Читать книгу Une mariée de seize ans - Clémence Badère - Страница 10
ОглавлениеUNE NUIT DE NOCES
Il fut sur le point de parler de cela à son père, mais il réfléchit avant que de le faire. Il avait toujours plu aux femmes, — c’était en effet un très-beau garçon, — et, se rappelant ses entretiens avec Hélène, bien qu’elle lui eût semblé un peu froide, elle ne lui parut point toutefois avoir de l’aversion pour lui.
Au surplus, en relisant sa lettre, il vit bien que c’était un enfantillage, une détermination peu raisonnée dans cette tête de seize ans.
Ensuite, le souvenir de sa mère, mal mariée probablement, avait amené cette décision.
— Cette jeune fille ne connaît encore rien de l’amour, se dit-il, mais comme il faut tôt ou tard qu’on arrive à éprouver ce sentiment et que j’ai l’intention de la rendre heureuse, elle finira bien un jour par m’aimer.
Et, pour cela, il faut peut-être se conformer à sa volonté. Consentons donc à ce qu’elle demande et, pour le moment, épousons mademoiselle Derbourg pour l’amour de sa tante. Quand nous serons mariés, je saurai bien la fléchir.
Et M. Darnilly répondit par ce billet, qui, selon lui, n’engageait pas à grand’chose:
«Mademoiselle,
«C’est dans trois semaines que je vous épouse, et je m’y soumetttrai de bon cœur, car je n’ai point comme vous d’aversion pour le mariage. Mon père et ma mère ont été très-heureux en ménage.
«Je regrette donc de n’avoir pu encore faire changer vos idées sur ce point.
«Toutefois, puisque vous m’en priez avec tant d’instances, je veux bien vous épouser avec les conditions que vous m’imposez, si dures qu’elles soient. En un mot, je me promets de ne point contraindre vos sentiments et de respecter vos scrupules.
«Je vous prie de croire à ma parole et à mon entier dévouement.
«PAUL.»
Hélène, satisfaite de cette réponse, reprit toute sa sérénité. On consentait à ce qu’elle voulait, par conséquent ce mot de mariage ne l’effrayait plus autant.
Elle était si jeune, que son cœur, effectivement, ne s’était pas encore ouvert à l’amour.
Elle se prépara donc à cette solennité, s’occupa de sa toilette et retrouva toute sa gaieté en admirant les parures que contenait la corbeille de noces.
Le jour vint, et la jeune fille fut charmante dans sa blanche toilette de mariée. Elle était reconnaissante envers Paul de ce qu’il avait bien voulu se conformer à ses volontés, et ses grands yeux, où se reflétait la sérénité de son âme, s’arrêtaient doucement sur lui.
En la voyant ainsi, le jeune homme crut un instant qu’elle reviendrait d’une détermination qui était pour lui un arrêt cruel.
Ce jour se passa comme se passent tous les jours de noce. L’heure venue de se retirer, Hélène se rendit à la chambre nuptiale, et Paul ne tarda pas à l’y suivre.
Il trouva la chambre déserte, mais une porte, communiquant à cette chambre, s’entrouvrit aussitôt et il en vit paraître sur le seuil Hélène qui avait quitté sa riche parure pour revêtir une toilette simple qui la rendait plus séduisante.
Elle tendit la main à son mari, lui rappela sa promesse en le remerciant d’avoir bien voulu être de son avis. Puis, après quelques mots encore échangés, elle lui demanda la permission de rentrer dans sa chambre.
Et, avant qu’il eût pu faire aucune objection, elle disparut, faisant glisser derrière elle un verrou dont le bruit retentit tristement au cœur du jeune mari. C’était bien inhumain, hélas! oui.
— Hélène a des idées qui remontent à la création, se dit Paul; selon elle, nous devons vivre comme Adam et Eve avant le péché ; c’est très-patriarcal.
Cependant, comme Paul n’avait plus l’innocence de notre premier père, il s’ensuivit qu’il n’en eut point le calme ni la sérénité.
