Читать книгу Victor, ou L'enfant de la forêt - Ducray-Duminil François Guillaume - Страница 2

TOME PREMIER
CHAPITRE PREMIER.
LA VEUVE ET L'ORPHELIN

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Minuit sonne!.. Un silence religieux succède au tumulte des villes, au hennissement des chevaux, aux chants joyeux des agriculteurs… Le sommeil appesantit ses ailes noires sur la surface de notre hémisphère: il en secoue les pavots et les songes; les songes!.. qui ne font souvent que prolonger les peines de l'infortuné, tandis qu'ils rappellent à l'homme heureux les images riantes dont il a joui dans la journée. C'est le moment du repos pour tous les mortels; c'est le moment de la douleur pour le jeune Victor.

Il est seul dans son appartement, l'intéressant Victor. Les deux coudes appuyés sur sa fenêtre, sa tête enfoncée dans ses mains, il se livre aux plus tristes réflexions. La lune éclaire la campagne: elle réfléchit son disque argenté dans l'eau limpide du canal qui entoure le château de Fritzierne; un léger zéphyr balance mollement la cime des arbres: les rossignols, les fauvettes, tous ces Orphées des bois sont endormis; le cri lugubre de l'oiseau de Minerve trouble seul la tranquillité dont veut jouir la nature; tout dispose à la mélancolie, tout invite au recueillement.

Victor, occupé de mille pensers divers, fixe ses regards distraits sur les objets qui l'environnent; il regarde tout, et ne voit rien; il pense à mille choses, et n'a pas une seule idée. Ses yeux sont humides de larmes que ses paupières, immobiles, n'expriment point de ses yeux. Son cœur bat, ses genoux fléchissent; il semble qu'il ne puisse plus se soutenir, et voilà plus d'une heure qu'il est dans la même position!.. Un léger nuage cependant obscurcit le disque argenté de l'astre de la nuit; il en affaiblit la clarté; mais il en diverge les rayons sur des bois, des plaines, des rivières, des fortifications. L'absence de la lumière tire Victor de sa rêverie; il promène ses regards avec plus d'attention sur les objets qu'il peut distinguer encore: il les a vus cent fois; mais il ne les a jamais fixés avec autant de volupté: tout lui paraît nouveau, parce qu'il sent davantage. Les vastes forêts de la Bohême, qu'il habite, se présentent en masse à ses yeux étonnés. Au pied du mont des Géants, auprès duquel est situé le château de Fritzierne, il apperçoit l'Elbe sortant de sa source avec impétuosité, courant, au milieu de mille sinuosités, arroser les plaines, les villes et les hameaux. Il voit en imagination ce fleuve majestueux se grossir dans son cours, traverser la Misnie, la Saxe, et porter à la mer, au-dessus de Hambourg, le tribut de ses eaux gonflées, dans leur cours, par mille torrens divers. Il apperçoit la haute tour de Buntzlau, où Boleslas-le-Cruel-massacra son frère Vinceslas qui venait lui demander un asyle. Enfin, baissant les yeux sur les fortifications du château de Fritzierne, il le voit flanqué de bastions, de tourelles, de contre-forts, et défendu par un large fossé, qu'un pont-levis permet seul de franchir.

