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CHAPITRE VII
Contre-poison d’amour.

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Table des matières

Israël avait été ébloui par l’imposante beauté de Marie de Nigès, faite pour exciter, ainsi que nous l’avons dit, les rêves de l’âme bien plus que les désirs matériels.

Toute sa pensée allait vers elle, soit qu’elle fût autour de lui, soit qu’elle en fût éloignée. Le jour il semblait rêver tout éveillé; le soir il se surprenait à murmurer comme Tobie: un ange est dans ma nuit.

La jeune fille, habituée à inspirer à tous cette admiration muette, n’y prenait pas garde. Elle la ranimait inconsciemment à chaque nouvelle venue, l’encourageait presque par un laisser-aller quasi-fraternel.

C’était un enivrement d’autant mieux assuré, qu’il était exempt de toute coquetterie et de tout apprêt étudié.

Israël se laissa d’abord bercer dans cette aurore d’un amour pur comme l’idéal, doux comme un rêve d’Orient. Puis il ressentit une appréhension intime, une sorte de vertige dans sa félicité digne des cieux.

Cette appréhension s’empara de lui après une visite d’Henri de Nigès, qui était vite devenu son ami et voulait l’avoir pour camarade de guerre.

Le commandant Franchetti, pendant qu’il était aux chasseurs d’Afrique, avait entendu faire l’éloge des parents d’Israël. Cet éloge était dans toutes les bouches. Le riche banquier d’Oran avait l’estime générale.

Il fut donc facile d’obtenir l’enrôlement d’Israël dans les volontaires à cheval. Franchetti fut enchanté de compter parmi ses enfants, comme il appelait ses subordonnés, un coreligionnaire aussi vaillant. Il se chargea lui-même de faire les démarches nécessaires, et les mena rondement, comme il faisait en toute chose.

–Voici votre livret, bel éclaireur, s’écria un soir Henri de Nigès. avant même de dire bonjour à Israël. Tout est en règle: vous êtes des nôtres et pour fêter votre bienvenue, nous réunirons, aussitôt que vous serez entièrement guéri, mes principaux amis de l’escadron…

–Où cela?

–Chez ma mère, parbleu: c’est convenu.

–Je ne sais si je dois accepter, répondit Israël tout ému.

–Ordre de ma sœur! Je voudrais bien voir qu’on osât ne pas s’y conformer; ce serait du nouveau.

Henri de Nigès avait à la fois de l’adoration et le respect le plus absolu pour sa sœur. Nature rêveuse et poétique, incapable de compter, il n’avait jamais su garder en équilibre le gros budget que son père, un peu faible pour lui, avait toujours mis à sa disposition. C’était sa sœur qui lui avait, depuis longtemps, servi de ministre des finances, ministre grondant un peu fort quelquefois, mais réparant toujours les brèches pécuniaires

Henri n’avait pas voulu embrasser la carrière militaire. Le colonel en avait eu un chagrin réel, mais il avait cédé, à la condition que son fils se livrât à une occupation offrant quelque utilité, au lieu de rester oisif comme tant d’autres de ses camarades.

Marie de Nigès était survenue alors et avait dit:

–L’occupation utile est toute trouvée: nous avons la terre de Bonville, qui est tout près de Paris; que mon frère y fasse de l’agriculture modèle. Il fera couronner des bœufs aux grands concours: j’irai applaudir ses lauréats.

Et l’adorable jeune fille avait ajouté tout bas pour persuader son frère et enlever son consentement:

–Nous trouverons bien moyen d’élever en même temps des chevaux de pur sang, qui feront triompher tes couleurs sur les hippodromes de Longchamps et de Chantilly.

C’était, comme on le voit, un heureux père que le colonel; c’était une heureuse famille que la famille de Nigès. Mais, comme le bonheur parfait n’est pas de ce monde, la guerre prit pour l’une de ses premières victimes cet homme auquel il ne manquait rien, et que la Providence jusqu’alors semblait avoir voulu combler de tous ses dons.

–C’est entendu, n’est-ce pas? reprit Henri en prenant congé d’Israël. Je me rends à mon service; j’annoncerai à nos camarades que vous ferez leur connaissance le verre en main.

–C’est entendu, répondit Israël d’un air contraint et distrait.

Henri n’y prit pas garde.

Après le départ du jeune homme, Israël devint encore plus triste. Des pensées lugubres traversaient son esprit; il se disait:

–Est-ce que cette chrétienne ardente pourrait jamais accueillir l’amour d’un Israélite comme moi? Il faut donc l’étouffer à sa naissance, en appelant à mon secours toutes les distractions possibles. Et puis n’ai-je pas les luttes d’avant-postes auxquelles je vais prendre part à nouveau? La patrie admet l’amour de tous ses enfants, en échange elle a droit à tous leurs sacrifices.

Ainsi que dans tous les amours puissants, la pensée de la mort lui apparaissait comme une solution.

C’est un phénomène bizarre, mais que depuis longtemps tous les observateurs ont constaté.

Dans les derniers jours de la convalescence d’Israël, une femme jeune et élégante visitait les salles où les blessés essayaient leurs premiers pas.

Elle était venue là par curiosité et pour faire parade de charité ou de patriotisme, plutôt que par devoir. On le voyait aisément, car elle restait minaudière et coquette, tout en remplissant sa mission de dame visiteuse d’une ambulance fort en vue.

