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CHAPITRE VI
La Convalescence.

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Table des matières

Le cordial exotique, apporté par Marie de Nigès et employé par le docteur, donna bien vite d’excellents effets. Le tempérament robuste d’Israël fit le reste, et au bout d’une semaine le blessé digérait déjà bien plusieurs tasses de bouillon.

Lorsqu’il reprit ses sens pour la première fois, c’était la nuit. La comtesse de Nigès était seule à veiller auprès de lui.

–Où suis-je donc? dit-il à voix basse, et qui êtes vous, madame?

–Vous êtes en bonne voie de guérison, et soigné par des mains amies, des mains françaises; mais il faut du calme et surtout ne pas parler. Je vais vous donner à boire.

La comtesse, au lieu de prendre la cuillère, dont jusqu’à présent l’on avait dû se servir pour conserver les facultés vitales au malade en léthargie, s’empara vivement d’une petite tasse, et, soulevant d’une main son blessé, elle lui présenta de l’autre le précieux cordial.

Ah! si vous aviez pu voir quelles touchantes attentions il y avait dans ce simple fait, et quelle sollicitude maternelle brillait dans le regard de la noble garde malade!

Elle avait songé tout de suite à faire croire au blessé, sortant à peine de son sommeil de plomb, qu’il entrait déjà en convalescence, et qu’on n’avait pas été forcé, en raison de sa prostration complète, de lui donner à boire comme à un enfant nouveau-né.

Une femme seule peut avoir cette délicatesse de pensée, ces effluves soudains de précautions attentives.

Israël lui envoya un regard de reconnaissance profonde, mais ce premier effort l’avait épuisé; Mme de Nigès replaça doucement sa tête sur le lit. Un lourd sommeil s’empara de nouveau de son corps affaibli.

Le lendemain matin, Marie de Nigès arriva pour remplacer sa mère, en même temps que le docteur faisait son entrée pour sa visite quotidienne. Leur joie fut grande en apprenant que le malade avait repris connaissance pendant la nuit.

Le docteur, qui était un homme du monde et cachait sous une apparence brusque un cœur d’or, en même temps qu’un sentiment profond des convenances, résolut de présenter lui-même la jeune garde malade à son blessé et de profiter pour cela de la présence de la comtesse de Nigès.

–Je m’en vais l’éveiller, dit-il. J’ai besoin de l’interroger un peu.

–Mais vous allez le fatiguer, docteur, dit la jeune fille. Nous nous y opposons, c’est notre malade. Notre devoir est de le défendre au besoin contre vous.

–Bien, mademoiselle;–alors j’attendrai qu’il s’éveille lui-même. Veuillez lui faire boire cette potion.

En disant ces mots, l’excellent homme sortit de sa poche une petite fiole contenant un remède énergique qu’il avait préparé lui-même, pour triompher de la léthargie persistante dans laquelle Israël était plongé.

–Je vais faire ma ronde, ajouta-t-il. Si le malade s’éveille avant que j’aie fini ou que je sois revenu, veuillez me faire prévenir immédiatement. Madame la comtesse, c’est aujourd’hui votre tour de remplir le rôle de dame surveillante, voulez-vous m’accompagner?

–Je suis à vos ordres, docteur.

Ils laissèrent la jeune fille dans l’entière possession de son poste auprès du blessé, auquel elle fiL prendre sans retard la potion dont nous venons de parler.

Le docteur, lorsqu’il fut hors de portée d’être entendu par la jeune fille, expliqua alors son projet de présentation, à Madame de Nigès, qui lui donna son approbation. Puis il appela un aide et lui dit:

–Dans vingt minutes vous viendrez faire du bruit autour du lit du blessé no33. Il faut absolument qu’il se réveille. Vous n’aurez du reste, je lecrois, pas grand’peine; le révulsif que je viens de lui faire prendre est énergique.

Lorsque le malheureux aide vint pour remplir l’ordre de son chef, il fut reçu d’une façon qui lui donna la chair de poule. La physionomie si douce de la jeune fille devint effrayante: ses regards étaient fulgurants, comme ceux d’une jeune lionne défendant les siens.

Heureusement pour lui le docteur et Mme de Nigès ne s’étaient pas éloignés.

Ils accoururent.

–Votre malade ouvre les yeux, mademoiselle. C’est ce que je demandais; laissez-moi l’interroger, si vous voulez le voir bientôt entièrement guéri.

Le grand chirurgien s’avança et prit le pouls d’Israël:

–Ah, dit-il, cela va très bien, et je suis content de vous. Où souffrez-vous?

–Nulle part en particulier, mais partout.

–Oui, c’est une prostration générale. Où s’arrêtent vos souvenirs?

–Nous avons été encore battus, et ma foi j’en avais assez: je n’ai pas voulu reculer.

–Tout sera réparé; nous aurons la victoire finale.

–Mais alors je veux vivre, s’écria Israël en se soulevant à demi.

–Certainement que vous vivrez, mais pour le moment il faut vous tenir tranquille. Comment ne seriez-vous pas revenu à la vie? Vous n’avez pas été quitté un seul instant par Mme la comtesse de Nigès ou par sa fille, que j’ai l’honneur de vous présenter. Toutes les deux font partie du noble corps des ambulancières de Paris: ce sont nos aides-de-camp. Leur vaillance dans notre œuvre de paix et de réparation est infatigable. La mère veillait sur vous pendant la nuit, et le jour sa fille prenait sa place.

