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Bilan de la Partie I – Dimension politique

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« Avec Privilege du Roy1 » – cette formule se trouve au-dessous du frontispice de chaque Nouveau Mercure galant et définit d’emblée la revue qui a une relation spécifique avec le pouvoir royal. Ainsi, dans les analyses de cette partie, il fut question de découvrir dans quelle mesure la dualité des Anciens et des Modernes qui marque la fin du XVIIe et le début du XVIIIe siècle se reflète dans les questions sociales et politiques abordées dans le périodique.

Premièrement, tout en suivant Larry F. Norman qui souligne le choc que ressent Charles Perrault, CharlesPerrault en découvrant le comportement impertinent d’AchilleAchille face à AgamemnonAgamemnon, le roi le plus puissant des Grecs2, nous avons pu observer que les contributeurs du Nouveau Mercure galant, hormis la dame d’érudition antique, considèrent les héros de l’Iliade d’Homère comme des exemples négatifs. Ils se heurtent au fait que ceux-ci ne respectent pas les valeurs chevaleresques qui forment toujours la base du deuxième ordre. Ainsi, Hardouin Le Fèvre de Fontenay critique vivement HectorHector dans la livraison d’août 1715 car il fuit devant le combat et un possible duel avec AchilleAchille3. Et, pour une fois, le responsable de la revue souligne même qu’il serait extrêmement dangereux de faire d’HectorHector un modèle pour les jeunes4. À cela s’opposent les nombreux nobles exemplaires que les lecteurs du périodique rencontrent – parfois – dans les nouvelles galantes, mais – très souvent – dans les articles annonçant les décès et les mariages5. Là, les auteurs esquissent l’image d’un noble parfait qui est issu d’une « ancienne Maison6 », courageux et un fidèle serviteur de son roi7. Par conséquent, bien qu’il n’y ait que peu de comparaisons directes entre les héros défectueux de l’Iliade et les chevaliers français sans défauts8, la dualité entre un ancien monde imparfait, voire répugnant, et une modernité idéalisée, puisque jugée parfaite, est bien présente dans la revue.

Par la suite, nous avons étudié la question de la langue qui constitue, selon Marc Fumaroli, un enjeu-clé de la Querelle des Anciens et des Modernes9. Étant donné qu’Anne Dacier, en tant que philologue, est consciente de la difficulté de traduire un texte grec en français, elle précise ce défi dans la préface de sa traduction de l’Iliade et fait à la fois appel à l’indulgence de son public10. Or, à l’instar d’Houdar de La Motte, les Modernes qui contribuent au Nouveau Mercure galant se déchaînent contre cette remarque de l’Ancienne et défendent vigoureusement le français et sa culture. L’abbé Jean-François de Pons, Jean-François de [M. P.]Pons évoque par exemple les grands auteurs du siècle de Louis XIVLouis XIV pour souligner les capacités d’expression et la beauté de la langue de Molière11. Face à ce proto-nationalisme linguistique et culturel, aucun Ancien ne se prononce en faveur des langues anciennes et il est donc impossible de trouver une trace de dualité entre les Anciens et les Modernes dans le Nouveau Mercure galant concernant cet aspect particulier. En revanche, nous avons vu des positions discordantes au sein du parti des Modernes. D’une part, il y a eu le cas d’un auteur anonyme qui considère le français comme la plus belle langue du monde12 et, d’autre part, à l’instar de Fontenelle, Bernard Le Bovier deFontenelle, Pons, Jean-François de [M. P.]Pons commence à développer un certain relativisme culturel ; il soutient qu’il n’y a pas d’hiérarchie entre les différentes langues qui sont égales tout en conservant leurs spécificités13.