Ce spectacle imposant doit être familier à Victor; mais il ne lui a jamais procuré autant de jouissances. Eh quoi! s'écrie-t-il, ces tableaux magnifiques, ces superbes campagnes, ce château où l'on éleva mon enfance; je quitterais tout cela!.. je fuirais un protecteur, un père!.. j'aurais l'ingratitude de l'abandonner, quand il compte sur moi pour adoucir les ennuis de sa vieillesse!.. Non, Victor, non, tu t'auras point cette barbarie; tu vaincras une funeste passion, tu respecteras la fille de ton protecteur, tu lui cacheras tes sentimens; tu triompheras de l'amour, et tu jouiras du bonheur d'une famille qui t'a reçu dans son sein au sortir de ton berceau, qui te regarde comme un ami que le ciel lui a envoyé… Mais, dieux! Clémence! tu ne sauras donc jamais que je t'aime, que je t'adore… jamais!.. L'ai-je pu former ce cruel projet! Clémence! fille adorable! si tu savais, si j'osais dire à ton père!.. Ton père pourrait-il blâmer un amour vertueux, un amour délicat fondé sur la reconnaissance, sur l'admiration dont tes rares vertus m'ont pénétré!.. Pourrait-il me repousser de son sein, après m'avoir cent fois accablé des bontés les plus touchantes! Non, non, le baron de Fritzierne est un philosophe, un sage; il fait peu de cas de la naissance, de la fortune, de tous les dons du hasard; il n'estime que l'honneur, la probité: il me jugera digne de la main de sa fille. Oui, Clémence, oui, tu connaîtras mon amour; j'ose espérer que tu le partageras: tu m'as donné tant de fois l'espoir d'être aimé! Nous nous jetterons aux pieds du meilleur des pères; il nous embrassera, nous unira. Ô Victor! quelle félicité t'attend!.. Que dis-tu, insensé? où va s'égarer ton imagination? toi, malheureux enfant trouvé dans une forêt; toi, infortuné, sans parens, sans amis, sans appui sur la terre, tu deviendrais le gendre du baron de Fritzierne, d'un des plus puissans seigneurs de l'Allemagne! tu oserais rapprocher la distance…

Non, Victor, non; cesse d'espérer, cesse de rêver, ce bonheur n'est pas fait pour toi. Fuis, Victor, fuis, dérobe-toi aux traits du malheur qui t'attend; crains d'être accusé d'ingratitude, de séduction: tu le serais, Victor, tu le serais, et tu en mourrais!.. C'en est fait, son père m'a refusé aujourd'hui la permission de voyager loin de lui; il a fait de vains efforts pour m'arracher le secret de mon cœur; demain, je me précipite de nouveau à ses genoux; je le presse, je le conjure de me laisser partir, et s'il se refuse encore à mes vœux… S'il s'y refuse, que ferai-je? que deviendrai-je? Ah! malheureux!..

C'est ainsi que Victor flottait dans une mer de pensées plus douloureuses les unes que les autres. Il devait tout à M. de Fritzierne, il adorait sa fille Clémence; mais son amour était respectueux; jamais il ne lui était échappé un mot qui pût le déceler; jamais aucune de ses démarches n'avait dévoilé le secret de son cœur; Clémence elle-même ignorait que sa tendresse était payée de retour; car Clémence aimait Victor, et Clémence, par des agaceries bien naturelles à un enfant, avait allumé cette funeste passion dans le cœur du homme. Clémence avait dix-sept ans; elle était vive, et simple comme l'innocence; son ame ignorait ces détours qui gênent le sentiment, qui en arrêtent l'explosion. Victor avait dix-huit ans; il était grand, bien fait, doué de toutes les qualités de l'esprit et du cœur. Clémence, élevée avec lui, n'avait pu résister au charme que sa présence, ses discours, ses talens, lui avaient inspiré. Elle l'aimait donc; mais elle croyait n'aimer qu'un frère: son père l'avait élevée dans cette douce illusion. Clémence se croyait attachée à Victor par les liens du sang, et Clémence se livrait sans contrainte à toute l'effusion d'un sentiment qu'elle regardait comme celui de la tendresse fraternelle. Victor, lui Victor, ne pouvait se livrer à cette douce erreur. Victor savait bien qu'il n'était point le frère, de Clémence… Il ne connaissait qu'une partie de l'histoire de sa naissance; mais il en savait assez pour désespérer de jamais obtenir la main de son amante. Le baron de Fritzierne, vieillard de soixante-cinq ans, après avoir brillé long-temps dans les emplois politiques et militaires, après avoir éprouvé une foule de malheurs, s'était retiré dans son château, où il vivait retiré du commerce des hommes. Là, il avait élevé Clémence et Victor: il aimait ce dernier comme son propre fils; mais il était extrêmement riche; sa naissance était des plus distinguées; il n'y avait pas d'apparence qu'il voulût jamais donner sa fille à un inconnu. Victor le craignait, Victor prévoyait les suites funestes de sa fatale passion, et il s'était déterminé à voyager jusqu'au moment de l'établissement de Clémence. Il en avait parlé à son père, sans lui donner les véritable raisons qui le forçaient à s'éloigner. Mais Fritzierne s'était attendri; le bon Fritzierne lui avait reproché, en versant quelques larmes, l'espèce d'abandon où il voulait le plonger. Victor n'avait pu résister aux pleurs de son bienfaiteur: il s'était tu; son cœur avait gémi. Il était remonté dans son appartement, l'ame oppressée, le feu sur les joues, et les paupières chargées de larmes. Loin de chercher un repos qui l'aurait fui, il avait ouvert sa croisée, et le spectacle de la nature venait d'enchaîner ses facultés, de suspendre, pour un moment, l'exécution de son projet. Tantôt il se proposait de fuir sans voir le baron ni sa fille; et tantôt il voulait écrire à Clémence pour lui faire ses tristes adieux. Il allait se mettre à son secrétaire dans cette intention; mais les beautés des sites que la lune éclairait à ses yeux, le retenaient à sa fenêtre; il admirait, reprenait le cours de ses réflexions, admirait encore et ne pouvait rien faire…

