trouva privée des ressources nécessaires. Enfin sir Sidney-Smith débarqua dans Saint-Jean-d’Acre l’homme qui, avec lui-même et Djezzar-Pacha, devait faire échec à la fortune de Bonaparte. C’était l’émigré Phélippeaux, ancien officier d’artillerie, camarade du général en chef de l’armée d’Egypte à l’École militaire de Paris.

Phélippeaux inaugura dans la défense de Saint-Jean-d’Acre le système qui, un demi-siècle plus tard, devait illustrer l’ingénieur chargé de défendre Sébastopol. Au lieu d’assister passivement du haut des remparts aux travaux de cheminements de l’assiégeant, il marcha au devant de ces cheminements par des travaux de contre-approche, et plus d’une fois l’assiégeant se trouva ainsi assiégé à son tour, pris de revers ou d’enfilade dans ses tranchées et dans ses batteries.

Le pacha de Damas envoya à Saint-Jean-d’Acre une armée commandée par son propre fils. Murat, chargé de reconnaître les ponts du Jourdain et notamment le pont de Yacoub, après s’être emparé du château de Safed et y avoir laissé une petite garnison, rentre au camp devant Saint-Jean-d’Acre sans avoir aperçu les troupes de Damas. Junot, placé en observation à Nazareth avec 400 hommes, est attaqué par l’avant-garde du pacha, forte de 3,000 hommes, en même temps que 2,000 cavaliers arabes le prenaient à revers. Aidé du colonel de dragons Duvivier, il résiste énergiquement à toutes les attaques, de neuf heures du matin à trois heures, et parvient à opérer sa retraite en bon ordre. Dans ce combat, dont le souvenir est resté légendaire, les soldats de Junot luttèrent plus d’une fois individuellement contre les cavaliers ennemis. Un maréchal des logis de dragons, voulant arracher un étendard à un cavalier turc, resta pendant plusieurs minutes serré corps à corps contre lui; les deux chevaux s’abattirent sans que les deux combattants, pris sous leurs montures, eussent lâché prise; enfin le Français put dégager sa main droite et passer son sabre au travers du corps de son adversaire.

Kléber fut alors envoyé avec 2,500 hommes pour soutenir Junot et combattre l’armée de Damas, dont il battit l’avant-garde à Zoubyaki; mais quelques jours après, enveloppé, dans la plaine d’Esdrelon, au pied du mont Thabor, par plus de 30,000 hommes, il allait succomber après avoir repoussé plusieurs charges, lorsque Bonaparte, ayant deviné le danger que devait courir son lieutenant, et quitté le camp sous Saint-Jean-d’Acre avec la division Bon, toute la cavalerie et une batterie de réserve, apparut tout à coup sur le champ de bataille, et annonça son arrivée par une salve de coups de canon. On ne sait quoi le plus admirer dans cette circonstance, ou de la fermeté de Kléber résistant avec une poignée d’hommes aux attaques furieuses de toute une armée, ou de l’instinct militaire de Bonaparte et de la promptitude avec laquelle il accourut au secours de son lieutenant. A la vue du renfort qui lui arrivait, Kléber fit rompre ses deux faibles carrés, attaqua impétueusement les cavaliers qui les entouraient et opéra sa jonction avec l’armée de Bonaparte. Ils s’emparèrent alors du camp des Turcs, qui s’enfuirent en désordre et perdirent beaucoup de monde dans leur retraite. Murat, envoyé avec sa cavalerie pour occuper les ponts du Jourdain, fit de son côté de nombreux prisonniers. Tout cela se passait du 15 au 19 avril.

Cependant, le siège de Saint-Jean-d’Acre, commencé le 19 mars, traînait en longueur. Un assaut donné le 28 mars avait échoué ; la place venait d’être ravitaillée par les Anglais, et Phélippeaux avait pris la direction de la défense. Le général Caffarelli, qui commandait le génie de l’armée et qui était l’âme de l’attaque, fut tué le 27 avril. Une tentative ayant pour but de détruire les ouvrages de contre-approche des assiégés, échoua dans la nuit du 6 au 7 mai. Un renfort considérable envoyé de Rhodes arrivait par mer. Bonaparte ordonna, pour le 7 mai, une nouvelle attaque, confiée aux 18e et 32e demi-brigades, qui parvinrent à s’emparer d’une des tours de l’enceinte. La lutte se prolongea pendant toute la nuit et fut reprise le 8 mai au matin. Trois brèches étaient praticables dans la courtine voisine de la tour. Lannes y conduisit sa division à l’assaut; déjà nos soldats, parvenus sur le rempart, criaient: Victoire! quand ils se trouvèrent en face d’une seconde enceinte construite par Phélippeaux derrière la première, et contre laquelle tous les efforts échouèrent. 200 grenadiers qui, en courant le long des remparts, avaient pénétré dans la place, y furent massacrés.

