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IV

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SUITE DE LA LETTRE

Il en est un dont les idées sont bien un peu prosaïques, mais elles n’en sont pas moins très-ingénieuses.

Ce monsieur est frileux; c’est de plus un véritable sybarite. Aussi, à cause de cela, a-t-il un goût très-prononcé pour le casque à mèche.

Il raffole de cette coiffure; selon lui, il n’en existe pas de plus douce, de plus chaude, de plus délicieuse. La vue d’un bonnet de ce genre avait toujours fait battre son cœur; depuis longtemps déjà, il éprouvait le besoin de se donner ce charmant bijou: après tout, les passions sont libres!

Voyant que le froid se prolonge, on dit qu’il s’est passé la fantaisie de quelque chose de très-élégant dans ce genre: c’est un chaud et douillet bonnet de soie blanche, avec fleurette du même tissu. Et quelques-uns ajoutent qu’il l’a orné d’une superbe fontange, comme au temps de Louis XIV.

Je te l’ai dit, ces messieurs ne rêvent plus que de ce temps-là.

— Ma foi, s’est-il dit, le spectacle peut être charmant, mais, sorti de là, qu’est-ce qu’il me restera? Tandis que mon bonnet de... Il n’achève pas, il craindrait de se trahir: il paraît que c’est une passion cachée que la passion de son bonnet; il ne confie ce secret à personne, pas même aux murailles de sa chambre.

Ainsi, pendant que nous nous pâmons de rire devant les facéties de tel ou tel acteur, lui, ce monsieur, se dorlotte, il se pâme d’aise dans son bonnet de soie blanche, il s’admire sous sa fontange coquelicot — il paraît qu’elle est coquelicot, — voyez-vous le coquet sybarite!

Il faut croire, du reste, qu’elle lui sied bien; il se mire, se remire, et il se trouve charmant. Il s’adore, ce beau et intéressant Narcisse! C’est ainsi qu’il passe ses soirées, et il se trouve excessivement heureux.

Il se plonge dans les moelleux coussins de son fauteuil, s’étend mollement auprès d’un bon feu, allonge une jambe dolente sur les chenêts, fume un délicieux cigare de.... Ah! je ne sais pas si c’est de la Havane.... Il s’enivre enfin de la plus voluptueuse indolence, et s’épanouit à la douce chaleur de son foyer et de son bonnet de soie blanche, comme une fleur à la température d’une serre. Ce bonnet-là lui vaut le haschich le plus délicieux.

Il est certain que ce monsieur a bien fait de se donner une pareille jouissance, aussi s’en applaudit-il tous les jours, et quand il a raisonné pendant quelques heures sur l’ingénieuse idée de son bonnet, il se trouve le jugement sain, et l’esprit d’une profondeur incroyable!

D’honneur, il est charmant, avec ses économies, son bonnet et sa fontange. Cependant, tout cela ne fait pas les affaires des acteurs; ce sont eux qui n’en font pas, des économies, avec ce système-là !

C’est en vain que notre journal s’indigne de ce qu’on ne va pas au théâtre, qu’il s’escrime à nous faire entendre que nous avons de bons acteurs.

Le journal a raison et je l’approuve; mais, après tout, si ce monsieur aime mieux son bonnet à fleurette! On est bien libre d’aimer un bonnet, et de le préférer au spectacle.

Toujours est-il que les acteurs partiront, et que nous ne verrons rien de ces jolis vaudevilles qu’on nous annonçait, et qui nous promettaient de bonnes petites soirées.

Ce monsieur, nous n’en doutons pas, doit être charmant avec son amour de bonnet; mais, au moins, si, par une attention toute délicate, que nous saurions reconnaître du reste, il nous faisait la galanterie dese montrer en ville, quelque part, avec cette merveilleuse coiffure, à défaut de spectacle, nous nous contenterions de celui-ci; mais non, l’égoïste, il aime mieux garder ses gentillesses pour lui seul, et si ce n’était un lutin brun et rose qui s’est introduit chez lui par le trou de la serrure et qui nous a rapporté toutes ces merveilles, nous ne les connaîtrions nullement.

Mais je m’aperçois qu’il est temps de quitter la plume, ma chère Hélène. Adieu donc, où plutôt: à bientôt, car j’espère aller te voir sous quelques jours, comme tu m’en as priée dans ta dernière lettre. Je t’embrasse de tout cœur.

Ta bien dévouée,

VIRGINIE VALMONT.

Une mariée de seize ans

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