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LA CONVOCATION DES ÉTATS GÉNÉRAUX ET LES ASSEMBLÉES DES TROIS ORDRES DANS LES SÉNÉCHAUSSÉES D’ANGOUMOIS, DE SAINTONGE ET D’AUNIS
ОглавлениеPar l’exposé que nous avons fait, dans notre chapitre d’introduction, des mouvements de l’opinion et de l’état des esprits dans notre région, il est facile de comprendre que les provinces d’Aunis, de Saintonge et d’Angoumois étaient des mieux préparées à entrer dans le mouvement de la Révolution française et à s’y associer de toutes leurs forces vives.
La noblesse et la bourgeoisie de nos villes: La Rochelle, Rochefort, Saintes, St-Jean-d’Angély, Pons, Barbezieux, Cognac, Angoulême, La Rochefoucauld, Confolens, étaient de tendance libérale; et, quoique nourries intellectuellement aux écoles sur lesquelles le clergé, ou même les jésuites (plus ou moins masqués depuis l’interdiction de leur compagnie) tenaient leur férule, elles avaient reçu de la philosophie du siècle, pénétrant partout et accueillie avec ferveur par tous les esprits cultivés, comme un contre-poison salutaire qui leur avait rendu l’indépendance de leur jugement et la claire conscience de tout ce qui manquait à la France dans l’ordre de la liberté politique ou religieuse et de l’égalité sociale.
Sans vouloir outrer — comme certains écrivains catholiques sont enclins à le faire de nos jours — le rôle de la franc-maçonnerie dans la préparation et la direction du mouvement révolutionnaire, il n’est pas douteux que les Loges maçonniques y ont contribué pour une part appréciable. Ces Loges, fort à la mode alors, dans les milieux les plus divers, voire les plus aristocratiques — car des princes du sang même, s’y étaient fait affilier — étaient des sortes de conventicules laïques où le voile du mystère et les formes symboliques de l’initiation prêtaient leur couvert et leur attrait à des réunions d’un genre assez particulier. S’inspirant de l’esprit du Déisme anglais et rendant à l’Etre suprême, sous le nom de «Grand Architecte de l’Univers», l’hommage de libres sectateurs, les organisateurs de ces Loges tendaient à former, entre leurs adeptes de tous les rangs sociaux, les liens d’une fraternité égalitaire et d’une indulgente amitié. Notre province était, de toutes les régions de France, celle qui comptait le plus grand nombre et les plus anciennes de ces sociétés . La Rochelle, Rochefort, les îles de Ré et d’Oleron, Tonnay-Charente, Saintes, Marennes, St-Jean-d’Angély, Aulnay, Cognac, Jarnac, Barbezieux, Angoulême, Aigre, Ruffec, Confolens, possédaient des Loges maçonniques en pleine activité . Parmi les noms de francs-maçons qui figureront avec honneur dans cette histoire, pendant la période de la Révolution ou de l’Empire, nous avons pu relever, sur les listes qui ont été publiées, les noms suivants: le duc de la Rochefoucauld, Regnaud (de St-Jean-d’Angély), Augier, aîné, Philippe Augier, Hardy, Olardet, Jacques Delamain, Martell, négociant, Hennessy, négociant, Pelluclion, Destourbes, homme de loi, Bernard, juge, etc. de Cognac; Delamain, Jacques Dupuy, de Jarnac; Le Berton, lieutenant-général en la sénéchaussée et siège présidial de Saintes; Tremblier de Varennes, contrôleur des aides; Barbot, avocat en parlement; Toussaints, imprimeur du roi; Berthus, lieutenant de la maréchaussée; de Lisleferme; dom Devienne, historien de Bordeaux; Dupouy; Ph.-F. Rondeau, jurisconsulte; Guillaud de Sercè, magistrat, président du tribunal civil; Huvet le bénédictin; Briault-Delaage, chef d’état-major ; Pichon-Beaupré, contrôleur de la monnaie, à La Rochelle; Bouisserin; Guérin de la Madeleine; Guionnet-Merville; Rulland, à St-Jean-d’Angély; Havet; Lesueur; Romme, premier professeur de mathématiques des gardes de la marine; Dulaurens, ancien maire de Rochefort; Parat de Mongeron, commissaire de la marine; Gachinard; Orceau, «procureur du roi, du siège et de la prévôté de la marine» ; Barbier de Vouillay; Marchegay l’aîné ; Chicoineau, «religieux augustin, aumônier des vaisseaux du roi» ; Prioleau, contrôleur des domaines , etc., etc.
Encore ces mentions sont-elles très incomplètes, car il s’en faut de beaucoup que les listes des francs-maçons du XVIIIe siècle, gardées aux archives des loges, aient été toutes publiées .
Les protestants, dont tout un siècle d’intolérance et de persécutions depuis la révocation de l’Edit de Nantes (1685), n’avait pas réussi à étouffer la vie et la foi — malgré l’exil contraint ou volontaire de tant de milliers de pasteurs et de fidèles réfugiés sur toutes les plages de l’Europe, de l’Amérique, et même du sud de l’Afrique — formaient aussi un élément choisi, influent et naturellement acquis à la réforme d’un régime dont ils avaient si durement éprouvé les violences et les iniquités.
L’année 1787 avait marqué pour eux l’aube de la tolérance, et aussitôt s’étaient rouverts, à La Rochelle, et dans maintes localités de la Saintonge et de l’Angoumois, sinon des temples, au moins des oratoires ou maisons de prières où ils se réunissaient pour célébrer leur culte, avec la permission secrète du gouverneur et des intendants.
«L’Edit de 1787, écrit Delayant, fut l’objet d’une vive protestation de la part de l’évêque de La Rochelle, mais elle fut combattue par des ecclésiastiques et poursuivie par le pouvoir judiciaire. Cet édit trouva les protestants aussi nombreux et aussi influents que les avait trouvés la révocation de l’édit de Nantes en 1685 .»
