Читать книгу Une mariée de seize ans - Clémence Badère - Страница 6
ОглавлениеLES PROUESSES DE MADAME MIGNONNET
Si, par exemple, madame Mignonnet a entendu parler d’une femme d’esprit, aussitôt elle veut être femme d’esprit. Et, pour en donner la preuve, tu t’imagines sans doute qu’elle va lancer quelque épigramme, ou raconter quelque anecdote piquante?
Du tout, madame Mignonnet trouve cela parfaitement inutile; elle connaît un moyen plus sûr et plus prompt de faire sa réputation: c’est de dire partout qu’elle a de l’esprit; tout l’esprit de madame Mignonnet se borne à vous dire qu’elle en a infiniment.
Elle vous dira le plus ingénument du monde que, dès sa plus tendre enfance, elle montrait une intelligence peu commune, que ses parents, à cause de cela, craignaient beaucoup de ne pas l’élever, parce que tous ces enfants qui montrent une intelligence si précoce s’élèvent rarement, et que si elle était arrivée à âge de femme, on le devait bien certainement à un miracle.
Elle ajoutera, avec une volubilité toujours croissante, qu’elle était fine comme l’ambre, qu’elle était bien d’ailleurs la plus jolie, la plus spirituelle petite fille que l’on pût voir; elle n’avait pas sa pareille à cent lieues à la ronde.
Et quand elle a épuisé tous les mots du vocabulaire pour bien vous persuader qu’elle a de l’esprit, si l’on paraît encore en douter, elle a recours à un autre stratagème, elle prend son mari à part et lui parle ainsi:
— Ecoutez, monsieur Mignonnet: vous n’ignorez pas que toute la fortune est de mon côté, et que, par un arrangement qui a été fait, je puis me retirer moi et ma fortune quand bon me semblera. Vous savez tout cela, n’est-ce pas, monsieur Mignonnet? et vous me laissez égosiller, vous ne m’aidez pas à dire que j’ai de l’esprit! Monsieur Mignonnet, vous êtes bête comme vos pieds.
Et M. Mignonnet, qui tient un peu à safemme et beaucoup à sa fortune, s’avance à son tour sur le bord de la scène; il jure ses grands dieux que sa femme a énormément d’esprit, tellement, qu’elle en donne à tous ceux qui l’approchent, que lui-même en est tout imprégné : il en a par-dessus la tête de l’esprit de sa femme.
SI madame Mignonnet a entendu parler de quelqu’un dont on vante le style épistolaire, elle court à son secrétaire, en vous disant qu’elle aussi elle avait autrefois un très-joli style; elle en retire un épître d’elle, vous la lit d’un bout à l’autre, en ayant soin de vous faire remarquer qu’elle est écrite avec infiniment d’esprit.
Madame Mignonnet a-t-elle entendu parler d’une femme coquette et entourée d’adorateurs, aussitôt elle veut être coquette et entourée d’adorateurs. Elle fera des extravagances, elle se calomniera même au besoin pour que l’on parle d’elle, elle tiendra à ce compte les propos les plus absurdes.
Et si, par cette raison, les femmes s’éloignent d’elle, elle ne pensera pas qu’on aura trouvé sa conduite inconvenante.
Nullement, madame Mignonnet a beaucoup trop de confiace en elle-même; elle se dira qu’étant la plus jolie, la plus spirituelle, il n’est pas étonnant qu’elle ait inspiré de la jalousie, et que, si toutes les femmes s’éloignent d’elle, c’est parce qu’elle les éclipse toutes.
Tu crois peut-être que c’est dans la conversation qu’elle brillera? Pas davantage. Elle parlera de ses qualités personnelles, de ses terres, de ses biens au soleil; elle vous dira qu’elle est l’héritière d’une immense fortune; elle ajoutera, avec l’air d’une majesté qui veut bien s’abaisser jusqu’à vous, qu’elle n’en est pas plus fière pour cela.
Madame Mignonnet a-t-elle entendu parler d’une femme malheureuse et négligée de son mari, aussitôt elle se pose en victime.
Elle vous affirmera qu’elle est martyrisée par son cruel époux; que, comme une fleur battue par l’orage, elle se meurt brisée sous le despotisme conjugal; car madame Mignonnet, aimant le romantique, parsème ses discours de belles phrases.
