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V

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UNE MARIÉE DE SEIZE ANS

Plus d’une fois, M. Darnilly s’était interrompu de sa lecture pour se laisser aller au franc rire que lui suscitaient quelques passages de ce récit;

Lorsqu’il eut fini, il resta quelques instants rêveur et comme sous le charme de cette lecture.

— Quelle adorable petite conteuse que cette madame Valmont! fit-il ensuite, sortant de sa rêverie et comme se parlant à lui-même, elle est vraiment inimitable!

En disant ces mots, M. Darnilly jetait à la dérobée un regard sur sa femme, et un observateur attentif eût pu voir qu’il mettait une intention marquée à faire l’éloge de madame Valmont Après s’être ainsi extasié, il se tourna vers elle.

— Quand donc votre amie viendra-t-elle égayer notre solitude? lui demanda-t-il. Vous disposez-vous à la recevoir?

Nous savons qu’Hélène lui avait proposé une partie en bateau.

— Vous ne répondez pas à ma question! interrompit la jeune femme avec un peu d’humeur. Je vous demandais de venir nous promener sur l’eau.

— Cela m’est impossible aujourd’hui, ma chère amie: il faut que je me rende immédiatement à la fabrique où des affaires importantes me réclament; mais, demain, j’espère être tout à vous.

Il sortit, et l’on eût pu lire sur son visage le reflet d’une joie que donne le triomphe.

— Ma femme se déciderait-elle enfin à m’aimer? se disait-il en traversant la cour qui conduisait à la manufacture.

Hélène resta triste et pensive à sa fenêtre donnant sur le jardin; elle regardait machinalement la campagne, qui était belle à cette époque de l’année où tous les arbres sont en fleurs.

La vue s’étendait sur de riches prairies, au mi. lieu desquelles se détachait un ruisseau d’eau vive qui venait se jeter, près du jardin, dansune rivière sur la rive de laquelle un petit bateau était amarré.

Tout souriait à cette belle nature, tout était gai et charmant dans cette maison où il semblait que le malheur ne pouvait pénétrer.

Pourquoi donc cette jeune femme était-elle ainsi triste quand tout semblait être joie et borheur autour d’elle?

C’est que madame Darnilly venait de découvrir en elle un sentiment qu’elle avait ignoré jusqu’alors.

Elle remarquait que son mari s’occupait beaucoup de madame Valmont, et la jalousie venait la mordre au cœur.

En effet, cette madame Valmont, qui était veuve, et par conséquent libre de sa personne, n’était-elle pas à redouter avec cet enjouement d’esprit qu’elle lui connaissait?

Elle regrettait de lui avoir écrit, et, si elle le regrettait autant, c’est que, dans l’intervalle de temps qui s’était écoulé depuis la lettre qu’elle lui avait adressée, et dans laquelle elle la priait de venir la voir, jusqu’à celle qu’elle recevait d’elle aujourd’hui, il s’était passé des événements qui venaient changer la face des choses.

Mais, pour la suite de ce récit, il est bon de retourner en arrière et de nous reporter à l’époque du mariage de monsieur et de madame Darnilly, qui datait de quelques mois.

Ils avaient fait ce qu’on appelle un mariage de convenance. M. Darnilly le père, possesseur d’une riche manufacture, la céda à son fils, et lui proposa pour femme mademoiselle Hélène Derbourg, fille elle-même d’un riche négociant.

Paul, ne répugnant ni au mariage ni à la manufacture, consentit à tout ce que son père voulait.

Mademoiselle Derbourg avait seize ans. Orpheline depuis plusieurs années, elle était restée près d’une tante déjà bien vieille, et qui, avant de mourir, désirait assurer son avenir. Le parti qu’on lui proposait pour cette nièce lui convenant sous tous les rapports, elle l’avait accepté.

Paul n’avait jamais vu Hélène, mais comme il est toujours facile d’aimer une jolie femme, il se sentit, dès qu’il la vit, tout disposé à l’aimer.

Cependant, lorsque ce mariage fut décidé, il remarqua quelques soucis sur le front de sa prétendue, mais il les attribua à cette légère inquiétude que ressentent parfois les jeunes filles en pareille circonstance, et il n’y attacha pas d’autre importance.

Certain soir, on signale contrat, et la cérémonie fut fixée à trois semaines.

Ce même soir, lorsque Paul, se disposant à partir, prit la main de la jeune fille pour la baiser, il fut bien étonné de sentir cette petite main fine et blanche glisser un billet dans la sienne, Il lui tardait d’être seul pour savoir ce que lui écrivait mademoiselle Derbourg, qu’il épousait dans trois semaines.

Rentré chez lui, il s’empressa d’ouvrir la lettre et il lut ce qui suit:

«Monsieur,

«N’étant jamais seule avec vous, je me vois obligée de vous remettre en cachette ce billet.

«C’est dans trois semaines que vous m’épousez; je n’y ai, jusqu’à présent, apporté aucun obstacle; et, pourtant, il faut que vous sachiez que c’est contre ma volonté.

«Non pas que je dédaigne votre alliance, ni que vous me soyez désagréable, mais parce que je n’ai aucun goût pour le mariage. Ma mère n’a pas été heureuse dans son ménage, je vois encore sa figure triste et soucieuse, et, depuis mon enfance, j’ai juré de ne jamais aimer ni me marier, et, si je vous épouse, je dois vous informer que c’est dans le seul but de plaire à ma tante, qui le désire, et qui m’a suppliée avec des larmes d’y consentir.

«Cependant, comme je réfléchis, que de cette décision dépend toute ma destinée, et que je ne puis, pour complaire à ma tante, sacrifier tous mes goûts, j’ai pris la résolution de vous écrire ces quelques mots qui resteront un secret entre nous. Je veux bien vous épouser, mais c’est à ces conditions:

«Que vous n’aurez jamais sur moi les droits d’un mari; que ma chambre, en un mot, ne sera jamais la vôtre.

«Promettez-moi qu’il en sera ainsi et jurez de tenir votre promesse, j’aurai pour vous alors l’amitié d’une sœur. Je respecterai votre nom, comme vous voudrez bien respecter ma maison. A ce compte, je veux bien être votre femme; sinon, je refuse.

«Mais acceptez-moi, je vous prie, avec ces conditions, car il me faudrait vous refuser et cela ferait une peine extrême à ma tante dont la santé est si délicate et qui a tant de bonté pour moi. Je m’en voudrais d’apporter de l’amertume dans ses vieux jours.

«Inutile d’ajouter que vous ne lui parlerez point de cela, car il est bien entendu que vous en garderez le secret.

«Rendez-vous, je vous prie, à mes instances, faites-le pour elle, et remettez-moi votre réponse comme je vous ai remis ma lettre.

«HÉLÈNE.»

La première impression de Paul, après cette lecture, fut d’être froissé : il ressentit quelque dépit en pensant qu’il déplaisait.

— Je ne puis épouser une femme qui paraît avoir de la répugnance à être à moi, se dit-il.

Une mariée de seize ans

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