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I.

Table des matières

LE NÉCROM ANCIEN.

Par une belle et chaude matinée du mois de juillet 1395, plusieurs demoiselles se trouvaient réunies dans le préau de l’hôtel Saint-Pol à Paris. A l’or étincelant de leurs ceintures, aux riches atours qui les couvraient, et surtout à un certain mouvement de tête à la fois noble et doux, fier et gracieux, on devinait leur haute origine.

En effet elles étaient toutes filles des plus grands gentilshommes de France, et demoiselles d’honneur de la reine Isabeau de Bavière, femme de Charles VI.

Au milieu de cet essaim de jeunes filles, une d’elles se faisait remarquer beaucoup moins par son costume, qui différait fort peu de celui de ses compagnes, que par les. témoignages de respect que ces dernières lui rendaient.

Appuyée nonchalamment sur le bras de la plus âgée du troupeau, et qui toutefois ne paraissait pas avoir plus de vingt ans, cette jeune fille était triste et pensive. Ses regards distraits, parfois fixés sur l’herbe du pré comme pour y chercher la pâquerette fleurie, ou le trèfle à quatre, qui n’existe pas, ce qui, de tout temps, a fait dire que celui qui le trouvait trouvait le bonheur, ses regards, dis-je, se tournaient souvent involontairement vers les murs de l’hôtel Saint-Pol, comme si seulement alors elle en eût remarqué l’architecture gothique et bizarre. Cette jeune fille n’avait de l’enfance que ses formes grêles et mignonnes; son front possédait la réflexion de l’âge mûr.

«Qu’avez-vous donc aujourd’hui, madame Isabelle? lui demanda doucement la jeune dame d’honneur, serrant contre son sein la petite main qui s’appuyait sur son bras.

— Rien, je ne sais, ma chère de Courcy, répondit madame Isabelle lentement; je me sens triste, voilà tout.

— J’espère que ce n’est pas un pressentiment? dit madame de Courcy, dont la physionomie piquante exprimait depuis le matin une impatience, un désir de parler qu’elle déguisait mal.

— Et de quoi? demanda la jeune fille en levant sur sa compagne son regard bleu et limpide.

— Ah! c’est un secret, madame Isabelle.

— Un secret! tu as un secret pour moi, ma chère Éléonore, pour moi qui n’en ai jamais eu pour toi! dit la jeune enfant d’un ton de reproche.

— Ah! c’est que c’est un grand secret, madame Isabelle, et que, si madame Isabeau ou monsieur le roi, si même messieurs vos oncles les ducs de Bourgogne et de Berri, voire même votre oncle de Bourbon, venaient à savoir que je vous en ai parlé, je serais tancée vertement, madame Isabelle.

— Quand on veut être discrète, on ne commence pas par dire qu’on a un secret, madame de Courcy.

— C’est que celui-là ne devrait pas en être un pour vous, madame Isabelle; car, enfin, il me semble que c’est la personne qu’on marie qui devrait la première le savoir.

— Est-ce qu’on me marie?... est-ce qu’on pense à me marier? Mais je n’ai encore que huit ans, ma bonne Éléonore, s’écria la princesse toute saisie.

— Qu’importe, ma chère princesse? regarde-t-on à l’âge des filles des rois quand la politique exige qu’on les marie? Oh! vous serez un jour une grande dame, madame Isabelle.

— Tout le monde le dit, et je n’en serais pas fâchée, dit Isabelle en souriant. Du reste, je m’aperçois bien qu’il se manigance quelque chose au Louvre, où réside monseigneur mon père, ainsi qu’à l’hôtel Saint-Pol, où nous demeurons, madame ma mère et moi. Si la curiosité n’était pas un vilain défaut dont je devrais aller me confesser au père chapelain, je te dirais bien de m’instruire... Mais non, tais-toi, je ne veux rien savoir.»

Et la charmante enfant, quittant soudain le bras de sa dame d’honneur, se mit à courir vers l’endroit où elle avait laissé ses compagnes... Un nouveau personnage s’était depuis introduit dans le préau; à sa vue, Isabelle resta saisie.

C’était un homme d’une taille haute et fière; son costume étrange était celui que portaient les nécromanciens d’alors: un bonnet pointu couvrait sa tête; une large robe de laine brune garnie de fourrure enveloppait son corps; des sandales chaussaient ses pieds; une longue barbe blanche descendait jusqu’à sa ceinture.

Toutes les demoiselles l’entouraient, et chacune, la main étendue vers lui, disait:

«Messire nécromancien, dites-nous notre bonne aventure, je vous prie.»

Mais lui, sans satisfaire à leurs désirs, leur demanda:

«Quelle est cette blonde jeune fille qui, à ma vue, a interrompu sa course joyeuse?

— C’est madame Isabelle de France, répondirent les demoiselles, la seconde fille de madame Isabeau.

— Mais, de grâce, messire nécromancien, dites-nous notre bonne aventure, je vous prie!»

Madame de Courcy venait de rejoindre Isabelle.

«Eh bien, pourquoi n’avancez-vous pas, madame? lui dit-elle, le nécromancien vous fait-il peur? Vous avez tort; ce sont tous gens âgés, et si savants, madame, qu’ils connaissent tout: le présent, le passé, l’avenir. Ils lisent dans les astres comme vous lisez dans votre missel; ils guérissent les maladies aussi bien que les meilleurs physiciens: moi, je vais le consulter pour ma mère, dont la vue se perd, et pour mon père, qui est en terre sainte... Vous, madame, ne voulez-vous point savoir un peu votre avenir?