Quoi qu’il en soit des causes qui y avaient préparé, plus qu’ailleurs, les esprits à souhaiter un régime de réformes civiles et de libertés politiques et religieuses, il est certain que la «généralité de La Rochelle» fut une des régions où le mouvement de la Révolution devait trouver le plus de concours et le moins de résistance.
Aussi, lorsque — dans la mêlée confuse des doctrines et des idées qui marqua tout le XVIIIe siècle, dans le désarroi universel et la plainte générale contre le mode établi des choses, dans le discrédit de la Cour, des Parlements et des ministres, dans l’ébranlement de toutes les institutions d’un régime dont maints éléments étaient caducs et d’autres en travail d’enfantements nouveaux, devant l’impuissance des ministres successifs à trouver les ressources d’un budget incessamment grugé et dilapidé — lorsque, disons-nous, le mot d’appel aux Etats généraux eut été pour la première fois prononcé il fut aussitôt répété par des milliers et des milliers de voix sur toute l’étendue de la France. Mais nulle part il ne trouva plus d’écho que dans nos trois provinces. Ce fut, en peu de jours, une clameur irrésistible. Chacun, dans tous les rangs ou ordres de la société, y vit la planche de salut, le moyen de sortir de difficultés inextricables et d’empêcher des conflits menaçants.
Une déclaration royale du 16 décembre 1787, avait promis la réunion des Etats Généraux..., dans cinq ans. Mais, devant les protestations générales, et surtout en face des besoins urgents du Trésor, un arrêt du Conseil d’Etat, du 8 août 1788, fixa au 27 avril 1789, l’ouverture des Etats.
Bien qu’une seconde Assemblée des notables, réunie à Versailles le 6 novembre , eût limité le nombre des députés à élire, au chiffre des Etats de l’an 1614; (soit: 144 pour le clergé ; 130 pour la noblesse et 162 pour le tiers), et refusé d’accorder au Tiers-Etat un nombre de représentants supérieur à celui de chacun des deux autres ordres, l’ordonnance royale du 27 décembre, due à Necker, doubla la représentation du tiers, en lui accordant un nombre de députés égal à celui des deux autres ordres réunis.
L’édit. de convocation du 24 janvier 1789, prit pour base électorale la population et les contributions de chaque bailliage et fixa le nombre des députés à 1,200, dont 600 pour le tiers; il maintenait d’ailleurs expressément le vote par ordre.
Le bailliage ou la sénéchaussée était la circonscription électorale commune aux trois ordres.
Etaient électeurs:
Pour le Clergé, tout ecclésiastique tenant bénéfice ou curé de paroisse; en outre les ecclésiastiques sans bénéfice, résidant dans les villes, nommaient un député par 20 votants, pour les représenter à l’assemblée du clergé de bailliage; les communautés régulières avaient droit à un député ;
Pour la noblesse, tout noble possédant fief, les femmes et les mineurs pouvant se faire représenter par des procureurs pris dans leur ordre; aussi, les nobles authentiques et non possessionnés, à la condition d’être Français, âgés de 25 ans, et domiciliés dans le bailliage.
Pour les deux premiers ordres, les électeurs devaient être convoqués individuellement par assignation d’huissier. Les électeurs du Tiers-Etat n’étaient convoqués que collectivement, par affiches. Ils comprenaient:
1° Les habitants des paroisses rurales, Français, âgés de 25 ans, inscrits au rôle des tailles, assemblés devant le juge ou tout autre officier public du lieu; ils envoyaient à l’assemblée du bailliage un député par deux cent feux, et un député par chaque cent feux au dessus.
2° Les membres des corporations d’arts et métiers des villes, Français, âgés de 25 ans, qui nommaient un député par cent votants;
3° Les membres des corporations d’arts libéraux et les gros négociants des villes, qui avaient droit à deux députés par cent votants;
4° Les autres habitants des villes, Français, âgés de 25 ans, et inscrits au rôle de la capitation, qui nommaient deux députés par cent votants.
Dans ces assemblées primaires du tiers, le vote se faisait à haute voix.
Les quatres séries des députés des villes se réunissaient à nouveau en assemblée du tiers-état de la ville, et choisissaient les députés à l’assemblée du bailliage, ou de la sénéchaussée, qui comprenait ainsi: les élus directs du clergé, les élus directs de la noblesse, les élus du premier degré des habitants des paroisses et les élus du second degré des corporations et des habitants des villes.
Chacun des trois ordres, réunis au bailliage, ou à la sénéchaussée, élisait séparément ses députés au scrutin secret, à la pluralité des voix, et par tête non par liste. Beaucoup de bailliages nommèrent aussi des suppléants; un règlement du 3 mai 1789, pour prévenir tout abus, interdit aux suppléants de siéger, sauf décès ou démission du titulaire.
Les députés avaient droit à une indemnité de dix-huit livres par jour.
Dans le tableau général inséré à la fin du règlement du 24 janvier 1789, portant convocation des Etats généraux, les sénéchaussées et bailliages d’Aunis, de Saintonge et d’Angoumois étaient classés de la manière suivante:
En dressant les tableaux annexés au règlement, on avait commis toutes sortes de méprises: on avait méconnu la qualité, la population, les limites de beaucoup de bailliages. Il fallut donc opérer des rectifications. Il en fallut une notamment pour le ressort d’Angoulême où l’une de ces erreurs s’était produite .
La publication du règlement royal s’effectua dans la sénéchaussée d’Angoumois comprenant les deux bailliages d’Angoulême et de Cognac, par une ordonnance rendue, sous la date du 14 février 1789, par «messire Pierre de Lageard, comte de Clerval, sénéchal d’Angoumois » et adressée «aux maires, échevins, syndics, fabriciens, consuls, préposés et autres, représentant les villes, bourgs, paroisses et communautés du ressort ».
