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IX
L’EXIL.–LA MORT
ОглавлениеMa première expiation avait été la tristesse.
La seconde fut l’exil.
C’est pendant cet exil, cher Monsieur, que j’eus le bonheur de vous connaître; et si quelque chose avait été capable de calmer mes douleurs, c’eût été cette amitié in extremis.
J’aimais passionnément mon pays. Tous les ans c’est vrai, je le quittais un mois ou deux, pour promener de par le monde mes jeunes neveux et nièces. Mais je savais que, quand j’y voudrais rentrer, rien ne me serait plus facile.
Cette fois, les portes de la patrie m’étaient fermées.
Le premier siège de Paris, puis la Commune et le second siège nous tinrent à Évian plus de six mois.
Je ne parle pas des embarras d’une installation de rencontre, pour laquelle quelquefois le numéraire me manquait étrangement. Je ne parle pas de cette température sibériaque dont mes soixante-cinq printemps souffrirent plus que je ne puis dire. –Je parle surtout du chagrin patriotique dont tout cœur français était alors pénétré.
Depuis le consulat, il semblait que la victoire et la gloire eussent fait un pacte avec la France. Même les défaites de la fin du premier Empire, même Waterloo, n’étaient à nos yeux infatués que d’insignifiantes exceptions, que de petites taches dans un éblouissant soleil. L’épopée qui va de la campagne d’Égypte à la retraite de Russie demeurera l’une des plus merveilleuses que l’histoire ait jamais enregistrées.
Les époques qui suivirent ne furent pas non plus sans éclat.
La Restauration avait eu l’Espagne, Navarin, Alger; le gouvernement de Juillet, les brillantes luttes contre Abd-el-Kader; le2me Empire, la Crimée, l’Italie, la Chine.
Tout à coup, la scène change. C’est la défaite organisée; et, pour comble de malheur, la République.
En ma qualité de Française, de Française très chauvine, j’étais affligée, humiliée.
Pour nous consoler, vous vous en souvenez peut-être, nous construisions ensemble force châteaux en Espagne.... Nous espérions bien que cette guerre terrible aurait un terme… Et, la guerre finie, si cher que nous eussions payé la paix, la France se relèverait.
Nous avions compté sans la Commune....
Ici, le manuscrit était interrompu.
Au lieu de la suite du récit, il y avait une page blanche, sur laquelle une autre main que celle de Mlle Marceline avait écrit, en gros caractères: Fiat voluntas tua.
Je crus un instant que c’était la conclusion. Mais, au bas de ce recto, il y avait en lettres microscopiques, t. s. v. p. (Tournez, s’il vous plaît).
Il me plut de tourner.
«Monsieur, disait la nouvelle rédactrice, je sais combien ma tante avait de considération pour vous.
Je crois donc entrer dans ses intentions, en ajoutant une sorte de Post-Scriptum à cette «Histoire d’une libre-penseuse: »
Notre chère tante vous disait, il y a deux ou trois pages, le chagrin qu’elle éprouvait, en lisant nos désastres dans les feuilles publiques, de se sentir retenue, par les événements, loin du sol national.
Vous étiez parti, dès l’armistice, vers la fin de février.
Ma tante n’eût pas mieux demandé que d’en faire autant. Mais la Smala que nous étions ne s’ébranle pas sans d’assez longs préparatifs. Et, au moment où, ayant pris toutes nos dispositions pour rentrer à Paris, il ne nous restait plus qu’à partir, deux obstacles tout d’un coup se dressèrent devant nous. Le18mars avait sonné, et la plus vulgaire prudence défendait absolument, surtout à des pères et des mères de famille, d’aller se mettre dans la gueule des animaux féroces qui régnaient à Paris.
D’autre part, ma tante était tombée malader. Sans nous inquiéter précisément, les médecins trouvaient l’état grave et le voyage absolument impossible.
Ma tante, en sa qualité de médecine, avait bien elle aussi, voix au chapitre… du moins quand elle ne battait pas la campagne, ce qui lui arrivait encore assez souvent.
Un jour qu’elle était complètement lucide, elle demanda qu’on nous réunit tous autour d’elle.
Nous étions vingt-cinq, tant adultes qu’enfants, depuis notre oncle, l’abbé Marcel, qui a cinquante ans, jusqu’à la petite Léontine qui va sur ses six mois.
