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CHAPITRE II
Le Père et le Fils.

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Table des matières

L’aspect de Strasbourg, la noble cité destinée au martyre de sa foi française, était lugubre. On faisait cercle auprès des rares échappés du désastre de Forbach.

L’homme sorti du danger, quelque brave qu’il soit, est souvent porté à en exagérer la grandeur. C’est une petite faiblesse de vanité qu’on peut pardonner en temps ordinaire, mais qui a les conséquences les plus graves dans les jours d’épreuves douloureuses.

Le peuple, en France, est toujours assez enclin à exagérer le mal comme le bien; il ne faut pas l’y aider.

Des groupes divers se formaient suivant les aspirations et les pensées secrètes de chacun.

Là, quelques vieillards, ayant assisté aux victoires épiques du premier Empire, maudissaient l’âge et la faiblesse engourdissant leurs membres, et parlaient malgré tout d’aller combattre et mourir.

Ici, des jeunes filles, réunies en groupe animé, promettaient de ne donner la fleur de leur pensée qu’aux plus vaillants, et juraient même de n’écouter aucune parole d’amour, tant que nos couleurs n’auraient pas repris leur prestige victorieux.

Ailleurs, quelques nobles cœurs rêvaient les exploits des guérillas, et brûlaient de pouvoir employer leur sombre énergie.

–Un chef, qu’on nous donne un chef! s’écriaient-ils, et nous serons bientôt prêts à partir.

Alors, on vit sortir de la morne stupeur où il semblait accablé un homme pouvant avoir une cinquantaine d’années, mais au corps demeure robuste, à l’œil vaillant et fait pour commander.

–Enfants, dit-il, vous demandez un chef pour la guerre des montagnes. Vous le savez, je suis chasseur et j’ai fait la guerre d’Afrique, guerre de surprises et de razzias. M’acceptez-vous?

–Oui, père Hcinrich, s’écria la foule avec enthousiasme. Avec vous, nous sommes assurés de vaincre.

–Je vous préviens que la discipline sera sévère. Le maréchal Bugeaud fut mon maître, en Afrique. Il était bon, mais inflexible à remplir son devoir.

–Vous dicterez la loi à votre gré.

–Bien, mes enfants. Ainsi nous pouvons faire beaucoup de mal à ces lourds allemands. Où sont mes fils? Qu’ils s’inscrivent les premiers sur la feuille des engagements.

Cinq fiers jeunes gens fendirent la foule et vinrent s’incliner devant leur père, qui les contempla avec amour. Mais tout à coup le front du chef de famille se rembrunit:

–Où est votre frère Ludwig? dit-il.

–Nous ne l’avons pas vu depuis hier.

–Toujours ma croix de douleur! s’écria le père. Ah! combien vous m’avez chatié, seigneur, pour avoir épousé une femme d’origine allemande. Heureusement que de tous mes fils celui-là seul tient de sa mère.

–C’est moi qui le remplacerai, petit père, vint dire en bondissant un enfant de quatorze ans. Tu verras quel bon éclaireur je ferai. J’ai appris le métier en dénichant les nids dans la forêt. Nous ne serons jamais surpris, et nous surprendrons.

–Toi, mon Benjamin, mais tu n’y songes pas. Et que dira ton maître d’école?

–Oh! je le connais, il est bien capable de venir avec nous.

Le père réfléchit un instant. Un combat violent semblait se livrer dans son âme; les traces s’en répercutaient sur les lignes mobiles de son visage franc et loyal.

Il est un sentiment que l’on retrouve toujours, c’est celui de l’amour particulier, de la faiblesse innée des parents pour leurs enfants derniers nés. Qu’un autre l’explique. Pour le moment nous nous bornons à le constater.

Il existe bien.

Benjamin sentit que pour se faire accepter il avait besoin d’une caresse:

–Je ne risque pas tant que ça, dit-il en s’approchant avec grâce et câlinerie, avec un sourire du regard, au milieu de vous, de mes frères, de mes camarades plus âgés, qui tous me protégeront. Je vous apporterai en échange ma gaieté qui ne tarit jamais.

–Allons, tu viendras, répondit le père incapable de résister plus longtemps. Tu seras notre rayon de soleil dans les jours sombres. Qui sait? Peut-être seras-tu notre bonne étoile?