Et cette chambre, où il se trouvait relégué dans cette triste nuit de noces, était loin d’être pour lui un lieu de délices. Il regardait cette porte, derrière laquelle une gracieuse jeune fille lui était apparue et s’était retirée, et il se disait, en soupirant, que c’était de ce côté que devait être le paradis, mais l’ange lui était apparu sur le seuil et lui en avait interdit l’entrée.
Il eût pu y aller frapper, pour tâcher d’obtetenir un entretien plus prolongé, mais il avait fait une promesse, et y manquer le premier jour pouvait donner de lui une opinion défavorable et porter l’inquiétude dans le cœur de la jeune fille.
Il voulait, par des soins et des attentions, parvenir à se faire aimer d’elle, et, pour cela, il sentit qu’il ne fallait pas brusquer ses scrupules.
Il se résigna donc à rester dans sa solitude.
Quant à Hélène, la fraîche et gracieuse fille, elle fut bien calme sous ses blancs rideaux de mousseline; elle fit des rêves couleur de rose.
— Comme je vais être heureuse, se dit-elle; maintenant que me voilà mariée, je serai maîtresse de mes volontés. M. Darnilly m’a comprise et il se rend à mes vœux; cela fait que j’aurai tous les avantages du mariage sans en avoir les charges.
Nous n’en serons pas plus mal l’un et l’autre; au contraire, en vivant ainsi, sans autre rapport qu’une simple amitié, aucun nuage ne viendra troubler notre union.
Bercée par ces rêves d’enfant, Hélène s’endormit avec le calme d’un ange.
Elle ne pouvait, toutefois, être taxée d’insensibilité ; n’ayant jamais aimé, elle ignorait que ce sentiment pût faire souffrir.
Cependant, elle quitta sa tante et vint habiter la maison de son mari; mais elle se choisit un appartement séparé du sien, et le jeune homme ne fut pas plus heureux.
Il eût certes pu jouir de ses droits, mais il était homme du monde et ne voulait pas, en un mot, violenter le cœur de sa femme.
Elle était si jeune! Il fallait que l’enfant devînt femme et qu’elle comprît l’amour.
Si l’on force le bouton à s’ouvrir, on n’aura qu’une fleur imparfaite et l’on jouira mal de son parfum.
Il la laissa donc à ses scrupules, se promit d’attendre tout du temps, espérant qu’elle ne tarderait pas à revenir de ses idées ultra-antimatrimoniales. Il se contenta de cette simple amitié qu’elle lui offrait, il se borna à lui plaire et eut pour elle ces attentions qui charment et séduisent.
Mais c’est en vain qu’il mit tout en œuvre pour se montrer galant et empressé ; c’est en vain qu’il chercha à faire passer, dans le cœur de sa femme, un peu de cette flamme qui brûlait le sien, Hélène restait toujours indifférente, elle le regardait à peine, ou, si elle le regardait, c’était avec le même calme et la même sérénité qu’elle eût regardé son piano ou sa broderie.
En un mot, Hélène n’avait point d’amour: elle aimait ses fleurs et raffolait de ses oiseaux!
Elle affectionnait particulièrement sa tante, ainsi que madame Valmont, son amie d’enfance, qui lui écrivait souvent et venait la voir quelquefois.
Il n’y avait que son mari qu’elle n’aimait pas, aux yeux de celui-ci du moins, parce que les amoureux sont toujours exigeants. Mais M. Darnilly pouvait être accusé d’injustice, car, tant qu’il restait docile, Hélène l’aimait, un peu moins que sa perruche toutefois.
Paul, piqué de ses rigueurs, se déclara un jour à lui-même qu’il ne pouvait plus se contenter de ce genre d’existence; il trouva très-injuste qu’on ne l’aimât pas davantage; mais il ne savait plus que faire.
Cependant, il ne se découragea pas: en agissant de ruse, Hélène, un jour où l’autre, devait se soumettre.
Nous devons dire que c’est sur ces entrefaites que celle-ci avait écrit à son amie Virginie Valmont de venir la voir.