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VII

Table des matières

LA LETTRE MYSTÉRIEUSE

Un jour, Hélène, en passant devant la chambre de son mari dont la porte était ouverte, le vit occupé à lire une lettre qu’il cacha précipitamment à son approche.

Elle fit d’abord peu attention à cela. Mais le lendemain, lorsque la chose lui revint à l’esprit, sa curiosité se trouva éveillée, et elle se fit maintes réflexions.

Que pouvait être cette lettre? Si elle eût regardé les affaires commerciales, Paul n’aurait pas tressailli à son approche, il ne se serait pas caché d’elle pour la lire.

Elle pensa à s’informer près de lui, mais elle réfléchit que, le laissant seul, elle lui donnait le droit de rechercher d’autres intimités. Ce pouvait être une lettre de femme, et il eût été maladroit à elle de lui en parler. Au surplus, il devait lui être fort indifférent que son mari en aimât une autre; pourvu qu’il respectât sa maison, elle ne devait pas exiger davantage. Malgré tous ces raisonnements, Hélène ne se tint pas pour satisfaite. Et puis, cet incident l’amena à faire une autre remarque.

Il lui sembla que son mari ne lui témoignait plus la même affection qu’autrefois.

Cette découverte lui fit éprouver un léger serrement de cœur dont elle ne se rendit pas compte, et le souvenir de la lettre ne la quitta plus.

Elle avait donc un grand désir d’éclaircir ce mystère; mais, pour le moment, voyant la chose impossible, elle se résignait à garder son ignorance.

Cependant, quelques jours plus tard, M. Darnilly eut à faire un petit voyage, comme cela lui arrivait quelquefois pour ses affaires.

Curieuse comme une fille d’Eve, dont elle jouait si bien le rôle, Hélène, toujours préoccupée de cette lettre, essaya de satisfaire sa curiosité.

Elle entra dans la chambre de son mari, regarda partout sur les meubles pour voir s’il n’y avait pas quelques papiers oubliés.

Elle aperçut, sur son bureau le petit coffret dans lequel il serrait ses papiers de peu d’importance. Tout lui disait que c’était lui qui renfermait ce qu’elle brûlait de connaître, mais la clé ne se trouvait pas à la boîte. Paul, probablement, l’avait emportée.

Toutefois, après avoir examiné divers objets, Hélène, en se retournant, aperçut une petite clé sur la cheminée. Son cœur battit: c’était probablement celle qu’elle cherchait.

Mais un scrupule la retint. Avait-elle bien le droit de l’ouvrir, ce coffret? N’était-ce pas mal, bien mal à elle de violer ainsi les secrets de son mari, qui s’était montré si indulgent pour son petit despotisme, qui s’était, en un mot, soumis à ses volontés, à ses exigences?

Mais cette petite clé était là comme le tentateur; elle excitait au plus haut point sa curiosité.

Elle avança donc sa jolie main, qui tremblait un peu, puis elle la retira, puis elle l’avança encore; on eût dit que cet objet qu’elle convoitait devait brûler.

— Qu’ai-je à craindre? se dit-elle, elle ne me trahira pas; elle n’est pas, je présume, celle de Barbe-Bleue: elle ne conservera aucune trace de ma curiosité.

Elle la prit donc, et, tout émue, elle ouvrit la boîte. — C’était bien mal sans doute, mais pourquoi Paul l’avait-il laissée, cette petite clé qui donnait des tentations? il n’avait qu’à l’emporter. Elle chercha dans les papiers, et voici ce qu’elle lut:

«Cher,

«Que le temps semble long loin de vous! et pourtant je crains de m’en rapprocher. Quand votre visage si gracieux se tourne vers moi, quand vos grands yeux si doux rencontrent les miens, si vous saviez ce qu’il me faut de force pour vaincre mon émotion! Je crains toujours que mon trouble ne me trahisse. — Quelle est enchanteresse! l’image qui vous poursuit sans cesse, l’image de celui qu’on aime! — Aimer! que ce mot renferme de douceurs!

«Mais laissons pour un instant notre amour, car vous êtes exigeant, mon beau lecteur aimé : il faut encore vous plaire par des anecdotes, par de gracieux récits. — Mais que vous dirai-je aujourd’hui? Faut-il vous parler politique? A ce mot, je vous vois sourire, parce que vous comprenez déjà que ma politique sera très-peu sérieuse.