— Tenez, nous disait-elle l’autre soir, en nous montrant les vieilles tours du château. Que de fois il m’est venu à l’idée de monter en haut de ces tours, et de me précipiter en bas, moi et mon enfant, pour nous ravir à la malheureuse existence que mon farouche et cruel tyran nous prépare, pour éviter cet abîme que son inconduite creuse chaque jour sous nos pas!
Et M. Mignonnet, qui travaille dans une pièce à côté, et qui a entendu ces derniers mots, s’avance les bras croisés, l’air indigné.
— Eh bien, madame Mignonnet, qu’est-ce que tu dis donc là ? Comment, moi, je te creuse un abîme! Ah! Dieu, si l’on peut mentir ainsi!... Mais, voyez-vous, c’est une idée fixe chez elle: elle s’imagine toujours qu’on lui creuse quelque chose.
L’autre jour, ne disait-elle pas aussi que c’était moi qui lui avais creusé les joues, par le chagrin que je lui ai causé depuis notre mariage; qu’elle les avait très-rondes auparavant! Eh bien, mesdames, permettez-moi de vous dire que tout ceci n’est qu’un horrible tissu de mensonges. Ainsi vous lui voyez les joues aujourd’hui, ainsi elle les avait le jour où je l’ai épousée; et je vous prie de croire que, foi de Mignonnet, je ne lui ai rien creusé du tout! Ah! Dieu, la pauvre petite, j’aimerais mieux me creuser à moi-même mon tombeau.
Et M. Mignonnet, fier de son éloquence, retourna majestueusement à son travail.
Quelques jours après, il eut à porter à deux kilomètres de la ville quelques objets qu’il avait vendus. Il partit à midi, et à deux heures il n’était pas de retour; trois heures, quatre heures, cinq heures, point de Mignonnet! Sa pauvre femme ne tenait plus en place: il était probablement en train de lui faire quelque infidélité, car, bien qu’il n’en soit rien, il lui fait, selon elle, les infidélités les plus désespérantes.
Cependant, il arriva.
— D’où viens-tu, monstre infâme?...
M. Mignonnet s’approche dans le but de la calmer.
— Oh! n’approche pas, tyran, n’approche pas!...
Et la Mignonnette, qui ne l’est pas, allonge ses griffes.
Alors M. Mignonnet commence à trembler pour ses yeux; il se retire sans perdre de vue la griffe qu’il redoute, et va se blottir dans un coin de la chambre, où il trouve un abri contre l’orage. Il était temps, car madame Mignonnet est devenue terrible. Elle parcourt la chambre avec des transports de fureur; elle a l’air d’un ouragan. Sa joue est cramoisie, son œil flam+broyant; une larme de rage brille au bord de sa paupière, et va se cacher toute tremblante dans le creux de sa joue, où elle semble se nicher, ce qui fait l’effet d’une goutte de rosée dans le calice d’une pivoine.
La fureur ainsi arrivée à son paroxysme ne peut plus nécessairement que diminuer; elle tombe en effet. Madame Mignonnet se calme, sa voix s’éteint dans un sanglot; la tempête s’apaise enfin pour faire place à une pluie torrentielle de larmes, qui va se perdre dans ses cheveux épars; son corps s’affaisse et se penche en avant; la tête s’incline vers la terre; ses cheveux ruisselants de larmes suivent la même pente; elle porte à ses yeux la pointe d’un mouchoir brodé, dont l’autre pointe touche presque à terre.
A voir ainsi madame Mignonnet, il vous semble voir un saule pleureur après une pluie d’orage.
Alors, M. Mignonnet commence à se rassurer dans son coin; il risque un œil, en se rappelant le proverbe:
— Petite pluie abat grand vent, se dit-il, et comme il connaît aussi la logique, il se frotte les mains en se faisant encore cette réflexion très-méritoire: — Si petite pluie abat grand vent, à plus forte raison grande pluie.
Et plus madame Mignonnet répand de larmes, plus son traître de mari se frotte les mains et semble satisfait.
Cependant, le lendemain de cette scène, madame Mignonnet trouva bon de rester au lit toute la journée, et il paraît qu’elle rêva qu’elle obtiendrait une réputation bien autrement colossale si elle se posait en femme heureuse, la plus heureuse du monde, et accaparant à elle seule tous les bonheurs de la terre. A l’entendre ce jour-là, son ménage égalait celui de Philémon et Baucis.
Elle nous assura qu’elle avait dormi toute la nuit, couchée horizontalement dans son lit, les pieds sur les roses de la tapisserie, et la tête sur le sein fortuné de son heureux époux.