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Deux canards s’aimaient d’amour tendre
LE BON LA FONTAINE.
Il faut des époux assortis
Dans les liens du mariage.
ADOLPHE ET CLARA, musique de Dalayrae.
Ne vous mariez pas, ne vous mariez pas!...
Refrain d’une chanson intitulée: «Mariez-vous, Mariez-vous?»
Écoutez la triste aventure
De deux jeunes canards, modèles des amants;
Ils pouvaient être heureux, mais l’ingrate nature
Leur causa des désagréments.
Ils étaient beaux tous deux; ils s’aimaient Dieu sait comme!
Jamais on ne trouva chez l’homme,
Qui s’y connaît pourtant, un plus fidèle amour.
Il fallait les voir, chaque jour,
Joyeux et confiants, sur la mare voisine,
Côte à côte nager et de leur col changeant
Faire onduler l’or et l’argent;
Et puis, quand le soleil brillait sur la colline,
L’un et l’autre y monter tout en se dandinant,
Secouant leurs ailes humides
Et mouillant de perles liquides
Le gazon desséché par le souffle du vent.
Mollement accroupis, de leurs vertes prunelles
Leurs âmes s’épanchaient en effluves d’amour,
Et des promesses solennelles
Juraient l’éternité pour ces rêves d’un jour!
Alors, comme deux cœurs qu’un même vœu rassemble,
Ils se relevaient radieux,
Et loin des jaloux odieux
Retournaient promener et barboter ensemble.
Hélas! l’heureux temps des amours
Passe vite, et c’est pour toujours!
Le bonheur, ici-bas, s’envole comme un songe.
Cet axiome n’est pas neuf,
Mais sur dix amants j’en sais neuf
Qui s’obstinent pourtant à le croire un mensonge.
Aimons-nous tant que nous pourrons,
Disent-ils; et puis nous verrons.
Nos deux canards étaient du nombre:
Imprudents, qui ne songeaient pas
Que tandis qu’ils s’aimaient on les suivait dans l’ombre,
Qu’un ennemi caché s’attachait à leurs pas,
Épiant leur tendre manége,
Et par quelque affreux sortilége
S’apprêtant à troubler leur innocent bonheur.
C’était un vieux hibou, vilain à faire peur.
Il trouvait la cane gentille,
Et malgré son amour pour le beau caneton
Il voulait que la pauvre fille
L’épousât, lui si laid, lui l’horreur du canton.
Oui, mais il était riche, et si pauvre était l’autre
Aussitôt le méchant apôtre
Se frottant les mains,
Par vaux, par chemins,
Va dénoncer le fait au père de la belle,
Qui l’enferme sous clef, lui promettant tout net
Une bonne volée au cas où, trop rebelle,
Elle voudrait encor revoir son freluquet.
Et puis sans pitié pour ses larmes,
Désormais impuissantes armes,
Il la jette tremblante aux mains du noir hibou,
Qui triomphe, et s’en va dans le fond de son trou
Comme un trésor qui l’inquiète
Réléguer sa chère conquête.
Mais bientôt l’entêté canard
Finit par découvrir la dame,
Et quand le hibou, sur le tard,
Sortait, recommandant son âme
Aux Dieux protecteurs des époux,
L’amoureux, riant du jaloux,
Faisait le signal à la belle,
Qui, sans trompette et sans échelle,
Descendait causer un moment.
Mais le hibou veillait. Or, un soir que l’amant,
S’oubliant à conter fleurette,
Prolongeait un peu trop ces charmants entretiens,
Le vieux, comme un sournois qui guette,
S’avance, voit le couple, et se dit: Je les tiens!...
La fureur agite
Son cœur plein d’orgueil;
Il se précipite,
La flamme dans l’oeil,
Et, dans son délire,
Que l’enfer inspire,
D’un grand coup de bec
Appliqué bien sec,
Amant et maîtresse,
Au sein de l’ivresse,
Il vous les embroche tous deux!...
Plus tard on racontait que l’époux furieux
N’avait pu dominer sa rage;
Mais que de se tuer n’ayant pas le courage,
D’orgueil et de dépit un jour il était mort.
Passant ne plaignez pas son sort.