Читать книгу Les sportsmen pendant la guerre - Édouard Cavailhon - Страница 5
CHAPITRE I
Un vrai Patriote.
ОглавлениеLa ville d’Oran était en deuil. Le fil télégraphique venait d’apporter la terrible nouvelle de la défaite du maréchal de Mac-Mahon. Nos excellents soldats d’Afrique, malgré d’héroïques faits d’armes, avaient succombé sous le nombre à Reischoffen.
Une morne stupeur frappait tous les esprits, et ceux qui avaient vu commencer la guerre avec le plus d’enthousiasme, étaient les premiers à montrer un coupable découragement.
Les Français sont ainsi faits. Il leur faut du succès au début, ou bien ils sont perdus. Et la déroute vient, la débâcle est à craindre.
Au milieu de la foule assemblée sur la grande place, un jeune homme à la démarche souple, élégante, fière et hardie, observait tout sans mot dire. Son regard lançait des éclairs de mépris en voyant ces défaillances honteuses.
Il souffrait.
Tout à coup, un reflet de violente colère se lut sur son beau front, et enflamma son œil noir.
Il venait d’entendre un homme jeune encore, valide et en état de porter les armes, jeter des paroles plus alarmistes que les autres, en osant parler de soumission.
–Il faut donner l’exemple, s’écria-t-il.
Et, fendant le cercle des auditeurs complaisants de cet apôtre de la lâcheté, il vint brusquement prendre le bras de l’orateur en plein vent.
–Benjamin, dit-il, vous me présenterez tous vos comptes dans trois jours. C’est un long travail; allez donc vous y mettre immédiatement.
Le ton dont furent dites ces paroles ne supportait pas de réplique, et Benjamin n’en essaya pas.
Tremblant et honteux, comme un chien pris à mal faire, il osait à peine lever les yeux.
Néanmoins, d’une voix bien humble, il parvint à balbutier cette demande:
–Est-ce que vous me renvoyez, M. Israël? Je suis pourtant un employé fidèle et dévoué.
–Non, je ne vous renvoie pas. C’est moi qui pars, et il faut que tous mes comptes soient en règle. Je ne veux rien laisser en litige, de crainte d’accident.
–Mais où allez-vous donc? s’écrièrent plusieurs voix en même temps.
–Je vais là où le devoir m’appelle, en France, à la frontière menacée. C’est le poste de tous les gens de cœur.
–Mais vous désapprouviez cette guerre.
–Le temps n’est plus au contrôle ni au raisonnement. Il faut agir et non discuter; il faut obéir à la grande voix du devoir.
Un revirement subit se fut bientôt produit parmi ce groupe d’auditeurs augmentant à chaque minute, et la mâle résolution du jeune homme fut vite connue de tous.
Toute foule assemblée est une sensitive. Un mot venu du cœur la fait vibrer comme la harpe éolienne au souffle du vent; une noble action lui donne les élans les plus généreux.
Israël fut entouré, et des félicitations unanimes vinrentle récompenser de sa généreuse initiative.
Quel était ce lutteur de race, dont la vaillance grandissait dans l’épreuve?
C’était un Israélite d’origine lyonnaise. Sa maison de haute finance était la première de notre colonie africaine.
Son père était venu s’établir des premiers à Oran; il avait rendu de très grands services à l’Etat et aux colons, tant par les entreprises industrielles établies par lui-même, que par celles qu’il avait favorisées.
Aidé par une épouse au caractère digne des temps antiques, il avait élevé son fils dans le culte du beau et du bien. Tous ses soins avaient eu pour but de s’en faire un ami, un camarade.
Persuadé que pour être réellement un homme, il faut acquérir à la fois la vigueur du corps et celle de l’esprit, la puissance des muscles en même temps que la force intellectuelle et morale, le père avait tenu à ce que son fils excellât dans tous les genres de sport, aussi bien que dans toutes les branches des connaissances humaines.
C’était un sporstman accompli. La gymnastique n’avait pas de hardiesses dont il ne se fit un jeu; l’équitation, l’escrime, l’art nautique, etc., n’avaient pas de secrets pour lui
Il aimait surtout la marche et la chasse.
Sa supériorité dans les exercices du corps ne l’avait nullement détourné de l’amour de l’étude. Il avait toujours figuré au premier rang dans ses divers examens.
