Читать книгу La Querelle d'Homère dans la presse des Lumières - David D. Reitsam - Страница 26
Quelques qualités féminines selon le périodique
ОглавлениеUne deuxième question attire notre attention. Ci-dessus, il est non seulement devenu évident que les femmes ne sont pas obligées de lire les grands auteurs de l’Antiquité, mais également que d’autres qualités sont plus importantes : il ne faut pas oublier les paroles que le « galant homme » contribuant au Nouveau Mercure galant d’avril 1715 met dans la bouche de sa Moderne : « Nous avons toutes interest à […] applaudir [Anne Dacier], Madame, je voudrois seulement qu’en se saisissant des avantages que les hommes se sont reservez, elle conservât toute la douceur, toute la modestie qui font nostre partage & qui nous siéent bien1. » L’auteur anonyme de ce dialogue probablement fictif s’en prend à la traductrice d’Homère en soulignant des traits de caractères typiquement féminins : la douceur et la modestie – deux qualités féminines centrales au siècle de Louis XIVLouis XIV selon Myriam Dufour-Maître : « Le modèle éthique galant triomphe, fait de naturel, de grâce, de douceur, de délicatesse, d’enjouement, [et] de modestie2. » Et Florian Gelzer confirme qu’il s’agit de traits caractéristiques indispensables qui permettent aux femmes de bien mener une conversation galante et de briller dans la vie sociétale de l’époque3. Ainsi, il n’est pas étonnant que la modestie et la douceur soient défendues dans la revue. En revanche, au vu de l’orientation globale du périodique d’Hardouin Le Fèvre de Fontenay, il est relativement surprenant que de tels passages soient peu présents dans le Nouveau Mercure galant et que peu de contributeurs définissent de manière théorique les qualités typiquement féminines.
Parallèlement, nous pouvons constater que les auteurs qui publient des textes dans la revue ne critiquent pas trop agressivement les vices des femmes. Et, même si quelques auteurs décrivent les défauts du beau sexe, ils le font de manière inoffensive ; il s’agit plus de lieux communs que de dénonciations. La contribution du « galant homme » qui prétend transcrire une discussion entre deux femmes en constitue toujours un bon exemple. Voici le début de leur conversation :
Aprés que chacune d’elle eût donné des loüanges à la beauté de l’autre, & que pour excuser les deffauts de la sienne, elle eût allegué ou supposé quelque legere incommodité, enfin aprés qu’elles eurent épuisé tout ce qu’enseigne le grand art de flatter l’amour propre d’autruy, & de ménager les interêts du sien, j’entendis la plus grande dire à l’autre4.
En résumant ainsi les préliminaires de leur discussion, le contributeur inconnu paraît se moquer des femmes et dénoncer leurs conversations vides de sens : ironiquement, il ne parle pas d’un échange poli ou galant, mais du « grand art de flatter » et sa répétition d’« aprés », respectivement d’« enfin aprés », souligne que ce préambule – à ses yeux – n’ajoute rien au thème central de sa contribution qui est la Querelle d’Homère. D’après lui, il faut donc supporter ce genre de paroles avant de pouvoir parler de choses plus sérieuses. Certes, l’écrivain anonyme est bien moins agressif que Nicolas Boileau, NicolasBoileau dans sa « Satire X », mais il dénonce néanmoins une certaine hypocrisie et des caractères faux ainsi que superficiels5. Malgré l’absence total de sens, le « galant homme » ne se passe pas de ce passage apparemment dénué de signification – au contraire, il l’introduit volontairement dans sa discussion fictive – et semble donc se distancier d’une galanterie qui est réduite à un jeu sociétal où la forme prime sur le contenu.
Un constat similaire s’impose après une relecture de la fin de la conversation qui dérape : « La grande Blonde rougit à ce mot de Dragon ; les tons s’aigrirent, & nos deux Dames commençoient à faire les Déesses6. » Sans aucun doute, en parlant des « Déesses », l’auteur inconnu pense aux divinités païennes de l’Iliade7. Or, il ne semble pas critiquer les femmes en soi, mais il paraît préférablement vouloir terminer sa contribution au Nouveau Mercure galant par une allusion aux femmes passionnelles et non pas raisonnables – un lieu commun qui a certainement été compris par les lecteurs de la revue et qui les a peut-être même amusés8.
Cette critique des femmes superficielles se retrouve également dans une contribution écrite par une autrice : la lettre de Mademoiselle de ** qui fut publiée dans la livraison de novembre 1714 du Nouveau Mercure galant. Après avoir constaté que les artistes et les écrivains cherchent principalement à plaire au public féminin puisqu’il « [fait] aujourd’huy le destin des pieces de Theâtre9 », Mademoiselle de ** met pourtant en question leur jugement : « Il faut que les Auteurs s’attachent à étudier leur goût, & vous pouvez juger si cet accord de l’esprit avec la raison qui consistuë le bon goût, se trouve chez elles, par la fureur avec laquelle on les voit courir à des bagatelles10. » Selon elle, la plupart des femmes s’intéressent donc à des choses sans importance et futiles. Les vrais problèmes qui méritent en revanche d’être abordés ne les passionnent guère – un point de vue que partage le contributeur galant, mais anonyme d’avril 1715. Pourtant, Mademoiselle de ** n’y entame pas une Querelle des Sexes et, par conséquent, elle n’évoque même pas le goût des hommes, mais elle semble douter de la capacité du jugement de ses contemporains en général et des femmes en particulier11.
Une Querelle des Femmes n’a pas lieu dans le Nouveau Mercure galant : s’il leur arrive occasionnellement de mettre en avant quelques qualités féminines, comme la douceur et la modestie, les contributeurs à la revue dénonce d’une manière ironique, dénuée de toute agressivité, une certaine superficialité des galantes femmes.
Afin de conclure, il faut souligner que la question de la condition de la femme ne se pose pas vraiment dans le Nouveau Mercure galant et que les enjeux de la Querelle des Femmes ne constituent pas de véritables sujets de controverse. S’il y a quelques passages provocateurs, ils passent inaperçus et ne suscitent pas de réactions. Or, cela implique également que les Modernes qui écrivent pour le périodique ne montent pas au créneau pour défendre la cause des femmes ou pour la faire avancer. De ce fait, il est difficile de qualifier le Nouveau Mercure galant comme une revue proto-féministe : cela se manifeste notamment dans le sexe des contributeurs qui sont majoritairement masculins, même dans la partie mondaine du périodique : la plupart des énigmes qui sont par exemple intégrées dans la revue sont rédigées par des hommes. Il existe pourtant une exception à ce désintérêt : malgré quelques commentaires positifs, Anne Dacier est la cible préférée des auteurs du Nouveau Mercure galant. Par conséquent, il faudra par la suite mettre en contexte ces attaques ad hominem.
Avant de nous pencher sur l’accueil que la revue réserve à l’érudite, il est important de préciser que ce sont les hommes qui se prononcent sur les livres recommandables pour les femmes ainsi que sur les qualités qui leur sont avantageuses. Ces mêmes auteurs définissent un cadre relativement précis, voire étroit. Il n’est point question d’un libre épanouissement. Ce discours normatif rappelle par ailleurs le sous-chapitre précédent et les efforts des plumes – en général masculines – du Nouveau Mercure galant à définir ce qui caractérise un bon noble et ce que sont ses principales qualités.