Quiconque a voyagé dans la Bohême, quiconque a vu les montagnes, les bois, les hameaux, les vieux châteaux qu'elle renferme, se fera aisément une idée de la situation de manoir de Fritzierne: c'était un château-fort dans toute l'étendue du terme. Placé au milieu d'une colline qui, par une suite d'élévations, formait le dernier monticule de la chaîne des montagnes des Géants, il dominait sur un pays raboteux, hérissé de vieilles tours, de masures, de côteaux boisés, de prairies et de ruisseaux. Il était fortifié tout autour, à l'exception d'une petite porte percée dans un des créneaux de la muraille, et qui donnait de plain-pied sur la campagne. Sur le devant de la façade était situé le pont-levis, jeté sur un large fossé plein d'eau. Les jardins, élevés en amphithéâtres, étaient immenses, entourés de fortes murailles, flanqués d'énormes contre-forts; en un mot, il était impossible de craindre, d'aucun côté, l'attaque de brigands qui infestaient depuis long-temps les vastes forêts d'alentour. Ce château avait autrefois soutenu des siéges, et il était encore capable de se défendre contre toute surprise.

C'était là le séjour que, depuis vingt ans, le baron de Fritzierne habitait paisiblement; c'était là que la compassion avait tendu une main protectrice à la jeunesse de Victor, dont les malheurs les plus cruels avaient marqué la naissance, ainsi que nous le verrons par la suite…

Victor connaissait toutes les obligations qu'il avait au vieux baron; mais Victor, combattu par l'amour, la reconnaissance et la délicatesse, ne pouvait répondre aux bontés dont on l'avait accablé, que par une fuite précipitée: c'était même le seul moyen qu'il eût de prouver sa gratitude à son bienfaiteur; il fallait, par égard pour ses bienfaits, qu'il s'arrachât de ses bras…

Victor venait de prendre cette résolution. Né ferme et courageux, il était incapable d'en changer. Son ame était plus calme, son cœur moins agité, ses pensées avaient repris leur cours; une heure entière, passée dans la fluctuation des idées les plus tristes, avait épuisé ses facultés morales et physiques; le sommeil commençait à lui faire éprouver son besoin impérieux, il allait fermer sa fenêtre pour goûter quelques heures de repos, déjà il s'en éloignait, lorsque des cris affreux le rappellent au balcon. Il écoute… Plus rien… Le silence seul frappe son oreille attentive. Il va s'éloigner de nouveau; les mêmes cris recommencent; mais ils sont plus aigus… Victor entend distinctement ces mots, prononcés dans la campagne, presque au-dessous de lui: Ô, qui que vous soyez, ne prenez que ma vie; n'arrachez point celle du malheureux orphelin que vous voyez; c'est mon fils, c'est mon fils, je l'ai adopté… Barbares! que vous a-t-il fait?.. Eh! ne se trouvera-t-il point quelque ame généreuse qui vienne nous secourir!..

