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Le retour des Italiens et des innovations culturelles

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DansLouis XIV la livraison de mai 1716, Hardouin Le Fèvre de Fontenay condamne à nouveau les cultures italienne et espagnole à cause « des representations de farces, & de quantité de Comedies modernes si triviales, que tout leur merite pour attirer la risée des spectateurs, roule souvent sur la saleté d’une équivoque, ou sur l’effronterie d’une phrase impudente1 ». Or, lorsque le directeur du périodique publie ce constat, celui-ci est déjà dépassé et ne reflète plus l’esprit de ses contemporains2. Philippe d’Orléans, le RégentPhilippe d’Orléans en est le responsable puisqu’il n’entame pas seulement une révolution politique en modifiant amplement le testament de Louis XIVLouis XIV, mais également en changeant de politique culturelle. Si le roi-soleil a banni les comédiens italiens de Paris en 16973, le Régent les rappelle et ce retour est accompagné d’une série de contributions dans le Nouveau Mercure galant qui célèbre la langue et la culture italiennes. Celles-ci seront étudiées dans un premier temps avant qu’une autre innovation de la Régence – les bals de l’Opéra – soit évoquée.

Déjà un mois avant cette attaque contre la culture italiennes, c’est-à-dire dans le Nouveau Mercure galant d’avril 1716, Le Fèvre de Fontenay monte au créneau pour défendre la langue de Dante : après les énigmes, il résume brièvement – sur quelques pages – l’actualité des différents théâtres parisiens et conclut son récit avec une petite réflexion enthousiaste à l’égard de la Comédie-Italienne : « La nouvelle la plus interessante que je croye pouvoir à present vous apprendre, c’est qu’on nous promet pour le 20. du mois prochain, l’ouverture de la Comédie-Italienne4. » Il semblerait que certains lecteurs et amateurs du théâtre soient pourtant sceptiques et aient peur de ne rien comprendre à l’intrigue. En tant que bon vendeur, le responsable de la revue prend cette crainte au sérieux et, patiemment, il leur explique :

[L]a langue [italienne] […] est tres facile pour tout le monde, qu’elle en a second lieu beaucoup de rapport avec la langue Latine, ce qui est d’un grand secours pour ceux qui la sҫavent, de plus j’ajoûte qu’elle a beauocup de conformité avec la Franҫaise […]. Enfin ce sera pour tous ceux qui ignorent l’Italien qui est la plus galante & la plus délicate langue du monde, une école où ils l’apprendront en tres peu de tems, & un plaisir reglé toujours nouveau pour ceux qui la sҫavent5.

Hardouin Le Fèvre de Fontenay fait donc un effort et cherche à réduire la peur du contact. De plus, il ne se contente pas d’inciter une seule fois ses lecteurs à apprendre l’italien, mais plusieurs fois, et ainsi, il répète quasiment ce même discours dans les livraisons de mai6 et juin 17167. Dans ce dernier numéro, il va encore plus loin et introduit même une histoire d’une « Aventura Amourosa [sic] » en italien8.

Hormis la défense de la langue, Le Fèvre de Fontenay fait également de la publicité pour les comédiens italiens. Après avoir annoncé les premières représentations dans la livraison d’avril 1716, il en fait le compte-rendu dans le numéro suivant, celui de mai 1716 : « Le 18. de ce mois les Comediens italiens de Son Altesse Royale Monseigneur le Duc d’Orleans Regent, representerent pour la premiere fois dans la Salle de l’Opera, une Comedie Italienne intitulée l’Heureuse surprise. Jamais spectacle fut honoré d’une plus belle Assemblée9. » Et Le Fèvre de Fontenay poursuit en soulignant non seulement la qualité du public, mais également le fait qu’il soit possible de suivre l’intrigue sans comprendre l’italien. D’après lui, tout le monde peut « voir dans toutes […] [les] Pieces [des Italiens] un jeu continuel de mouvements, d’attitudes & d’actions si variées, si justes, & si naturelles, qu’elles […] [l’] occuperont toûjours agréablement, & […] [lui] faciliteront l’intelligence des choses qu’ils representent10 ». Puis, il précise que même les concurrents des Italiens – « les Comediens Franҫois11 » – approuvent leurs productions et les considèrent comme « d’excellents Acteurs12 ».