Après diverses réunions préparatoires des corporations ou corps de métiers — comme celle qui se tint, le 25 février 1789, «en la chambre du conseil de la sénéchaussée et siège présidial d’Angoumois », et où les membres présents, entr’autres: «Messieurs Pierre de la Grésille, François Bourdin, Pierre Souchet, Pierre-François Thevet, André Arnaud et Maulde de l’Oisellerie, conseillers; Couturier du Chasselard, avocat du roi, et André Resnier, greffier en chef» procédèrent à la nomination des députés qui devaient comparaître à l’assemblée générale indiquée pour le 5 mars, «à l’effet de rédiger le cahier des plaintes et remontrances communes», — cette assemblée se tint, au jour fixé, c’est-à-dire le 5 mars, à Angoulême, en la salle des révérends pères Cordeliers . Tous les représentants des corporations, administratives ou bourgeoises, des communautés ou corps de métiers de la ville d’Angoulême, là réunis, au nombre de cinquante-cinq, déclarèrent que «s’étant rendus en la présente assemblée, ils vont s’occuper, en premier lieu, de la rédaction de leur cahier.» Il s’agissait d’un cahier d’ensemble, car il résulte du procès-verbal que les représentants des corporations avaient apporté divers cahiers rédigés dans les assemblées préparatoires qui les avaient nommés. Pour les examiner et les réduire à un seul, six commissaires furent nommés: MM. Brun, lieutenant de maire, de la Grésille, conseiller au présidial, Roy, avocat, Henry de Villarmain, Sazerac de Forges, Robin, échevin.
Après deux journées employées à recevoir et à lire ces cahiers, deux autres journées consacrées à les réduire en un seul, l’assemblée, de nouveau réunie, entendit la lecture du cahier et l’approuva sous quelques modifications.
On procèda ensuite à la désignation des députés qui devaient porter ce cahier à l’assemblée générale indiquée par M. le sénéchal pour la nomination des députés aux Etats généraux et représenter à cette assemblée le tiers-état de la ville d’Angoulême .
Partout, les choses se passèrent de pareille façon. L’assemblée préliminaire du tiers-état, de la ville et sénéchaussée de Cognac se tint en cette ville, le 7 mars, «en la salle capitulaire des Pères Recollets, d’après une convocation faite en la manière ordinaire, au son de la cloche». Le président de l’assemblée est messire Louis Fé, «écuyer, seigneur de Sègeville, conseiller du roi, lieutenant général de M. le sénéchal d’Angoumois en la sénéchaussée de Cognac» .
Comme à Angoulême, le but de cette assemblée était de réduire à un seul tous les cahiers présentés par les paroisses et communautés de la sénéchaussée de Cognac, et de procéder à la désignation d’un quart d’entre les représentants pour assister, en y portant deux cahiers, à l’assemblée générale des trois ordres, qui devait se tenir à Angoulême le 16 mars suivant, et y représenter le Tiers-Etat de la sénéchaussée. Les délégués choisis à cet effet, à la pluralité des suffrages, furent: MM. Augier jeune, de Jarnac; de Bellair, Broussard de Fontmarais, Bouteleau, notaire, Phelipot, Foucaud, Gabeloteau, Bonin, Tondut, Caminade, Hardy, Dupuy fils, Paul Poirier de la Pommeraie, Robin le jeune, procureur, Landard, Babin et Chauvin. La ville de Jarnac, chef-lieu d’un comté comprenant dix-sept paroisses de la généralité de la Rochelle, se réunit sous la présidence du sieur Cauroy, avocat au parlement, juge sénéchal criminel, gruyer et de police dudit lieu; son procès verbal contient 75 signatures sur 140 électeurs; les députés qu’elle élit sont: MM. Delamain, Demontis, Gaboriau, George et Ranson .
La ville de La Rochefoucauld, chef-lieu d’un duché-pairie, nomme pour députés, MM. Michel-Pierre Marchais, médecin, Pierre Léchelle, avocat, Pierre Albert l’aîné, notaire, Jean Marchais, assesseur. La ville de Monthron, chef-lieu d’un comté, élit MM. Naud, Bérthommé de la Vue, Devars, Marchadier (330 feux, 42 signatures).
La ville de Marthon a pour députés, MM. Elie-Léonard Planty, Etienne Gignac, maître en chirurgie (103 feux, 10 signatures).
La ville de Verteuil prend soin d’indiquer qu’elle est de la généralité de Limoges, de l’élection d’Angoulême, du diocèse de Poitiers. Elle nomme pour députés: MM. Deux-Desprès l’aîné, Bourbeaud, Coyteux et Bourgois (272 feux, 41 signatures).
Le 9 mars 1789, «les habitants de Confolens âgés d’au moins 25 ans, compris au rôle des impositions de la ville, convoqués au son de la cloche en la manière accoutumée, se réunirent, au nombre de 90, sous la présidence de Jean Dubois du Mas-du-Puy, avocat en parlement, juge sénéchal civil, criminel, gruyer, voyer et de police de la sénéchaussée, de la ville et comté de Confolens, pour obéir aux ordres du roi portés par ses lettres données à Versailles le 24 janvier 1789, pour la convocation et tenue des Etats-Généraux du royaume, rédiger en conséquence leurs cahiers de doléances, plaintes et remontrances, et nommer les députés chargés de porter ledit cahier à l’assemblée indiquée pour le 11 du même mois, devant M. le lieutenant général d’Angoumois, y proposer, remontrer, aviser et commenter tout ce qui peut concerner le bien de l’Etat, la réforme des abus, l’établissement d’un ordre fixe et durable dans toutes les parties de l’administration, la prospérité générale du royaume et le bien de tous et de chacun des sujets de Sa Majesté.»
Les députés élus par l’assemblée de Confolens furent: MM. Pougeard-Dulimbert, avocat; Mémineau, notaire royal, le vénérable de la Loge dont il a été question plus haut; Duboys, avocat et juge sénéchal; Babaud de Praisnaud, bourgeois, et Babaud de Lacroze, avocat .
