Читать книгу Histoire politique et parlementaire des départements de la Charente et de la Charente-Inférieure - Eugène Réveillaud - Страница 20
UNE LETTRE DU Dr GUILLOTIN
ОглавлениеLa Revue de Saintonge et d’Aunis vient de publier (dans sa livraison du 1er octobre 1908) une curieuse lettre inédite du Constituant Guillotin sur la nuit du 4 août. Elle est datée de Versailles, 14 août, et adressée à un Monsieur Porchon de Bonval, à Cametecourt, près Clermont-en-Beauvoisis, qui avait demandé au Docteur Guillotin de lui procurer un passeport:
«Est-ce bien sérieusement, mon ami, que vous me proposez de demander un passeport pour vous? Je crois que non. Les moments de trouble passeront, et nous serons tranquilles. Il en coûtera la vie à quelques lapins, à quelques perdrix; l’effervescence se calmera et tout rentrera dans l’ordre.
«Nous venons de revoir toute la grande besogne de la nuit du 4 au 5 août; elle sera imprimée et envoyée, et le peuple verra que nous sommes bien loin d’autoriser la licence, ou les entreprises sur la propriété d’autrui. Je suis cependant bien de votre avis: tout ceci a été fait trop rapidement et présenté trop cruement; mais comment faire? Ce n’est pas notre faute, mais celle des circonstances. — Cela a pris à ces Messieurs comme une frénésie. Les nobles ont commencé : ils ont offert des sacrifices, pour les ecclésiastiques: la dîme, etc. Les ecclésiastiques ont cru devoir le leur rendre: l’évêque de Chartres a offert le sacrifice de la chasse, etc., et puis, et puis, à qui mieux mieux l’enthousiasme a gagné : prêtres, nobles, provinces, etc.. chacun avait l’air de fouiller dans ses poches pour savoir s’il ne s’y trouvait pas encore quelque chose à sacrifier. Que vouliez-vous que fissent les communes au milieu de cette orgie patriotique? Grand nombre de membres, seigneurs de terres, magistrats, etc., y perdaient aussi; il fallait donc applaudir; et l’on a applaudi; et tout a été fait et conclu. En quatre heures de relevée ce monstre de la féodalité a été terrassé, anéanti. Il avait asservi, ravagé la rance pendant des siècles; il aurait lutté, pendant des mois et des années peut-être, contre sa destruction, dans des séances réglées. Un instant de délire patriotique l’a détruit à jamais; et l’égalité politique, l’égalité civile, ont reparu dans tout leur éclat.
«Certes, mon ami, c’est un grand malheur, sans doute, que les troubles qui agitent les campagnes; mais y eut-il jamais une révolution plus belle et plus heureuse? Consolez-vous donc, mon ami, rassurez-vous! J’espère qu’il vous restera encore quelques lièvres que vous aurez le plaisir de tuer, que nous aurons le plaisir de manger en joie et en santé. C’est ce que je vous souhaite et à moi aussi. En attendant, travaillons à rétablir la paix, et espérons que nous aurons le bonheur d’y parvenir. Je vous assure que nous ne nous épargnerons pas ici pour cela. Nous travaillons comme des galériens, trop heureux si nos travaux sont couronnés de succès.
«GUILLOTIN, D. M.»