Читать книгу Les sportsmen pendant la guerre - Édouard Cavailhon - Страница 9
CHAPITRE V
Deux sœurs de charité.
ОглавлениеMme de Nigès, malgré son âge, était belle encore, d’une beauté douce et imposante. Marie, sa fille, lui ressemblait entièrement, et l’on pouvait deviner en elle combien la comtesse avait dû être séduisante à vingt ans.
Sa taille souple et flexible, vraiment digne d’une comparaison orientale qu’on rencontre si souvent dans les œuvres de Lord Byron, sa taille ondoyait. Elle avait le balancement enchanteur dn palmier.
La coupe ovale de son visage était d’une distinction suprême.
En la voyant, l’on sentait qu’on se trouvait en présence d’une jeune fille de grande race.
La main était fine, mince et terminée par des doigts effilés aux ongles roses et bien posés. L’on pressentait malgré cela que cette toute petite main devait être forte et nerveuse, comme l’on devine la vigueur et la puissance dans les attaches élégantes d’un noble coursier de pur sang.
Quant au pied, comme l’a dit notre grand poète Alfred de Musset, on l’eut prise pour une comtesse andaiouse, ou pour une marquesa d’Amaegui.
Sa bouche était toute petite, avec des courbures adorables. Ses lèvres assez fortes n’avaient rien de sensuel. On trouvait sans cesse sur leur bord le sourire de labonté, la quiétude de la pensée.
Son œil noir et doux avait des reflets métalliques, qui auraient donné parfois un peu de dureté à son regard, si cet éclat extraordinaire n’avait été pallié par la nature elle-même. Le blanc de ses yeux était bleu comme un ciel sans nuage: il reflétait son âme loyale sous un front pur, large, intelligent.
Marie de Nigès avait les cheveux chatain clair, ayant parfois la nuance charmeresse des cheveux couleur d’or.
On ne pouvait l’entrevoir sans l’admirer; on ne l’approchait pas sans garder d’elle un souvenir ineffaçable. Son aspect et sa tenue digne et modeste commandaient l’estime; dans le rayon de sa beauté, l’on ressentait une adoration muette, platonique, jamais un désir vulgaire, un caprice passager, sensuel.
Marie avait été élevée avec soin sous les yeux de sa mère, qu’elle n’avait jamais quittée. Elle était profondément religieuse, mais d’une religion bien entendue, de la vraie, de celle qui consisle à être sévère pour soi-même, tout en gardant des trésors d’indulgence pour les autres.
Sa mère était alliée aux Larochefoucault. Elle était persuadée de la vérité de cette maxime du grand parent philosophe:
Le tempérament surtout fait souvent la valeur des hommes et la vertu des femmes.
Dans l’éducation de Marie, l’on avait mis en précepte cette vérité; l’on avait voulu se garder de ce danger.
Son père lui apprit lui-même à monter à cheval. Elle devint une amazone hors ligne.
Une femme professant la gymnastique vint tous les jours lui apprendre à braver le danger, et lui fit prendre des forces, de façon à ce que la nervosité moderne, maladie devenant trop commune, n’eût pas de prise sur elle.
L’éducation physique marchait de pair avec l’instruction intellectuelle. Lorsque la jeune fille allait se coucher le soir, elle dormait d’un sommeil de plomb, au lieu de s’adonner à des rêveries dangereuses.
Ainsi seulement, l’on peut faire de vraies femmes, dignes d’être épouses, dignes d’être mères. Il faut suivre les préceptes d’hygiène, comme on préconise les principes de morale. Les uns sont aussi utiles, et peut-être plus efficaces que les autres. Le travail physique doit être soigné chez les enfants autant que le travail intellectuel et l’enseignement moral. La lutte avec le danger, le bon équilibre et le développement des forces corporelles élève et fortifie l’âme; il faut que le système musculaire prenne le dessus sur le système nerveux.