Le feu recommença le 10 mai; de nouvelles brèches furent pratiquées, mais l’assaut fut repoussé. Le général Bon avait été blessé à mort, le général Rambeaux était tué, Lannes blessé ; la peste, augmentée par l’impossibilité où l’on se trouvait d’enterrer les cadavres, faisait dans l’armée d’horribles ravages. Le 15 mai, après avoir repoussé, dans un combat acharné, une sortie générale de la garnison, Bonaparte ordonna la retraite en dissimulant son échec sous un ordre du jour pompeux. Cette retraite, couverte par la division Kléber, s’opéra pendant la nuit; lorsque l’ennemi s’en aperçut, l’armée était déjà parvenue à trois lieues de Saint-Jean-d’Acre; elle arriva le 21 à Tentourah, petit port où furent embarqués les malades et les blessés, et où l’on détruisit le matériel de l’artillerie de siège, que l’on ne pouvait emmener.

L’armée continua ensuite sa retraite par Jaffa et Gaza, traversa le désert de Syrie et séjourna le 2 à El-Arich, dont les fortifications furent mises en état. Le 5, l’avant-garde arrivait à Salahieh; enfin l’armée fit son entrée au Caire le 14 juin 1799, avec une pompe solennelle. L’Egypte était à peine remise des troubles causés par un agitateur qui, sous le nom de l’Ange el Modhy, avait soulevé une partie du pays et avait été tué dans un combat livré à sa bande par le général Lanusse..

Bonaparte, arrivé au Caire, avait à peine eu le temps de se reposer, lorsque le grand vizir Mustapha vint débarquer dans la rade d’Aboukir avec 25,000 hommes, dont 7,000 janissaires d’élite, et cerna le fort, dont les défenses étaient incomplètes. Marmont, qui commandait la province et qui disposait de ressources insuffisantes en personnel, n’osa pas abandonner Alexandrie pour aller s’opposer au débarquement des Turcs, et la garnison du fort fut bientôt réduite à capituler. Mustapha se retrancha dans la presqu’île d’Aboukir.

Bonaparte, à la nouvelle de ces événements, partit précipitamment du Caire en donnant ses ordres pour la concentration de l’armée. Murat prit le commandement de l’avant-garde, composée de 3 régiments de cavalerie et de la brigade d’infanterie du général Destaing, avec 4 pièces de canon, en tout 2,300 hommes. La droite, sous les ordres de Lannes, comprenait 2,700 hommes, avec 5 pièces de canon; la réserve, commandée par Lanusse, était forte de 2,400 hommes et de 6 pièces de canon.

L’artillerie, amenée d’Alexandrie par le général Songis, éloigna les chaloupes canonnières dont le feu gênait la marche de l’armée qui arriva, le 25 juillet, en présence de l’ennemi. Celui-ci était formé sur deux lignes, dont la droite et la gauche étaient appuyées à la mer; une forte réserve occupait le village d’Aboukir. La première ligne fut abordée par Lannes et Destaing, tandis que Murat la tournait avec sa cavalerie. Les Turcs voulurent s’enfuir, Murat leur barra le chemin; ainsi serrés entre la cavalerie et l’infanterie, ils se jetèrent à la mer pour éviter d’être pris. Dans l’espace d’une heure, 8,000 hommes avaient disparu, dont 1,200 faits prisonniers et le reste noyé. 18 pièces de canon et 50 drapeaux étaient aux mains des vainqueurs.

Restait la seconde ligne, dont le front était couvert par 17 pièces de canon et dont le centre occupait une grande et forte redoute. Une batterie, placée à propos par le général Songis sur un cap voisin de la presqu’île, prend la gauche des Turcs d’enfilade et oblige cette gauche à se replier en arrière par un changement de front, ce qui laisse un vide entre elle et la mer; l’infanterie attaque la redoute du centré et est repoussée. Mais les Turcs sortent de leurs retranchements pour aller couper la tête des blessés, abandonnés sur le terrain: ce spectacle indigne nos soldats, qu’un vigoureux retour offensif ramène dans la redoute. Lannes et Destaing poussent vigoureusement les Turcs, que la cavalerie, pénétrant par le vide laissé à leur gauche, prend en flanc et accule à la mer. La seconde ligne éprouve le sort de la première. Lannes s’empare du village d’Aboukir, Murat pénètre dans le camp, blesse d’un coup de sabre à la main et fait prisonnier le grand vizir, qui venait de lui fracasser la mâchoire d’un coup de pistolet. La victoire était complète, et de toute l’armée turque il restait à peine 4,000 hommes qui se réfugièrent sous le feu du fort d’Aboukir. Assiégé en règle, ce fort fut pris au bout de quelques jours.

