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II

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A cette même date, aux environs de 1835, une révolution s’accomplissait en France dans l’école des paysagistes. Tandis que l’Institut et tout ce qui suivait les doctrines de l’Institut demeuraient absolument fidèles au paysage historique, une autre façon de comprendre et d’interpréter la nature pénétrait chez nous. C’était l’esprit des maîtres hollandais du XVIIe siècle, de Ruysdaël, de Hobbema, de Cuyp et de Van der Velde, qui frappait à notre porte. Les Hollandais n’avaient trouvé de disciples en France ni au XVIIe siècle ni au XVIIIe, mais ils en avaient trouvé en Angleterre. C’étaient eux qui avaient formé Old Crome et ensuite, après lui, Constable et Bonington. Comme les Hollandais avaient peint naïvement, sincèrement, leur patrie, de même les Anglais avaient essayé de peindre l’Angleterre. Les traditions hollandaises venaient à nous transmises par Albion, notre vieille ennemie. Tandis que le paysage historique, à la suite de Poussin, ne voulait voir dans la nature qu’un cadre; tandis que pour lui la terre classique, l’Italie, était la seule qui méritât d’être regardée par un artiste, l’école hollandaise et anglaise estimait que la nature se suffisait à elle-même, que des arbres, des prairies, des plaines et des montagnes, que la terre, le ciel et la mer sont dignes d’être peints aussi bien que l’humanité ; elle estimait aussi que la nature du Nord n’est pas, à sa façon, moins belle que celle du Midi. L’école romantique, depuis Rousseau, en passant par Chateaubriand, par Lamartine, par Victor Hugo, avait remis l’homme en communication avec le monde extérieur, lui avait appris de nouveau à écouter et à entendre les voix mystérieuses qui sortent de l’Océan, des forêts, jusque du silence des nuits: il était inévitable qu’une transformation se produisît dans l’art des paysagistes. Et les peintres français se dirent à leur tour: «Pourquoi ne donnerions-nous pas, nous aussi, à la nature la grande place, toute la place dans nos œuvres? Pourquoi, au lieu d’aller chercher l’inspiration en Italie, ne la trouverions-nous pas dans notre patrie, comme l’ont trouvée dans la leur les Hollandais et les Anglais? Elle est belle aussi, la terre française, la «douce terre de France» ; elle est pittoresque autant que variée; chaque contrée y a sa physionomie aimable, grandiose ou sévère; chaque saison y met tour à tour sa lumière et sa poésie — faisons du paysage, et du paysage français!»

On sait ce qui est sorti de ce mouvement. Il est triomphant aujourd’hui; il a tué définitivement le genre bâtard et conventionnel du paysage historique. Mais ici, comme toujours, la lutte n’alla pas sans beaucoup d’épreuves. Il fallait lutter contre une tradition établie et toute-puissante en ce pays aussi routinier au fond qu’il est révolutionnaire en apparence; il fallait faire accepter au public des spectacles nouveaux pour lui, et l’y intéresser peu à peu; il fallait aussi — et ce n’était pas la tâche la moins difficile — trouver pour des représentations nouvelles des procédés d’exécution nouveaux. Il fallait jeter sur la toile des paysages, non plus éclairés par le jour oblique de l’atelier, mais baignés de toutes parts par la lumière, enveloppés d’une atmosphère transparente. On y réussit, mais non pas sans efforts et bien des tâtonnements. Honneur à ces travailleurs de la première heure, à Michel, à Paul Huet! Deux de ces hardis novateurs vivent encore, M. Jules Dupré et M. Français, entourés de la vénération de tous. Théodore Rousseau fut, dès le premier jour, l’un des plus résolus et des plus vaillants; Daubigny également. Et, à côté de ces noms glorieux, il est juste de ne pas oublier un nom plus modeste, celui du sincère Chintreuil, cet artiste maladif et désintéressé, qui fut surtout à la peine. Bien souvent le jury des expositions, qui systématiquement leur refusait toute récompense, ne leur permettait même pas d’appeler le public à juger entre eux et lui.