«En effet, j’offre en cela l’aspect du papillon le plus diapré, le plus varié de couleurs qu’il soit possible d’imaginer.— Je vais du blanc au rouge en passant par toutes les nuances de rose tendres ou vives sans me faire aucun scrupule. En un mot, je me mêle très-peu des affaires de ce genre. Je trouve qu’il y a bien assez des hommes pour emmêler cet écheveau qu’on nomme politique. Cependant, il est dès jours où il faut faire exception.

«Ainsi, je vais retourner en arrière pour remonter au jour des élections du 10 décembre 1848; c’est la seule fois, je crois, où je parlai politique; mais il fallait bien me mettre à la hauteur des circonstances.

«La veille de ce jour, plusieurs dames de ma connaissance n’avaient point dormi de la nuit; l’une d’elles avait brûlé un cierge à la Vierge; une vieille demoiselle en avait brûlé deux à Saint-Joseph; une autre en avait brûlé trois à je ne sais plus quel saint. Quant à moi, je Savais rien brûlé du tout, et j’avais bien dormi toute la nuit, non pas que je fusse indifférente sur les destinées de la France, mais je pensais que si je dormais bien, la France n’en serait pas plus mal et que moi j’en serais beaucoup mieux!

«On parlait donc politique, et je puis vous assurer que les dames prenaient une large part à la conversation. Il en est une surtout qui se montrait très-chaleureuse dans la discussion.

«— Messieurs, disait-elle aux maris qui nous entouraient, c’est Cavaignac qu’il nous faut pour président de la république. Hésiteriez-vous à voter pour Cavaignac? Ah! que je voudrais être homme, ne fut-ce qu’un jour!...

«L’œil animé, la joue en feu, elle donnait assez l’aspect d’une Jeanne d’Arc inspirée.

«— Oui, disait-elle en s’animant de plus en plus, des coups de fusil à tous ceux qui ne voteront pas pour Cavaignac. Et pan! pif! paf! pouf!

«En parlant ainsi, elle donnait de grands coups de manchon sur un placard qui restait de bois devant ses démonstrations. Quant au manchon, il pliait sous les coups, comme accablé par cette brutalité de la part d’un bras rond et potelé et d’une petite main effilée qu’il avait toujours su protéger contre le froid en les enveloppant de sa chaude et soyeuse fourrure.

«Mais, quelques jours plus tard, lorsque la dame connut le résultat des élections, elle fut bien obligée de convenir qu’il eût fallu beaucoup trop de coups de fusil.

«Ce jour, 10 décembre, comme je vous le disais, il me fallut faire comme tout le monde et parler politique; mais je puis du moins me rendre cette justice, c’est que je ne contrariai personne dans son opinion.

«J’étais pour le candidat préféré de chaque personne que je rencontrais. — Je fus pour Cavaignac, pour Louis-Napoléon, et puis pour celui-ci, et puis pour celui-là.

«Quelqu’un m’ayant vanté Ledru-Rollin, je fus pour Ledru-Rollin. Certes, si l’on m’eût parlé de Proudhon, ainsi que de Raspail, je n’oserais pas affirmer que j’aurais été pour Proudhon, mais à coup sûr j’aurais été pour Raspail, parce que je l’estime infiniment depuis qu’il m’a guérie d’un certain rhume de cerveau très-opiniâtre au moyen de son régime camphré.

«Mais c’est assez parler politique, mon beau lecteur aimé ; je crois lire dans vos yeux, et je sens dans mon cœur qu’il faut retourner à notre amour. Mais soyons prudents, car il faut la respecter, elle.... Elle.... que cette pensée est amère! — Quelle est heureuse celle qui peut vous aimer sans crainte! qui peut vous le dire à tous les instants du jour!— Oh! tenez, cette idée me rend folle! mais vous m’avez dit qu’elle ne vous aimait pas, et que par conséquent vous n’aimiez que moi, et j’ai besoin de le croire. — Oh! oui, aimons-nous de cet amour pur et fidèle des anciens amants. Aimez-moi comme Paul aimait sa Virginie.....»

Une mariée de seize ans

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