Dans les pourparlers qui suivirent la bataille d’Aboukir, au sujet des blessés et des prisonniers, Sidney-Smith fit parvenir à Bonaparte une liasse de journaux d’Europe. Le général en chef de l’armée d’Égypte, qui depuis quelque temps n’avait pas reçu de nouvelles, apprit ainsi l’abaissement auquel le gouvernement du Directoire avait réduit la France, et les événements militaires d’Allemagne et d’Italie. Sidney-Smith, en lui transmettant ces renseignements, comptait bien qu’ils détermineraient le départ de Bonaparte pour la France, et il espérait le capturer pendant la traversée. Il se trompa de moitié dans ses calculs Bonaparte s’embarqua en effet à Alexandrie, avec quelques fidèles et son escorte de guides, sur les deux frégates le Muiron et le Carrère, préparées par les soins de Gantheaume, mais la traversée fut heureuse, et il arriva sain et sauf dans le golfe de Fréjus, le 9 octobre 1799.

Avant de s’éloigner d’Egypte, Bonaparte avait laissé le commandement de l’armée à Kléber et prescrit à Desaix de venir le rejoindre en Europe. La précipitation imprimée au départ, sur les instances de l’amiral Gantheaume, qui voulait profiter de l’éloignement de la croisière anglaise, avait empêché Bonaparte de donner ses instructions verbales à Kléber, qui, se croyant joué par lui et interprétant ses instructions écrites dans un sens un peu trop large, n’eut plus qu’une pensée: ramener d’Égypte l’armée en sacrifiant cette belle conquête.

Desaix n’était pas encore parti. Une armée turque, commandée par le nouveau grand vizir, et amenée de Syrie, s’approchait des frontières de l’Égypte, et avait déjà cerné le fort d’El-Arich. Kléber chargea Desaix de négocier avec le grand vizir l’évacuation de l’Égypte, sous la condition de rapatrier l’armée. La prise du fort d’El-Arich, tombé par trahison aux mains de l’ennemi, détruisit dans l’esprit du nouveau général en chef l’effet produit par les conseils de Desaix, très opposé au. parti de l’évacuation. La convention fut conclue à El-Arich, le 25 janvier. Aussitôt après l’avoir signée au nom du général en chef, Desaix partit pour la France.

Aux termes de cette convention, l’armée devait se retirer sur Alexandrie, Rosette et Aboukir, pour y être embarquée et transportée én France; un délai assez court était fixé pour l’évacuation successive des diverses places actuellement occupées. L’Angleterre se portait garante de l’exécution du traité. Kléber donna une suite immédiate aux clauses concernant les places, et, alors que l’armée était en route pour les ports où elle devait s’embarquer, il reçut de lord Keith, commandant la flotte anglaise dans la Méditerranée, une lettre insolente dans laquelle cet amiral lui signifiait, au nom de son Gouvernement, qu’il eût à mettre bas les armes et à se constituer prisonnier avec toute l’armée.

Kléber porta cette lettre à la connaissance des troupes par un ordre du 17, en le faisant suivre de ces simples mots:

«Soldats, on ne répond à une telle insolence que par des victoires: préparez-vous à combattre.»

Immédiatement, toutes les mesures furent prises pour réunir l’armée et la porter au devant du grand vizir, qui se dirigeait sur le Caire; elle se composait de deux divisions, celle de droite commandée par Friant, et celle de gauche sous les ordres de Reynier.

Sa force s’élevait au total de 15,000 hommes. Le grand vizir n’amenait pas moins de 60,000 hommes, dont 45,000 figurèrent sur le champ de bataille d’Héliopolis. Kléber forma sa ligne de bataille de quatre carrés comprenant chacun une brigade; l’artillerie occupait les intervalles. La divison Reynier s’empara d’abord du village et des retranchements de Matarieh, et toute la ligne se porta en avant, par une marche oblique, la gauche refusée. La cavalerie ennemie chargea trois fois de suite avec acharnement sur le carré de l’extrême droite, elle fut chaque fois repoussée par un feu nourri de mitraille et de mousqueterie. Après la troisième charge, l’artillerie légère, appuyée par l’infanterie, se précipita à la poursuite des Turcs, qui prirent la fuite pour ne plus reparaître.

Pendant la bataille d’Héliopolis, 6,000 Turcs s’étaient jetés dans la ville du Caire; il fallut, pour rentrer en possession de la capitale de l’Égypte, un siège long et meurtrier.

Redevenu maître de l’Égypte, Kléber justifia le choix de Bonaparte en administrant le pays avec sagesse et fermeté ; mais, par quelques mesures un peu trop sévères, il s’attira la haine des partis religieux et tomba, le 14 juin, sous le poignard d’un fanatique. Nous verrons plus loin comment il fut remplacé par le général Menou et comment l’Égypte fut perdue.


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