Toutes les réunions préparatoires dont il vient d’être question, et celles qui se tinrent à Angoulême, les 11, 12, 13 et 14 mars, pour la rédaction des cahiers de district et la désignation du quart d’entre les représentants qui devaient, comme électeurs définitifs, prendre part à l’assemblée générale des trois ordres, eurent leur couronnement pour tout l’Angoumois, dans l’Assemblée générale des trois ordres qui se tint le 16 mars, à Angoulême, avec une solennité particulière. Ce jour-là, le sénéchal d’Angoumois, magistrat de robe et d’épée, assiste de M. le lieutenant-général, de M. le procureur du roi, ayant avec lui son greffier en chef, «se rendit en voiture, précédé de ses huissiers, dans l’église cathédrale de St-Pierre d’Angoulême, et après que la messe du Saint-Esprit, en vue d’obtenir ses grâces et ses lumières, eut été célébrée par le seigneur évêque de ce diocèse, à laquelle se sont trouvés Messieurs des trois ordres de la province, M. le président adressa à l’assemblée un discours relatif aux circonstances qui occasionnent cette réunion générale: «Ce jour, dit M. le sénéchal, n’est que l’aurore d’un jour plus brillant, qui réunira les représentants de la nation pour la réforme des abus d’une constitution imparfaite.»
Après lui, M. le Musnier, lieutenant général et M. de Ronsenac, procureur du roi, prennent à leur tour la parole .
Lecture faite ensuite des lettres et ordonnances relatives à la convocation, le premier huissier de la sénéchaussée procède à l’appel des membres du clergé et des communautés religieuses. C’est par cet appel que se termine la séance du 16 mars.
Le lendemain, en la même église de St-Pierre, M. le sénéchal fait procéder à l’appel des membres de la noblesse. Comme il avait été fait, la veille, pour le clergé, le défaut de comparution de quelques-uns des membres, qui n’avaient point constitué de mandataires, ou qui ne se présentaient point en personne, est constaté.
Dans la séance du 18 mars, MM. les députés du tiers-état de la sénéchaussée d’Angoulême et de celle de Cognac se présentent à leur tour pour répondre à l’appel fait par le premier huissier sur l’ordre de M. le sénéchal; mais ils se trouvent réduits au quart du nombre total des représentants nommés par les paroisses et communautés, par suite des délibérations ci-dessus relatées et qui ont été prises dans les assemblées préliminaires de Cognac et d’Angoulême .
Sur réquisitoire du procureur du roi, le sénéchal donne acte à messieurs des trois ordres du serment par eux fait, «la main mise sur la poitrine» pour messieurs du clergé, «la main droite levée» pour messieurs de la noblesse et du tiers-état, de «procéder fidèlement à la rédaction du cahier général et à la nomination de leurs députés» .
Après cette cérémonie, les trois ordres se séparent pour délibérer en leurs locaux respectifs et ne se dispersent qu’après avoir mis la dernière main à la rédaction de leurs cahiers et procédé à l’élection de leurs députés aux Etats-Généraux.
Nous reviendrons plus loin sur le contenu des cahiers pour les trois provinces. Quant aux opérations électorales, elles occupèrent dans les trois ordres plus d’une séance; et ce fut seulement le 2 avril qu’eut lieu, dans l’église cathédrale d’Angoulême, la réunion finale des trois ordres où il fut donné lecture des procès-verbaux rédigés dans les réunions particulières, et où les élus prêtèrent serment de bien et fidèlement remplir les fonctions de députés aux Etats-Généraux.
Voici les noms des élus pour le bailliage d’Angoumois:
Députés du Clergé : Mgr. Philippe-François d’Albignac de Castelnau, évêque d’Angoulême. M. Joubert, curé de St-Martin d’Angoulême. Et, — sur le vœu «qu’un troisième député du clergé soit adjoint aux deux députés qui sont à nommer conformément au règlement» —, M. l’abbé Hérault, chanoine de St-Pierre d’Angoulême, fut désigné pour être, éventuellement, ce député supplémentaire, mais «qui ne doit siéger aux Etats-Généraux qu’autant qu’il aura été agréé par l’autorité souveraine».
Députés de la noblesse: M. Claude-Anne, marquis de Saint-Simon, lieutenant général des armées du roi , et M. Alexandre-Louis, comte de Culant, chevalier de St-Louis, résidant à Saint-Même près Châteauneuf .
Députés du Tiers-Etat: M. Etienne Augier, négociant d’eau-de-vie à Cognac ; Jean Marchais, avocat en parlement, juge assesseur du duché de La Rochefoucauld ; Antoine-Joseph Roy, avocat exerçant à Angoulême ; François Pougeard-Dulimbert, avocat à Confolens .
Dans le même temps que l’Angoumois, la sénéchaussée de La Rochelle et les deux sénéchaussées de Saintes et de Saint-Jean-d’Angély étaient en plein travail d’organisation électorale, les convocations particulières des corps administratifs ou bourgeois, des corporations ou corps de métiers, des communautés ou paroisses, fonctionnant partout, comme nous venons de le voir pour les bailliages d’Angoumois, en vue de recueillir les vœux et doléances des trois ordres et de rédiger les cahiers dont seraient chargés les députés aux Etats-Généraux.
Il convient de noter, avec tous les annalistes du temps, que ces opérations se firent au milieu d’un hiver si rigoureux qu’on n’en avait pas vu de pareil depuis quatre-vingts ans . La rigueur de la température, en suspendant tous les travaux, concentra l’activité nationale sur les grands intérêts politiques du pays.
Dès les premiers jours de février, les électeurs des trois ordres, convoqués par sénéchaussée ou par bailliage, se réunirent: pour l’Aunis, à l’échevinage de La Rochelle, pour les deux sénéchaussées de Saintonge, à l’hôtel de ville de Saintes et au couvent des Jacobins de St-Jean-d’Angély, et demeurèrent en permanence jusqu’à la fin de mars.