Grâce à la manière dont elle l’avait élevée, Mme De Nigès était sûre de sa fille comme d’elle-même. Voici pourquoi elle n’avait pas hésité à lui permettre d’entrer dans le service des ambulances, en même temps qu’elle; voici pourquoi elle n’hésita pas à prendre, pour notre héroïne et pour elle, la lourde charge et la difficulté des soins incessants, intimes, minutieux, nécessités par l’état d’Israël, le beau jeune homme blessé.
Du reste, il faut le reconnaître, pendant les épreuves diverses de ces quatre mois de siège, le mérite des femmes parisiennes, dans toutes les classes de la société, a été bien plus grand que celui des hommes.
Rien ne leur semblait trop dur à supporter.
Elles allaient stationner, pendant des heures entières et par un froid excessif, à la porte des boucheries municipales, pour avoir une ration presque dérisoire de mauvaise viande.
Elles grelottaient en silence dans leur logis sans feu, mangeant, en dernier lieu, du pain où il entrait de tout, hormis de la farine. Elles souffraient sans plainte et sans ostentation, tandis que les hommes avaient la distraction du corps de garde ou du bivouac, l’espoir ou le feu de la lutte.
Bourgeois, ils se donnaient la satisfaction de faire des promenades en armes, de parader en uniforme sans courir grand danger; ouvriers, ils se dis rayaient en jouant au bouchon.
Cette ardeur féminine n’étonnera personne. Est-ce que se dévouer n’est pas l’essence même de la femme française, de la chrétienne?
Nous avons dit de la chrétienne, parce qu’en ce moment nous mettons en plein relief la conduile de deux vraies sœurs de charité, deux sœurs civiles, deux sœurs laïques.
Mme de Nigès et sa fille étaient deux chrétiennes convaincues, exemptes de toute exagération dans leur foi, de tout fanatisme dans leur amour du bien et du beau.
Demandez aux professeurs de l’Ecole de médecine s’ils ont besoin de ces garde-malades désintéressées de tout souci terrestre, n’ayant d’autre mobile, d’autre objectif que le ciel. Trouvez m’en un seul qui confierait à des mains mercenaires un malade en danger, s’il avait sous sa direction une petite sœur des pauvres.
Le siège de Paris a eu la gloire de faire naître une armée de sœurs de charité. On voyait, inscrites dans le service des ambulances, les grandes dames à côté des princesses de la rampe, les bourgeoises à côté des enfants du peuple.
C’était digne d’admiration comme un souvenir ou un exemple des grands traits historiques, mais ce dévouement n’est possible qu’en temps de guerre. Il est à souhaiter qu’il n’ait pas lieu de se produire.
Qu’on ne nous accuse pas ici de faire une digression ou un plaidoyer. Pour expliquer ce qui pourrait paraître étrange dans la hardiesse de notre jeune héroïne auprès de notre glorieux blessé, nous avions besoin de toucher cette note, comme un compositeur prépare son auditoire par un prélude en rapport avec son sujet.
Nous l’avons déjà dit, aucune des blessures d’Israël n’était mortelle, mais il était tellement affaibli par la perte de sang, qu’une attention et un soin de toutes les minutes pouvaient seuls le sauver.
La léthargie dans laquelle il était plongé était l’image de la mort; elle pouvait en sembler le précurseur.
Il restait beau néanmoins.
Marie de Nigès le souleva d’un bras rendu robuste par les exercices de gymnastique, auxquels elle s’était adonnée dès son enfance, et essaya de lui faire prendre du lait.
L’estomac du blessé ne garda pas ce reconfortant.
La jeune fille ne put retenir un signe de douleur, presque de désespoir; mais, sans dire un mot, elle reposa avec soin la tête du jeune homme sur l’oreiller, prit un linge et se mit doucement à faire disparaître les traces de ce gâchis laiteux.
D’heure en heure, elle soulevait la tête de son malade; ses bras lui servaient d’appui de façon à ce qu’il put mieux respirer, tout en prenant du repos.
Lorsque la nuit arriva, Mme de Nigès vint relayer sa fille.
Israël n’avait pas encore ouvert les yeux.
–La voiture est en bas, dit Mme de Nigès. Tu feras bien de te coucher, quand tu auras dîné, mon enfant. Ne viens pas trop tôt, demain matin: je dois rester ici plus longtemps que toi, ne l’oublie pas.