Celle-ci et quelques autres n’étaient convoqués que pour la forme; peut-être afin que, plus tard, on pût leur rappeler ce jour solennel, en leur disant qu’ils y étaient.
Mais tous ceux qui avaient dépassé, la première * communion–nous étions plus de quinze dans cette catégorie,–tous, si j’en juge par moi, ont dû être profondément touchés du. discours de ma tante.
. Ce n’est pas au hasard ni faute d’un meilleur mot que j’emploie ce terme de discours.
Ma tante parlait admirablement bien... Elle avait, toute sa vie, aimé le beau langage, comme elle aimait la belle peinture et la belle musique. Elle était artiste en éloquence, comme dans tout le reste.
Depuis quinze ans qu’elle s’était convertie, toutes ses affections se pliant soudain à la belle loi de la hiérarchie s’étaient, comme d’elles-mêmes, subordonnées à la grande affection, à l’amour de Dieu.
Ma tante se sentait malade, très malade, malade pour mourir.
Généreuse, jusqu’à la fin, elle éprouvait le besoin de rendre un dernier témoignage au Dieu qui l’avait comblée; le besoin, non moins impérieux, de proclamer, une fois de plus, ses fautes, ses crimes, comme elle disait, cette vie abominable, dont la grande moitié avait été employée contre Dieu.
«Mes enfants, nous dit-elle, quand elle se fut assurée que pas un de nous ne manquait à l’appel, remercions d’abord le souverain Bienfaiteur qui veut bien me prêter des forces, pour vous faire mes dernières recommandations.
Vous savez par où je veux commencer; vous savez que, pendant de longues années,–un quart de siècle au moins,–tante Marceline a été une misérable apostate, faisant la guerre au ciel, écrivant des livres toujours dangereux, quand ils n’étaient pas exécrables.
D’où vient cela? Et comment pourrez-vous tous, mes enfants, vous garder d’un semblable malheur, qui n’est, hélas1que trop fréquent.
Je n’étais pas plus méchante qu’une autre, lors de ma triste apostasie.
J’avais même de belles qualités. L’égoisme me faisait horreur.
D’où vint ma déplorale désertion?
De l’orgueil.,
C’est là le grand ennemi.
Avec l’humilité comme gardienne, de moyennes vertus peuvent nous mener au ciel sans encombre.
Là où manque l’humilité, autrement dit là ou règne l’orgueil, même des vertus sublimes sont toujours près d’une chute profonde et honteuse.
Je me livrai à l’étude des sciences, d’abord et surtout, afin de vous être secourable à tous.
Mais à peine eus-je fait ces progrès rapides qui m’attiraient d’universels applaudissements que je me mis à m’adorer moi-même... J’oubliai absolument Dieu,–le Dieu des sciences, comme il s’appelle cependant.
Je ne vis plus que moi: mon intelligence, la finesse et la pénétration de mon esprit, mes succès, les louanges que l’on me prodiguait, la gloire qui me tendait les bras.
De fil en aiguille, je finis par ne plus croire et ne plus priser que les choses qui se pouvaient démontrer, que je pouvais me démontrer à moi-même.
Les vérités du Christianisme, qui sont de l’ordre religieux, moral, historique, me parurent dénuées de toute certitude.
Je les abandonnai aux bonnes femmes et aux petits enfants.
Les écrits déplorables où je consignais mes doutes impies m’obtinrent une telle réputation– sans compter l’argent qu’ils me rapportaient–que je me trouvai engagée… beaucoup plus avant que je n’aurais voulu.
Dans ces régions de l’incrédulité, je fus toujours malheureuse, souvent bourrelée de remords. Jamais je ne pus m’étourdir assez pour faire taire la voix importune qui me redisait: «Tu ne sais pas, après tout, si tu as raison ou tort, en bataillant ainsi contre Dieu. Peut-être es-tu dans le faux, et marches-tu vers d’éternels châtiments.»
Celui qui est la bonté par essence, multiplia autour de moi les occasions et les facilités de retour..... Ma lâcheté–autre variété de l’orgueil, puisque c’est la crainte du blâme et du ridicule– ma lâcheté me retint vingt-cinq ans dans l’armée du mal..... jusqu’au jour où un pauvre garde-champêtre me convertit.
Craignez l’orgueil, mes amis..... C’est le péché diabolique... Soyez humbles, doux, modestes..... N’oubliez pas surtout que le premier des dons, c’est la foi.