Читать книгу Les métamorphoses du jour - Charles Blanc - Страница 4

Оглавление

LES
MÉTAMORPHOSES
DU JOUR

Table des matières


I

Table des matières

Depuis le Chicaneau et la comtesse de Pimbêche des Plaideurs, depuis la baronne du Chevalier à la mode de Dancourt, laquelle prétend faire couper un bois planté méchamment il y a cent ans, dit-elle, dans le but d’empêcher les ailes de son moulin de tourner, depuis les railleries de l’Avocat Patelin et des Fourberies de Scapin sur les gens à procès et sur les lenteurs de la justice, jusqu’au Conseiller rapporteur de Casimir Delavigne, aux vaudevilles de M. Scribe, aux romans de Balzac, qui entendait si bien les affaires judiciaires, civiles, commerciales et autres (il l’a prouvé), s’en est-on assez moqué de ces braves et infatigables clients de Thémis, qui assurent que s’il y a un Code civil, un Code de commerce, des juges, des tribunaux, des avoués, des agréés, des avocats, des huissiers, c’est apparemment pour qu’on s’en serve?

Et pourtant rien ne les a corrigés; les formes et les noms rames de justice ont changé, mais les passions, les travers, les manies des piliers de tribunaux et de toute l’avide cohorte qui les exploite sont absolument restés les mêmes. Les traits des Guêpes d’Aristophane se trouvaient parfaitement de mise dans les Plaideurs de Racine, et les bons mots et les scènes comiques des Plaideurs sont encore tout aussi bien de mise de nos jours.

Le plaideur est resté ce qu’il était; aujourd’hui, comme il y a tantôt deux cents ans, il s’écrierait avec la comtesse:

Ah! vivre sans plaider, est-ce contentement?

Et Grandville a bien su ce qu’il faisait en se souvenant du mot que dit un peu plus loin cette même comtesse:

Laissez faire, ils ne sont pas aubout;

J’y vendrai ma chemise, et je veux rien ou tout.

Savez-vous ce qui amène ce gars Baudet devant Me Lentulus des Tortues, avoué près le tribunal civil de ***, et Me Isaac Vautour, avocat israélite et normand. Vous voyez qu’il est entre bonnes mains.

* Baudet avait un pommier... c’est-à-dire Baudet avait un voisin, lequel avait un pommier. Or il advint, par une étrange fortune, que ce voisin, le père Placide, quoiqu’il fût né lui aussi non loin des bords de l’Orne, était un bon homme, jaloux de sa tranquillité, pratiquant naturellement le bien et la justice, sans jamais s’être inquiété de ce que c’était que le Code civil, les juges, les tribunaux, les huissiers et autres gens de loi; un rare Normand, n’est-ce pas, qu’en dites-vous?

Mais si la terre de Normandie produit naturellement des pommiers, il est vrai qu’il n’y croît pas moins spontanément des plaideurs et des procès.

Or, le pommier en question était né du côté de Placide, sur le versant d’un fossé mitoyen entre le champ du brave homme et celui de Baudet; mais par un de ces caprices de la nature, assez fréquents depuis que les dieux et le divin Homère ont fait de la pomme le fruit ou plutôt le pepin symbolique de la discorde, le pommier de Placide avait accusé une tendance bien marquée à allonger son branchage au-dessus du versant appartenant au voisin Baudet. Le voisin Baudet restait-il complétement étranger à cette sympathie attractionnelle du pommier vers sa terre, et sa main ne vint-elle point parfois aider la nature? c’est ce que je ne saurais dire; tout ce que je puis affirmer, c’est que le voisin Placide ne s’en préoccupait en aucune façon... A l’automne, lorsque venait le moment de la récolte, il laissait Baudet ramasser tout le fruit qui tombait de son côté, sans chercher à savoir si celui-ci en dirigeait ou non la chute. Il fit plus; s’étant un jour aperçu que son voisin gaulait les pommes, avant qu’elles fussent mûres, il lui dit:

«Dites donc, l’ami Baudet, vous n’avez pas besoin de gauler les pommes comme ça, avant la maturité; attendez la saison, si vous voulez, nous partagerons ensemble toute la récolte.

–Oui-da, répondit l’autre, vous n’êtes encore pas bête, vous; toute l’ombre de votre pommier vient sur mon champ et empêche l’herbe de pousser au bord de mon fossé, et vous ne voudriez me donner que la moitié de vos pommes!

–Eh bien, eh bien! ne vous fâchez pas, voisin, reprit Placide; en voulez-vous les trois quarts?

–Les trois quarts, soit; mais nous ferons la cueillette ensemble, et il n’y aura pas de tricherie.»

L’année suivante, Baudet ne voulut plus se contenter des trois quarts; il lui fallut toute la récolte. Comme il menaçait d’un procès, le bonhomme Placide consentit à tout ce qu’il voulut.

Mais, hélas! les pommiers comme les hommes sont mortels! le pommier du père Placide, dont le gars Baudet mangeait le fruit, est passé, l’an dernier, de vie à trépas. L’arbre mort, le bonhomme n’a trouvé rien de mieux à en faire que de le couper et de le mettre au feu. Or, en voyant enlever le bois mort, Baudet, que le décès du pommier avait déjà vivement contrarié, est entré en fureur; il a parlé d’avoués, d’huissiers, d’avocats! Placide en a tremblé; mais que faire? il y avait déjà plus de la moitié du bois de brûlé. Baudet demande quinze cents francs de dommages-intérêts, sous prétexte qu’il est bien juste qu’un pommier qui lui a donné vivant de l’ombre et des fruits, mort, lui donne encore son bois pour se chauffer.

«Mais êtes-vous décidé à pousser l’affaire jusqu’au bout? lui dit Me des Tortues; je ne vous cacherai pas qu’en première instance...

–J’y vendrais plutôt ma dernière chemise d’abord, répond Baudet.

–Eh bien, alors, attendez le jugement, s’écrie Me Vautour.»

Pauvre Baudet, comme je le disais tout à l’heure, son affaire est entre bonnes mains: il peut dire adieu à sa dernière chemise.

Les métamorphoses du jour

Подняться наверх