Victor, saisi d'effroi, cherche à distinguer les infortunées créatures dont il entend les sanglots; mais la confusion règne sur tous les objets; il n'apperçoit qu'un fer étincelant à la clarté de la lune; on agite ce fer; on semble en menacer les victimes… Victor ne balance point; il éveille son domestique. Tous deux prennent leurs pistolets, et se précipitent vers la petite porte qui donne sur la campagne, et dont ils ont une clef. Victor n'a qu'une inquiétude; il craint d'arriver trop tard; il craint que le sang ait coulé!.. Bientôt la porte se referme sur eux; ils marchent au hasard, et n'entendent plus rien; mais Victor dirige ses pas vers l'endroit où, de sa croisée, il a vu briller le fer de l'assassin: tous deux marchent doucement pour n'être point découverts… À peine ont-ils fait deux cents pas que, cachés derrière une bruyère, ils apperçoivent distinctement une femme à genoux, tenant dans ses bras un jeune enfant de quatre à cinq ans; trois scélérats, dont l'aspect est repoussant, tiennent le pistolet sur la gorge de l'infortunée, et l'un d'eux l'interroge en ces termes: Qu'as-tu vu? qu'as-tu entendu? réponds, ou c'est fait de ta vie! – Hélas! je n'ai rien entendu, rien vu, je vous le répète, – Pourquoi t'es-tu écriée: Fuyons, mon fils, ce sont des voleurs!– La crainte, la terreur, à l'heure qu'il est… – Mais tu as ajouté: Si Roger était à leur tête! fuyons!– J'ai entendu parler de Roger comme d'un chef dont l'approche est redoutable. – Tu ne le connais pas? – Moi… – Tu te troubles!..Camarades, immolons l'enfant, et conduisons la mère à notre chef. Cette femme en est connue; je ne sais quoi me dit qu'elle en est connue…

Les trois brigands allaient consommer leur forfait sur l'enfant, que la mère pressait contre son cœur; déjà même ils venaient de lui arracher cette innocente créature, qui jetait des cris affreux… Victor s'élance, Victor s'écrie: Arrête, scélérat, reçois la punition de tes crimes!..

Un coup de pistolet étend un des brigands à ses pieds. Un second veut fuir, Valentin, le domestique de Victor, le poursuit, et le prive à son tour de la vie. Le troisième brigand se sauve à toutes jambes et disparaît… Le fidèle serviteur revient joindre son maître, qu'il trouve occupé à rappeler les sens de l'inconnue qui s'est évanouie. Valentin la prend dans ses bras, Victor serre l'enfant dans les siens; et tous deux, chargés de ces précieux fardeaux, regagnent la petite porte, l'ouvrent, la referment soigneusement, et portent dans leur appartement les infortunés à qui ils viennent de sauver la vie.

Qu'on se représente la situation d'un homme sensible, d'un homme comme Victor, qui vient de commettre une bonne action. En est-il de plus douce? Comme son cœur bat délicieusement! comme son sang est rafraîchi par l'idée agréable qu'il vient de secourir l'humanité!

