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III

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LES BILLETS GALANTS

Ne penses-tu pas, ma chère Hélène, que rien n’est plus amusant que M. et Mme Mignonnet. Cette dernière surtout, car dans une semaine elle va remplir à elle seule tous les rôles. Elle représente, dans sa seule personne, tous les personnages réunis du sexe féminin.

Beaucoup la trouvent ridicule; quant à moi, je la trouve admirable; mais elle, elle se trouve illustre, elle est très-fière de ses exploits, il lui semble que tout l’univers la contemple.

Va-t-elle à la campagne, les arbres s’inclinent sur son passage comme pour lui rendre hommage.

Elle rencontre une paysanne qui conduit sa vache aux champs, et sous le prétexte qu’elle la connaît un peu, elle lui fait le récit de ses malheurs domestiques, et lui dit que son mari est un Lovelace.

Et la bonne femme, qui est très-peu versée dans l’histoire des Lovelace, s’arrête et se fait cette réflexion:

— Què que c’est que ça, un homelace? —Quest ce qué me dit c’te dame? Que son mari est un bobace, une limace? — Què que ça me fait à moi? Hue! ma Rouge!

Et la bonne femme, donnant un léger coup à la génisse qu’elle a élevée, continue son chemin sans plus s’occuper des beaux discours de madame Mignonnet.

Qu’importe! celle-ci est satisfaite, elle s’est bien sûr acquis une réputation qui ira à la postérité. Sa tète est dans les nues, ses pieds sur des fleurs. Elle regarde en pitié une petite fauvette qui fredonne en voltigeant autour d’elle, cherchant son nid et ses amours.

Mais c’est assez parler de madame Mignonnet: laissons-la dans toute sa gloire; nous avons une histoire plus récente.

Il paraît que nos jeunes gens, ceux de la societé du moins, sont de charmants étourdis, de raffinés mauvais sujets. Ils tranchent des Lauzun et des Richelieu, ils nous reportent au siècle des Louis XIV et des Louis XV, ou plutôt sous la Régence.

On parle d’une aventure dans laquelle des billets galants auraient joué un très-grand rôle; c’est une énigme, c’est tout un roman que, ces billets-là.

Ils ont été apportés sur le balcon d’une dame on ne sait comment.

Il faut que quelque sylphe s’en soit chargé, ou qu’ils lui aient été apportés sur les ailes de l’amour.

Certain matin, cette dame, en allant entr’ouvrir ses persiennes, aperçut sur son balcon un billet d’aspect assez provocant.

Sa première pensée fut qu’on l’avait lancé d’en bas; mais ce n’était pas présumable, puisque les persiennes étaient toujours restées fermées, et qu’ensuite il ne renfermait rien de lourd. D’un autre côté, il n’y a point de fenêtre ni à sa droite, ni à sa gauche.

Mais il paraît que l’amoureux est un autre Icare, et qu’il s’est fabriqué des ailes.

Elle ouvrit la galante missive. L’auteur lui demandait une entrevue, et la priait de lui pardonner son audace d’avoir glissé ce billet entre les lames des persiennes à une heure très-avancée de la nuit, ajoutant qu’on pouvait se fier à lui; qu’il n’avait usé ni d’échelle, ni d’autre moyen compromettant.

Certes, l’aventure était piquante, et l’auteur avait eu là une idée très-ingénieuse; mais, si gentille que fût l’idée, elle ne laissait pas que d’inquiéter la dame; on atteignait ses fenêtres! comment s’y prenait-on?

—Voyez comme on est exposée, se disait-elle: on ferme bien ses portes, on a une fenêtre à quinze pieds du sol, et, malgré cela, on n’est pas à l’abri des séducteurs.

Si pourtant, l’une de ces nuits, il m’était venu à l’idée de prendre l’air à ma fenêtre, et que, dans l’ombre, deux bras vigoureux m’eussent enlacée, et emportée je ne sais où, au diable ou aux anges?

On eût certainement plutôt cru au diable!

Toutefois, ce diable-là, elle se le figurait sans griffe, nullement effrayant, et ayant à la bouche des paroles telles que Satan en eut pour Eve quand il s’offrit à elle sous la forme d’un serpent dans le jardin du paradis terrestre, et qu’il l’invita à manger du fruit défendu.

Quoi qu’il en soit, il était difficile d’atteindre sa fenêtre sans échelle; car, enfin, de deux choses l’une: ou l’amoureux avait des ailes, ou il n’en avait pas. S’il en avait, l’aventure s’expliquait d’elle-même; mais il n’était pas du tout certain qu’il en eût, il était même plutôt probable qu’il n’en avait pas, parce que, s’il en avait eu, cela aurait fait quelque bruit.

Dans notre petite ville, où tout est commenté, où l’on trouve le moyen de faire des propos sur tout, un monsieur, je suppose, aurait le malheur de mettre son pantalon à l’envers et de se promener habillé de la sorte, on n’en ferait pas une chanson, j’aime à le croire, parce que ce monsieur, n’ayant pas l’avantage d’être le roi Dagobert, il n’aurait pas le même privilége, mais il n’en est pas moins vrai qu’on en parlerait beaucoup.

Or, si un monsieur avait des ailes, il me semble que c’était assez extraordinaire pour qu’on en parle, et comme on n’en avait rien dit, nous conclûmes qu’il n’en avait pas.

Du moment que la nature lui avait refusé des ailes, il était évident qu’il avait eu recours à des moyens. Lesquels? Nous sommes à nous le demander.

Toujours est-il que, depuis cette aventure, la dame se tint discrètement derrière ses rideaux. Cependant, un jour qu’il faisait un beau temps, elle éprouva le besoin de rouvrir sa fenêtre. Aussitôt, un monsieur aux cheveux roux, mais très-bien de sa personne, apparut à la sienne.

On présume que c’est l’auteur du billet.

Ses cheveux avaient des reflets chauds, ardents, qui semblaient rivaliser avec les feux du ciel; il jetait en outre de tendres regards à sa voisine, ce qui nous donna quelque inquiétude. Les feux du ciel, la chevelure du monsieur, ses regards de flamme, nous craignîmes que tant de feux réunis ne fissent incendie dans la ville.

Heureusement que l’amoureux rentra dans sa chambre, où il continue, dit-on, à mouler et à perfectionner des billets, qui arrivent toujours de la même manière diabolique sur le balcon de sa voisine.

Voici, ma chère Hélène, ce que je sais des choses qui se passent ici. Je te dirai encore que depuis longtemps nous désirions des acteurs, et qu’il nous en est enfin arrivé. Mais ce qui te paraîtra phénoménal, c’est que nous avons, cette fois, de bons acteurs. C’est vraiment un miracle. — Eh! bien, malgré ce miracle, malgré ces bons acteurs, on va très-peu au théâtre.

Si ces messieurs se permettent quelques escapades à l’endroit du balcon des dames, ils sont du moins très-réservés quand il s’agit de spectacle.

Mais il paraît qu’ils font des économies, ils se rangent. On raconte à ce sujet des anecdotes très-amusantes: on dit que les uns c’est par système d’économie, les autres par esprit de contradiction.

Une mariée de seize ans

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