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VIII

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Depuis La Fontaine on n’avait pas entendu dire que l’amour des astres eût fait de nouvelles victimes. L’astrologue du naïf conteur était resté au fond de son puits comme le premier et le dernier exemple, l’alpha et l’oméga d’une grande infortune due à la passion de lire les destinées humaines dans les signes du zodiaque.

Il était réservé à Grandville, cet autre fabuliste au crayon, de connaître et de révéler au monde le pendant de l’astrologue du bonhomme. Ce pendant vous l’avez devant vos yeux.

Remarquez tout de suite que ce n’est pas un être complétement humain, et, à la corne qui pare son front, déclarez hardiment qu’il appartient à l’espèce dite rhinocéros. Que si vous vous étonnez, sachez qu’en vertu de la loi du progrès, qui régit les êtres animés, l’astrologie judiciaire, en abandonnant les hommes, est passée chez les créatures classées à un degré inférieur dans la hiérarchie de la nature. Depuis, les animaux en raffolent. Sur tous les points du globe et dans les villes bâties par leurs architectes, les castors, on ne voit que lunettes et télescopes, incessamment braqués vers les régions célestes, comme disent les humains; partout des chaires publiques se sont élevées pour l’enseignement de la science nouvelle, et la foule accourt se ranger avide et empressée autour des aigles chargés d’en propager les principes. Les aigles ont tout naturellement le monopole de la doctrine, à cause du privilége que Dieu leur a exclusivement attribué de considérer le soleil sans être éblouis par ses rayons.

Grandville, qui a obtenu la faveur, qu’il méritait d’ailleurs à tous égards, d’assister à ces cours, ne cessait de vanter la supériorité magistrale avec laquelle était fait cet enseignement. L’aigle professeur que vous voyez ici a été peint sous l’impression que l’initié avait rapportée de la leçon qu’il avait entendue. Par la perfection du crayon vous pouvez juger de l’excellence du modèle.

Toutefois, parmi ces fanatiques de la science, Grandville avait distingué un adepte dont la passion n’avait point d’égale chez ses concitoyens. Cet adepte était le rhinocéros dont nous avons déjà parlé. Tous les phénomènes que la monomanie produit chez les hommes, l’amour des astres les causait chez lui. Il n’en dormait pas, il n’en mangeait pas, mais il en vieillissait avant l’heure. Ses affaires, ses plaisirs, ses affections, il négligeait tout pour s’absorber dans cette préoccupation qui s’était emparée souverainement de son existence. Lorsque la nuit était venue, ses yeux et sa corne étaient incessamment dirigés vers l’objet de sa passion, et, fantaisie bizarre, il avait totalement répudié la société de ses pareils pour vivre au milieu des aigles, dont il suivait régulièrement tous les cours.

Bonhomme d’ailleurs et de moeurs douces, il était pour sa femme d’une complaisance qui s’arrêtait néanmoins là où commençait son culte pour la science. Tolérant pour tous les caprices de sa moitié, il devenait intraitable dès qu’il s’agissait de satisfaire les imaginations que lui suggérait sa maladie. Ainsi il voulait absolument faire participer sa famille à ses études et à son enthousiasme. Cette famille, qui ne se composait que de sa femme et de son petit-cousin, était obligée de le suivre dans toutes ses excursions scientifiques; il n’entendait pas raison sur cet article, et bon gré mal gré la femme et le cousin figuraient toujours dans les mille scènes auxquelles son excentricité ne manquait pas de donner lieu.

Il est probable que cette tyrannie de notre rhinocéros ne fut pas d’abord du goût de sa femme et du petit-cousin; mais il paraît qu’ils finirent par s’y habituer, et si l’on en juge par les résultats, on doit croire qu’ils ne s’en trouvèrent pas trop mal.

Chose singulière, et que Grandville n’a jamais pu s’expliquer, toutes les fois que notre bête à corne s’avançait vers un télescope, avec l’air bonasse et heureux qu’on lui voit ici, son dos voûté recouvert d’une grande redingote à la propriétaire, sa main gauche tenant son chapeau et son bras droit recevant celui de sa moitié, qui recevait à son tour le bras de son petit-cousin, toutes les fois que le rhinocéros appliquait son œil au verre de la lunette, et quelle que fût la planète vers laquelle cette lunette était dirigée, l’aigle lui disait invariablement et avec un geste noble et majestueux: A votre droite est le signe du Capricorne.

Nous avons su depuis, ce qui semblera étrange, que malgré cette indication, notre amateur n’a cependant jamais pu voir le signe du Capricorne.

Les métamorphoses du jour

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