Читать книгу Les métamorphoses du jour - Charles Blanc - Страница 10
ОглавлениеVII
Voltaire raconte, dans son roman de Candide, comment sept princes détrônés se rencontrèrent un soir à souper dans un cabaret de Venise. Ces sept infortunés mangèrent de bon appétit, et burent sec; ils étaient philosophes.
Il y a plus de sagesse en ce monde qu’on ne pense. Voici sept autres philosophes qui se préparent à renouveler le souper de Venise. Les premiers pouvaient se trouver malheureux d’être découronnés; ceux-ci, au contraire, c’est d’être couronnés qu’ils pourraient se plaindre: tant il est vrai que les hommes diffèrent par les goûts, par les sentiments et par les idées, et que ce qui fait le bonheur de l’un ferait le malheur de l’autre.
Au demeurant, et pour ne pas trop s’avancer, on ne saurait dire au juste de quelle nature est le banquet qui se prépare. Les convives viennent-ils confondre leur joie ou leur douleur? Un fait hors de doute, c’est qu’ils vont s’asseoir à un repas de corps. Et remarquez quelle aimable et raternité ègne entre eux. Les vaines distinctions de rang et de caste se sont effacées. A cette agape philosophique sont assis un bouc, un bélier, un taureau, un cerf; je ne les cite pas tous. Le cerf fait les honneurs de la salle à manger à un unicorne qui se trouve en retard. Ce dernier, botté et éperonné, a une allure de chasseur campagnard, et il a dû lui arriver plus d’une fois de courre ce même cerf qui aujourd’hui, oubliant d’anciennes injures, lui offre un siége; trait de courtoisie vraiment exemplaire. Combien l’unicorne doit se féliciter à présent de n’avoir jamais poussé le cerf jusqu’à l’hallali! Ceci prouve une fois de plus l’excellence de cette maxime des sages, qu’on doit mettre de la modération en toutes choses, et ne traiter jamais un ennemi de façon à ce qu’il ne puisse être un jour votre ami.
Au moment des confidences, c’est-à-dire lorsque le café a délié les langues, et communiqué aux convives sa chaleur expansive, l’entretien suivant eut lieu entre le cerf et l’unicorne grand chasseur.
–Vous souvient-il, mon ami, dit l’unicorne, de ce jour où, vous ayant lancé dès l’aube, je vous poursuivis sans relâche jusqu’au soir?
–Ma foi, il ne m’en souvient que trop, répond le cerf. Quelle course! Je dévorais les bois, les vallons, la plaine, l’espace; pendant un moment, j’eus des ailes, c’est à la lettre. Ah! la rude meute qui aboyait sur mes talons! Heureusement je réussis à la dépister.
–Eh bien, mon rapide ami, c’est ce jour-là qu’en rentrant au logis, crotté et fumant, de sueur, j’acquis la certitude….. comprenez-vous?
–Pas du tout.
–Rappelez-vous la chanson de Béranger:
Pendant que tu poursuis la bête,
Un autre chasse en ta maison.
Tonton, tontaine, tonton.
–Ah! fort bien; j’y suis. Un voisin dévastait votre pigeonnier?
–Mon pigeonnier! véritablement vous avez peu de perspicacité pour un confrère. Il s’agit bien de mes pigeons. Un autre chasse en ta maison. Voyons, réfléchissez à ce vers-là; est-ce que j’habitais un pigeonnier?
–A la bonne heure, m’y voici maintenant Moi, ce fut aussi ce jour-là, mais il n’y avait pas de ma faute; c’était pendant que vous me chassiez.
–Ah! vous êtes bien vengé, compère!
Le bouc est de sa nature débauché et coureur d’aventures. Il n’est point très-délicat dans ses amours, et il a les poches bourrées de livres qui attestent son penchant à un grossier libertinage. Je l’entends dire au bélier, qui ne l’écoute pas et qui regarde dans son assiette:
–Moi, monsieur, j’avais fait tout mon possible pour former ma femme, et je croyais avoir tout lieu de m’applaudir de mes efforts. Je lui avais donné à lire les Contes de Boccace et une quantité d’autres livres de ce genre, pensant qu’étant ainsi au courant des ruses et des stratagèmes à l’usage des galants, elle ne serait point d’une conquête aisée pour ces muguets qui mettent si justement martel en tête aux maris. Mais toute cette science que je lui avais donnée, elle l’a tournée contre moi; et elle s’est servie pour me tromper des ruses que je lui avais enseignées moi-même... Ah! Monsieur, il n’y a point à se fier aux chèvres; ce sont bien les animaux les plus capricieux de la création.
Chacun des convives raconta à son tour son histoire, comme firent les sept rois du cabaret de Venise. Nous n’osons affirmer que ces récits aient eu tous le même intérêt; les détails ont pu varier, mais il n’y a eu qu’une conclusion.
Au surplus, nos animaux ont bien la mine de prendre leur mal en patience, sauf le bouc, qui semble s’être posé ce problème: Pourquoi la chèvre varie-t-elle? Et le taureau, blessé dans son amour-propre, qui se dit: Une bête de superbe prestance comme moi! cela se peut-il! Cette pensée est le crève-cœur du sot; les autres, plus raisonnables, ne partagent point l’opinion du vulgaire sur l’accident qui les réunit, et ils répéteraient volontiers après le fabuliste:
Quand on l’ignore, ce n’est rien;
Quand on le sait, c’est peu de chose.