Pendant toute la session électorale l’affluence fut grande à chacune de ces assemblées, tant les esprits s’intéressaient vivement aux questions qui y étaient débattues. La présence des électeurs, venus directement de leurs châteaux ou «logis nobles», s’il s’agissait de la noblesse, de leurs menses ou presbytères s’il s’agissait du clergé, ou délégués par leurs corporations, communautés ou métiers, s’il s’agissait du tiers-état, — excitait partout le plus vif enthousiasme .
L’affaire la plus importante de ces assemblées électorales n’était pas d’élire les députés, qui devaient représenter les trois ordres de chaque sénéchaussée aux Etats-Généraux; c’était, nous l’avons vu déjà, de consigner dans les cahiers qui devaient être remis aux députés, les doléances et les vœux de la province, afin de faire parvenir jusqu’au trône la connaissance des besoins et des espérances du pays . Nous dirons au chapitre suivant, quels étaient, sur toutes les questions qui préoccupaient alors les esprits, les vues et les désirs des trois ordres de nos provinces.
La publication du réglement royal de convocation s’était effectuée dans toute l’étendue de la sénéchaussée de Saintonge, le 20février.
Les jours suivants, l’ordre de la Noblesse se réunit à Saintes pour préparer son cahier en vue de l’assemblée générale fixée au 16 mars. Son premier acte, renouvelé de la séance du 5 février, fut une déclaration unanime de contribuer, comme le Tiers-Etat, aux impositions foncières.
Reçu au parlement de Bordeaux dans sa charge de grand sénéchal de Saintonge dès le mois d’août 1753, le marquis de Nieuil avait négligé de se faire installer officiellement au présidial de Saintes; son installation eut lieu à l’audience du 5 mars .
Le 16 mars, à 8 heures du matin, les trois ordres entendent la messe du Saint-Esprit dans l’église des Dominicains; de là ils se rendent au Palais, approprié pour la solennité. A la droite du sénéchal se range le Clergé, à sa gauche la Noblesse, en face de lui le Tiers-Etat. On fait l’appel de tous les membres convoqués. Chacun de ceux qui assistent à la séance jure fidélité au roi et prête serment de procéder avec loyauté aux opérations électorales. Le sénéchal donne acte aux comparants de leur présence et prononce défaut contre les absents.
Après la lecture de la lettre et du règlement de Sa Majesté, le marquis de Nieuil, grand sénéchal de Saintonge, prononce un discours en prenant pour texte les préoccupations du moment. Il passe en revue, sous toutes les formes, la situation fâcheuse du pays; mais il lui oppose «les sentiments tendres et généreux du Roi à l’égard de ses peuples», et il place sa confiance dans «l’union de tous les citoyens pour ramener la prospérité, pour concourir à la gloire de l’Etat».
Ces paroles, malgré leur banalité, sont vivement applaudies.
Vient le duc de La Rochefoucauld . Son discours, plein d’habileté, semble fait en vue de sa candidature à la députation. Il remercie, d’abord, la province de la confiance qu’elle a placée en lui à toutes les époques, et récemment encore en le priant d’appuyer auprès de Sa Majesté le vœu qu’elle a présenté en faveur de la constitution de ses Etats provinciaux. Il donne sur ce point les espérances les plus flatteuses; il rend compte de l’impression favorable qu’a produite à Paris et à la Cour «l’entente parfaite qui règne entre les trois Ordres». S’il est «un titre dont il se fasse toujours honneur, c’est celui de gentilhomme saintongeais» ; il se dévoue donc tout entier «au service de ses compatriotes èt à l’accomplissement de leurs vœux les plus chers».
De chaleureuses démonstrations, là encore, accueillirent ce discours.
Les trois Ordres se séparèrent ensuite pour élaborer, dans leurs réunions particulières, le grand travail des cahiers et procéder à l’élection de leurs députés.
Le corps de la Noblesse tint ses séances dans la salle d’exercices du Collège, depuis le 17 mars jusqu’au 26. Son premier soin fut de composer son bureau. Il choisit pour président le marquis d’Aiguières ; pour commissaires: le comte de Livenne, le comte de Brémond d’Ars, le vicomte de Turpin de Jouhé, le vicomte du Mesnil-Simon ; et pour secrétaires: le comte de Blois de Roussillon et le vicomte de Saint-Légier.
Immédiatement après, la Noblesse envoya une députation officielle complimenter les deux autres Ordres.
La séance du 17 fut signalée par l’arrivée du baron de Bonnefoy, député de la Noblesse du Bas-Angoumois , qui donna connaissance à l’assemblée d’un mémoire dans lequel ses trois Ordres de ce pays demandaient l’annexion de leur territoire aux Etats provinciaux de la Saintonge.
Le 24, le cahier de la Noblesse était achevé et adopté dans son ensemble.
Le lendemain commencèrent les opérations électorales, les scrutateurs étant le comte de Vaudreuil et M. du Pérou. Au premier tour de scrutin, aucun des gentilshommes n’ayant obtenu la majorité des suffrages, il fallut renvoyer la séance au jour suivant. Le 26, le second tour de scrutin mit en balance MM. de Richier et de la Tour du Pin; au troisième, M. de Richier l’emporta .
Le même soir, à 6 heures, on reprit les opérations. La nomination du second député exigea un nombre égal de tours de scrutin; c’est seulement au troisième tour que le comte de la Tour du Pin fut élu . Son compétiteur avait été le comte Pierre de Bremond d’Ars .
Des opérations et compétitions analogues avaient eu lieu dans les deux autres Ordres, que nous ne reproduirons pas en détail pour ne pas allonger. Le 27, les trois Ordres, ayant terminé leurs travaux particuliers, se rassemblèrent de nouveau au Palais royal. Dans cette seconde réunion générale, le grand sénéchal reçut le serment des huit députés que la sénéchaussée de Saintonge envoyait aux Etats du royaume. Chacun jura de remplir fidèlement le mandat qui lui avait été imposé par ses commettants.