Le bonheur souriait à cette famille modèle, lorsque la mort était venue frapper son chef en pleine maturité de la vie et de la fortune.
Son fils avait alors été arraché à la haute vie parisienne, et, sous l’égide de sa mère, une femme de tête et de grand caractère, il avait pris résolument la suite de la maison. Malgré son immense fortune, il ne voulait pas demeurer inutile et désœuvré.
Aux yeux des masses, les heureux du monde semblent pouvoir se désintéresser des idées de dévouement au dévoir et à la patrie.
–Ils n’ont pas besoin de s’occuper de cela, dit le vulgaire. C’est bon pour ceux qui ont leur fortune à conquérir. Eux, ils n’ont qu’à se laisser aller au farniente et aux jouissances de la vie.
Aussi, lorsqu’un tel exemple d’élan patriotique vient d’en haut, il trouve toujours un immense écho.
Les projets les plus fantaisistes de compagnies d’éclaireurs à pied et à cheval furent alors mis en avant.
On savait qu’Israël, voulant offrir son dévouement et sa vie à son pays, ne serait pas chiche de son argent, et le groupe des aventuriers, dont une ville nouvellement colonisée, comme Oran, se trouve toujours le refuge, vint proposer son concours.
Pour ces déclassés, c’était une occupation toute trouvée: autant cet avenir qu’un autre.
–Je n’ai point l’intention de lever des compagnies franches, leur répondit Israël. Je m’engage simplement comme volontaire pendant la durée de la guerre au3e zouaves, où j’ai plusieurs de mes anciens camarades. Ceux qui voudront m’avoir pour camarade n’ont qu’à venir signer un engagement, comme je vais le faire de ce pas. Mais je crois que le concours de compagnies de francs-tireurs ou d’éclaireurs à cheval, bien organisées, peut être très utile pour faire la guerre de partisans. Faites donc choix d’un commandant que je connaisse et dans lequel je puisse avoir confiance, je mettrai300,000francs à votre disposition pour les premiers frais nécessaires. Je désire par exemple que l’on soit prêt à embarquer dans huit jours.
Des cris d’enthousiasmes éclatèrent de tous côtés. Les peuples du midi aiment le bruit et sont toujours heureux de trouver un prétexte à démonstrations exubérantes.
Israël se déroba aux ovations qu’on lui préparaît.
Rentré chez lui, il fit demander à sa mère de le recevoir pour lui faire part de sa détermination, que du reste il était sûr d’avance de lui voir approuver, connaissant son grand cœur.
En effet, la noble femme se contenta de lui dire:
–Si ton père vivait, il t’approuverait. Je ne puis que faire comme lui, tout en versant quelques secrètes larmes bien pardonnables à la faiblesse d’une femme, au cœur d’une mère. Va, mon fils, et que le Dieu des causes justes t’accorde sa protection.
Un oncle d’Israël, qui avait fait de grandes entreprises industrielles et n’avait pas réussi, vint pour le dissuader de partir, craignant peut-être qu’en l’absence du jeune homme les bons sur la caisse ne lui fussent mieux ménagés.
Israël écouta les raisonnements plus ou moins spécieux de son parent, puis il répondit avec douceur.
–Tout homme se doit avant tout à son pays.
Les affaires, les intérêts privés doivent céder le pas à la grande idée de la patrie.
–Oui, dit l’oncle, mais quand on a une certaine position de fortune, on peut se tenir à l’abri des tempêtes.
–Raison de plus, reprit Israël, pour se mettre en avant. On est intéressé à défendre ses richesses et son bien-être acquis.
–Bastel la patrie est partout où l’on est bien.
–Allons donc! il n’y a qu’une France; il n’y a qu’un Paris.
Et se laissant aller à je ne sais quel enthousiasme rêveur, comme en ont les enfants des climats sans nuages, le fier jeune homme reprit:
–Paris, c’est ma patrie d’adoption, la ville de mes souvenirs joyeux, de mes rêves et de mes folies de jeunesse. Ma fierté patriotique n’admettra jamais qu’un soudard allemand, sot, lourd et brutal, gorgé de bière et de viande de porc, marchant sous les coups de plat de sabre, puisse venir souiller le sol de la cité chère aux artistes et aux intelligences de tous les genres, de toutes les nuances, de tous les pays.