Corot, élevé dans les traditions académiques, eût pu leur rester fidèle. Il approchait de la quarantaine, cet âge vers lequel d’ordinaire un homme ne change plus guère. Mais ce qu’il comprit, avec son solide bon sens et sa passion pour son art, c’est que la vérité était avec l’école nouvelle, et il s’y engagea. Il lui fallait tout à la fois et apprendre un métier nouveau et changer, avec le choix de ses sujets, la façon de les traiter.

Ce n’est pas en un jour qu’un homme rompt avec une longue éducation. La transformation de Corot ne demanda pas moins d’une quinzaine d’années pour s’accomplir. Même lorsque, revenu en France pour ne la plus quitter et résolu, désormais, à s’inspirer de la nature française, il peint, par exemple, ce fameux chêne appelé le Rageur de la forêt de Fontainebleau, nous le retrouvons d’abord avec la même dureté qui nous avait frappés dans ses. œuvres précédentes. Il a déjà subi sans doute l’influence de Bonington et de Constable, à côté desquels il avait figuré à sa première exposition, celle de 1827, mais l’instrument lui manque encore pour rendre la lumière limpide du plein air; sa peinture n’a ni la souplesse ni la vie. Et de même son choix des sujets n’est pas définitivement fait dès le premier jour; il revient plus d’une fois au paysage historique. Il laissera du moins de cette manière deux efforts dignes d’éloges: son Baptême du Christ, qui est à Paris, dans l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet; son Christ au jardin des Oliviers, qui est l’ornement du musée de Langres. La première œuvre (1842) a de belles qualités de composition, de dessin de personnages. C’est une bonne imitation des maîtres italiens. La seconde œuvre est une œuvre vraiment audacieuse et originale. C’est la pleine nuit que le peintre a osé représenter, cette nuit du Midi, transparente et claire encore, pleine de

Ces obscures clartés qui tombent des étoiles.

Au milieu de la toile, un chemin creux s’enfonce derrière le Christ, abattu au premier plan et accablé de son angoisse; ses disciples l’entourent, perdus dans l’ombre; à droite s’élèvent des oliviers en buissons dont les branches avancent sur. le chemin: au fond, le ciel d’un bleu sombre, où brille une étoile. Le Christ me gâte un peu le tableau, je l’avoue, et l’on passerait volontiers devant, sans se douter qu’il s’agit du Christ, si le livret n’en avertissait. Mais cette étoile qui brille si loin, mais ces vagues clartés du firmament nocturne, avec un léger nuage blanc qui court en haut; mais, sur la terre, ces ombres transparentes encore dans la nuit, qui s’étant promené dans l’Italie ou dans l’Orient par les nuits sereines, qui en France s’étant attardé dans les soirs d’été sans lune, peut regarder ce tableau sans être assailli de souvenirs?

Mais patience! voici le vrai peintre de la nature qui vient. Le Christ au jardin des Oliviers est de 1849. A partir de cette date, Corot a trouvé la voie où désormais il marchera librement et résolument; il abandonne les sujets historiques; il n’est plus que paysagiste, et un paysagiste épris de la nature française.

Nous n’avons plus à raconter la vie de Corot. Depuis lors elle s’est passée tout entière à peindre en pleine campagne, et encore à peindre dans son atelier. Pendant vingt-cinq ans il ne cessa de produire dans l’épanouissement de sa force, dans la liberté de son tempérament d’artiste. A peine si, dans ces dernières années, la vieillesse se faisait parfois sentir par un abus de sa facilité, par sa faiblesse à laisser échapper des œuvres lâchées d’exécution que les marchands lui arrachaient, ou que sollicitaient et obtenaient de sa bonté des complaisants qui l’exploitaient. Il savait se ressaisir et se retrouver tout entier lui-même, et les trois derniers tableaux de son exposition de 1875, tableaux qu’il lui a fallu signer sur son lit de mort, n’étaient au-dessous d’aucun de leurs devanciers.