Victor fait asseoir l'inconnue, qui est un peu revenue à elle; il prend l'enfant sur ses genoux, le presse, le caresse, et voit avec satisfaction cet intéressant enfant lui sourire, et jeter sur lui des regards où se peignent déjà la tendresse et la reconnaissance… La mère a recouvré l'usage de la parole. Qui êtes-vous, lui demande doucement Victor? Par quel hasard vous trouvez-vous seule, à une heure du matin, dans un lieu aussi désert? – Homme généreux, ne me demandez pas qui je suis; n'exigez pas que je vous fasse le récit des malheurs qui ont traversé ma vie? Ce récit douloureux, je ne pourrais le faire; je ne le ferai jamais: je me suis imposé la loi de cacher mes aventures à tout le monde; la mort seule me les fera oublier; mais personne, non personne ne les connaîtra… Qu'il vous suffise de savoir que je suis une pauvre femme, sans asyle, sans parens, sans amis, qui… – Sans parens, sans ami! Oh! parlez, parlez, vous m'intéressez à un point… – Je m'étais retirée dans un petit village à quelques lieues de Prague. Là, je vivais tranquillement du travail de mes mains et des dons que les ames sensibles voulaient bien me faire. Un vieux laboureur, plus pauvre encore que moi, venait de perdre son fils, l'espoir de sa vieillesse; l'épouse de ce fils était morte en donnant le jour à cet enfant que vous voyez. Le laboureur ne put résister à tant de coups; il expira dans mes bras, et moi je me chargeai de l'orphelin, persuadée que le ciel ne m'abandonnerait pas. Mais, hélas! le sort ardent à me persécuter voulait me chasser une seconde fois de mes foyers. L'avant-dernière nuit, le feu prit au village et consuma une grande partie des masures. Des méchans accusèrent ma négligence de ce malheur… J'avais perdu mon asyle, j'avais perdu la tendresse de ceux au milieu desquels je vivais; je pris l'enfant dans mes bras, et je partis, résolue d'aller implorer la compassion d'une vieille parente que j'ai en Silésie, mais dont je n'appréhende que trop la dureté, s'il faut vous l'avouer… Hier soir je me suis égarée dans ces routes tortueuses qui environnent votre château; la nuit m'a surprise au milieu de mes inquiétudes… Que faire dans cette cruelle extrémité! Je recommande cet enfant à Dieu; je m'enfonce dans un vallon, où j'engage le petit à dormir sur un tertre de gazon, bien déterminée à veiller toute la nuit auprès de lui. L'enfant reposait depuis près de deux heures environ, et je me croyais absolument seule dans cet endroit écarté, lorsque j'entends distinctement ces mots qu'on prononce à voix basse, et tout près de moi: As-tu assez dormi, Morgan? Allons, allons, réveille-toi, voilà l'heure d'aller à la découverte. Tu sais que Roger doit camper aujourd'hui entre Kingratz et Sarwitz: c'est le passage des voitures publiques; il y a là de bons coups à faire… À ces mots, à ce nom de Roger, qui me retrace des souvenirs trop douloureux, la frayeur s'empare de moi; je prends l'enfant dans mes bras, je me lève, et nous fuyons; mais le petit ne peut retenir ses cris; les deux scélérats nous découvrent, nous poursuivent, nous atteignent, et… vous savez le reste… Généreux mortel! je vous dois ma vie, je vous dois plus!.. vous avez conservé les jours de cet enfant qui m'est bien cher, puisqu'il n'a plus que moi dans le monde! comment ferai-je pour acquitter jamais tant de bienfaits!.. – Comment vous ferez, ange du ciel! Ah! continuez de donner vos soins à cet enfant, et vous aurez reconnu au-delà tout ce que j'ai eu le bonheur de faire pour vous et pour lui: c'est mériter tous les bienfaits des hommes, qu'être utile à un seul infortuné!..

Victor était charmé de voir que la personne qu'il venait de secourir était digne de son estime. Il regardait avec délices cette femme vertueuse, qui faisait pour un enfant étranger ce que le baron avait fait pour lui; il trouvait, dans la situation de l'inconnue, une sorte de rapprochement avec la sienne propre, et son ame jouissait… Cependant il pense que ces infortunés n'ont rien pris depuis douze heures. Personne n'est éveillé dans le château… Comment faire? C'est Valentin qui va le tirer de cette sollicitude. Valentin, ce bon garçon que nous connaîtrons un peu mieux par la suite, a toujours en réserve chez lui une armoire remplie de petites provisions. Valentin apporte à l'inconnue de quoi rétablir un peu ses forces; et comme il est trop honnête pour ne pas tenir compagnie à tout le monde et à toute heure, il boit un verre de vin, dont il faut convenir qu'il a un peu besoin… Victor regarde avec plaisir ce tableau touchant; Victor oublie et son amour, et ses projets: tant il est vrai que le sentiment de l'humanité est le seul qui puisse remplir un cœur sensible sans douleur, sans serremens, sans toutes ces affections pénibles qui accompagnent toujours les passions!

Victor, ou L'enfant de la forêt

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