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CHAPITRE IV
Le Blessé.

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Table des matières

Le lecteur n’attend pas de nous un historique de nos désastres pendant la triste guerre de1870. Nous jetterons plutôt un voile sur cette page funèbre. Ce que nous nous sommes proposé de mettre en lumière, ce sont les héroïques faits d’armes accomplis isolément et les dévouements de toute sorte, demeurés inutiles, mais ne brillant pas moins comme une protestation consolante et glorieuse à mettre en regard de défaillances antifrançaises et restées à nos yeux encore inexplicables.

Israël, le banquier millionnaire que nous avons vu quitter Oran et les douceurs de sa haute position pour s’engager comme simple soldat dans l’armée, était à Sedan.

Fou de rage, il ne voulut pas se rendre, s’échappa et vint à Paris avec les débris d’armée régulière ralliés par le général Vinoy.

A la première affaire de Châtillon, qui fut une alerte encore inexpliquée, où de braves cœurs se laissèrent entraîner par une panique désastreuse et inavouable, Israël ne voulut pas fuir comme ses camarades.

Après avoir essayé de les rallier et de les ramener en avant en s’élançant à leur tête, après avoir fait des efforts surhumains, mais hélas! aussi infructueux qu’héroïques, il avait dû renoncer à essayer de retenir ses compagnons affolés par une épouvante d’autant plus terrible, qu’ils ne se rendaient pas compte de sa cause. L’infortuné résolut de ne pas survivre à cette seconde déroute.

Il se jeta résolument au devant d’une mort certaine, et tomba baigné de sang, percé de plusieurs coups..

Il eut la chance de passer pour mort auprès des Prussiens, n’admettant pas qu’il eut pu survivre à la décharge de tout un peloton qui avait tiré sur lui.

Quand vint le soir, la fraîcheur le ranima un peu. Les maraudeurs arrivèrent, mais il était comme en léthargie, n’ayant pas la force de faire un mouvement, respirant à peine.

Il se laissa fouiller et dépouiller entièrement sans se trahir par le moindre mouvement d’impatience ou de douleur.

On lui enleva tout.

Ces pillards éhontés se partagèrent l’argent contenu dans son porte-monnaie, sans trop se chamailler, mais en voyant la richesse de sa montre, ils faillirent se battre au milieu des mourants et des morts. Chacun voulait l’avoir pour faire hommage de cette dépouille opime à sa Gretchen, ou s’en parer devant ses rivaux.

Naturellement ce fut le plus robuste qui se l’adjugea. La force est partout respectée, et se donne toujours raison.

La nuit devenant plus fraîche, Israël sortit de sa torpeur, et ressentit de cuisantes souffrances.

La mémoire lui revenant, il fit en lui-même les réflexions suivantes:

–Quels tristes ennemis que ces corbeaux de grand chemin. N’est-ce pas être vaincu deux fois, n’est-ce pas recevoir le coup de pied de l’âne de la fable que de subir d’aussi piètres vainqueurs? Ne soyons pas trop sévères néanmoins; on dit qu’à toutes les époques et parmi toutes les nationalités, la guerre a eu son cortège de ces hommes vautours, suivant les vrais suldats, comme les loups en Europe, les chacals en Afrique, les coyottes en Amérique. Notre orgueil excessif, notre confiance aveugle en nous-même ont peut-être mérité cette leçon, ce châtiment. Il faut se résigner et souffrir sans mot dire, si l’on veut voir le jour de la vengeance.

Bien que mourant, Israël songeait encore à la revanche, au triomphe.

Les grandes natures sont ainsi faites.

Dans le silence de la nuit, il entendit des pas se dirigeant vers lui. Bientôt il aperçut des lumières tremblottantes et des hommes se penchant avec soin sur les cadavres. Il craignit de voir revenir de nouveaux pillards, et résolut de se tenir immobile, pour échapper une seconde lois à ces féroces et lâches dépouilleurs des morts.

Israël se trompait.

C’était une escouade d’ambulanciers français, qui avait obtenu à grand’peine d’un officier prussien, plus humain que ses camarades, la permission de venir rechercher parmi ces tas de chair humaine, s’il ne restait pas quelque mourant pouvant être sauvé.

Ils avançaient lentement, parce qu’ils ne voulaient laisser aucune victime, sans l’avoir fait examiner par les deux jeunes médecins qui les accompagnaient.

La mission que ces hommes s’étaient donnée était sacro-sainte, presque divine, puisqu’ils se dévouaient pour rappeler à la vie ceux que les passions humaines avaient frappés de mort. Ils la remplissaient dignement.

Ces soldats pacifiques, qu’ils portent l’habit du prêtre, celui du médecin ou celui du simple civil, ont droit à la reconnaissance de tous. Ils n’ont pour les pousser en avant ou les soutenir, ni l’entraînement de la bataille, ni l’excitation du clairon, ni l’odeur de la poudre, ni l’amour du drapeau, ni l’espoir d’avancement. Leur rôle est ingrat, comme tout ce qui porte un cachet de noblesse intime ici-bas.