Le prochain grand aspect étudié dans ce chapitre furent les glorifications du roi et du régent. Il s’agit d’un domaine dans lequel il y a une vraie dualité, ou plus exactement, un concert de voix et de stratégies discursives différentes. D’après Chantal Grell, les éloges formulées à l’égard de Louis XIVLouis XIV et les stratégies de communication de la monarchie évoluent pendant le règne du roi-soleil : premièrement, Alexandre le GrandAlexandre le Grand est omniprésent dans la propagande royale et, ensuite, les rois issus de la tradition biblique et chrétienne, comme Louis IXSaint Louis ou Salomon, roi bibliqueSalomon, sont instrumentalisés en faveur de Louis XIVLouis XIV14. Mais, en ne prenant pas en considération le discours officiel, bien des contributeurs au Nouveau Mercure galant mélangent les différentes traditions et, par conséquent, un vaste panorama de héros issus de l’histoire ancienne ou de la mythologie gréco-romaine se présente aux lecteurs de la revue15. Dans le même temps, il existe également des textes dont les auteurs, Madame Deshoulières, Antoinette, MadameDeshoulières16 ou Pierre-Charles Roy, Pierre-CharlesRoy17, n’ont presque pas utilisé le monde ancien comme référence. Par ailleurs, en ce qui concerne cet aspect, il n’y a guère de différences entre les louanges consacrées à Louis XIVLouis XIV et celles dédiées à Philippe d’Orléans, le RégentPhilippe d’Orléans, le Régent. Nous pouvons donc constater qu’une vraie dualité entre les Anciens et les Modernes existe : il y a des contributions élogieuses dont les auteurs se servent de l’histoire, et d’autres glorifications dont les écrivains s’abstiennent d’instrumentaliser le passé lointain. En outre, nous avons découvert que le Nouveau Mercure galant suit les principales évolutions du régime ce qui confirme les thèses d’Andreas Gestrich : bien que le périodique défende initialement la suprématie de la langue française18, le responsable de la revue change de position après la mort de Louis XIVLouis XIV et, en 1716, il soutient le retour des Italiens19. Néanmoins, malgré cette proximité incontestable du pouvoir, il nous paraît plausible d’évoquer une démarcation minimale des souverains de la part du Nouveau Mercure galant : certains textes élogieux peuvent être lus à plusieurs niveaux20. Une lecture au deuxième degré nous suggère notamment qu’au moins, quelques auteurs prennent leur distance avec le pouvoir ou le mettent en garde.

Troisièmement, il ne faut pas oublier que, de la Querelle des Anciens et des Modernes à la Querelle des Femmes, ce ne fut qu’un petit pas. Au vu des disputes entre Boileau, NicolasBoileau et Perrault, CharlesPerrault à propos du beau sexe, nous nous sommes attendu à ce que le Nouveau Mercure galant choisisse le camp des dames et défende leur cause. Or, la réponse est moins évidente : si la majorité des contributeurs du périodique attaque systématiquement et violemment Anne Dacier à laquelle ils collent en général l’« étiquette21 » – pour reprendre l’expression d’Éliane Itti – d’être injurieuse22, certains auteurs de la revue se moquent également de quelques traits caractéristiques des galantes femmes, comme de leurs paroles vides de sens ou du fait qu’elles soient trop émotives23. Dans le même temps, les différents contributeurs à la revue estiment que, contrairement à Anne Dacier, une femme n’a pas besoin d’érudition. Il est plus important qu’elle soit polie et douce, et qu’elle respecte les valeurs de la galanterie24. Ainsi, les grands auteurs gréco-romains ne constituent guère une lecture recommandable au beau sexe qui devrait principalement lire des romans et regarder des opéras25. Mais pour finir, il existe peu de contributions qui discutent la position de la femme dans le champ littéraire naissant et ces textes sont écrits par des plumes masculines26. Les seules contributions qui soutiennent véritablement la cause des dames de la haute société sont les nouvelles galantes dont les auteurs dénoncent le mariage qui cause souvent le malheur de la mariée, mais c’est dans la prochaine partie que ces histoires inspirées des romans seront discutées. De ce fait, il faut admettre que peu d’opinions différentes sont problématisées et que de nombreux auteurs du Nouveau Mercure galant attaquent avant tout Anne Dacier qui constitue, selon eux, un modèle négatif de la féminité27.

En définitive, même si la dualité entre les Anciens et les Modernes n’est pas toujours présente, elle existe pourtant et des opinions différentes sont exprimées. De cette manière, le Nouveau Mercure galant forme une vraie plateforme et correspond bien à un critère que Suzanne Dumouchel associe à ce genre de périodique : elle décrit le Nouveau Mercure galant comme un « forum28 » qui donne facilement la parole à plusieurs contributeurs – lecteurs provinciaux29 et issus d’un milieu modeste30, hommes de lettres31 ou jeunes ambitieux qui veulent gagner leurs lauriers littéraires32. Cet aspect particulier du périodique est avant tout présent dans le sous-chapitre « Un royaume et un public » dans lequel nous avons pu montrer que la Querelle d’Homère suscite des réactions à travers tout le royaume de France et qu’elle permet à des lecteurs-auteurs des quatre coins du territoire de participer aux échanges.

La Querelle d'Homère dans la presse des Lumières

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