Ce ne fut pas d’emblée et d’une façon éclatante que le succès vint à lui; il le bouda même longtemps. Bien en prit à Corot d’avoir reçu de la nature une robuste santé et cette humeur égale du caractère qui accompagne la santé. Au physique, il ne connut guère la maladie, et à soixante-quatorze ans il disait gaillardement «que la vie passait vite, et qu’il fallait ne point perdre de temps, parce que les trente années qui lui restaient à vivre — si Dieu lui donnait les quatre au cent — passeraient encore plus vite que les précédentes ». Au moral, il ne connut pas davantage les défaillances. Il y avait au fond de lui un paysan bourguignon (son grand-père était venu de cette province à Paris, et y avait exercé la profession de barbier), et ce paysan était plein de force et de courage. Ses camarades eux-mêmes, pendant de longues années, — il n’est rien de plus pénible pour un artiste, — furent loin de croire à son avenir. On l’aimait, on le recherchait parce qu’il était bon et charmant, parce qu’il était d’agréable humeur et chantait d’une jolie voix toutes sortes de joyeuses chansons. On ne parlait guère de sa peinture. Les artistes vinrent à lui d’abord, le public enfin. Non sans peine, et il aimait à conter la mésaventure qui lui était advenue, non point au début de sa carrière, mais quand il avait cinquante-cinq ans déjà, l’âge d’une vie d’homme, au salon de 1851, le dernier qui fut tenu au Louvre. «Un jour, dit M. Dumesnil, Corot, voyant que personne ne faisait attention à son paysage, eut la fantaisie d’aller le regarder, pensant à part lui que «les hommes sont

«comme les mouches: dès qu’il en vient une sur un

«plat, les autres accourent tout de suite: ma présence,

«disait-il, appellera peut-être celle des passants». En

effet, un jeune couple s’approcha du tableau, et le monsieur dit: «Ce n’est pas mal; il me semble qu’il

«y a quelque chose là dedans». Mais sa femme — qui avait l’air doux, — le tirant par le bras, répondit:

«C’est affreux! allons-nous-en». «Et moi (c’est Corot

«qui parle) d’ajouter en dedans: «Es-tu content

«d’avoir voulu entendre l’opinion du public? Tant pis

«pour toi.» Eh bien, le même tableau, après être resté plusieurs années sans acquéreur, trouva enfin un audacieux qui le prit pour 700 francs. Plus tard, au bout de plusieurs années, il a été payé 12 000 francs en vente publique, et «l’acquéreur était si heureux de l’avoir qu’il donna une fête pour son inauguration. J’y fus convié et comblé de gentillesses». Et Corot ajoutait: «C’était pourtant la même chose qu’autrefois, quand on n’en voulait pas. A présent je fais encore de même, seulement on y est venu, et il n’a fallu pour cela que quarante ans de travail. Ce n’est pas moi qui ai changé, mais bien la constance de mes principes qui a triomphé, et je nage dans le bonheur.»

Aussi, aux jeunes gens qui venaient le consulter, Corot ne trouvait-il guère, dit M. Dumesnil, à répondre que ceci: «Avez-vous quinze cents livres de rente, c’est-à-dire ce qui assure la liberté ? Voyez si vous pouvez dîner avec un gros chiffon de pain acheté le soir chez le boulanger, à soleil couché, comme cela m’est arrivé plus d’une fois. Le lendemain matin je me regardais dans le miroir en tâtant mes joues — elles étaient comme la veille; le régime n’est donc pas si dangereux et je vous le recommande au besoin. » Il est arrivé, ajoute M. Dumesnil, que ce conseil s’adressait à des fils de famille qui répondaient: «Ma voiture est en bas. — C’est bien, tant mieux, disait Corot, vous pouvez vous amuser à peindre.»

C’est en effet, pendant bien longtemps, de sa pension de 1500 francs que Corot avait vécu. La vogue vint tard l’enrichir, et elle enrichit encore plus les revendeurs de ses toiles que lui-même. Il eut ce double mérite de ne pas se décourager parce qu’il se sentait seul et de persévérer dans la voie qu’il sentait être la vraie; de ne rien faire pour attirer à lui le public par des artifices indignes de l’art. Il était l’un des plus simples d’une génération née simple encore, et tout charlatanisme lui resta étranger. Jamais on ne lui vit tirer, pour ameuter la foule, ce qu’on a appelé depuis «des coups de pistolet» et dont notre temps a vu tant d’exemples; jamais il n’a dit: «Faisons du bruit d’abord, le nom et le mérite sérieux en profiteront ensuite». Il alla son chemin tranquillement, paisiblement; il finit par s’imposer.

Peintres français contemporains

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