–Soyez tranquille, ma mère; je me reposerai bien, mais avant de rentrer, permettez-moi de passer chez un marchand de comestibles. On m’aparlé de fruits d’Amérique admirablement conservés, et dont l’action sur les malades est merveilleuse; je voudrais en essayer demain sur notre blessé.
–C’est bien. Embrasse-moi. A demain matin. Ton frère n’est pas de service: il pourra t’accompagner et me ramènera à l’hôtel.
La jeune fille donna l’ordre à son cocher de la conduire à l’entrée d’un magasin, où l’on vendait des ananas conservés dans des boites en fer-blanc à l’aide de l’alcool. Ces fruits semblaient aussi frais que s’ils venaient d’être cueillis sur leur terre-patrie.
L’épicier, sentant qu’il avait affaire à une jeune fille incapable de marchander, lui demanda 50fr. d’une toute petite boite, contenant ces conserves précieuses.
–C’est bien, répondit-elle, mais à la condition que vous m’en garderez dix boîtes, si celle-ci me convient. C’est pour un blessé.
Le boutiquier, ne put s’empêcher de tressauter de joie dans l’espérance d’un pareil bénéfice; en son transport aratipatriotique il faillit renver-sar un tonneau de mélasse.
Sa femme le gourmanda fort.
La jeune fille paya et sortit sans mot dire.
–Oh! ces gens des classes élevées, s’écria l’épicier–honteux en lui-même de bénéficier d’une façon aussi sauvage sur le malheur public, et essayant de chasser le remords par une insulte, comme un poltron essaye de chasser la peur qui le tient par un chant quelconque,–ces gens des classes élevées, quelle morgue! Heureusement que nous voilà en république: on la leur rabattra.
L’esprit mercantile poussé à l’extrême impose silence à tout noble sentiment; pendant cette guerre néfaste, nous n’en avons eu que trop d’exemples.
Le lendemain, Marie de Nigès, après avoir sauté au cou de sa mère, lui montra sa trouvaille de la veille.
–Notre bon docteur va bientôt arriver, dit-elle; je suis tout heureuse de lui présenter mon remède. Bien certainement il l’approuvera.
–D’autant mieux, chère enfant, répondit la mère, que nos tentatives répétées et variées sont demeurées vaines. Le pauvre malade rejette tout.
L’heure de la visite était venue. Le docteur, après avoir examiné Israël, s’écria:
–Il faut absolument trouver quelque chose que son estomac puisse garder.
–J’ai cherché et j’ai trouvé, répondit Marie de Nigès. Voilà l’objet demandé, docteur.
–Un ananas conservé! Mais, oui, essayons. Ouvrez cette boîte.
On obéit.
Le fruit sortit de sa prison de fer-blanc, appétissant et parfumé; baignant dans une sorte de sirop alcoolique.
–Apportez-moi du sucre et du cognac, dit le grand guérisseur.
Et, lui-même, il pressa le fruit exotique pour en exprimer le jus, comme on fait d’un citron. Puis il fit ingurgiter de sa propre main une cuillerée de ce breuvage au blessé.
Le prince de la science, impassible d’ordinaire devant toute expérimentation, attendit avec anxiété le résultat de cette tentative.
L’estomac d’Israël garda ce cordial d’un nouveau genre, découvert par le zèle d’une apprentie garde-malade.
–Il sera sauvé, prononça le docteur, et grâce à vous. Dès l’instant que son estomac peut conserver un réconfortant quelconque, je réponds de lui! Je savais bien que les femmes possédaient un merveilleux instinct de tous les soins possibles, mais si les jeunes filles s’en mêlent, il n’y a plus qu’à leur délivrer des diplômes, comme quelques-unes le réclament.
Puis, se tournant vers Mme de Nigès, le grand chirurgien lui demanda:
–Vous n’aviez jamais vu ce jeune homme? Est-ce que vous connaissez sa famille?
–Non, docteur, répondit la noble dame. N’a-t-il pas droit à notre dévouement, sans autre titre que celui d’avoir été blessé au service de la France?