Or, toutes ces louanges n’empêchent pas certains contemporains de la revue de se prononcer contre la Comédie-Italienne et d’en être scandalisés13. Dans le Nouveau Mercure galant de juin 1716, Le Fèvre de Fontenay leur répond que ces pièces ne sont ni meilleures ni pires que certains textes d’auteurs français, comme par exemple « Scaron, PaulScaron, Marot, ClémentMarot & Rabelais, FrançoisRabelais14 ». Et puis, digne d’un Fontenelle, Bernard Le Bovier deFontenelle qui défend dans son Digression sur les Anciens et les Modernes l’idée d’une égalité des peuples15, le responsable du périodique excuse certains traits spécifiques du théâtre italien en rappelant à son public que « [c]haque peuple a ses Us & Coûtumes16 ». Et par conséquent, il est parfaitement acceptable pour Le Fèvre de Fontenay qu’une bonne pièce de théâtre ne suive pas forcément les règles de « nostre Theatre Franҫois17 ». Il conclut ensuite cette défense de la Comédie-Italienne par un éloge des acteurs :

Pour ce qui regarde les Acteurs & Actrices, je n’en parleray pas davantage ; chacun est d’accord sur cet article, & il n’y a personne qui ne convienne de leur merite. Arlequin est le plus joly, le plus fin & le plus gracieux Arlequin qu’on puisse voir ; & le Signor Lelio est, de l’aveu même de ses Emules, un des plus sҫavans & des plus grands Comediens de l’Europe18.

Cette déclaration d’amour pour le théâtre italien de la part d’Hardouin Le Fèvre de Fontenay et sa forte présence dans le périodique mérite une explication. D’un côté, cet engouement pour la Comédie-Italienne traduit certainement la mission première du périodique qui veut informer les provinciaux de la situation parisienne. Ainsi, le Nouveau Mercure galant ne fait que suivre et divulguer l’évolution récente de la vie culturelle. Cependant, même d’un simple point-vue culturel, il s’agit d’une importante démarcation du siècle de Louis XIVLouis XIV. D’après Marc Fumaroli, un des enjeux centraux de la Querelle des Anciens et des Modernes est « la supériorité et l’autonomie absolues du français19 ». De ce fait, force est de constater que ce combat n’a apparemment plus lieu au printemps 1716 et qu’une nouvelle époque a déjà commencé.

De l’autre côté, il ne faut pas oublier l’engagement personnel de Le Fèvre de Fontenay qui essaie pendant plusieurs mois d’intéresser le public à cette nouveauté qui fut introduite par le pouvoir politique. De plus, le périodique profite d’un privilège royal et son directeur cherche depuis l’automne 1715 à se rapprocher du Régent. Par conséquent, il paraît pertinent de suggérer que ce revirement culturel, qui souligne la fonction de porte-parole de la revue, est motivé par le souci de plaire au Régent et donc par la volonté de ne pas perdre la direction du périodique. Ou, pour à nouveau citer Fumaroli, cette imbrication d’intérêts montre bien dans quelle mesure les Modernes – du moins quelques-uns – sont des « laudateurs dépourvus de talents20 » dont le seul souci est de plaire aux autorités.

Ce soutien se manifeste également dans une autre question : les bals masqués. Certes, il s’agit d’une question moins politique, si on fait abstraction de l’éventuelle problématique de la morale publique. Néanmoins, nous pouvons à nouveau observer que le Nouveau Mercure galant transmet une image positive d’une nouveauté introduite par le Régent. Ainsi, par la suite, nous nous concentrerons sur la dimension politique de l’inauguration du bal de l’Opéra telle qu’elle se présente dans la revue et non pas sur la production littéraire qui en découle dans les pages du périodique. Bien que l’on puisse établir un lien entre ces textes, les bals et la vie publique en se référant à Alain Viala, il en sera question ultérieurement.

