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V.

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LE FAUCON.

La cour de Raimond Béranger IV, comte de Provence, était alors la cour la plus spirituelle de l’Europe; le gai savoir y florissait dans toute sa naïveté première; les trouvères et les bardes s’y donnaient rendez-vous, et les femmes ne dédaignaient pas de quitter quelquefois le fuseau pour la lyre, l’aiguille pour la plume.

Ce soir-là, où mademoiselle de Bar parut ornée du bandeau de perles de Marguerite, jamais encore l’assemblée de Raimond n’avait été plus belle, plus brillante; jamais tant de gaieté et d’esprit n’avait animé plus de jeunes et charmants visages. Louis IX, élevé dans les camps et accoutumé à la sévère austérité de la cour de sa mère, émerveillé de ce qu’il voyait, de ce qu’il entendait, n’osait cependant mêler sa rude éducation guerrière aux grâces parfaites de ces courtisans aimables: il se tenait à l’écart, les yeux fixés sur les trois jeunes Marguerite, les observant attentivement toutes les trois, mais il n’adressait à aucune la parole.

Vers la fin de la soirée, et comme chacun prenait congé des trois cousines, un petit nain, venu depuis peu de Paris, et qui amusait la cour de Raimond Béranger par ses aimables saillies, s’approcha comme les autres des jeunes comtesses, et avec cette familiarité que l’on permettait alors aux bouffons et aux nains, il leur dit:

«Belles comtesses, je suis venu de loin pour vous épouser; mais, avant de faire un choix, je désirerais savoir ce qui se passe dans vos cervelles féminines, si tant est, toutefois, que les femmes en aient, ce dont plusieurs auteurs anciens ont longtemps douté. A cette fin, j’ai pris la liberté, gracieuses et nobles demoiselles, de vous dérober ce qui touchait de plus près à ce que je désire étudier en vous: à vous, Marguerite la Blonde, j’ai pris ce nœud rose; à vous, Marguerite la Blanche, ce nœud bleu; à vous, Marguerite la Brune, ce nœud bouton-d’or.»

En disant ces mots, le nain éleva en l’air les trois nœuds, les secoua, et, se glissant de jambes en jambes parmi les assistants, disparut au bruit des éclats de rire excités par son original discours.

Les trois cousines rirent comme les autres de cet incident et n’y apportèrent aucune attention, n’y devinèrent aucune conséquence.

Le lendemain, au lever du soleil, Marguerite de Provence, agenouillée dans sa chambre, adressait à Dieu ses prières d’ange, lorsqu’elle fut distraite dans sa dévotion par un léger frôlement d’ailes agitées contre les vitres de sa chambre; elle regarda et aperçut son ruban bleu qui flottait dans les airs. Étonnée de ce prodige, elle courut à sa croisée, l’ouvrit; aussitôt un oiseau entra dans sa chambre; c’était un faucon autour du cou duquel était passé son nœud de ruban bleu, dérobé la veille par le nain. La princesse prit l’oiseau qui se laissa saisir, elle dénoua le ruban, un papier tomba, et, comme dans sa surprise la princesse lâcha le faucon, celui-ci s’enfuit à tire-d’aile à travers la croisée ouverte.

La fille de Raimond Béranger ramassa machinalement ce papier; c’était un parchemin plié et scellé du sceau royal aux armes de France; sur le dessus était écrit:

«A MARGUERITE LA BLANCHE.»

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Le cœur lui battit fortement. «Si Louis venait pour l’épouser, pensa-t-elle, pourquoi ne s’adressait-il pas à son père? et, si c’était un refus, était-ce à elle qu’il devait en faire l’affront?» Inquiète, émue, elle tournait et retournait ce billet en tout sens, lorsque sa nourrice, la grosse Misé Millette, vint, tout essoufflée, lui dire que son père la demandait de suite, de suite.

La princesse obéit; elle trouva le comte Raimond Béranger dans une grande colère.

«Le roi de France refuse votre main, lui dit-il, et a, en outre, l’audace de me demander un entretien particulier pour me déclarer un choix qu’il fait dans ma cour.

— Hélas! dit piteusement Marguerite en présentant à son père le parchemin cacheté, c’est aussi sans doute pour cela qu’il m’écrit, et il veut probablement épouser mademoiselle de Bar, qui est plus belle que moi.