Leurs efforts demeurèrent longtemps infructueux. Ils ne se décourageaient pas et continuaient.

Enfin ils découvrirent quelques signes de vie chez un jeune officier frappé à peu de distance d’Israël.

Leur joie fut grande; ils la témoignèrent par quelques paroles, qui firent voir au jeune volontaire blessé, combien il s’était trompé en les prenant pour des ennemis.

Il prit donc la résolution de se faire reconnaître d’eux aussitôt qu’il le pourrait, mais il n’avait ni la force d’appeler, ni celle de se soulever.

Il fallait attendre que cette troupe apportant le salut vint jusqu’à lui.

L’altente était cruelle. Le blessé pouvait craindre que les chercheurs n’arrivassent pas jusqu’à l’endroit où il se trouvait, car il avait été comme foudroyé assez en avant de tous ses autres camarades.

Le hasard, ou plutôt sa bonne étoile, le servit.

Un jeune soldat bavarois était tombé au milieu de nos soldats. Il vivait encore.

Le chef de la troupe donna l’ordre à l’un de ses aides d’aller prévenir les Prussiens, pour qu’ils pussent recueillir celui des leurs qu’on venait ainsi d’arracher à la mort.

En s’acquitlant de l’ordre reçu, l’ambulancier passa auprès d’Israël. Notre blessé réunit toutes ses forces pour arriver à un gémissement plaintif; sa voix fut entendue, et l’ambulancier s’approcha de lui.

–Ciel! un des nôtres! Un zouave; il vit encore. Accourez.

Le chef vint lui-même avec l’un des médecins.

–Un bienfait est toujours récompensé, s’écria-t-il. Nous venons de sauver un ennemi: Dieu nous donne en récompense un ami, que nous aurions peut-être oublié; il était si en avant des autres.

On mit Israël sur un brancard et on le porta dans la voiture, où était déjà installé le jeune officier.

On continua les recherches; tous les cadavres sans exception furent examinés, mais hélas! l’on ne put sauver aucune autre victime de cette grande guerre.

–C’est égal, dit l’un des ambulanciers, nous n’avons pas perdu notre soirée, puisque nous avons pu sauver deux amis et un ennemi.

Après un pansement sommaire, mais exécuté avec le plus grand soin, les voitures se mirent en marche pour rentrer à Paris. Les deux médecins s’installèrent auprès des blessés; leurs attentions étaient vraiment touchantes. Il est vrai qu’ils étaient tous les deux jeunes et engagés volontaires, non pour tuer, mais pour guérir ou pour soulager; non pour donner la mort, mais pour la combattre.

Israël fut rapporté à l’ambulance du Grand-Hôtel.

Ses blessures étaient graves. Il avait perdu tellement de sang, qu’il semblait ne pouvoir sortir d’une somnolence voisine de la mort.

Un prince de la science, qui avait réclamé l’honneur de se mettre à la tête de ce service, et qui avait apporté là un entier dévouement, déclara, le lendemain matin, que ce mourant pouvait être sauvé, mais à la condition d’avoir autour de lui les soins minutieux d’une mère ou d’une sœur.

En ce moment deux femmes, l’une déjà âgée, l’autre encore jeune fille, passaient au pied du lit d’Israël. Elles faisaient partie du corps des ambulancières de Paris.

C’étaient la comtesse de Nigès et sa fille.

Dès le commencement du siège, Mme de Nigès, veuve d’un officier supérieur tué au début de la guerre, était venue offrir ses services et ceux de sa fille à l’organisateur des ambulances parisiennes.

Cœur des temps antiques, elle croyait devoir épuiser jusqu’à la lie le calice de douleur. Elle avait vu, sans faire entendre une plainte, son fils Henri de Nigès prendre un engagement dans cet escadron de volontaires, que le glorieux Franchetti mena sans cesse au premier rang.

Peut-être en secret espérait-elle la vengeance du père par le fils?

Ah! si toutes les mères françaises avaient eu le courage d’agir ainsi, la guerre aurait autrement tourné.

Les deux nobles dames avaient entendu l’arrêt du grand chirurgien. Dans l’éclair d’un regard, elles se comprirent, et Mme de Nigès s’avança en disant:

–Il faut au blessé une mère ou une sœur. Ma fille et moi nous lui en tiendrons lieu.

–J’accepte, mesdames, répondit aussitôt le docteur. Le jeune blessé est digne de votre dévouement; d’après le rapport que j’ai lu ce matin, on a été le ramasser bien en avant de tous ses compagnons d’armes; n’ayant pu les entraîner à la victoire, il avait voulu mourir. J’accepte donc, sans hésiter, mais je vous préviens qu’il n’y a pas trop de vous deux pour veiller sur lui, il ne faudra le quitter ni le jour ni la nuit.

–Ma fille restera le jour auprès de lui et je passerai les nuits.

Les sportsmen pendant la guerre

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