À en croire Richard Semmens, des bals comparables à celui de l’Opéra ont déjà existé à Venise et en Angleterre et la France a elle-même sa propre tradition des bals. Or, à l’inverse de ceux-ci21, les bals de l’Opéra ne sont ni réservés à un public précis ni sujets à un programme établi d’avance. Ce sont également les informations qu’Hardouin Le Fèvre de Fontenay divulgue auprès de son lectorat : dans la livraison de janvier 1716, il écrit, par exemple, à propos des bals de l’Opéra : « Chaque Masque y est receu moyennant le prix & somme d’un écu. C’est à ce tître qu’il acquiert le plaisir […] de danser, ou de de s’entretenir à la faveur de son masque22. » Il n’y a donc aucune restriction et tout le monde peut assister à ces bals. Ce fait est illustré plus tard dans le même numéro du périodique par l’exemple d’« une des plus grasses Tripieres de Paris23 » qui se fait passer pour une belle dame de la haute société. En outre, Le Fèvre de Fontenay observe qu’il n’y a guère de règles ou de danses imposées par les organisateurs des bals, mais, initialement, il ne semble du moins pas convaincu du bien-fondé de ce concept : « [I]l est tout à fait impertinent de voir dans une assemblée aussi brillante par le nombre & les graces des Dames qui s’y trouvent tous les jours, un tas de jeunes étourdis qui dansent entr’eux, toute les danses qu’il leur plaît24. »

Cependant, malgré ce petit défaut, Hardouin Le Fèvre de Fontenay donne une description relativement positive des bals de l’Opéra :

Le spectacle de Paris, le plus suivi à présent & le plus agréable en même temps, est celui dont les Directeurs de l’Opera regalent le public tous les Lundy, les Mercredy & les Samedy de chaque semaine. C’est un Bal établi avec tant d’ordre, de lumières, & de propreté, qu’il est devenu le divertissement de Paris le plus à la mode25.

Un peu plus loin, il déclare que « cet établissement a été inventé fort à propos, dans une Ville comme Paris, où il faut absolument des plaisirs26 ». Le responsable fait donc de la publicité pour ces événements tout en informant ses lecteurs provinciaux de la dernière mode parisienne. Si la couverture de ce nouvel événement socio-culturel le prend apparemment de court en janvier 1716 – il n’y accorde que 12 pages27 –, Le Fèvre de Fontenay se rattrape un mois plus tard et consacre presque 100 pages aux bals de l’Opéra. Ainsi, il en souligne la grande importance sans pour autant entrer dans une réflexion sur les raisons d’être de ce nouveau divertissement28.

En somme, l’exemple du bal de l’Opéra montre à nouveau l’aptitude d’Hardouin Le Fèvre de Fontenay à soutenir la politique royale. Tout comme dans le cas de la Comédie-Italienne, il promeut une innovation majeure de la Régence et suit – presque aveuglément – la direction choisie par les autorités.

Afin de conclure ce sous-chapitre, force est de constater que le Nouveau Mercure galant a sans aucun doute contribué à une certaine démarcation du siècle de Louis XIVLouis XIV en particulier, mais également du pouvoir politique en général sans pour autant prendre la position d’une opposition fondamentale. D’une part, la revue semble mettre le Régent en garde contre les dérives d’une politique trop ambitieuse – principalement s’il s’agit d’un lecteur averti qui sait lire entre les lignes. Et de l’autre, il est intéressant d’observer que les plumes du Nouveau Mercure galant défendent d’abord violemment la suprématie de la langue et de la culture françaises pour chanter ensuite les louanges du théâtre italien. Ainsi, Hardouin Le Fèvre de Fontenay illustre parfaitement la fonction politique d’une revue semi-officielle, c’est-à-dire dotée d’un privilège royal, qui soutient sans se poser trop de questions la politique et les orientations du pouvoir en place.

La Querelle d'Homère dans la presse des Lumières

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