Voici les noms de ces députés:
Pour le Clergé. — 1° Bernard-Labrousse de Beauregard, prieur-curé de Champagnolles, de l’ordre de Chancelade ; — 2° Pierre-Louis de La Rochefoucauld-Bayers, évêque de Saintes .
Pour la Noblesse. — 1° Jacques-Raymond de Richier de La Roche-longchamps, demeurant à Marennes; — 2° Jean-Frédéric, comte de la Tour-du-Pin-Gouvernet, lieutenant général et commandant en chef pour le roi dans les provinces de Saintonge, Aunis et Poitou.
Pour le Tiers-Etat. — 1° Pierre-Isaac Garesché, négociant à Marennes ; — 2° Jean-Nicolas Lemercier, conseiller du roi, président, lieutenant-criminel de la sénéchaussée et siège présidial de Saintes ; — 3° Philippe Augier, négociant, demeurant à Tonnay-Charente ; — 4° Ratier, avocat, demeurant à Cercoux, près Montlieu .
Un discours du sénéchal termina la séance.
Au mois d’août suivant, la noblesse de Saintes fut de nouveau convoquée, en vertu d’un règlement royal en date du 27 juin, pour procéder à la révocation des mandats impératifs donnés à ses députés et pour élire des députés suppléants . Les suffrages se portèrent sur le comte Pierre de Bremond d’Ars et sur le vicomte Turpin de Jouhé. M. de Bremond d’Ars devait remplacer à l’Assemblée constituante le comte de La Tour du Pin, appelé au ministère de la guerre.
Nous avons dit, dans notre chapitre d’Introduction, que, lors de la manifestation de Saintes au sujet des Etats provinciaux, Saint-Jean-d’Angély avait refusé de se réunir à la capitale de la Saintonge.
Siège d’un ressort particulier, entendant se constituer des Etats pour elle-même et pour le territoire soumis à sa juridiction, ses titres à une représentation particulière avaient été reconnus par la Cour, puisque, dans le tableau réglementaire des convocations que nous avons reproduit, sa sénéchaussée était inscrite comme «ayant acquis la députation directe depuis 1614».
Saint-Jean-d’Angély eut donc ses convocations particulières et des assemblées spéciales. Nous ne reviendrons pas sur celles de ces réunions où s’agitèrent surtout, sur la question des Etats provinciaux, ces prétentions d’ériger la sénéchaussée de Saint-Jean-d’Angély en Etats particuliers «sur le modèle de ceux du Dauphiné » . Arrivons aux assemblées qui eurent proprement pour objet les Etats-Généraux.
Le 16 mars, les représentants des trois Ordres, dûment convoqués par assignations particulières, se réunirent à St-Jean-d’Angély, dans l’église des Dominicains, sous la présidence du lieutenant général, «par suite, — est-il dit au procès-verbal, — de l’absence du bailli de la sénéchaussée, M. le marquis de Nieuil».
Les sept jours suivants, du 17 au 23, furent consacrés aux réunions particulières de chaque Ordre et employés à la rédaction des cahiers. Le Clergé fit choix pour son président, de Jacques Mallat, curé de Puy-du-Lac; la Noblesse, du marquis de Saint-Mandé ; le Tiers-Etat, de M. de Bonnegens. Commissaires, secrétaires et scrutateurs furent également désignés.
La Noblesse, retirée au chapitre de l’abbaye, s’occupa, le 23, d’élire son député. Au premier tour de scrutin, aucun gentilhomme n’atteignit la moitié des suffrages; le plus grand nombre s’étaient portés sur MM. de Charras et de Beauchamps, qui luttèrent ensemble au second tour. C’est le troisième qui assura le triomphe de M. de Beauchamps . Celui-ci remercia vivement l’assemblée de l’honneur insigne qu’elle voulait bien lui faire; mais, argüant du mauvais état de sa santé, il la pria de lui adjoindre un suppléant. Le marquis de Charras et M. de Sainte-Mesme entrèrent en lice; tous deux obtinrent un nombre égal de voix, mais le premier avait sur son compétiteur le bénéfice de l’âge et il fut élu.
Le 24, les trois Ordres se réunirent de nouveau en assemblée générale pour la réception du serment des députés aux Etats-Généraux. Avaient été élus, en cette qualité :
Clergé. — Simon Landreau, curé de la paroisse de Moragne.
Noblesse . — Charles-Grégoire de Beauchamps, seigneur de Grandfief et de Champfleury, demeurant à St-Jean-d’Angély.
Tiers-Etat. — 1° Jean-Joseph De Bonnegens, conseiller du Roi, lieutenant-général de la sénéchaussée de Saintonge séante à Saint-Jean-d’Angély, demeurant en ladite ville ; — 2° Michel-Louis-Etienne Regnaud, avocat en parlement et en la sénéchaussée de Saintonge séante à St-Jean-d’Angély, demeurant en ladite ville .
Ces opérations électorales ne s’étaient pas accomplies sans provoquer des cabales, des conflits et des protestations.
D’une part, en effet, l’ordre du Clergé, en élisant comme président un simple curé de village, avait repoussé les prétentions de Dom Benoît Lemaire qui, comme fondé de pouvoirs de l’évêque de Limoges, abbé commendataire de l’abbaye de Saint-Jean-d’Angély, avait réclamé cette présidence comme un droit, et avait écarté de même la candidature de l’abbé de Luchet, grand archidiacre et vicaire général du diocèse, abbé commendataire de l’abbaye royale de Modion.
D’autre part, dans l’ordre du Tiers-Etat, on avait écarté de même la candidature du maire de Saint-Jean-d’Angély, Valentin, suspect de complaisance pour l’ancien régime (il avait acheté l’office de maire) et les partisans de celui-ci avaient accusé leurs adversaires et notamment les officiers de la sénéchaussée: le conseiller De Bonnegens d’Aumont, l’avocat du roi Normand d’Authon, l’avocat Duret, etc., «d’employer les intrigues les plus basses» et même «de violer la loi» pour «faire triompher leur coalition». Ce fut même là l’origine et le commencement des conflits qui, pendant les premières années de la Révolution, mirent aux prises, à Saint-Jean-d’Angély, le «parti Normand» et le «parti Valentin» et qui provoquèrent une véritable guerre de factums et de pamphlets .