— Choisir la beauté serait sottise et folie, répliqua le comte, prenant le parchemin et en brisant le scel, et je ne puis croire Louis IX, tant renommé pour sa sagesse, capable d’une pareille faiblesse d’esprit.»

Puis aussitôt, et comme il lisait en parlant il s’écria;

«Mais que signifie ceci? il vous refuse et vous demande! Écoutez, ma fille.

«Mademoiselle,

«Jusqu’à ce jour, je n’ai su que me battre et gouverner

«; je m’entends mal aux artifices d’un langage galant

«et flatteur; mais je crois que je saurai vite aimer si vous

«consentez à m’épouser.

«Louis.»

— Cela signifie, mon oncle, dit mademoiselle de Bar, qui avait suivi sa cousine sans qu’elle s’en aperçût; que je suis punie de ma sotte vanité, que Louis me refuse me croyant votre fille, et que la bonté de Marguerite l’emporte sur ma beauté.»

Marguerite de Provence, mariée le 27 mai 1234, à Louis IX, ne s’attacha qu’à faire le bonheur de son mari; aussi leur félicité à tous deux fut-elle complète. Elle accompagna Louis IX partout; ni les fatigues ni les dangers d’aucune espèce ne rebutaient cette épouse courageuse et aimante. Dans l’expédition d’Égypte, étant restée à Damiette lorsque le roi combattait plus loin, cette ville fut assiégée par les Sarrasins. Marguerite était enceinte; elle apprit que son mari était fait prisonnier; alors, perdant l’espoir qu’il pût la secourir, elle fit sortir toutes ses femmes de son appartement, et, se jetant aux genoux d’un vieux chevalier, serviteur dévoué du roi de France, elle lui dit qu’elle ne se relèverait pas qu’il ne lui eût accordé la grâce qu’elle sollicitait de son honneur.

Le vieux chevalier lui ayant donné sa parole, la reine ajouta en versant d’abondantes larmes:

«Seigneur, ce que je vous demande, sur la foi que vous m’avez engagée, c’est que, si Damiette est prise par les Sarrasins, vous me coupiez la tête, et ne me laissiez pas tomber entre les mains des Sarrasins.»

Sur quoi le digne serviteur d’une si noble reine répondit simplement:

«J’y pensais, madame.»

Trois jours après, elle donna le jour à un fils qui fut nommé Tristan, à cause du triste moment de sa naissance. Étant encore malade et alitée, elle entendit dire que la garnison voulait se rendre; elle manda auprès d’elle les principaux moteurs de cette résolution, et leur parla avec tant de douceur et de sagesse, qu’elle les fit renoncer à une détermination qui aurait entraîné avec elle la ruine des croisés.

A quelques jours de là, un serviteur fidèle de Louis IX réussit à pénétrer dans Damiette; il n’était porteur d’aucun parchemin, mais il remit à la reine, de la part du roi, une petite fleur rouge, qui, malgré la longueur de la route, était restée aussi fraîche que si elle venait d’éclore; ce mot seul était gravé sur l’oignon qui tenait la tige: «Espère.»

Cette fleur était inconnue à la reine, mais elle lui avait procuré une trop grande joie pour qu’elle ne la conservât pas toute sa vie. L’année suivante, rendue à son époux, à la liberté, à la tranquillité, à sa patrie, elle eut l’idée de mettre en terre l’oignon de cette fleur; alors elle la vit germer, grandir, et enfin donner de nouvelles fleurs rouges: la renoncule fut ainsi importée de Syrie en France.

Quant à Louis IX, fatigué de la guerre, maladif, ennuyé d’affaires, il voulait renoncer au monde et s’enfermer dans un monastère; il en fut détourné par Marguerite, qui lui fit observer, avec la justesse d’esprit qui distinguait cette femme vraiment remarquable, que Dieu ne mettait pas les rois sur terre pour leur repos à eux, mais bien pour veiller à celui de leurs sujets. Louis IX renonça à son projet. Après sa mort, qui eut lieu le 25 août 1270, Marguerite se retira dans le couvent des religieuses de Sainte-Claire qu’elle avait fondé au faubourg Saint-Marcel, et y mourut en 1293. Elle avait été mère de onze enfants.


ISABELLE DE FRANCE


Son cheval s’arrêta de lui même comme s’il eût atteint le but de sa course

Petits princes et petites princesses : contes historiques dédiés à la jeunesse

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