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I COMMENT LE MANUSCRIT DE MARCELINE EST TOMBÉ
ENTRE MES MAINS.

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Encore un souvenir de la cruelle guerre de1870-1871.

Quand elle éclata, nous étions à Saint-Gervais, (Haute-Savoie).

Vers la fin d’octobre, le froid nous chassa vers ce que nous croyions être des régions plus tempérées.

Nous nous installâmes sur les bords du lac de Genève, à Evian.

Sauf que nous y fûmes presque gelés, sauf surtout cette angoisse inexprimable dont nos cœurs de Français étaient déchirés, nous nous trouvâmes fort bien à Evian.

Notre petite villa, pour une habitation improvisée, était très suffisamment ample et confortable. Nous y étions en famille. Les naturels du pays, comme aussi les étrangers, compagnons de notre exil, nous faisaient bon visage. Les enfants travaillaient sous la direction des mères et des sœurs aînées. Nous avions une église presque à notre porte.

Enfin le pays est admirable. Et, bien qu’il fût couvert d’un pied de neige pour le moins, la promenade,–la moitié de ma vie,–était très agréable; agréable à ce point que l’on se surprenait à oublier un instant les douleurs et les humiliations de la patrie.

Je trouvais moyen de combiner les deux poursuites–comme disent les Anglais,–qui m’ont valu, dans les diverses étapes de ma carrière, mon double surnom: «Un monsieur qui court toujours» et «Un monsieur qui fait des histoires.»

Je sortais de chez moi, tout transi, bien entendu. Mais, en faisant un petit trot de trois à quatre kilomètres, je me mettais dans un état de bien-être qui eût duré au besoin toute l’après-midi. Soit lorsque je battais la semelle et que je réveillais en passant tous les échos d’alentour, soit lorsque je me contentais de marcher d’un pas rapide et ininterrompu, je courais après une idée: je faisais des histoires. Quelquefois, je m’arrêtais une seconde pour écrire sur les marges de mon Univers deux mots de memento.... Après trois ou quatre heures de marche, je revenais au logis, ayant fait provision de chaleur pour la journée; je m’asseyais à ma table de travail. et j’écrivais ce que j’avais préparé selon la méthode des péripatéticiens.

Je dois dire, pour être fidèle à la vérité, qu’au point de vue purement imaginatif, mes facultés ressemblaient souvent à l’athmosphère: elles étaient glacées. D’ailleurs, comment, au milieu des douleurs publiques, écrire des récits populaires où l’humour joue toujours un rôle important?

De conteur, je devenais donc moraliste; et plus d’un chapitre de ma Société de Saint-Vincent de Paul est sorti de ces fécondes excursions.

Bien que je sois grand partisan de la solitude et du silence, je n’étais pas devenu absolument ours, et, sans compter les relations de famille, je voyais quelques personnes.

L’exil facilite les liaisons. On va ensemble à la poste restante; on lit ensemble les dépêches; on se rencontre à l’arrivée du bateau, à l’église, chez M. le curé; et il naît delà des rapports qui, pour être éphémères,–et encore ne le sont-ils pas toujours, –n’en sont pas moins très doux, dans les tristes circonstances où nous nous trouvions.

Pour n’en citer qu’un exemple, voici la famille de la Mardelle, que nous ne connaissions ni d’Eve ni d’Adam, mais avec laquelle nous nous liâmes presque tout de suite d’une très profonde et très vive amitié. une de ces amitiés que la mort seule dénoue.

Je ne décrirai pas tous les membres de la famille de la Mardelle, notre histoire étant à autre fin.

Il y avait deux ménages, avec chacun quatre ou cinq enfants dont les âges s’étageaient de six mois à dix-huit ans.

Il y avait surtout une tante, qui avait élevé la première génération, et qui contribuait grandement à l’éducation de la seconde.

On l’appelait mademoiselle Marceline.

C’était une intelligence des plus remarquables Très instruite–non seulement en littérature, en histoire, en géographie, mais en latin, en grec, en langues vivante, mais dans la plupart des sciences mathématiques, physiques et naturelles,–elle avait la piété d’un ange, l’active et ingénieuse charité d’une sœur de Saint-Vincent de Paul.

Ame sympathique, s’il en fut, elle aimait, outre ce que j’ai dit, deux des choses que j’aime le plus: la musique et la promenade.

Dès la première rencontre, nous nous sentîmes portés l’un vers l’autre.

Nous échangions des idées et des livres.

Je n’avais qu’un reproche à faire à mademoiselle Marceline.

Son caractère était d’une égalité charmante. Jamais un pli sur son front, ni une expression dans ses yeux qui put désobliger fût-ce le dernier des domestiques. Mais cette sérénité était triste; le sourire lui-même indiquait un cœur navré.

«Quand on aime Dieu, me disais-je, les âmes, les pauvres; quand on a auprès de soi les siens,– elle les avait–n’est-ce pas presque de l’ingratitude envers le souverain Bienfaiteur que cette tristesse obstinée?»

Moi qui affectionne tant les innombrables textes de la Sainte Ecriture relatifs à la joie, j’étais étonné de cette mélancolie. J’en étais affligé, presque scandalisé.

Un jour, je le lui dis, en lui en demandant la cause. Elle ne me répondit pas d’abord, détourna la conversation; et, comme elle vit dans mes yeux que j’avais bien envie d’insister:

«Vous le saurez peut-être un jour,» me dit-elle, d’une voix un peu émue.

Cependant les préliminaires de la paix étant signés, nous quittâmes Evian, pour retourner à Paris.–Après quelques semaines passées dans notre maison des champs, où je faillis avoir la tête emportée par un obus,–cadeau des fédérés, retranchés aux Hautes–Bruyères–après un court campement à Versailles, pour attendre la fin de la Commune, nous nous réinstallions à Sceaux, lorsque, un jour, je reçus un paquet.

Je l’ouvris avec empressement. J’avais reconnu l’écriture de Mlle Marceline; et il me tardait d’avoir des nouvelles de tous ces bons de la Mardelle.–Je n’avais pas entendu parler d’eux depuis la fin de février, et nous étions en juillet.

Le paquet contenait un gros rouleau et une lettre.

Celle-ci était conçue à peu près en ces termes:

«Cher Monsieur, quand vous recevrez ce manuscrit, il y aura quelque temps déjà que j’aurai comparu devant Dieu.

«J’espère beaucoup de sa miséricorde. Mais je sais que j’ai beaucoup à craindre de sa justice.

«Veuillez donc m’accorder le secours de vos prières.

«Vous qui écrivez des histoires, et qui–vous me l’avez dit souvent–aimez surtout celles qui sont vraies et qui prouvent quelque chose, vous trouverez peut-être que la mienne–l’histoire de ma vie–peut faire du bien à plusieurs de ceux qui la liront.

«Il me semble qu’il s’en détache un très précieux enseignement.

«En la lisant, avant de l’arranger un peu–non le fond mais la forme, ce pour quoi je vous donne toute licence–vous verrez bien si j’avais raison d’être triste.

«J’espère que je ne tarderai pas à trouver là-haut la vraie joie. cette joie dont je remercie Dieu de m’avoir sevrée ici-bas. Je m’en étais rendue indigne par mon orgueil et mes infidélités.

«En tout cas, encore une fois, priez pour moi.

«Que vos lecteurs aussi–de fait, les miens– accordent une petite prière à la pauvre orgueilleuse.»

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