Mais enfin, les mécontents eux-mêmes durent s’incliner devant les résultats acquis. Le 24 mars, les députés élus des trois Ordres prêtèrent serment entre les mains de M. Larade, lieutenant particulier, (remplaçant M. De Bonnegens comme président) et jurèrent de «bien, fidèlement et en conscience, s’acquitter des devoirs de la députation dont ils étaient chargés.» .
La lettre du duc de La Rochefoucauld à M. de Châtel-Aillon au sujet de la réunion de l’Aunis aux Etats de Saintonge n’avait pas eu plus de succès que la demande adressée à Saint-Jean-d’Angély. La Noblesse de La Rochelle, dans ses assemblées des 21 et 27 février, avait déclaré refuser toute annexion avec la Saintonge et voté l’établissement d’Etats particuliers pour l’Aunis.
Le règlement royal avait d’ailleurs accordé au chef-lieu de l’Aunis une représentation particulière; mais comme ce règlement n’attribuait qu’une seule députation à cette province, la plus petite du royaume, l’Ordre de la Noblesse rédigea à cette occasion une adresse au gouvernement dans laquelle il exprimait le regret de n’avoir pas été mieux partagé, exposant que, aux Etats de 1614, alors que la ville et le port de Rochefort n’existaient point, La Rochelle avait eu quatre représentants. La requête se terminait par la demande de deux députations.
Rochefort, dé son côté, sollicitait avec instance la députation directe. Cette ville appuyait principalement sa prétention sur ce qu’elle était le siège d’une justice royale.
Mais toutes ces réclamations demeurèrent sans effet.
L’assemblée générale des trois Ordres s’ouvrit le 16 mars, à La Rochelle, dans la grande salle du Palais royal, sous la présidence du sénéchal, M. de Saint-Marsault, comte de Châtel-Aillon. L’appel nominatif dura trois jours consécutifs, les 16, 17 et 18 mars.
A partir du 19, chaque Ordre, réuni dans le local qui lui avait été assigné prépara ses cahiers et nomma ses députés.
Les commissaires de la Noblesse furent: MM. Goguet de Gallerande, de Chassiron, de Chambon, Rougier, Cacqueray de Valmenier, Baudouin de La Noue, Froger et Griffon de Romagné ; les secrétaires : le vicomte de Malartic et M. de Longchamps .
Un incident assez significatif marqua ces réunions de l’Ordre de la Noblesse d’Aunis.
Un gentilhomme, M. Charlot de la Grandville, intendant-ordonnateur de la marine à Rochefort, s’était fait représenter à cette assemblée par un M. Orceau, procureur du roi à Rochefort, qui n’avait de quartiers que de roture. Orceau siégeait, depuis quelques jours, avec les députés de sa ville, lorsque la noblesse de la sénéchaussée de La Rochelle s’avisa de trouver malséant qu’un gentilhomme fût représenté par un roturier. Il convient d’ajouter que, ce gentilhomme étant un intendant, les dispositions d’une assemblée provinciale ne devaient guère lui être favorables, par suite de l’opposition, déjà signalée par nous, que l’opinion publique dans les provinces manifestait contre tout le personnel et contre l’institution même des généralités. Quoiqu’il en soit, le sénéchal de La Rochelle, président du corps électoral, partageant ce scrupule, rendit une ordonnance portant que l’intendant de Rochefort n’avait pu transmettre son mandat à un homme d’une condition inférieure à la sienne, et qu’en conséquence Orceau ne pouvait prendre part aux travaux de l’assemblée.
M. Orceau protesta contre l’ordonnance du sénéchal, et voulut continuer à siéger; mais l’opposition qu’il rencontra, la menace qui lui fut faite que «son insistance ridicule» entraînerait la dissolution de l’Assemblée, le décidèrent à se retirer. Les autres envoyés de Rochefort suivirent l’exemple de leur collègue et, après avoir refusé de concourir sans lui aux opérations qui allaient avoir lieu, ils déclarèrent qu’ils protesteraient contre toute délibération qui serait prise avant que la Cour eût réglé le différend. On ne tint aucun compte de ces observations, et l’assemblée touchait au terme de sa session, quand parut, le 28 mars 1789, un arrêt du Roi en son conseil, portant que «la liberté des suffrages excluait toute distinction de rangs et de titres» et reconnaissant à tout membre, à quelque ordre qu’il appartînt, le droit de se faire représenter, en cas d’empêchement constaté . Il était enjoint conséquemment au sénéchal de La Rochelle d’admettre à l’assemblée le sieur Orceau avec les autres députés du bailliage de Rochefort, afin qu’il pût remplir son mandat électoral. Quant à la rédaction des cahiers, comme il était trop tard pour l’annuler, les députés de Rochefort furent autorisés à rédiger séparément le cahier de leur bailliage à la suite de celui de La Rochelle .
Le 26 mars, l’Ordre de la Noblesse avait arrêté définitivement son cahier, discuté les termes du mandat impératif qu’il devait remettre à son député aux Etats-Généraux et nommé M. de Malartic en cette qualité, avec M. Ancelin de Saint-Quentin comme suppléant.
Les autres Ordres ayant également rédigé leurs cahiers et fait choix de leurs députés, la représentation de la sénéchaussée de La Rochelle se trouva composée comme suit:
Clergé. — Charles-J.-B. Pinelières, prêtre, docteur en théologie, curé de la ville et paroisse de Saint-Martin, île de Rhé ;
Suppléant: Deleutre, curé d’Aytré.
Noblesse. — Le vicomte de Malartic, lieutenant-colonel, chevalier de Saint-Louis ;
Suppléant: Ancelin de Chambon de Saint-Quentin.