— J’ai peur! répondit Isabelle, passant derrière sa dame d’honneur et n’examinant le nécromancien qu’à la dérobée.

— Quel enfantillage! voyons, avancez.»

Pendant ce colloque, le nécromancien, les yeux fixés sur Isabelle, cherchait à rompre cette chaîne mouvante de mains blanches qui s’opposaient à son passage.

«Le ciel accomplira le premier vœu que vous formerez, dit-il à l’une; — dans le plus beau de vos jours, souvent l’inquiétude vous tourmente et vous rend mélancolique. —Il faut surmonter tous les chagrins que vous pouvez avoir, disait-il à une autre. — Vous attendez des nouvelles qui ne tarderont pas à venir, ajoutait-il à une troisième. —Vous réussirez dans vos entreprises. — Il ne faut pas se lier à tout le monde. — Les plaisirs que vous éprouverez vous feront oublier les peines passées. — Vous aurez une heureuse vieillesse.»

Et, jetant au hasard sur chaque main cette kyrielle de prédictions qu’il est d’usage dans le monde nécromancien de débiter aux crédules, le savant personnage parvint à la main de madame de Courcy, qui venait d’ôter son gant pour la présenter nue au devin.

«Vous épouserez un étranger, lui dit-il.

— Je suis mariée, répondit-elle, étonnée de ce genre de prédiction.

— En secondes noces,» répliqua sévèrement le devin, comme s’il l’eût grondée d’avoir douté de son art.

Et il passa rapidement devant madame de Courcy pour venir se poser devant Isabelle, dardant au front de la jeune fille son regard brillant comme l’éclair et pénétrant comme le feu.

Bien qu’elle fût habituée par son haut rang à être le point de mire de tous les regards, celui-ci fit éprouver à la jeune princesse un malaise dont elle avait peine à se défendre; elle aurait voulu fuir, échapper à l’attraction de ces grands yeux bleus fixés sur elle comme une puissance infernale; mais le magnétisme de ce regard la clouait à sa place.

«Et vous, noble fille d’Isabeau de Bavière et de Charles VI, dit le devin en s’inclinant devant Isabelle, qui, rougissante et craintive, se tenait toujours derrière madame de Courcy, ne voulez-vous point que je soulève un peu le voile qui cache votre destinée?»

La voix du nécromancien s’était singulièrement adoucie en s’adressant à la princesse... Celle-ci hésitait; mais ses compagnes lui dirent:

«Oyez la science infinie de cet homme, madame; il a deviné votre origine au milieu de nous toutes.»

Le mystérieux inconnu restant toujours incliné devant Isabelle, la main de la jeune fille s’étendit machinalement vers lui. Elle sentit qu’il tremblait en la prenant.

«A main si mignonne il faudrait un sceptre, dit-il; à taille si frêle un manteau royal, à front si pur un diadème. Dites, madame, ajouta-t-il à voix basse et caresressante, vous plairait-il d’échanger votre joli chaperon rose contre une couronne de reine?

— Si cela plaisait à Dieu et à monseigneur mon père, répondit Isabelle avec ingénuité, je n’en serais pas marrie. »

Cette réponse eut d’abord l’air de transporter de joie le mystérieux inconnu; mais, comme si d’affreuses révélations eussent agité son sein, son visage se troubla, son front devint sombre, sa poitrine oppressée faisait entendre des soupirs saccadés, et ses grands yeux bleus, qui envahissaient toute la personne d’Isabelle, semblaient exprimer toutes les angoisses d’un danger inconnu, mais redouté.

L’émotion du nécromancien gagna tous les assistants; il se fit un silence morne au milieu de cette jeunesse un moment avant si bruyante, et, comme ne pouvant plus maîtriser sa pensée, le devin reprit:

«Et cependant quel dommage d’exposer une créature si angélique aux ennuis qui sont cachés sous la pourpre!... Pardonnez, madame Isabelle, si, malgré moi, des craintes qui me saisissent et qu’un pouvoir inconnu semble me révéler, me font mêler d’affreux présages à la prédiction que j’ai à vous faire. En ces temps de discordes et de mauvais vouloirs, il est telle couronne royale qui pourrait se changer en couronne d’épines... Oh! chère enfant, en acceptant la première, n’auriez-vous pas appréhension de la seconde?

— Que la volonté de Dieu soit faite, seigneur,» dit Isabelle, rassurée par la douceur de l’organe du nécromancien, par son ton à la fois respectueux et tendre, et surtout par sa grande barbe blanche, qui prêtait à son visage, comme à ses paroles, quelque chose de paternel et de consolant.

«Eh bien, madame, continua-t-il vivement, avant une heure, vous serez reine d’Angleterre!...»

Dans ce moment, un grand tumulte de voix et de chevaux troubla le calme qui régnait ordinairement dans la cour de l’hôtel Saint-Pol; ces mots: Le roi! le roi!... parvinrent jusqu’aux oreilles des demoiselles rassemblées dans le préau. La crainte d’être surprises avec un nécromancien les fit se disperser à l’instant.

Isabelle se disposait à les suivre; mais, d’un geste impérieux et doux, le magicien la retint à sa place.

Petits princes et petites princesses : contes historiques dédiés à la jeunesse

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