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VIII
LA TANTE.

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Ce n’est pas le tout de s’être convertie, d’avoir, après une résistance de plus d’un quart de siècle, rendu les armes… A qui? A Dieu lui-même; car c’est contre Dieu que l’on s’était révoltée....

Il faut encore expier cette révolte.

Il ne m’appartient pas de blâmer mon prochain. Je sais du reste que bien des pécheurs, en apparence plus scandaleux que moi, peuvent alléguer des circonstances atténuantes auxquelles je n’ai aucun droit.

Il faut d’ailleurs compter avec l’infini variété des caractères.

Il y a des âmes qui, à peine converties, semblent oublier absolument les fautes et les douleurs du passé, pour entrer dans le royaume de la paix inamissible.

«Oh! que le bon Dieu est bon! Oh! que je suis heureux!» ces exclamations ou d’autres analogues se succèdent sur leurs lèvres presque sans interruption...

Bien différent était mon état. spirituel.

Sans doute, je ne cessais de louer et de glorifier Dieu.

Sans doute, au fond, je goûtais bien ce, dont pendant plus de vingt-cinq ans, j’avais été sevrée: la paix.

Mais cette paix, plus raisonnée que sentie, ne m’empêchait pas de souffrir beaucoup et presque constamment… Que j’avais de peine à me consoler de tout le mal que j’avais fait, de tout le bien que j’avais omis… Que d’âmes avaient été perverties par mes livres, l’étaient encore en ce moment, et continueraient de l’être, tant qu’un seul exemplaire de ces écrits empoisonnés continuerait à trouver des lecteurs!

Je fis tout ce qu’humainement il était possible de faire pour supprimer ces œuvres dangereuses… Les bons prêtres qui avaient la direction de ma conscience me disaient que je devais, cela fait, me tenir calme et abandonner le reste à la grande miséricorde de Dieu.

Au nom de la sainte obéissance, j’essayais d’être joyeuse. J’avais de la peine à être seulement résignée.

Jamais, ou presque jamais, toute soumise que je voulusse être aux volontés d’en haut, je ne pus avoir raison de cette tristesse, qui vous avait tant frappé à Évian.–Et, quand vous me vîtes à Évian, il y avait quinze ans passés de ma conversion, quinze ans consacrés à la pénitence et à la charité.

Dieu me garde de me plaindre de cette inconsolable tristesse… Quand on a passé le cœur de sa vie, pour ainsi dire,–de vingt à cinquante–à lutter contre Dieu, quand, malgré cela, Dieu a eu la bonté de solliciter, d’attendre, de provoquer, de mener à bien notre conversion, il serait vraiment trop commode de goûter cette joie et cet abandon, qui sont le partage des âmes fidèles....

Vous vous souvenez que, même avant ma conversion, j’étais le professeur de mes neveux et nièces, petits-neveux et petites-nièces; et, à Saint-Théodule, une sorte de sœur-grise… Ni mes leçons ni mes charités n’avaient un cachet de propagande antireligieuse. Mais ils avaient encore moins le caractère chrétien. Dieu en était absent. Plus les unes et les autres avaient de valeur, plus y éclatait le dévouement d’un cœur généreux, et plus cette absence de Dieu était un vrai scandale.

Je le compris, à la lueur de ma foi renaissante.

Il y avait là une réparation à faire.

Un jour que tous mes élèves–il y en avait de tous les âges et de tous les degrés–étaient, pour je ne sais quel exercice, réunis au grand complet autour de moi,

«Mes enfants, leur dis-je, nous remettrons, si vous le voulez bien, à huitaine le tournoi géographique et grammatical qui devait avoir lieu aujourd’hui, et je vais, à la place, vous dire une histoire vraie et qui, je n’en doute pas, vous intéressera.»

Et me voilà narrant ma propre histoire,

La chose n’était pas des plus faciles. Aussi avais-je prié Dieu de m’inspirer.

Il m’inspira.

Mon jeune auditoire me prêtait une attention religieuse. Et la manière dont deux ou trois des plus grands et l’un des plus petits m’exprimèrent leurs sentiments, me montra que, par cette sorte de confession publique, j’avais bien plutôt monté que baissé dans leur estime.

Quant aux nombreux pauvres que je visitais à Saint Théodule, je ne pouvais les réunir, pour leur faire une semblable déclaration. Cela eût manqué de, simplicité. Mais toutes les fois que je rendais quelques soins à d’anciens clients, je ne manquais pas, sinon à la première visite, du moins à la seconde ou à la troisième, de glisser une phrase comme celle-ci: «Vous savez, père un tel, l’année dernière, je vous avais engagé à être raisonnable, à supporter vos souffrances en homme de cœur… J’étais, l’année dernière, une pauvre femme, aussi folle que criminelle. J’avais la prétention de faire la guerre au bon Dieu. J’en suis bien revenue. Je vous engage maintenant à être toujours docile aux volontés du ciel, et quand vous vous sentirez le cœur malade ou blessé, à venir trouver M. le curé. C’est lui qui a la clé des remèdes de l’âme.»

Ceux et celles à qui je tenais ce langage, ouvraient de grands yeux… Bien souvent, ce qui vaut mieux, ils ouvraient leur cœur à deux battants, pour y laisser entrer le divin Maître.

Quelques personnes s’étonnaient de ces humiliations volontaires, et voulaient m’en faire un mérite.

«Vous vous trompez, leur disais-je.

D’abord, je ne fais que mon devoir par cet acte de réparation.

Ensuite, c’est pour moi un vrai soulagement.

J’ai été si funeste à tant de pauvres âmes! Quel bonheur de penser qu’aujourd’hui j’en édifie quelques-unes!

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