Ils ont dit, ces gens du Nord, de leur air glacial et compassé, entre deux nausées de victuailles:
–Paris n’est qu’un lupanar, nous y entrerons dans huit jours.
Il appartient à ceux qui ont demandé le plaisir à la grande métropole, à l’heure où soufflait le vent de la fantaisie et des brises juvéniles, et qui l’y ont trouvé avec usure, il leur appartient de prouver à ces soldats philosophant que les gais viveurs savent marcher à la mort, pour défendre leur pays menacé. Qu’ils viennent donc; ils trouveront des soldats de fer dans la ville des sybarites.
–Tudieu, s’écria l’oncle. Mais c’est la voix de Judas Macchabée. Quel zèle, quel feu! Je suis fier de toi. Si l’âge ne me retenait pas ici, je te suivrais. Ton enthousiasme est communicatif, et s’il trouve des imitateurs, il est certain que rien n’est compromis… Mais tu penseras à moi, n’est-ce pas, mon bon neveu?
–Mon absence ne changera rien aux jours ni aux heures auxquelles vous devrez vous présenter à mon caissier.
Et l’oncle s’en alla pleinement satisfait.
Israël fit alors appeler Benjamin, son comptable, qu’il avait si mal mené le matin, et lui demanda si son inventaire serait prêt dans trois jours, comme il le lui avait demandé:
–Vous savez bien, mon maître, qu’entendre c’est obéir, répondit Benjamin.
–C’est bien. A l’occasion de mon départ, on donnera le triple de la gratification de fin d’année à tous les employés. La maison continuera à marcher sous les ordres de ma mère. C’est tout ce que j’avais à vous dire.
Mais Benjamin ne bougea pas. Il tournait ses pouces l’un contre l’autre, ce qui chez lui était le signe d’une résolution énergique à prendre, ou d’une bonne idée commerciale à mettre en avant:
–Qu’avez-vous, Benjamin? dit Israël.
–Ah! voilà. C’est difficile à dire. J’aurais une demande à vous faire.
–Dites.
Et Benjamin recommença à tourner plus fiévreusement ses pouces.
–Dites sans crainte et sans hésitation. Il est probable que c’est accordé d’avance. Au moment de partir, je n’aimerais pas à refuser quelque chose à un excellent employé comme vous.
–Et ma défaillance de ce matin.
–Je l’oublierai. Qui n’a pas ses moments de faiblesse?
–Eh bien! je me risque. Je voudrais vous accompagner.
–Pourquoi faire? Vous êtes utile ici.
–Vous aussi, mon maître, vous êtes utile à Oran, et vous quittez tout pour aller défendre la France. Je voudrais faire comme vous.
–Ah! c’est mieux que ce que vous disiez ce matin.
–Oh! ce matin, j’avais vu des gens que je ne veux plus voir, des politiqueurs, des cœurs faibles, cachant leur défaillan ce sons le manteau ou sous le masque de la libre pensée.
–Mais on dit que vous êtes bien… timide.
–Oui, c’est vrai; mais, baste! le courage, ça doit être comme autre chose; on doit s’y habituer; ça doit s’apprendre… J’ai entendu parler du bon roi Henri IV, qui était né poltron et qui devint très brave. On instruit bien un lièvre à battre du tambour. Votre père m’a appris la comptabilité, vous m’apprendrez le courage.
–Allons, mon ami; vous avez déjà la bonne humeur. C’est quelque chose, et c’est un premier pas de fait.
–Alors vous consentez.
–Faites comme vous voudrez; mais réfléchissez encore. Il est à craindre que ce ne soit pas tout rose, là-bas.
–Nous verrons bien.
Là dessus, Benjamin sortit avec une fière contenance.
–Rien de tel qu’un poltron révolté, pensa Israël. Ah! si nous voulions ainsi tous nous y mettre, les Prussiens ne feraient pas long feu. Mais le voudra-t-on?
Si partout ailleurs, comme à Oran, les puissants de la fortune avaient donné l’exemple, la France aurait eu bientôt des défenseurs invincibles.
Trois jours après, Israël faisait voile pour Marseille avec Benjamin, déjà vêtu en zouave, et une dizaine de jeunes gens d’Oran que cet exemple avait électrisés.