Et alors on vit l’élite des Strasbourgeois venir s’inscrire sur le livre d’engagements, livre d’espérance s’il en fut jamais.

Heinrich remercia ses volontaires par ces simples paroles:

–La France n’est que blessée. C’est une épreuve dont elle doit sortir glorieuse… Songez à ce linceul d’héroïsme dans lequel se sont ensevelis les nobles vaincus de Reischoflen, et si vous égalez leurs exploits, vous les aurez bientôt vengés, vous serez dignes d’eux… Ces glorieux morts ont tracé la route aux vivants… Imitez-les pour mériter de crier avec moi: Vive la France!

Alors l’enthousiasme devint, du délire. Les vieillards levaient les mains pour donner leur bénédiction à ces vaillants champions de l’Alsace. Les belles jeunes filles allaient chercher des fleurs pour orner leur chapeau ou leur poitrine, et se laissaient dérober quelques-unes de ces faveurs intimes de l’amour, qu’en temps ordinaire elles eussent fait payer d’un serment de fiançailles.

En voyant tant d’énergie, tant d’ardeur dans le dévouement à la patrie, on était en droit d’espérer, d’avoir confiance dans l’avenir de cette guerre si mal commençée.

En effet, si quelques compagnies d’hommes résolus s’étaient emparées des passages des Vosges, toutes les communications entre la France et l’Allemagne pouvaient être interceptées. On n’avait qu’à laisser passer, sans coup férir, les armées prussiennes, à supposer qu’on n’eut pas le temps de les empêcher d’aller en avant. Elles se seraient trouvées enserrées et la nation n’aurait eu qu’à se lever tout entière pour les étouffer.

Pour cela il fallait peu d’efforts, mais de l’entente, de la volonté.

Si la France s’était levée comme un seul homme, avec l’indignation d’un lion blessé par surprise et la décision d’un peuple fier de son passé et de son nom, qui, seules, donnent le triomphe, elle aurait vaincu avec éclat. Mais on perdit le temps en folles paroles, en vaines forfanteries de tous les genres.

La passion politique vint primer le sentiment national, et l’on vit l’écœurant spectacle de généraux visant au verbiage des avocats, de commandants en chef songeant en secret à se faire un marche pied de leur position, à devenir des sortes de prétendants; on vit des avocats devenant généraux, et le général en chef d’une grande cité, facile à émotionner par l’exemple, à entraîner par l’enthousiasme, se confiner dans des plans sans issue et de la phraséologie.

Si chaque Français valide se fût promis d’immoler un Prussien, si chacun, au lieu de songer à son intérêt personnel, se fût dévoué au salut du pays, si les exemples que nous citons, au lieu d’être des exceptions consolantes, avaient été suivis, la France pouvait aisément être sauvée.

Dieu, sans doute, ne le voulut pas, et frappa d’aveuglement les âmes égoïstes, pour un jour peut-être les punir sévèrement.

On aura beau nous accuser de chauvinisme, l’on ne nous fera jamais admettre l’oubli de l’antagonisme natif, créé autant par la diversité des climats que par la différence des caractères, des instincts et des races entre les peuples, que la nature elle-même a voulu séparer par la barrière liquide du Rhin.

Le grand fleuve a deux rives bien opposées, bien distinctes, franchement ennemies: d’un côté c’est le commencement des frimas du Nord, c’est la stérilité glaciale; de l’autre on entrevoit comme une chaude caresse du soleil, comme un sourire des climats de l’Orient.

Jamais on n’arrivera à ce que les Allemands ne portent pas envie à la richesse de notre sol français. Dans les invasions périodiques de tous les temps, le Nord se rue sur le Midi; l’attraction est forcée, instinctive.

De même les Russes ont la nostalgie de Constantinople. Dans leurs habitations calfeutrées presque hermétiquement, ils se gardent du froid, mais ils n’obtiennent qu’une température de serre chaude.

Sa douceur n’a pour effet que de leur faire désirer immédiatement les nuits bleues étoilant le Bosphore.

A nos yeux, tout homme d’origine latine est coupable d’imprudence inconsciente, lorsqu’il ne conserve pas d’aversion naturelle contre les hommes de race germaine.

Les sportsmen pendant la guerre

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