Mme Blanche R... n’était pas belle régulièrement, mais son aspect frappait. Il était plein d’agaceries et d’invites au désir.

Elle cherchait à plaire ou à séduire ici comme partout, parce que sa nature la portait à la coquetterie quand même et toujours.

Israël la regarda de son œil noir et.doux, fier et toujours brûlant, bien que rendu plus rêveur et plus mélancolique par la souffrance matérielle, moins encore que par le désespoir moral d’avoir été vaincu.

Ce descendant d’une grande race était vraiment fait pour éveiller le caprice ou l’amour.

Son front large et bien ouvert pour la pensée avait une couronne de ces cheveux noirs; dont la belle teinte est si chatoyante à l’œil.

Ils étaient fins et souples comme des cheveux blonds. C’était à donner envie d’en étreindre à pleine main les boucles soyeuses et frisotantes, de les noyer de caresses ou de baisers.

Son regard ardent et profond devait lancer la foudre par moments; mais cet éclat, un peu dur, était atténué par des cils longs et soyeux. Et puis le blanc de ses yeux avait des teintes bleues. C’est le genre de séduction le plus rare et le plus complet.

Toute dureté disparaît, lorsqu’on regarde de près ces reflets d’azur sur fond sombre.

Sa taille était moyenne, mais d’une harmonie parfaite. On devinait chez lui une force peu commune, sous une grâce exquise.

Israël avait trente ans, l’âge de la maturité physique et intellectuelle.

Aucun de ces détails n’échappa à Mme R…

Les extrêmes s’attirent.

Sa structure faisait contraste avec la nature luxuriante d’Israël.

Elle était petite et frêle, blonde un peu outrée. Elle avait le teint fade, les yeux très beaux, mais trop minaudiers et toujours tourmentés par l’envie d’éblouir.

Sa démarche cherchait à être voluptueuse et n’était qu’agaçante.

Enfin l’on devinait la femme habituée probablement à plaire, dans le milieu où elle vivait, et voulant plaire à tout prix.

Si vous avez un fils, que Dieu le préserve de rencontrer une organisation semblable, soit pour maîtresse, soit pour femme.

C’est l’éternelle répétition de Galathée.

Le cœur manque toujours à ces statues animées, quelle que soit la classe de la société à laquelle elles appartiennent. Elles ne peuvent vivre que d’encens.

Ce n’est pas un mari, ni un amant qu’il leur faut, mais un cercle d’adorateurs.

Mme Blanche R… n’admettait pas qu’on pût résister à son rôle d’enchanteresse en permanence. Quand on semblait peu impressionné par l’attrait de ses charmes presque insolemment offerts, elle se piquait au jeu, et tenait d’autant plus à la victoire, qu’il lui fallait manœuvrer pour l’obtenir.

Elle vint droit à Israël, s’enquit avec intérêt de ses blessures, le plaignit avec componction, admira sa conduite, son dévouement.

Le convalescent se contentait de la regarder avec étonnement plutôt qu’avec plaisir; il répondait à peine, stupéfait, presque méfiant devant ces avances, et résolu en raison même de leur vivacité à s’enfermer dans la plus stricte politesse.

La sirène, habituée à triompher sans peine, faisait de violents efforts pour dissimuler son dépil. Elle alla plus loin.

Israël fut bien malgré lui mis au courant de la situation de Mme R.

Il dut apprendre qu’elle était mariée, que son mari était à la tête d’une bonne maison de commerce, d’une grande maison de comestibles, qu’elle-même paraissait au comptoir, etc., etc.

En terminant, la dame lança, à brûle-pourpoint, au jeune volontaire, l’invitation la plus pressante et la plus gracieuse. Elle exigea qu’il lui promît de venir chez elle, pour achever de se guérir.

–Vous serez mieux soigné qu’ici, dit-elle, et l’air est bien meilleur.

–Mais cela conviendra-t-il à monsieur votre mari? se contenta de répondre Israël.

–Mon mari! Est-ce que cela le regarde?

–Comment?

–C’est une machine à gagner de l’argent, et voilà tout. Je ne l’ai pris que pour cela. C’est son unique rôle. Il m’y plaît, parce qu’il s’en acquitte bien et sérieusement. Mais il ne doit pas sortir de là.

La désinvolture et le babil de cette femmelette sans cœur amusait Israël.

Ainsi que nous l’avons fait remarquer au commencement de ce chapitre, le convalescent craignait de retomber dans une maladie d’amour sans espoir. L’idée lui vint de combattre le mal dans sa racine par le contre-poison s’offrant à lui.

«Une femme est comme votre ombre, se rappelait-il en lui-même. Suivez-la, elle vous fuit. Fuyez-la, elle vous suit...» Combien est vraie cette parole du moraliste, et qui pourra cjamais expliquer les mystères ou les caprices du œur de la femme?. Le remède n’a du reste rien que de fort engageant; il vaut la peine d’être essayé.

Israël refusa l’invitation de plus en plus pressante de Mme R., qui voulait absolument l’emmener chez elle pour la fin de sa convalescence; mais il promit d’aller lui rendre visite dès sa première sortie.

Il tint sa promesse.

Les sportsmen pendant la guerre

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