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VI

Table des matières

J’ai un ami qui est un merveilleux physionomiste. Je me rappelle qu’un jour, voyageant de compagnie, nous arrivâmes dans je ne sais quelle petite ville de province, où il me donna une preuve de son singulier talent pour juger, à première vue, des rapports mystérieux qui existent entre les figures et les aptitudes, les goûts, les professions même, des bipèdes désignés en histoire naturelle sous le nom d’hommes.

Nous venions de descendre de diligence lorsque nous avisâmes un monsieur d’une taille moyenne, d’un visage ordinaire, qui n’offrait d’autre particularité qu’une ressemblance assez-vague avec un chien dogue: un nez un peu fort, à narines très-ouvertes, placé à longue distance d’une bouche dont la lèvre supérieure était excessivement mince.

–Voilà, me dit mon ami, un monsieur qui doit jouer de la clarinette.

–Bah! répondis-je, quelle plaisanterie! A quoi pouvez-vous reconnaître ainsi un pareil travers? Gall n’admet point dans son système la bosse de la clarinette.

–Peu nous importe! j’en suis sûr; et je parierais une dinde truffée contre une stalle de l’Odéon que ce particulier pratique journellement l’anche d’une clarinette.

J’acceptai ce pari aussi grotesque qu’original, et nous nous mîmes aussitôt en devoir de chercher un moyen de vérification. Nous suivîmes le suspect, et au premier gamin que nous rencontrâmes mon ami demanda:

–N’est-il pas vrai que ce monsieur joue de la clarinette?

Le gamin nous rit au nez sans nous répondre. Nous entrâmes dans un bureau de tabac, et mon ami renouvela sa question auprès de la demoiselle de comptoir. Celle-ci ouvrit la bouche, en nous exhibant la rangée de touches de piano qui lui tenaient lieu de dents; puis voyant que, malgré son rire, nous gardions notre sang-froid, elle reprit son sérieux et nous dit, d’un ton marqué de mauvaise humeur:

–Messieurs, je n’ai pas l’honneur de vous connaître; ayez la bonté d’aller plaisanter ailleurs.

Nous sortîmes. Mon ami était visiblement contrarié de sa déconvenue.

–Je vois bien, me dit-il, que nous ne tirerons rien de cette population, qui ne comprend pas les fantaisies d’artistes, et ne se doute pas des merveilles de la physiognomonie. J’ai envie de courir lui demander à lui-même si...

–Par exemple! interrompis-je, ne vous avisez pas de faire une telle extravagance! Voulez-vous donc nous faire arrêter et jeter dans une maison d’aliénés? il y en a partout.

–Eh bien, cherchons un autre moyen... Mais j’y songe, on joue ce soir la Dame Blanche; exposons-nous à cette exécution malsaine; notre clarinette y fera peut-être sa partie.

Le soir venu, nous nous rendîmes en effet au théâtre; hélas! quelle ne fut pas la déception de mon ami! nous étions dans une de ces villes où l’on a joué la Dame Blanche sans musique, et remplacé le chant par un dialogue vif et animé.

–Est-il possible, s’ecria-t-il tout à coup, qu’on aime si peu la musique dans un pays où l’on a une clarinette si distinguée!

–Monsieur est étranger, on le voit bien, lui dit son voisin; car monsieur saurait que notre ville est une des plus philharmoniques de France, si j’ose m’exprimer ainsi.

–Et vous laissez jouer la Dame Blanche ainsi mutilée?

–Eh! Monsieur, voilà précisément en quoi nous faisons preuve de goût: c’est que nous ne pouvons pas souffrir la petite musiquette de vos opéras d’à présent; nous n’aimons, nous ne comprenons que la grande musique, la seule véritable, la seule digne de l’art d’Euterpe. Ils font de belles choses, vos musiciens d’aujourd’hui, je vous conseille d’en parler, avec leurs opéras où l’on crie sur des airs de contredanses! De la musique instrumentale, des symphonies de Beethoven, de Haydn, de Mozart; des duos de Viotti, des trios, des quatuors, des quintettes, des septuors, à la bonne heure! Ah! monsieur, le grand septuor de Beethoven! Et les messes donc, les messes de Lesueur, de Cherubini, et les motets, et les psaumes, voilà de la musique! Mais vos opéras, je ne les ai pas entendus et je ne veux jamais les entendre, ce ne sont que des chansons ajustées les unes au bout des autres. Nous n’aimons pas la musique? quel blasphème! O sainte Cécile! une ville qui possède une société philharmonique où l’on exécute la Pastorale mieux qu’au Conservatoire de Paris, et...

–Ah! vous avez une société philharmonique? Alors il n’est pas que vous ne possédiez une clarinette?

–Assurément, M. Ducouac, un de nos plus fameux...

–Serait-il indiscret de demander à être admis à un de vos concerts?

–En aucune façon. Précisément demain, nous jouons l’Héroïque /

Le lendemain, mon ami triomphant me prouvait qu’il avait gagné son pari, en me montrant M. Ducouac soufflant dans sa clarinette; de plus, il continuait ses exercices de physiognomonie, en cherchant à lire sur le visage de chacun des exécutants sa profession, ses moeurs, son caractère.

–Vous voyez bien, me disait-il, ce violoncelle à tête d’âne? c’est le monsieur qui nous a parlé hier soir et nous a fait inviter: sortez-le de ses symphonies, il est ignorant comme un vaudevilliste, et entêté... Ce chef d’orchestre est un vrai singe; il ne sait et ne saura jamais qu’exécuter la musique d’autrui. Ces deux violonistes à figures de chat, ne voyez-vous pas que toute leur attitude dénote des tendances à la trahison féline? je ne voudrais pas les avoir pour amis, je les soupçonne d’être dans la police. Je gagerais que ce timbalier si alerte est peureux comme un lapin. Quant à ce trombone, regardez le collet de sa redingote, vous reconnaîtrez que la propreté n’est pas son défaut. De même qu’il est aisé de deviner que ces deux contre-bassistes vivent comme des ours à qui la boîte de leur instrument sert d’antre. D’ailleurs, j’ai remarqué que la contre-basse aigrit le caractère de l’homme: Alceste devait jouer de la contre-basse. Il aurait continué ainsi longtemps; mais le concert était fini, et nous n’avions, ni l’un ni l’autre, envie d’en tâter d’un second. Le ciel vous préserve à jamais du premier!

Les métamorphoses du jour

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