Israël fut si étonné d’apprendre que les deux nobles inconnues lui avaient témoigné autant d’intérêt, qu’il ne trouva pas un mot à dire, mais il remercia de son beau et loyal regard, où la reconnaissance s’affirma énergiquement. Ses garde-malades s’en montrèrent touchées, et se trouvèrent ainsi assez payées de leurs soins.

Les nobles cœurs se comprennent d’un signe et sans l’échange d’une seule parole.

Quinze jours après, Israël était entré en pleine convalescence.

Mme de Nigès lui dit alors:

–Vous pouvez désormais vous passer de nos soins. Nous vous tiendrons compagnie chaque jour, ma fille et moi; nous vous ferons faire la connaissance de mon fils, qui viendra avec Marie, lorsque je ne pourrai venir moi-même l’accompagner. Dès aujourd’hui, nous devons nos soins à d’autres, plus malades que vous.

–Je vous comprends, madame, et ne puis que vous approuver. D’autres pauvres blessés seront certainement sauvés par vous, mais promettez-moi de ne pas m’oublier et soyez assurée que jamais votre souvenir ne quittera ma pensée.

–Je vous en remercie.

–Soyez bénie, et que Dieu vous donne, en échange du bien que vous faites, le bonheur de vos enfants.

–Vous avez raison, car, pour moi-même, le bonheur ne peut plus exister sur terre!

–Eh h! quoi!.

–Mon mari a été tué à Reischoffen en chargeant à la tête de son régiment, pour sauver ses compagnons d’armes.

–Oh! madame, je vous dois la vie, mais elle sera consacrée tout entière à venger votre perte, en même temps que les injures faites à la patrie. Me permettez-vous de présenter mes remerciements à mademoiselle votre fille?

–Certainement.

Et Mme de Nigès appela sa fille qui était en train de causer avec une de ses camarades de charité.

–Mademoiselle, lui dit Israël de sa voix chaude et vibrante, rendue plus mélodieuse et plus séduisante par l’émotion, heureusement pour moi ce n’est pas un adieu que j’ai à vous faire, puisque madame la comtesse m’a fait espérer que vous viendriez avec elle me voir encore pendant ma convalescence; sans cela je ne me consolerais pas de ne plus vous voir autour de moi comme un ange gardien, comme une bonne fée.

En disant cela, Israël tremblait, lui qui n’aurait pas sourcillé devant le danger le plus mortel.

La jeune fille le remit dans son assiette par les bonnes paroles suivantes:

–Nous n’avons perdu de vue aucun de nos blessés, mais vous particulièrement, monsieur, vous avez droit à notre empressement; votre vaillance et votre dévouement à la patrie blessée nous sont connus.

Encouragé ainsi, Israël reprit:

–Je suis un fils de l’Orient, et l’on peut à ce titre excuser chez moi un peu d’ignorance ou d’irrespect des usages européens. Voulez-vous me permettre de faire une demande à madame votre mère? Je vous préviens que cette demande vous touche et vous est adressée indirectement.

–Parlez, monsieur.

–Vous m’avez arraché à la mort. Dans quelques jours je pourrai retourner au combat en première ligne comme auparavant. Naguère, au temps des hauts faits d’armes, les combattants portaient les couleurs des nobles dames. Je suis assuré que si j’obtenais un souvenir de vous, il me porterait bonheur, il me servirait de talisman.

La comtesse de Nigès, l’interrompit en disant:

–Nous vous accorderons ce souvenir, et vous devrez être satisfait, car il sera tout intime.

–Oh! merci.

–Oui, nous vous apporterons une médaille du Christ; mon mari la portait à l’assaut de Sébastopol et à la bataille de Magenta.

–Pardonnez-moi, madame, répondit Israël avec confusion, avec douleur. Je ne puis accepter ce don, malgré mon désir extrême d’avoir quelque chose de vous. Je suis Israélite et Israélite croyant.

Les deux nobles dames furent d’abord un peu étonnées.

Marie de Nigès, craignant que leur silence ne devint blessant pour Israël, lui répondit la première.

–Toute croyance est respectable et mérite l’estime. Vous avez du reste un de vos coreligionnaires qui donne l’exemple du patriotisme le plus ardent: c’est le commandant Franchetti.

–Oui, reprit la comtesse, L’absence de foi est seule un danger public, mais elle n’existe pas. On l’arbore, comme un masque ou un manteau. Il n’est pas un être intelligent pouvant soutenir le contraire, à moins qu’il n’ait pas de cœur.

Au bout d’un instant la comtesse reprit:

–Vous accepterez de nous un autre genre de souvenir. Dans la panoplie ayant appartenu au père de mes enfants, vous viendrez choisir l’arme qui vous conviendra le mieux.

–On! merci, madame! Comment pourrai-j e me rendre digne de celte faveur?

–Je vous verrais avec plaisir entrer à l’escadron Franchetti, où est mon fils. Vous vous soutiendriez ainsi mutuellement à l’heure du danger.

–Mais je suis engagé au3e zouaves pour la durée de la guerre.

–L’engagement est le même que le vôtre, aux volontaires à cheval. Ils sont incorporés dans l’armée comme vous. J’obtiendrai aisément, je pense, votre permutation.

–Faites, madame, ainsi qu’il vous plaira.

La comtesse et sa fille serrèrent la main d’Israël en le quittant. Ils les suivit d’un regard mélancolique et rêveur.

Les sportsmen pendant la guerre

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