Tiers-Etat. — 1° Pierre-Etienne-Lazare Griffon de Romagné , et 2° Charles-Jean Alquier , premier avocat du roi en la sénéchaussée et siège présidial, procureur du roi au bureau des finances, maire et colonel de la ville de La Rochelle;
Suppléants: Boutet, capitaine de navire à Saint-Martin, île de Rhé ; Ruamps, officier garde-côtes à Mauzé.
NOTES ET DOCUMENTS
Sous le titre: Archives de l’Ouest, Antonin Proust a publié un «recueil de documents sur l’histoire de la Révolution dans l’Ouest» dont la Série A, N° II, est consacrées aux opérations électorales de 1789 en Aunis, Saintonge et Angoumois. Nous en extrayons les pièces ou fragments suivants qui montreront l’impopularité de l’administration des intendants et de leurs délégués et subdélégués dans ces trois provinces:
LETTRE DE M. SAVARY, SUBDÉLÉGUÉ D’ALIGRE (Marans) A MONSIEUR L’INTENDANT DE LA ROCHELLE (du 5 mars 1789):
Extrait:....
«Le sieur Kermau, marchand, et Rousseing, deux cabalistes, se trouvant, aujourd’hui 5 mars à l’assemblée de cette ville, concluent à ce que l’assemblée d’Aligre soit déclarée nulle qu’il en soit refait une autre, et que je sois, comme subdélégué, exclu de la réunion des députés.
«A çe mot de subdélégué, d’autres voix s’élèvent, qui crient indécemment: «Point d’intendants! point de délégués dans nos assemblées! Leur influence nous serait préjudiciable!
«En vain j’invoque le réglement et l’ordonnance du grand sénéchal pour prouver que l’assemblée d’Aligre est régulière;.... en vain je démontre que le règlement n’exclut point les subdélégués; tout est inutile. Après des clabaudages indécents contre les subdélégués et les ingénieurs des ponts-et-chaussées, on me force jusque dans les derniers retranchements et, pour apaiser tous les murmures, on me force de déclarer que je m’en tiens a la qualité de citoyen et que j’abdique dans cet instant la qualité de subdélégué. Tout est tranquille alors. Cependant M. le procureur du roi conclut... que les habitants d’Aligre seront tenus de s’assembler de nouveau; et, attendu que les subdélégués pourraient nuire aux délibérations, gêner les votants, il conclut à ce qu’ils soient èxclus de l’assemblée générale. M. Griffon, président de l’assemblée, prononce en conformité, et, après avoir dit que mon influence pourrait nuire en qualité de subdélégué, il ordonne que je serai tenu de m’abstenir d’assister à l’Assemblée... Je vais protester contre un jugement aussi affreux et en interjeter appel avec réserve de la prise à partie...»
Signé : SAVARY.
Du MÊME AU MÊME. — Extrait. 17 mars 1789.... «Tout est en combustion ici; le triomphe de ces quatre têtes exaltées semblent leur assurer l’impunité. Ils ne respectent plus le rang, ni l’autorité, et leurs indécents propos annoncent qu’ils se croient tout permis.
«D’un autre côté, le peuple qui, dans l’assemblée générale tenue à La Rochelle, après le peu de ménagement avec lequel ces quatre séditieux parlaient et faisaient parler de MM. les intendants et de leurs subdélégués, ce peuple qui a vu que le président même de l’assemblée ne mettait aucun frein à ces indécentes déclamations, et qu’il semblait même les autoriser, ce peuple enfin qu’un rien échauffe et qni est toujours prêt à s’affranchir de tout, des qu’on lui en donne l’exemple, est aujour’dhui tellement animé et prévenu que je ne puis vous taire que je n’oserais, dans ce moment, procéder à la levée des soldats provinciaux....
«Quoi qu’il en soit, Monseigneur, il est intéressant que cette œuvre de ténèbres soit anéantie, car, si on ne met un frein à la licence qu’on s’est déjà permise, le mal ne fera qu’empirer, et, s’il ne paraît promptement un arrêt au Conseil conforme à mes conclusions, il en résultera certainement les plus grands désordres. J’ose vous assurer que tout l’annonce, et que je regarde comme très urgent d’arrêter dans son principe cette fermentation étonnante, en sévissant contre les quatre séditieux qui l’ont occasionnée....
«Je suis.... etc.
«Signé : SAVARY».
Le garde des sceaux, saisi, par l’intendant, du mémoire de Savary, écrivit, le 21 mars 1789, au lieutenant-général de la sénéchaussée de La Rochelle, pour lui dire que son ordonnance «était un monument injurieux pour un citoyen attaché au service du roi», et pour lui demander de «s’empresser de la retirer, s’il ne voulait pas encourir le désagrément de la voir casser par le Conseil.».
A cette lettre, le lieutenant-général (M. Griffon) répondit:
«...Vous savez Monseigneur, qu’il n’est pas en mon pouvoir de retirer une ordonnance rendue et exécutée, quel que soit mon désir de faire des choses agréables à M. Savary. Pour vous obéir, Monseigneur, j’aurais l’honneur de vous observer que les motifs qui ont dicté mon ordonnance avaient pour but d’apaiser autant que je le-pouvais l’élan de tout un peuple qui se croit au moment de parler de ses peines et de ses maux. Avec mes faibles moyens de contenir cette effervescence, que ne devais-je pas appréhender de la manière avec laquelle M. Savary s’est lancé, dès l’ouverture de la séance, pour critiquer la représentation des huit paroisses de l’île de Ré ?
«Je pourrais joindre d’autres observations, Monseigneur, mais un ancien magistrat à qui sa conscience ne reproche rien, ne peut craindre en pareille circonstance de voir ses ordonnances cassées.
«Je suis, etc.
«Signé : GRIFFON».
Les ordonnances du lieutenant-général de La Rochelle furent cassées par arrêt du Conseil d’Etat en date du 28 mars 1789; mais cela n’arrêta pas d’un fétu le courant montant de la Révolution.